Texte intégral
Schéma d'intervention du ministre des affaires Etrangères, M. Herve de Charrette, à Florence, le 14 juin 1996
La France propose l'instauration d'une période de stabilisation de deux ans en Bosnie-Herzégovine :
I. – Le bilan
1. Le 14 décembre 1995, la France accueillait la Conférence de signature de l'Accord de paix en Bosnie, négocié pendant près d'un mois à Dayton.
Nous savions que cela constituait une grande victoire.
Mais certainement pas un point final à la crise : ouverture d'un lent et difficile chemin de réconciliation.
2. Exactement (jour pour jour) six mois après, le tableau est fait d'ombres et de lumières.
a) De réels succès :
– cessez-le-feu ;
– regroupement des armes/démobilisation des unités en cours ;
– prisonniers de guerre libérés ;
– stabilisation territoriale ;
mais aussi :
– commission mixte paritaire ;
– commissions mixtes communes ;
– commission électorale provisoire ;
et reconstruction.
b) Mais les ombres restent considérables :
– la liberté de circulation ;
– le retour des réfugiés : 70.000/2,5 millions ;
– la liberté de la presse ;
et
– la procédure arbitrale de règlement de la question de Brcko ;
– la signature de l'accord de limitation des armements
Ce qui relève de la logique de séparation s'accomplie. Mais ce qui relève de la logique de coopération au sein de l'Etat de Bosnie-Herzégovine se heurte encore à des actes évidents de mauvaise volonté.
II. – Les élections doivent se tenir dans le calendrier prévu
1. Des voix s'élèvent pour nous recommander de repousser les élections. Ce serait une erreur grave et qui serait lourde de conséquences.
Certes, les conditions idéales ne sont pas toutes remplies,
Mais les élections sont un élément très important du processus de paix : elles n'en marquent pas la fin, elles en constituent une étape. Une étape décisive :
– premier acte d'association des populations au processus ;
– début d'une légitimité démocratique donnée aux dirigeants ;
– mise en place des institutions.
Il est donc impératif que les élections aient lieu dans le calendrier prévu. Y renoncer, ce serait bloquer le processus de paix. Les retarder, ce serait différer ce processus.
C'est à l'OSCE d'en décider. Donnons-lui un signal politique clair.
2. Pour que les élections se déroulent de façon appropriée, leurs modalités doivent être surveillées de près :
– création des commissions électorales locales OSCE
– désignation des observateurs OSCE
Mais aussi, l'IFOR devra y apporter un concours déterminé et pas en traînant les pieds : cela relève explicitement de son mandat (« création de conditions sûres d'exécution des autres tâches…, notamment l'organisation d'élections libres et démocratiques »).
Cela concerne :
– la liberté de circulation des populations et, le jour du scrutin, des élections ;
– la sécurité de la campagne électorale (réunions électorales…), du scrutin (bureaux de vote), des observateurs, du dépouillement ;
– le soutien logistique aux opérations électorales.
III. – Proposition d'une période de stabilisation
Le débat sur les élections en cache une autre : nous voyons bien que, passées les élections, s'ouvrira une période nouvelle. Ce sera une période de stabilisation :
1. Des tâches importantes resteront à réaliser :
– le retour des réfugiés ;
– le TPI ;
– le bon fonctionnement des institutions communes d'un État de Bosnie-Herzégovine qui reste encore virtuel :
– politiques ;
– économiques (Banque centrale – Transports) ;
– juridiques (Cour de Justice).
– la libre circulation et le maintien de l'ordre public préalables à l'instauration d'un Etat de droit ;
– la reconstruction : de nouvelles conférences de donateurs seront nécessaires.
2. Ces tâches relèveront d'abord des responsables de Bosnie-Herzégovine.
Il faut passer peu à peu de la logique d'assistance de la communauté internationale (justifiée au départ), à celle de la responsabilité des dirigeants et de la population de Bosnie-Herzégovine. La paix n'existe pas longtemps si elle n'est pas d'abord dans les esprits et dans les cœurs.
Si la paix était imposée par nous, elle ne durerait pas.
Mais je dis clairement aux dirigeants de Bosnie-Herzégovine : l'heure vient où vous serez seuls en face de vos responsabilités. L'Histoire est là, qui vous guette et qui vous jugera.
Je propose que nos conclusions marquent l'engagement clair et des parties à assumer pleinement leurs responsabilités et leur volonté de coopération.
IV. – Pour autant, la communauté internationale doit montrer sa disponibilité à accompagner ce mouvement
Je propose donc une période de stabilisation, de deux ans, jusqu'à l'été 1998, pendant laquelle la communauté internationale marquera sa disponibilité à soutenir l'effort (pour autant qu'il existe réellement) des responsables de la Bosnie-Herzégovine.
Je propose donc une concertation :
– sur les modalités ;
– sur un calendrier précis d'action.
La France est prête à accueillir, au lendemain des élections générales en Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire en octobre, un comité directeur de la conférence, au niveau ministériel, auquel serait conviée la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, afin d'étudier le programme d'action de cette période de stabilisation.
V. – Je voudrais faire une dernière suggestion
Les parties devraient s'entendre, dans le cadre, par exemple, de la commission intérimaire mixte, sous l'égide de M. Bildt, pour fixer la durée du mandat du Parlement de Bosnie-Herzégovine et des Parlements des deux entités.
Les accords de Paris ne fixent pas la durée du mandat. C'est une curiosité juridique !
Dès lors, quelle durée imaginer ? Si vous acceptez ma proposition d'une période de stabilisation, il serait logique de faire coïncider la durée de cette période avec la durée de ces mandats :
– ce serait logique du point de vue de la démocratie ;
– ce serait bon du point de vue de la stabilisation et de la solidarité des structures étatiques de Bosnie-Herzégovine.
La France n'aborde pas cette question avec de préjugés, mais elle fait des propositions qui se veulent raisonnables, parce que nous voulons rester fidèles à nos principes et nos objectifs : créer en Bosnie-Herzégovine un Etat démocratique, décentralisé mais unifiée, pluriethnique, qui soit conforme aux valeurs de l'Europe.
Conférence de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, à Florence, le 14 juin 1996
Mesdames et Messieurs,
Je crois que cette Conférence à mi-parcours organisée à l'initiative de la présidence européenne est très certainement utile. Je voudrais évoquer devant vous un certain nombre de points de réflexion, qui sont les réflexions de la France après six mois de mise en œuvre des accords de Paris.
Je vous rappelle que nos objectifs n'ont jamais varié.
Nous souhaitons travailler non seulement à la paix, mais à la création en Bosnie-Herzégovine d'un Etat démocratique décentralisé, certes, mais néanmoins unifié et pluricommunautaire. C'est cela l'objectif auquel nous avons toujours fait référence, dans toutes les décisions que nous avons prises, dans toutes les positions que nous avons choisies, et naturellement ce sont encore les idées qui nous guident. C'est à la lumière de ces idées que je voudrais développer quelques points devant vous, avant de répondre à vos questions. C'est d'ailleurs ce que j'ai dit aujourd'hui même dans l'enceinte au sein de Conférence.
Tout d'abord, le bilan de ces six mois, puisque nous sommes juste à six mois du 14 décembre 1995, date de la signature à Paris des accords de paix, est un bilan mitigé. Je ne fais pas partie de ceux qui crient victoire. C'est vrai qu'il y a des éléments de satisfaction importants, mais il y a aussi des ombres. Et elles sont sérieuses. Ce qui est le plus important, c'est que finalement, il y a six mois qu'il n'y a plus de conflit, il n'y a plus l'horreur de la situation que nous connaissions avant. Si les opinions publiques paraissent s'éloigner aujourd'hui de la Bosnie-Herzégovine, c'est que, Dieu merci, on ne peut plus montrer à la télévision des images terrifiantes que nous avons vues dans le passé.
C'est un point évidement majeur, extraordinairement positif, car non seulement il y a le cessez-le-feu, mais les armes ont été regroupées et les unités ont été pour partie démobilisées selon ce qui avait été prévu.
Il n'en demeure pas moins qu'en dépit du travail considérable qui a été fait, aussi bien par l'IFOR que par M. Carl Bildt et son équipe, travail très remarquable, il y a des ombres. La liberté de circulation n'est pas assurée, le retour des réfugiés est purement symbolique – quelques dizaines de milliers – alors que l'on évalue à 2,5 millions ceux qui ont le statut de réfugié, la liberté de la presse et des médias n'est pas assurée aujourd'hui. Autrement dit, tout ce qui relève de la logique de séparation, marche, s'épanouit, et tout ce qui relève de la logique de coopération au sein de l'Etat de Bosnie-Herzégovine se heurte encore à des actes évidents de mauvaise volonté de la part d'un certain nombre de responsables sur le terrain. C'est pourquoi le moment me paraît opportun de dire les choses clairement. Il est tout à fait clair que les responsables des deux entités, la Républika Srpska d'un côté, la Fédération Bosno-Croate de l'autre, ont des responsabilités considérables. Il est bien clair aussi que l'heure vient où, les uns et les autre seront seuls en face de leurs responsabilités. L'histoire les attend et, de ce point de vue j'espère que cette Conférence contribuera, de leur part, à montrer leur clair engagement à assumer leurs responsabilités et, de la nôtre, à bien faire comprendre que nous avons l'intention de passer de la logique de l'assistance de la part de la Communauté internationale, qui était naturellement pleinement justifiée au départ, à la logique de la responsabilité des dirigeants et de la population de Bosnie-Herzégovine, parce que la paix n'existe pas longtemps si elle n'est pas d'abord dans les cœurs et les esprits. La paix n'existe pas longtemps non plus si elle est imposée de l'extérieur. C'est un avertissement et je crois que c'est à moi de dire les choses.
Dans cette Conférence, il y a eu – je crois que le débat est maintenant presque réglé – un débat sur les élections. Faut-il ou non que les élections aient lieu ? J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt la prestation brillante et profonde de M. Flavio Cotti, président en exercice de l'OSCE. Tout d'abord, il faut rappeler que la décision, selon les accords de Paris, revient à la présidence de l'OSCE. Autrement dit, ce n'est pas à la Conférence de décider, mais par contre il est très important que la Conférence émette à cet égard un signal clair. C'est là que la communauté internationale peut dire ce qu'elle souhaite, ce qu'elle veut. D'autre part, M. Cotti a posé avec beaucoup de conviction la balance des arguments qui vont dans un sens et ceux qui vont dans l'autre. Puisqu'il n'avait pas encore pris sa décision et qu'il a indiqué qu'il la prendrait d'ici la fin du mois, cet exposé, je dirais, des méditations de celui qui aura à prendre cette décision, était tout à fait remarquable. Moyennant quoi la position française est très claire : les élections doivent impérativement avoir lieu avant le 14 septembre prochain, dernier jour du délai rendu possible par les accords de Paris. Impérativement. Pourquoi ? Certes, je comprends ce que peuvent dire ceux qui disent que tous les éléments d'un scrutin parfaitement démocratique ne sont pas réunis. C'est vrai. Par exemple tous les réfugiés qui en ont peut-être le désir n'auront pas pu revenir, c'est un fait ; ou bien encore cette période a été courte – c'est un fait aussi – pour qu'émergent de nouvelles volontés politiques et pour que s'organisent des partis, que s'organise aussi la liberté du dialogue, de l'information, de la presse, etc. C'est vrai. Mais d'ici le 14 septembre, d'importants progrès peuvent être réalisés et devront l'être sous la responsabilité de la communauté internationale, mais surtout trois arguments me paraissent déterminants.
Le premier est tout simple. Ce sera la première fois que les populations auront donné leur avis. Voilà des années qu'elles subissent un conflit qui a provoqué d'interminables souffrances. Voilà des mois que se met en place à l'initiative de la communauté internationale un gigantesque effort de remise en ordre de pacification. Je crois qu'il n'y a rien de plus utile et de plus urgent que de donner la parole à la population.
En second lieu, ce sera le début d'une légitimité démocratique dont les dirigeants de la Bosnie-Herzégovine ont besoin.
Enfin, s'il n'y a pas d'élection, il n'y a pas de mise en place des institutions. Comment peut-on mettre en place la présidence, le parlement, comment peut-on par conséquent poursuivre la mise en place du processus de paix sans élections ?
En d'autres termes, il faut prendre les élections, non pas comme la fin du processus mais comme une étape décisive dans sa mise en œuvre. En conséquence de quoi, reporter les élections serait différer la mise en œuvre du processus, renoncer aux élections, ce serait bloquer le processus de paix. Voilà pourquoi la France juge impératif que les élections aient lieu avant le 14 septembre prochain. Ce point de vue, je dois le dire, me paraît partagé par l'immense majorité des délégations présentes.
Du même coup, nous avons fait une proposition et, si j'en juge par les dépêches que j'ai vues, je crois qu'elle mérite quelques explications, parce qu'en réalité derrière le débat sur les élections s'en cache un autre. Nous voyons bien en effet qu'avec les élections va s'ouvrir une période nouvelle. Nous voyons bien aussi que chacun comprend que la mise en œuvre civile des accords de Paris ne peut pas être interrompue au 1er janvier prochain. Nous pensons au contraire que les élections vont ouvrir une nouvelle période. Nous proposons que la communauté internationale décide de consacrer une période de deux ans, que nous appellerons période de stabilisation, pour assumer et conduire jusqu'à leur terme un certain nombre de ces tâches civiles qui ne sont pas encore achevées, que ce soit le retour des réfugiés, le bon fonctionnement des institutions de Bosnie-Herzégovine, ou la reconstruction.
Nous proposons cette période de stabilisation, et nous avons suggéré que le comité directeur de la conférence se réunisse à Paris, au mois d'octobre, après les élections, qu'y participe la présidence collégiale future de la Bosnie-Herzégovine, et qu'à cette occasion soit arrêté le programme de travail de la communauté internationale sur une période de 2 ans.
Enfin, cette période de 2 ans se relie à la question du calendrier électoral. Je voudrais appeler votre attention sur un point de fait : dans les accords de Paris, la durée du mandat des assemblées qui vont être désignées le 14 septembre prochain n'a pas été fixé. C'est assez curieux mais c'est ainsi. Il faut donc trancher cette question. On n'imagine pas des élections, un mandat, sans terme. Il faut bien fixer cette durée. En réalité, dans les accords de Paris, une durée est fixée : c'est la durée de la présidence collégiale qui, elle, a explicitement une durée de 2 ans. Mais d'après les négociateurs, il y avait bien l'idée que les responsables devraient sur place fixer ce délai et devraient normalement le faire une pour une durée équivalente à celle de la présidence. Nous proposons donc que la durée du mandat des assemblées désignées le 14 septembre soit fixée à 2 ans. D'une part, cela coïncide avec la durée de la période de stabilisation que nous proposons, et d'autre part, c'est assez logique sur le plan démocratique. Si l'on dit que l'ensemble des conditions ne seront peut-être pas remplies pour que ces élections se déroulent cet automne comme l'on aimerait qu'elles se déroulent, eh bien dans deux ans, le déroulement du processus civil de paix aura permis que soient créées des situations qui donneront à ces élections, la réponse à ceux qui se préoccupent à juste titre des bonnes conditions du déroulement.
Voilà pourquoi, nous proposons d'un côté, une période de stabilisation de deux ans, pour permettre à la communauté internationale d'achever son œuvre et, d'autre part, nous proposons que la durée du mandat des assemblées élues dans quelques mois soit fixée par les responsables à deux ans.
Enfin, la conférence a longuement évoqué ce qui concerne la reconstruction. Le débat continue d'ailleurs. De ce point de vue, cette conférence n'a pas de décision à prendre mais plutôt un bilan à faire. La communauté internationale a mis 1,8 milliard de dollars sur la table, c'est une somme élevée. L'Europe y contribue de façon assez remarquable puisqu'elle fournit à elle seule 760 millions de dollars, c'est-à-dire près de 40 % du chiffre. Elle fait une fois de plus la preuve que dans ce domaine elle sait prendre ses responsabilités. Il est vrai qu'il y a encore assez de chantiers ouverts. Ceci démontre que ces procédures ont leur lenteur, mais il y a déjà des chantiers. Pas assez bien sûr. Je crois que la poursuite des travaux devrait de ce point de vue, dans les mois qui viennent, confirmer aux yeux de l'opinion publique de Bosnie-Herzégovine l'importance de ces efforts.
Q. : La période de stabilisation que vous proposez implique-t-elle aussi une prolongation de la présence de l'IFOR ?
R. : J'ai très explicitement dit au cours de mon intervention durant la conférence que, dans l'esprit de la France, il ne s'agissait pas de changer le mandat de l'IFOR. Ceci concerne donc la mise en œuvre civile, je dis bien civile, des accords de Paris. Que ce soit très précis. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de préciser ce point très important.
Q. : Comment sont accueillies vos propositions ?
R. : D'abord, j'ai été frappé du fait qu'un très grand nombre de participants à cette conférence sont venus me dire explicitement qu'ils soutenaient ces deux propositions. Plusieurs d'ailleurs l'ont dit dans leurs interventions auxquelles j'ai pu assister. Je crois qu'en vérité, cette idée d'une période de stabilisation de 2 ans recueille un accord quasi unanime. En particulier, Mme Ogata, que j'ai rencontrée tout à l'heure, m'a dit quelle importance cela avait à ces yeux pour que le travail qu'elle accomplit en faveur du sort des réfugiés puisse se développer. Elle était inquiète de ce qui allait se passer dans les mois qui viennent. Je puis vous dire que la proposition française répondait pleinement aux préoccupations du commissariat des réfugiés. La plupart de nos partenaires les plus proches, en particulier les membres du groupe de contact, sont tout à fait d'accord. Je crois aussi avoir rencontré un jugement très positif d'une très grande majorité de pays. En réalité, je ne pourrai pas vous citer de pays qui soit contre. Je peux vous citer des pays qui sont pour, par exemple les dirigeants de la Bosnie-Herzégovine, qui sont venus me dire explicitement qu'ils soutenaient cette idée.
Q. : Donc la période de stabilisation aboutirait à de nouvelles élections…
R. : Cela me paraît sage. Vous avez déjà assisté à des élections dont on ne connaît pas la durée du mandat de ceux qui vont être élus ? En vérité, les négociateurs de Dayton avaient à l'esprit que ce serait aux responsables sur place à fixer ce délai. Ce n'était pas illogique. La commission intérimaire mixte qui réunit les responsables doivent débattre de cette question. Je souhaite que la communauté internationale fasse pression pour que ce délai de deux ans soit retenu. C'est une mesure de prudence et, finalement, c'est une mesure démocratique.
Q. : Quand auront lieu les élections ?
R. : Avant le 15, tout le monde a dit le 14. Ce n'est pas faire preuve d'une originalité débridée mais, ceci dit, je répète que la décision d'organiser des élections relève de l'OSCE. Ce que la présidence doit faire aujourd'hui, puisqu'il y a 45 délégations autour de la table, c'est faire en sorte que la communauté internationale dise ce qu'elle veut et qu'elle envoie à l'OSCE et à son président un message politique clair, car il s'agit bien d'un choix politique essentiel dans le déroulement du processus de paix.
Q. : Y a-t-il unanimité à ce sujet ?
R. : Unanimité, je serai embarrassé pour vous dire cela, car je risquerais de me tromper. Mais l'immense majorité sans aucun doute, et en particulier, les pays les plus importants et les plus impliqués ont pris position sur ce point. La délégation russe m'a dit très clairement que la proposition française avait son soutien. Ce sera l'un des fruits importants de cette réunion que de marquer un très large consensus de la communauté internationale quant à la nécessité d'organiser les élections au plus tard le 14 septembre.
Q. : Qu'en pensent les Croates ?
R. : M. le ministre des Affaires étrangères croate, que j'ai vu en arrivant à cette conférence de presse, m'a indiqué qu'il soutenait tout à fait la position française c'est-à-dire en fait, les élections, la période de stabilisation.
Q. : (Inaudible)
R. : Je vous confirme que la France invitera le comité directeur de la conférence de Londres au mois d'octobre et que, d'ici là, nous aurons engagé les concertations nécessaires pour préparer ce que doit être, ou ce que devrait être, ce programme de stabilisation qui nous conduira à l'été 1998.
Q. : Le président Cassese semble se plaindre de l'insuffisance du soutien de la communauté internationale au TPI…
R. : J'ai entendu cela, et vous savez que la France a toujours soutenu le Tribunal pénal international. Le président Cassese est venu à Paris il y a quelques mois. Je l'ai reçu et je lui ai confirmé le soutien, qui ne s'est jamais démenti, de la France au Tribunal pour l'ensemble de ses missions : soutien en matériel, en hommes, soutien politique destiné à permettre à ce Tribunal pénal international de remplir sa mission. Sur ce point, les choses doivent être extrêmement claires. Je voudrais vous dire, puisque vous m'interrogez sur ce point, que nous soutenons aussi pleinement les initiatives prises par Carl Bildt concernant M. Karadzic. Il faut en effet que les accords de Paris soient appliqués, ce qui signifie que M. Karadzic ne doit plus exercer aucune responsabilité politique. Nous apportons de ce point de vue notre entier soutien à l'action déterminée que poursuit M. Bildt. C'est une absolue nécessité. Je ne crois pas qu'il faille, à partir du moment où l'on aura décidé des élections, fixer un calendrier conditionnel. J'espère que d'ici la fin du mois de juin, la présidence de l'OSCE dira que des élections auront lieu, par exemple le 14 septembre. Une fois que l'on a fixé la date des élections, on va vers les élections. Il va de soi, enfin, que M. Karadzic devra être déféré devant le Tribunal pénal international. L'IFOR n'a pas reçu mandat de l'arrêter, elle n'a pas reçu mandat de procéder à l'interpellation des personnes réclamées par le Tribunal international. C'est un fait. Ainsi est la mission qui est la sienne, qui ne relève pas d'elle d'ailleurs mais des décisions du Conseil de sécurité. Mais, naturellement, nous approuvons et nous soutenons tous les efforts qui sont faits, ici, là, ailleurs, par les uns, par les autres, pour que les mailles du filet se resserrent autour de lui, et il va de soi que la France apportera son concours à tout ce que fera la communauté internationale à ce sujet. Vous verrez, nous finirons bien par avoir raison.
Q. : Quand on demande à M. Cassese s'il pense que la communauté internationale l'aide suffisamment, il répond non…
R. : Si vous lui aviez dit : la France, il vous aurait répondu oui. Vous pouvez toujours essayer.
Q. : (inaudible)
R. : Le mandat de l'IFOR, vous le connaissez. Ses soldats n'ont pas pour missions de rechercher et d'arrêter, comme le ferait une force de police ou quelqu'un qui aurait un mandat d'arrêt. Bien entendu, s'ils se trouvent à se saisir d'inculpés par le fait des circonstances, ils ont évidemment pour mission de les déférer au Tribunal pénal international. Oui, c'est cela la mission telle qu'elle résulte des décisions du Conseil de sécurité. J'ai rappelé ce qu'était cette mission, car il vaut mieux vivre avec des faits face aux réalités de la vie.
Q. : Où en est-on de la signature des accords de désarmement négociés à Vienne ?
R. : Vous avez raison d'en parler. En effet, c'est l'un des sujets qui est en marge de la conférence, puisque des accords sur la maîtrise des armements ont été négociés conformément au processus des accords de Paris. Nous avons déploré, et pour dire la vérité condamnée, le fait qu'ils n'aient pas été signés à Oslo comme prévu. Dans les couloirs de cette conférence, les uns et les autres font un maximum d'efforts pour obtenir enfin cette signature. Je vais vous dire ce que j'en pense. Franchement, cela relève des actes de mauvaise volonté que j'évoquais au début de mon propos. La communauté internationale est aujourd'hui en droit d'exiger de la part des dirigeants de Bosnie-Herzégovine, quels qu'ils soient, non pas qu'ils fassent ce que nous voulons, mais qu'ils fassent ce qui a été signé. Il y a assez d'efforts faits par la communauté internationale. Celle-ci a eu assez de morts, nous consacrons assez d'efforts de tout genre, politiques, économiques, autour de la Bosnie-Herzégovine, pour qu'au moins ses dirigeants veuillent bien ne pas nous entraîner dans leurs débats politiciens, et qu'ils s'en tiennent à la lettre des accords qu'ils ont signés et qu'ils ont l'obligation de respecter.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec les radios, à Florence, le 14 juin 1996
Q. : Que pensez-vous de la situation à très haut risque du Kosovo ?
R. : C'est vrai que nous sommes préoccupés par la situation du Kosovo. La France souhaite que cette question puisse être étudiée dans un esprit de concorde, de conciliation et d'arrangement et, enfin, dans un esprit de respect de toutes les communautés et minorités. De telle sorte que la population du Kosovo puisse trouver des conditions pacifiques et qu'elle échappe aux drames que nous avons connus par ailleurs.
Q. : Y a-t-il des instruments politiques pour cette solution ?
R. : Pour l'instant, non, il y a plutôt des discussions bilatérales, mais peut-être faudra-t-il en arriver là.
Q. : Quel bilan tirez-vous de ces deux jours de conférence à Florence ?
R. : C'est une très bonne et très importante occasion que la communauté internationale – 45 délégations présentes – a eue pour faire le bilan de ces six premiers mois d'application des accords de Paris. C'est un bilan mitigé, dans lequel toute une part a bien marché, la partie militaire notamment, mais en même temps l'on voit que sur place, les parties comme l'on dit, c'est-à-dire les dirigeants de Bosnie-Herzégovine, de tous côtés d'ailleurs, font encore preuve de beaucoup de mauvaise volonté et freinent. La mise en œuvre n'est pas aussi rapide que nous le souhaiterions, pour le dispositif civil et le processus de démocratisation.
Q. : Une des grandes questions, ce sont les élections d'ici la mi-septembre. Avez-vous l'impression que l'on a avancé aujourd'hui sur cette question ?
R. : Il y avait depuis hier des débats assez vifs sur la question de savoir s'il fallait ou non que les élections aient lieu. Certains disaient qu'il est difficile de faire des élections puisque, justement, nous n'avons pas encore toutes les garanties : le retour des réfugiés n'est pas fait, il n'y a pas encore toutes les garanties démocratiques, ces élections ne seront pas parfaites. C'est vrai, elles ne seront probablement pas parfaites. Encore que l'on puisse améliorer les choses dans les trois mois qui viennent. La France a très clairement indiqué qu'il est absolument impératif que ces élections aient lieu le 14 septembre. Voilà cinq ans que ces populations sont entraînées dans une guerre épouvantable, voilà six mois qu'un processus de paix est place, jamais on n'a consulté ces populations. Il est donc urgent que ces élections aient lieu pour ce premier motif. C'est aussi nécessaire, nous semble-t-il, car, si ces élections n'ont pas lieu, le processus de paix sera bloqué. Il faut prendre ces élections, non pas comme un achèvement, mais comme une étape très importante dans la réussite du processus de paix.
Q. : D'où la proposition que vous avez faite ?
R. : Bien sûr. Car je vois bien que ce processus de paix, dans son volet civil, va prendre encore du temps. Le retour des réfugiés, la reconstruction, le retour à la vie normale, cela ne se fera pas d'ici la fin de l'année. Or le volet civil prend fin lui aussi à la fin de l'année. La France a proposé une période de stabilisation qui irait depuis maintenant jusqu'à l'été 1998, donc pour deux ans, durant lesquels devrait être achevé l'effort de la communauté internationale pour remettre sur pied un Etat de Bosnie-Herzégovine démocratique et pluri-communautaire. Dans le même temps, j'ai suggéré que les élections qui vont avoir lieu le 14 septembre prochain, je l'espère, devraient être avec un mandat, pour ceux qui seront élus, limité à deux ans. Cela veut dire qu'en 1998, on aurait de nouveau des élections qui, elles, seraient le commencement d'une vraie période normale et de vie démocratique pour la Bosnie Herzégovine.
Q : Comprenez-vous la prudence de Flavio Cotti face à des élections qui ne s'annoncent pas totalement libres et démocratiques, ou cela vous agace-t-il ?
R. : Non pas du tout, je comprends très bien la démarche de Flavio Cotti. D'abord, il nous a rappelé que c'était à lui de prendre la décision. Il a raison. Cette décision lui revient d'après le texte même des accords de Paris. Mais je crois qu'il aura été sensible aussi à tout ce qu'ont dit les principaux dirigeants du monde qui étaient ici autour de la table et qui disent : certes, ce ne sera peut-être pas parfait ; oui, on va essayer de faire progresser les choses le mieux possible jusqu'au 14 septembre, mais bloquer les élections serait bloquer le processus de paix. Il faut absolument que ces élections aient lieu.
Q. : Concernant les criminels de guerre, hier, le président du Tribunal pénal international a dit qu'il fallait absolument qu'ils soient arrêtés avant les élections, sinon, ce serait des élections sans grand résultat…
R. : Il faut absolument que ces criminels de guerre, ceux qui sont appelés par le Tribunal et en particulier M. Karadzic, quittent toutes leurs fonctions dans les meilleurs délais. Nous approuvons pleinement les efforts de Carl Bildt pour l'obtenir. Nous soutiendrons son action. Il faut bien entendu que Karadzic finisse devant le Tribunal, et je peux vous assurer que la France soutiendra tous les efforts qui seront faits pour arriver à ce résultat.
Q. : Aimeriez-vous que l'IFOR ait plus d'initiative ?
R. : En tout cas, l'IFOR n'a pas reçu mandat, d'après les résolutions du Conseil de sécurité, de procéder à cette arrestation, mais je répète que j'appuie toutes les initiatives qui peuvent être prises, y compris par l'IFOR, pour restreindre sa liberté de mouvement, et pour que la justice passe.
Q. : J'ai une dernière question qui n'a rien à voir avec la Conférence de Florence. Lundi à Rome, il y a une réunion ministérielle autour de la « vache folle ». Vous en attendez quoi ?
R. : La réunion de lundi à Rome est une réunion destinée à préparer le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement qui se tiendra à la fin de la semaine prochaine. Elle n'a pas particulièrement pour sujet la crise de la « vache folle ». Elle traitera de la conférence intergouvernementale, des question économiques et monétaires, des questions sociales, de tout ce qui est à l'ordre du jour du sommet européen. Naturellement, soyez certains que pendant les dix jours qui nous séparent de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement, nous allons travailler pour essayer de faire en sorte que cette crise, préoccupation majeur quant à la santé des populations, pour laquelle nous nous efforçons de prendre toutes les dispositions de précaution et de sécurité pour rassurer chacun, ne devienne pas, par surcroît, une crise politique.
Q. : Donc un compromis sera trouvé ?
R. : Ca c'est le travail des diplomates de rechercher des compromis.
Q. : Vous êtes confiant ?
R. : Oui, oui.