Texte intégral
Paris-Match. – Le choc du départ de Juppé entre les deux tours n’a-t-il pas déstabilisé la majorité dans la dernière ligne droite de la campagne ?
René Monory. – On ne peut pas dire cela. Son départ signifie un changement de politique. L’opinion pouvait croire, à tort, qu’en restant Alain Juppé conduirait la même politique. Pour que la majorité rebondisse, il faut la modernité plutôt que la continuité. Le monde change très rapidement, sous l’effet des mutations technologiques et de l’émergence de pays nouveaux. La croissance mondiale est en train « d’exploser ». De grands patrons américains estiment que, dans les dix prochaines années, le monde changera davantage que dans les cent cinquante dernières. Dans ces conditions, il faut d’urgence engager une politique résolument libérale. Appliquer le libéralisme signifie créer de la richesse, donc réduire les difficultés de l’emploi. Cela dit, je reconnais qu’il y a eu un peu de brouillard dans notre programme.
Paris-Match. – Vous faites donc votre mea culpa ?
René Monory. – On a peut-être voulu faire trop de choses à la fois, ce qui a occulté les vrais enjeux, qui sont ceux que je viens d’indiquer. L’opinion n’a pas pleinement adhéré à la politique proposée, faute d’explications suffisantes. Il fallait annoncer dès la dissolution que l’on voulait remettre les choses à plat avant de conduire une autre politique et que cela nécessiterait un changement d’équipe et de Premier ministre.
Paris-Match. – Est-ce la faute de Juppé ?
René Monory. – Juppé a fait du bon travail. Il a créé un contexte permettant aujourd’hui de rebondir autrement. Mais le même homme ne peut sans doute pas faire les deux. Demain, il faudra retrouver la croissance. Cela et possible. Dès lors, on résoudra les problèmes de déficit et d’emplois et on permettra le passage à l’euro. Avec plus de liberté, cela ira mieux dans tous les domaines. Alain Juppé s’est retiré avec courage et panache. Il a préféré la victoire de la France à son succès personnel.
Paris-Match. – En somme, pour Chirac, il valait mieux se couper un bras ?
René Monory. – La droite devait éclaircir son message. Alain Juppé était victime d’un rejet excessif, mais la politique est ainsi : elle est souvent ingrate avec ses serviteurs.
Paris-Match. – Le résultat du premier tour des élections n’est-il pas une condamnation du langage technocratique ?
René Monory. – La technocratie a tout envahi, et sans doute plus la gauche que la droite. J’ai vécu toute ma vie politique avec des technocrates sans avoir à m’en plaindre, parce que j’ai toujours su les commander. Si les hommes politiques commandent, la technocratie reste à sa place.
Paris-Match. – C’est tout de même la première fois qu’après une dissolution un Premier ministre est remercié en pleine campagne électorale.
René Monory. – Cela ne me surprend pas, car la crise était latente. On ne pouvait plus rien proposer de nouveau. À la veille du passage à l’euro, réforme capitale pour faire face aux mutations économiques mondiales, la France ne pouvait plus attendre. La dissolution a été décidée pour faire une autre politique. Or une autre politique ne peut se faire avec les mêmes hommes.
Paris-Match. – Définissez cette future politique que la droite devra mener en cas de victoire, dimanche…
René Monory. – Une autre politique est possible, que je n’hésite pas à qualifier de libérale. Il n’y a pas d’autre solution. Elle est en vigueur aux États-Unis, au Japon, en Chine et maintenant en Russie. Nous sommes les seuls à n’en plus parler. Je prône la liberté, l’initiative, l’aide à la création d’entreprises, le respect des créateurs de richesses, l’exportation, la présence des jeunes à l’étranger, la baisse de la fiscalité. Il faut remettre tout le monde au travail. Si notre société, en pleine mutation, laisse les gens au bord de la route, il faudra alors créer des passerelles pour leur permettre d’échapper à l’exclusion, comme je l’ai fait avec succès dans mon département. J’ai remis 2 700 Rmistes au travail en un an, dont 900 avec des contrats à durée indéterminée. Cela doit être traité sur le terrain et non pas depuis Paris. À cet égard, on peut critiquer la technocratie, qui ne veut pas lâcher ses crédits. Si les 170 milliards de francs du ministère du Travail étaient répartis sur les régions et les départements, il y aurait un peu moins de chômeurs !
Paris-Match. – Quels hommes choisir pour appliquer cette politique ?
René Monory. – Des hommes courageux, enthousiastes, qui n’aient pas peur de dire ce qu’ils pensent, car je suis persuadé que les gens attendent un discours positif. Aujourd’hui, on a presque honte de réussir. Dès qu’on a gagné quatre sous, on est écrasé d’impôts. De même, il ne faut pas craindre la flexibilité. À l’avenir les gens occuperont un emploi pendant dix ans, puis ils devront suivre une nouvelle formation. Il faut aider à la réadaptation permanente.
Paris-Match. – Une cohabitation avec les socialistes serait-elle, selon vous, une catastrophe ?
René Monory. – Elle serait très nuisible à notre pays. La Ve République s’accommode mal de la cohabitation. Les deux que nous avons connues ont été quatre années perdues pour la France. Dans ces périodes-là, il est difficile de faire des réformes.
Paris-Match. – Quel est le profil du prochain Premier ministre, si la droite gagne, malgré tout ?
René Monory. – Plusieurs hommes peuvent prétendre à cette fonction : Philippe Séguin, Édouard Balladur et Nicolas Sarkozy.
Paris-Match. – Si la gauche l’emporte, dimanche, que ferez-vous ?
René Monory. – Je refuse d’envisager cette éventualité. Je suis persuadé que la droite va gagner. Il y a eu beaucoup de mauvaise humeur dans le vote du premier tour. L’efficacement de Juppé est de nature à modifier cet état d’esprit.