Extraits de l'interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, à RTL le 10 mars 1996, sur la lutte internationale contre le terrorisme, la réforme de l'armée, les restructurations dans l'industrie d'armement et la coopération européenne et sur la suppression du service national.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - RTL

Texte intégral

Q. : Depuis l'annonce faite par le Président de la République de sa décision de réformer la défense française en instaurant une armée professionnelle, vous êtes le ministre le plus en vue : celui qui doit expliquer comment cette réforme pourra se réaliser sans licenciements, aussi bien dans l'industrie de l'armement que dans l'armée ; celui qui doit expliquer quel sera le rôle de cette nouvelle armée aussi bien sur le territoire français que sur les théâtres d'opérations extérieures où elle sera appelée à-intervenir, dans quel but et à l'initiative de qui ; le ministre enfin qui doit également indiquer comment serait maintenu le lien de la population française avec la défense si la conscription était finalement abolie.

Voilà bien des questions que nous allons évoquer. Nous parlerons aussi avec vous de l'emploi mais de l'emploi civil parce que vous êtes devenu l'un des partisans de la réduction du temps de travail... Nous vous demanderons quelles sont vos préférences pour la présidence de l'UDF… Alors, Monsieur Millon, tout d'abord, avant de parler de l'armée, peut-on vous parler un peu de terrorisme ? Il va y avoir cette semaine, à Charm el-Cheik en Égypte un sommet international contre le terrorisme réunissant les principaux chefs d'État et de gouvernement de toute la planète. Est-ce qu'à votre avis on va assister ainsi à la naissance d'un véritable directoire international anti-terroriste ?

Lutte anti-terroriste

R. : Bien évidemment, je souhaite que tout soit mis en œuvre pour juguler le terrorisme, forme moderne de la barbarie qui est une expression aveugle et meurtrière de la haine, de l'intolérance, du fanatisme, de l'intégrisme et qui est sans frontière. J'insiste sur cette dernière qualification, le terrorisme est sans frontière, il trouve parfois son origine dans tel ou tel pays, mais il n'y a pas en réalité de nationalité pour le terrorisme et c'est la raison pour laquelle il est absolument indispensable que la communauté internationale concentre ses efforts, pour pouvoir évacuer ce terrorisme du climat international et surtout de cette partie du monde où aujourd'hui un processus de paix a été engagé. Il faut que la communauté internationale affirme son soutien à Shimon Pérès et à Arafat pour que ce processus se perpétue et que tout soit mis en œuvre pour mettre hors d'état de nuire les terroristes qui actuellement essayent de le briser.

Q. : Mais est-ce qu'il peut y avoir une solution militaire au terrorisme international. L'exemple du Liban, qui a pour la France été très douloureux, montre que l'attentat du Drakar nous a obligé à partir.

R. : Ce que je crois, c'est qu'il est absolument indispensable que l'on renforce la coopération entre tous les réseaux et tous les services de renseignements et qu'aujourd'hui, le contre-terrorisme est devenu une technique, une spécialité qu'il faut maîtriser. La France a offert à un certain nombre de pays une aide. Nous avons décidé une participation à la police palestinienne et nous avons réitéré tout à fait récemment notre souhait de voir cette police mise en place d'une matière définitive pour lutter contre toutes ces formes de terrorisme qui sont en train de se développer.

Alors vous dire que c'est facile, je ne le dirais pas, parce qu'on constate aujourd'hui que la plupart des tensions se traduisent par des actes terroristes, on le voit en Algérie, on le voit actuellement en Israël, on le constate en Irlande et on s'aperçoit que tous les fanatismes et que tous les intégrismes prennent cette forme d'expression. Cela n'empêche que pour la stabilité du monde, il est indispensable que toutes les nations libres, démocratiques, attachées à une certaine conception de l'homme se liguent pour pouvoir le juguler.

Terrorisme d’État

Q. : C'est également se liguer contre certaines formes de terrorisme d'État, parce qu'une fois de plus, à la faveur de ces derniers attentats, comme dans d'autres attentats de type attentats contre les avions, des pays sont mis en cause. Il y a eu la Libye, la Syrie, cette fois l'Iran. La communauté internationale, à cette occasion va-t-elle mettre en cause ces pays ? Est-ce que c'est possible, parce que dans le même temps, un pays comme la France par exemple a continué d'entretenir notamment avec l'Iran des relations commerciales et même des relations politiques.

R. : Le Premier ministre a été très clair devant la présentation nationale, puisque, mardi dernier, il a dit clairement que la France en aucun cas n'aurait des relations diplomatiques approfondies avec des états terroristes et il a même cité l'Iran, il a même cité la Libye et à ce propos il a dit très clairement qu'il ne pouvait y avoir que des relations diplomatiques minimales. Vous savez que les quinze pays européens sont réunis à Palerme aujourd'hui même et qu'ils ont annoncé qu'il n'était pas question d'avoir des relations diplomatiques plus approfondies avec tel ou tel pays.

Q. : Mais Monsieur Millon, les relations diplomatiques approfondies... c'est un moyen de pression vraiment très fort pour un état terroriste ?

R. : Actuellement, il y a la possibilité pour la France comme pour l'Europe de faire connaître à l'Iran, que si elle ne suspend pas son aide terroriste, si elle n'arrête pas de soutenir les terroristes, il y aura en fait le passage à une étape suivante qui sera la mise à l'écart du concert international.

Q. : Mais n'est-ce pas plutôt dans les « périodes chaudes » du terrorisme que l'on dit cela ? Dans les périodes plus calmes an crée des liens, Monsieur Pons, par exemple, membre du gouvernement, était à Téhéran il y a très peu de temps.

R. : Je crois que l'explication a été donnée par le Premier ministre et par l'ensemble des membres du gouvernement. Ceci s'inscrit dans ce qu'on appelle le dialogue critique qui a été défini par l'Union européenne, c'est à dire des relations qui ne sont pas des relations classiques, normales, qui sont des relations minimales pour faire comprendre à Téhéran que si l'Iran veut des relations commerciales, des relations politiques classiques et normales, il faudra qu'elle renonce totalement à son soutien au terrorisme.

Q. : Vous faites le même raisonnement avec la Syrie ?

R. : Mais ce raisonnement est valable pour tous les pays terroristes.

Q. : Mais quels sont-ils ?

R. : Tous les pays qui annoncent qu'ils approuvent tel ou tel attentat et je crois qu'il suffit de lire les dépêches de presse pour constater qu'il y a un certain nombre de pays qui se sont réjouis des attentats terroristes de Jérusalem.

Armée professionnelle

Q. : Monsieur le ministre, le Président de la République a donc indiqué qu'il voulait constituer une armée professionnelle capable de projeter sur un théâtre extérieur de 50 à 60 000 hommes. Pour reprendre un peu la question que vous posait Jacques lsnard tout à l'heure, peut-on envisager dans l'avenir que l'armée française soit utilisée à l'extérieur pour des opérations anti-terroristes contre des États terroristes ?

R. : L'armée française pourra être utilisée pour être fidèle à ses accords de coopération et de défense et dans des opérations qui auront été décidées par la communauté internationale sur des théâtres ou contre des opérations de déstabilisation de la France, de l'Europe ou du monde, mais touchant en réalité les intérêts français.

On peut en donner un certain nombre d'exemples, la France l'a déjà fait. Elle le fait actuellement en Bosnie, elle l'a fait au Cambodge, elle l'a fait au Rwanda, elle l'a fait en Somalie, elle l'a fait aux Comores. Alors si vous voulez on va reprendre ces cinq opérations pour savoir quelles ont été les motivations :

Les Comores

Pour ce qui est des Comores, c'est respecter la signature sur un accord de coopération et de défense. La France a signé un accord de coopération et de défense avec les Comores, il y a eu une atteinte au pouvoir légal et légitime, à partir de ce moment-là il y a eu intervention des troupes françaises.

Rwanda

Pour ce qui est du Rwanda, il y avait une déstabilisation de l'ouest de l'Afrique avec une atteinte évidente aux droits de la personne humaine. Dans le cadre international, la France avec l'autorisation – j'allais même dire la bénédiction de la communauté internationale – est intervenue.

Somalie

Pour ce qui est de la Somalie, c'était une opération internationale montée par l'ONU qui a exigé la participation de la France et enfin pour ce qui est de la Bosnie, je crois que je n'ai pas à donner beaucoup d'explications, car chacun connaît les motivations de notre engagement. C'est premièrement la déstabilisation de l'Europe et c'est deuxièmement, la lutte contre de nouvelles idéologies de purification ethnique qui sont en train d'apparaître.

Indépendance nationale (force armée)

Q. : Que dites-vous à ceux qui vous reprochent de faire de l'armée française une force supplétive de celle des Américains ?

R. : C'est une plaisanterie. Je crois qu'au Cambodge la France n'a pas été une force supplétive des Américains, que tout le monde l'a admirée ; qu'au Rwanda, la France n'a pas été une force supplétive des Américains, qu'elle a mené une tâche humanitaire qui avait l'admiration de tous ; qu'en Bosnie c'est grâce à la France que les Américains ont pu intervenir, car c'est grâce à la fermeté du Président de la République, grâce à l'action, à la riposte de l'armée française, c'est grâce à la constitution de la FRR, c'est grâce aux bombardements avec les canons de 155 mm qu'à partir d'un certain moment l'équilibre s'est renversé et que les Américains ont pu constater qu'ils pouvaient aller sur le terrain.

Force de projection

Q. : Mais je pense aux reproches faits à la réforme actuelle, de former une armée française, une armée de complément de coalition. Force de projection c'est le principe annoncé, mais en même temps les moyens ne sont pas là pour soutenir ce principe, prenons un exemple : force de projection de 30 000 hommes relevables, mais avec 180 hélicoptères, 300 avions de combat et peut-être sans avions de transport futur. Alors, on se demande à quoi ça sert une force de projection qui ne peut pas être projetée.

ATF (avion de transport futur)

R. : D'abord, les capacités de transports existent. Le Président de la République a pris une décision qui est claire, la capacité de transport de l'armée française d'aujourd'hui sera identique en 2001, alors que le format des armées lui aura été réduit. Ceci pose le problème de l'avion de transport futur.

Hélicoptère

Q. : L'hélicoptère et l'avion de combat.

R. : Non, pas pour l'hélicoptère NH 90. La réponse est déjà donnée, nous participons au programme européen, nous l'avons dit, je ne fais que le confirmer.

Q. : Mais à quel niveau puisque les Allemands sont très inquiets...

R. : Mais les Allemands ne peuvent pas être inquiets. Je suis allé en Allemagne à Berlin pour pouvoir les rassurer sur notre participation à tous les programmes européens : NH 90 et Tigre.

Rafale

Pour ce qui est de l'avion de combat – vous pensez au Rafale, vous avez parlé cet après-midi même dans votre journal de la problématique du Rafale – nous construirons le Rafale pour qu'il équipe la marine et l'armée de l'air françaises.

ATF (avion de transport futur) – pôle aéronautique européen

Enfin il se pose le problème de l'avion de transport futur. C'est vrai que, premièrement, il n'y a pas de programme européen et que, deuxièmement nous en sommes au stade des discussions. Le Président de la République a fait savoir que dans l'état actuel des choses, la France ne pourrait pas participer et qu'elle achèterait sur étagère un produit européen.

Depuis que le problème a été posé par le Président de la République, il y a eu un certain nombre d'évolutions. Premièrement, il y a eu l'annonce de la constitution en France d'un pôle aéronautique Dassault/Aérospatiale. Deuxièmement, il y a eu la prise de conscience au niveau de l'industrie européenne qu'il était sans doute nécessaire sinon même indispensable de constituer un pôle européen aéronautique si on voulait contrebalancer le pôle aéronautique américain. Troisièmement, on est en train actuellement de constater que l'on peut utiliser les conséquences du développement de l'avion civil pour l'utiliser pour un avion militaire et qu'on n'est pas obligé de faire un avion de transport futur militaire, j'allais dire sophistiqué, qui peut répondre à toutes les missions, mais qu'on peut en faire un avion un peu moins sophistiqué qui réponde à 80 % des missions. Il vaut mieux avoir un avion qui réponde à 80 % des missions que pas d'avion du tout, ça c'est le quatrième point.

Cinquièmement, nous souhaitons effectivement, que si un programme européen d'avion de transport futur est mis en place, et tous les pays européens se portent acquéreurs de cet avion, car la coopération européenne se situe au niveau de la conception, au niveau du développement, au niveau de l'industrialisation, mais aussi au niveau de la commercialisation et c'est tous ces problèmes-là que le Président de la République a voulu poser à l'occasion de ce dossier.

Force de projection (décision du chef de l'État)

Q. : En ce qui concerne cette force de projection, il y a aussi un autre problème qui se pose : qui décidera de l'usage de cette force de projection ?

R. : Le chef des armées.

Q. : Uniquement le Président de la République. Ce sera seulement sur intervention du Président de la République. Il n’y aura pas de débat pour savoir si par exemple tel ou tel critère – vous avez énuméré les critères tout à l'heure – permet à la représentation nationale d'approuver ou non, comme cela existe aux États-Unis et en Grande Bretagne.

R. : Il y a une Constitution de la Ve République. Elle sera appliquée intégralement, je pense, par le Président de la République, comme par ses prédécesseurs. Vous avez pu constater que pour ce qui est de la guerre du Golfe, il y a eu un débat, pour ce qui est par contre de notre engagement au Rwanda, il n'y a pas eu d'autorisation préalable. Donc je pense que ce sera à l'appréciation du Président de la République compte tenu de la nature de la projection. Il est bien évident que notre intervention dans la guerre du Golfe, ou notre intervention au Rwanda, n'était pas de même nature.

Bosnie-Herzégovine (retrait de l'lfor)

Q. : Monsieur Millon je voudrais qu'on parle aussi de la Bosnie. Normalement, les forces internationales qui s'y trouvent n'y sont que pour un an et les Américains ont déjà fait savoir à plusieurs reprises qu'ils souhaitaient se désengager dans le délai de cette année. Est-ce que dans ces conditions, la France devra se retirer également ?

R. : Ce n'est pas devra, c'est se retirera ou ne se retirera pas. Ce n'est pas un problème de devoir. La France, comme la Grande-Bretagne ont fait savoir qu'elles étaient arrivées avec les États-Unis et qu'elles souhaitaient que le départ se fasse ensemble. Nous avons, en fait, un contrat moral avec les parties bosniaque, croate et serbe de Bosnie, c'est le contrat d'établissement d'un système politique stable et équilibré, donc il devrait y avoir des élections et aujourd'hui il semble que la communauté internationale mette tout en œuvre pour précipiter ces échéances car c'est évident que si nous voulons quitter le théâtre de la Bosnie, il faudra qu'il y ait un pouvoir politique stable qui puisse s'appuyer sur des forces militaires et des forces de police prévues dans les accords de Dayton. Est-ce que ceci va exiger la poursuite de toutes les étapes que nous avons déjà engagées ? Je constate simplement qu'au départ tout le monde pensait que les accords de Dayton étaient des accords fragiles, qu'on n'allait pas respecter les échéances alors que toutes ont été respectées.

Q. : Est-ce que cela veut dire qu'il n'est pas exclu que la France et la Grande-Bretagne décident de rester au-delà du délai d'un an ?

R. : Vous m'avez posé une question, je vous ai répondu, il est prévu dans l'état actuel des choses qu’arrivés ensemble, nous partirons ensemble.

Q. : La défense européenne finalement est toujours liée à ce que font les États-Unis.

R. : Pas du tout.

Q. : Si, on est lié au départ aux Américains...

R. : Ça n'a strictement rien à voir, Monsieur Mazerolle, nous avons pris une décision ensemble. Ça n'a rien à voir avec une liaison de subordination. Je vous précise que si la France n'avait pas fait ce qu'elle a fait en Bosnie, les États-Unis n'y seraient pas aujourd'hui.

C'est la France qui, par tout son processus de décisions, – je l'ai déjà dit tout à l'heure, je me permets de le répéter – par la reprise du Pont de Vrbjnia, par la riposte instaurée avec la Force de réaction rapide, par son association aux bombardements grâce à la mise en place des canons de 155 mm, qu'il y a eu en fait un changement de nature du conflit bosniaque et qu'à partir de ce moment-là la communauté internationale – et ça a été l'objet de la conférence de Londres -a décidé d'une autre évolution de la participation des forces internationales en Bosnie.

Aujourd'hui, c'est vrai, il y a les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et bien d'autres nationalités. Nous avons plis une décision, d'y aller ensemble, dans le cadre de la force multinationale et que nous nous retirions ensemble en espérant laisser derrière nous un État qui soit organisé politiquement et économiquement et sous l'angle de la sécurité.

Q. : Mais, n'y-a-t-il pas quand même un quiproquo à propos des accords de Dayton et notamment du départ, en décembre 96, des Américains qui disent « en réalité, il faudra que le dernier GI soit parti le 21 décembre 96 », ce qui en réalité fait remonter à peu près à l'été prochain le premier départ américain. Les Français et les Anglais disent « non, c'est à partir du 21 décembre qu'on doit évacuer les premiers ».

R. : Je ne pense pas qu'il y ait un débat qui empeste l'atmosphère à ce propos. Il y a aujourd'hui une discussion sur la mise en place de l'étape politique et économique et nous ne nous préoccupons pas toute la journée de savoir quelle sera la date de départ exacte de nos troupes, nous savons simplement… que quand nous prendrons la décision, nous la prendrons ensemble.

Dissuasion nucléaire concertée

Q. : Très bien. Alors parlons maintenant de la défense du territoire français qui reposera beaucoup dans l'avenir sur la dissuasion nucléaire, comme c'était en partie le cas dans le passé. On parle beaucoup de dissuasion concertée avec nos partenaires européens. J'ai une question simple à vous poser : est-ce que ça veut dire que désormais, par exemple, la défense de Berlin ferait partie des intérêts vitaux français ?

R. : Cela signifie tout simplement... qu'on ne peut pas parler d'identité de défense européenne, de défense européenne si à un moment donné autour de la table on ne discute pas de ce qui est de la spécificité française avec la Grande-Bretagne en Europe, c’est-à-dire la détention de la force de dissuasion nucléaire. Lorsque le Premier ministre, qui était ministre des affaires étrangères en a parlé, il avait simplement voulu dire, qu'on allait parler de la dissuasion au plan européen.

Quelle suite sera réservée à cette discussion, je ne peux en fait vous répondre aujourd'hui, je peux simplement vous donner quand même quelques indications, puisqu'on en a déjà parlé. Nous avons pris la décision de nous interroger sur ce que sont les intérêts vitaux franco-britanniques, les intérêts vitaux français, les intérêts vitaux britanniques pour qu'à terme, dans quelques mois ou dans quelques années, on puisse prendre une décision sur une collaboration et une coopération en matière nucléaire entre la Grande-Bretagne et la France. Mais maintenant l'offre a été faite par la France, il faut que parallèlement il y ait une réflexion sur une politique de défense européenne, elle va naturellement avoir lieu puisqu'elle est inscrite à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale.

Q. : Conférence intergouvernementale qui commence à Turin, à la fin du mois.

R. : C'est ça, puisqu'elle est inscrite dans le traité de Maastricht, donc mon espérance c'est de voir en réalité la politique de défense européenne peu à peu prendre corps et à ce moment-là l'on posera le problème de la dissuasion nucléaire concertée.

Q. : Quand on voit la façon dont ont réagi, à la reprise par la France de ses essais nucléaires, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas, on peut se demander comment sera discuté ce problème de la dissuasion nucléaire concertée.

R. : Je crois que tout d'abord, le problème des essais nucléaires est derrière nous. La France a pu démontrer à cette occasion qu'elle savait tenir parole, deuxièmement que sa force de dissuasion n'était pas une force d'opérette, puisque lorsque le Président de la République avait pris une décision il l'appliquait et il l'appliquait jusqu'au bout. Je crois que c'est peut-être la meilleure démonstration de la force de dissuasion française, un Président capable – j'allais dire, contre une certaine opinion publique mondiale – de continuer sa campagne d'essais, ce Président sera capable de prendre les décisions qu'il faudra lorsque cela s'imposera. Je pense que nos partenaires européens ont peut-être critiqué, à cause de leur opinion un certain nombre de décisions, mais qu'ils sont forts satisfaits d'avoir en fait ce parapluie, qui un jour, pourra se déployer sur eux.

Conscription (service militaire – service civil)

Q. : Parlons maintenant du service militaire et de son avenir. C'est un sujet qui intéresse évidemment tous les Français, ce service national. La réforme annoncée par le Président de la République et dont on parle maintenant depuis près d'un mois. Justement, ce débat portera sur le maintien ou non de la conscription, sous une forme civile ou sous une forme militaire. Ce grand débat, on ne le voit pas arriver, je veux dire, on avait dit qu'il s'organiserait dans les préfectures, au niveau de la Commission armée-jeunesse. Dans quel délai une décision sera prise concernant ce débat autour du service national ?

R. : Le 18 mars prochain, il y aura une communication officielle sur les modalités proposées aux Français pour mener un débat. Les modalités, en réalité, seront organisées autour de deux débats, l'un national, l'autre local. Nous allons demander aux associations, aux municipalités d'organiser un certain nombre de débats qui seront sans doute coordonnés par le préfet. Au niveau national, la réflexion est en cours, il y aura un lieu de consultation, de concertation avec toutes les associations, les syndicats, avec toutes les organisations qualifiées pour pouvoir parler du service national et enfin il y aura débat à l'Assemblée nationale et au Sénat. Au plus tôt au mois de juin, au plus tard au mois d'octobre ou novembre.

Le débat du 20 mars est un débat d'orientation. J'ai communiqué à tous les parlementaires, par l'intermédiaire du président de l'Assemblée et du président du Sénat un rapport d'orientation. C'est un débat où les parlementaires vont faire connaître leurs analyses, leurs critiques, leurs suggestions, leurs observations, non seulement sur le service national mais aussi sur la politique de défense telle qu'elle a été énoncée lors de son intervention télévisée par le Président de la République.

Armée professionnelle

Q. : Est-ce qu'il est vraiment possible d'envisager la suppression du service national, et dans ces conditions comment ferait-on pour que l'ensemble de la population française continue à se sentir concerné par la défense ?

R. : Vous posez en fait deux problèmes à travers votre question. Le premier problème : est-il possible d'avoir toujours une armée de circonscription ? Je réponds « non », le Président de la République a répondu « non », nous passerons d'une année de conscription en 1996 à une armée professionnelle en 2001, compte tenu des fonctions opérationnelles de l'armée, fonction de dissuasion ; fonction de prévention c'est à dire surveillance, prépositionnement ; fonction de projection on en a parlé tout à l'heure et fonction de protection de biens.

Q. : Alors j'ai une question à vous poser, dans ces conditions, comment la mercière de Romorantin dont ni le fils, ni le petit-fils n'effectueront leur service militaire se sentira-t-elle concernée par la défense de son pays ?

R. : C'est la première question, l'armée professionnelle. Deuxième question, comment va évoluer le service national ?

Q. : Non, mais attendez, ça on va en parler après...

R. : Non, mais je précise que ça ne date pas d'aujourd'hui, ça date d'il y a 10 ans. Il existe un service national. Dans ce service national il y a des formes militaires...

Q. : 90 %.

R. : 80 % et des formes civiles, à peu près 20 %. Il y a déjà en fait cette différenciation. Je ne voudrais pas que l'on découvre la lune aujourd'hui. Il y a 80 % de formes militaires et 20 % de formes civiles et le Président de la République pose le problème suivant : est-ce que les Français souhaitent une évolution vers un système volontaire ou est-ce qu'ils veulent garder un système obligatoire ? Si c'est un système obligatoire, il y aura naturellement une augmentation des formes civiles, aux dépens des formes militaires.

Esprit de défense

Q. : Mais comment maintient-on l'esprit de défense dans la population française s'il n’y a plus de service obligatoire ?

R. : « L'esprit de défense » ça se maintient en dehors de l'armée, ça se maintient déjà par deux actions : une action au niveau éducatif et une action au niveau social. Je pense qu'un pays est fragile, donc pour ce qui est de l'esprit de défense, s'il n'y a pas une instruction civique, s'il n'y a pas une connaissance de l'histoire, de la géographie et – ça c'est l'action, c'est l'œuvre, c'est la mission de l'éducation nationale – peut-être qu'il faudra renforcer un certain nombre de ces actions dans ce domaine-là.

Deuxièmement sous l'angle social, c'est vrai qu'un pays qui subit une fracture sociale comme la France l'a subie aujourd'hui, est un pays fragile et qu'il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour la réduire, si on veut que les gens adhèrent à la communauté nationale. Vous allez me dire « et comment cela va se passer au niveau du service ? Je crois qu'il y aura deux formes possibles, il y aura : – soit un service civil obligatoire et dans ce cas ce sera un service national obligatoire, qu'il soit militaire, qu'il soit civil, j'ai déjà répondu ; – s'il est volontaire j'espère que ce sera un service qui permettra en fait à tous ceux qui ont envie d'adhérer au pacte républicain de pouvoir le faire et c'est la raison pour laquelle je ne crains pas en réalité votre objection, car je pense qu'il y a différentes formes pour pouvoir affirmer son adhésion.

Q. : Ce n'est pas tellement mon objection, c'est aussi celle de Monsieur Léotard par exemple, qui a été votre prédécesseur.

R. : Monsieur Léotard connaît très bien la situation.

Q. : Oui, il dit « il faut maintenir le lien entre la nation et l'armée ».

R. : Oui, mais il sait très bien qu'actuellement il y a 25 % qui ne font pas de service militaire.

Q. : Bon, très bien, donc vous êtes rassuré et rassurant.

R. : Non, vous savez, je ne cherche pas à être ni rassurant, ni rassuré, je cherche à ouvrir un débat. Je dis que les Français ont tout intérêt à se poser le type de questions que vous venez de poser et qu'il faudra qu'ils y répondent. Est-ce qu'ils veulent un service national obligatoire, ou est-ce qu'ils veulent un service national volontaire ? Quelles formes civiles souhaitent-ils voir se développer ? C'est à eux de le dire. C'est ce qu'a voulu le Président de la République et il a ouvert le débat dans ce sens-là.

Q. : Ce qui m'inquiète un petit peu, c'est que tous les exemples étrangers montrent que les armées professionnelles sont des armées qui ont beaucoup de mal à recruter, en tout cas qui ne recrutent pas ce dont elles ont besoin, d'une part. D'autre part, elles ont aussi comme effet de vivre un peu en ghetto, repliées sur elles-mêmes et l'autre jour, un Livre blanc de l'État-major britannique a laissé entendre que cette idée-là pouvait créer, je cite « un traumatisme majeur chez les cadres ». Je voulais savoir ce que vous en pensez.

R. : Je voudrais rendre un hommage tout à fait particulier aux officiers, sous-officiers et militaires du rang, car si dans la société, les membres civils avaient celle capacité d'adaptation dont font preuve les militaires, je pense que la France aurait déjà résolu beaucoup de problèmes. C'est la raison pour laquelle, je voudrais dire que je comprends leur inquiétude de voir une structure évoluer, passer d'une armée de conscription à une armée professionnelle, qui va changer beaucoup d'habitudes. Mais les militaires sont actuellement en train de préparer et de mettre en œuvre toutes les dispositions pour pouvoir réussir. Il y a des inquiétudes, il conviendra que le pouvoir politique et que le ministre de la défense en particulier leur réponde. C'est la raison pour laquelle je leur ai dit, suite aux interventions du Président de la République, qu'il n'y aura pas de loi de dégagement des cadres, qu’il y aura traitement particulier de chaque cas spécifique qui pourra être posé par tel militaire. On va étudier les possibilités d'évolution de carrière, on va faciliter le passage de l'armée de terre à la gendarmerie pour un certain nombre de cadres. On va voir comment ils peuvent, pour un certain nombre, se reconvertir dans le civil s'ils le souhaitent.

Mais je voudrais véritablement appuyer sur la détermination, le bon sens du service de l'État dont font preuve actuellement les officiers, les sous-officiers et militaires du rang, parce que, il n'y a pas beaucoup de corps sociaux qui ont cette capacité de s'adapter. Ils l'ont déjà fait deux à trois fois, vous savez Monsieur Isnard, aussi bien que moi, depuis la guerre d'Algérie et ils abordent une nouvelle grande réforme qui est essentielle pour le pays, car comme le rappelle souvent le Président de la République, il faut préparer l’armée de nos besoins et ne pas être fidèle à l’« armée de nos habitudes ».

Front national

Q. : Précisément Monsieur Le Pen a annoncé au nom du Front national, un comité de soutien à l'armée, alors, est-ce que vous croyez qu'il peut faire des prosélytes au sein des militaires. On avait vu apparaître lors de la campagne présidentielle dans quelques casernes des notes du Front national à la place des notes de service.

R. : Tout simplement, Monsieur Le Pen ne sait pas bien où il en est, parce que, d'un côté, il dit qu'il va faire un comité de soutien à l'armée, de l'autre côté, il explique qu'il est pour l'armée de métier, qu'il est pour la suppression du service national, donc, il dit tout et n'importe quoi.

Q. : Il faut plus d'argent, dit-il.

R. : Donc, très franchement, je crois qu'on ne va pas accorder beaucoup d'importance à son propos et qu'on va peut-être passer à une autre question.

Q. : Bon, les militaires et le Front national, ça n'existe pas ?

R. : Les militaires sont des citoyens, ils rencontrent les mêmes problèmes que le reste de la société et la société, vous voyez, des courants, de droite, de gauche, du centre et du milieu. Je pense que chez les militaires, il y a des courants de droite, du centre, de la gauche et du milieu.

Gendarmerie nationale

Q. : Bien, est-ce que vous pourriez nous précisez quel va être le rôle maintenant de la gendarmerie, parce que des quatre armées, c'est la seule qui va voir son effectif augmenter et dans une tribune que vous avez écrite récemment dans le quotidien « Le Monde », vous avez parlé de cette extension des responsabilités, gendarmerie, à toutes les menaces, le terrorisme, la lutte contre les mafias et même les manipulations médiatiques.

R. : Non, je n'ai jamais dit manipulations médiatiques.

Q. : Vous y avez fait une allusion.

R. : Non, non.

Q. : Les dangers, les dangers menaçant le territoire...

R. : Non, non, mais attendez, il ne faut pas tout mélanger. Je n'ai jamais dit que la gendarmerie allait lutter contre les manipulations médiatiques, d'abord, parce que je ne sais pas comment elle ferait et puis, ensuite, je ne suis pas pour un système d'atteinte aux médias et à l'opinion...

Menaces intérieures

Q. : Très bien, le rôle de la gendarmerie dans la nouvelle structure ?

R. : Il est évident que lorsque vous faites l'analyse des nouvelles menaces, vous vous apercevez que les menaces intérieures sont grandissantes :
    – les menaces intérieures, vous les avez rappelées, c'est le terrorisme et on l'a vu tout à fait récemment en France, avec toute l'opération « Vigipirate » ;
    – c’est l'apparition des mafias, c'est une préoccupation forte que tous les responsables politiques doivent avoir, on s'aperçoit que, non seulement dans les pays en voie de développement, mais aussi dans les pays nouvellement démocratiques, puis dans les pays qui sont déstabilisés, il y a l'apparition de mafias qui ont une influence politique, économique majeures et qu'il va falloir contrer cette atteinte à la démocratie que développent ces mafias ;
    – troisièmement, ce sont les manipulations financières, les trafics de drogues, les trafics en tous genres et que pour ce faire, il est absolument indispensable de renforcer la sécurité intérieure des personnes et des biens, or c'est la mission traditionnelle de la gendarmerie, donc, c'est dans cet esprit que l'on a décidé non seulement, de ne pas diminuer les effectifs, mais de les augmenter.

On a aussi décidé de les augmenter parce que, il paraît nécessaire d'assurer ou de rassurer la population dans des lieux de désertification ou dans des lieux de solitude, de révolte ou d'isolement, comme le sont certaines banlieues.

En réalité la gendarmerie ne sera pas seule à assurer la protection du territoire. L'armée de terre a toujours et garde cette mission. Elle fera partie du dispositif de défense du territoire qui existe et qui exige la mobilisation des forces de gendarmerie et des forces militaires de l'armée de terre.

Industrie d'armement (restructurations et suppression d'emplois)

Q. : Parlons de l'industrie de l'armement. Il y a quinze jours, Monsieur Barre qui était assis à votre place a appris l'annonce de restructuration comme étant une bonne nouvelle parce qu'a-t-il dit, il faut enfin en finir avec ce chancre de l'économie française. Il a même ajouté que beaucoup des travailleurs de l'industrie de l'armement étaient en fait des chômeurs, qui croyaient travailler, mais qui, en réalité, ne produisaient rien de nécessaire. Finalement, leur rôle était le rôle qui était pratiquement celui d'inactif. Alors, c'est le chancre de l'économie française qu'on va restructurer ?

R. : Non, c'est un secteur d'abord très diversifié et très difficile. Je viens de dire très diversifié parce que vous avez des sociétés qui sont de haute compétitivité et de haute productivité, on les connaît, je voudrais en citer quelques-unes : Matra, Sagem, Thomson CSF, ce sont des sociétés qui dégagent des bénéfices et qui sur le marché mondial se portent très bien.

Vous en avez d'autres qui ont besoin d'être recapitalisées, mais qui ont d'excellents produits, je voudrais simplement citer l'Aérospatiale. Vous en avez d'autres aussi qui traversent des périodes très difficiles, pour des raisons spécifiques à l'entreprise, Giat par exemple, où il y a eu sans doute, un certain nombre d'opérations malheureuses qui ont grevé la trésorerie et qui ont empêché la société d'aborder l'avenir comme elle aurait pu le faire et que, en face de tous ces problème posés, il va falloir créer les conditions d'un développement des investissements, d'un renforcement de l'exportation, d'un développement de la recherche et de la mise au point de produits qui correspondent à l'industrie d'armement modernes.

Alors, c'est vrai qu'il va falloir prendre secteur, après secteur, les arsenaux, l'industrie aéronautique, l'industrie des missiles, l'industries des blindés et voir comment on va pouvoir adapter les structures aux enjeux qu'on se donne et intégrer ces ensembles français à des pôles européens qui vont se constituer. C'est une opération très lourde qui va durer un certain temps et qui va exiger des efforts de chacun. Je le dis très clairement, vous l'avez annoncé dans votre introduction, il n'y aura pas de licenciements secs. S'il y a des restructurations avec des allégements en personnels, chaque cas sera étudié et, soit par des reconversions, soit par des mises à la retraite anticipée, soit par le passage par des formations et le passage dans d'autres responsabilités à l'intérieur du secteur de l'armement, il y aura la prise en charge de chaque cas particulier.

Q. : Mais il y aura des suppressions d'emplois. Il y a deux rapporteurs parlementaires, Monsieur René Galy Dejean d'une part et Monsieur Patrice Martin Lalande qui annoncent quand même, près de 50 000 emplois perdus dans les cinq à six années à venir ?

R. : Monsieur Isnard, vous savez que depuis cinq ans, l'industrie de l'armement a perdu 10 000 emplois par an, ça fait 50 000 emplois. Les cinq prochaines années, il y aura probablement aussi suppression de 10 000 emplois par an, donc, ce n'est pas un fait nouveau. C'est la poursuite d'une tendance pour s'adapter au monde moderne, mais je le dis et le répète, l'État prendra toutes ses responsabilités et c'est la raison pour laquelle on mettra en place un plan d’accompagnement économique et social qui sera annexé à la loi de programmation militaire, qui devra être voté par les parlementaires, au mois de mai et juin prochains. Il y aura la mise en place dans chaque région d'un délégué aux restructurations. Il y aura sur chaque site, un responsable du site, quand il y aura un site industriel qui pourra être mis en cause et que, ce responsable devra étudier la situation de chaque secteur et de chaque personne d'une manière spécifique.

Concertation sociale. – Plans économiques de compensation. – Anticipation

Q. : Cela dit, vous allez avoir à travers la France, quand même, de très nombreux chocs sociaux et même des chocs politiques, puisque d'ores et déjà, le cortège des plaintes a commencé. Même des petites villes, comme Issoire, où il y a 2 500 personnes qui manifestent ; Vannes où il y avait déjà eu des manifestations, Bordeaux qui s'agite, enfin, peu à peu, à travers la France, vous allez avoir un certain nombre de gens qui vont essayer d'obtenir le maintien de leur régiment ou le maintien de l'industrie d'armement sur place. Ça va être difficile à gérer politiquement, parce que, souvent même, ce sont bien souvent des élus de la majorité qui vont s'adresser à vous, qui s'adressent déjà vous. Comment allez-vous gérer ça politiquement ?

R. : D'abord que ce soient des élus de la majorité, des élus de l'opposition, je traite les dossiers de la même manière, car j'espère avoir le sens de l'État.

Q. : Bien sûr, mais...

R. : C'est le premier point. Le deuxième point, c'est que les restructurations dans l'industrie d'armement ne sont pas faites en fonction, de telles ou telles localités, elles sont faites pour pouvoir doter la France d'une industrie d'armement compétitive et que l'on nous mettra tout en œuvre pour amortir le coût social. Je le dis, je le répète, il n’y aura pas de licenciements, il y aura étude cas par cas, on verra les compensations que l'on peut mettre en œuvre, on verra en réalité, comment on peut faire de l'essaimage de petites et moyennes entreprises. Je me suis déjà mis en rapport avec tous les autres ministres, que ce soit le ministre de l'aménagement du territoire, le ministre de l'industrie, le ministre des PME... pour qu’ensuite il y ait une action interministérielle.

Q. : Il y a toute l'activité économique qui se trouve autour des régiments...

R. : C'est évident, mais c'est pour ça que je vous dis qu'il y aura l'étude de chaque situation particulière et qu'on verra comment développer des petites et moyennes entreprises avec des sociétés de reconversion qui sont disposées à travailler avec nous pour voir comment on peut amener l'implantation d'entreprises qui pourraient se développer.

Q. : Personne ne doute de votre volonté d'y parvenir, néanmoins il y a des exemples qui sont encore en cours. Des petites villes, dans l'Aisne notamment, qui ont perdu leur régiment à l'occasion d'un plan de restructuration précédent, il y a 2 ou 3 ans et qui ne se sont pas encore relevées de ce départ.

R. : Je vous réponds que pour ce qui est des restructurations dont j'assumerais la responsabilité, je prends ces engagements et je vais vous donner d'ailleurs une illustration. Il y a certain nombre de points où le problème se pose déjà. Je suis allé rencontrer le maire de Bergerac, je suis allé voir les responsables du Limousin. Pour ce qui est de Limoges, nous avons mis en œuvre des plans de restructuration et des plans de compensation et nous étudierons chaque cas particulier, les uns après les autres.

D'ailleurs, si la réforme du Président de la République est novatrice, c'est qu'elle anticipe, c'est qu'il annonce la mise en œuvre d'une armée professionnelle pour dans six ans, c'est qu'il annonce un plan de restructurations des industries de l'armement pour les prochaines années, c'est-à-dire que nous avons le temps de mettre en œuvre, un certain nombre de procédures et si vous le permettez, je voudrais insister sur cet aspect, parce que, c'est nouveau.

Jusqu'à maintenant, on laissait les problèmes arriver et lorsque les problèmes étaient là, on les subissait et parfois on les résolvait d'une manière très difficile ; là, on essaye de faire au mieux, d'anticiper et de mobiliser tous les acteurs économiques, toutes les administrations, tous les investisseurs pour que, effectivement, on puisse compenser les restructurations qui vont avoir lieu.

Regroupements industriels

Q. : À propos justement de la réorganisation industrielle, de quels atouts éventuels, disposez-vous, si Dassault par exemple fait sa mauvaise tête. Il l'a fait en 1976, il l'a fait en 1986, 10 ans après 1996, vous lui demandez de se rapprocher avec Aérospatiale, et on a l'impression qu'il y va en traînant les pieds.

R. : Oh, il suffit que Monsieur Dassault se rappelle que son principal client c'est l'État.

Q. : C'est ça votre menace.

R. : Je ne menace personne, je pense que lorsque, l'intérêt national est en jeu, il y a un certain nombre de responsables économiques qui doivent respecter l'intérêt national.

Q. : Dans cette fusion, Dassault-Aérospatiale, c'est Monsieur Dassault qui sera le patron ?

R. : Vous savez, je n'ai pas l'habitude de me mêler des affaires des entreprises.

Q. : Non, mais je vous posais la question.

R. : Il y aura Dassault-Aérospatiale qui vont fusionner, il y aura un capital commun, il y aura un conseil d'administration ou si j'opte pour un directoire et un conseil de surveillance, ils opteront pour un conseil de directoire et de surveillance et à partir de ce moment-là, chacun prendra ses responsabilités. Le représentant de l'État, porteur des actions de l'État prendra ses responsabilités et le porteur des actions privées ou les porteurs des actions privées prendront leurs responsabilités.

Q. : Ce sera plutôt la privatisation de l'Aérospatiale ou au contraire Dassault qui sera plus public qu'il n'est actuellement ?

R. : Mais je n'ai pas l'habitude de lire dans le marc de café, je lis simplement dans les répartitions du capital. Si j'ai bonne mémoire, le capital de Dassault est à 46 % à l'État, et à 50 % à la famille Dassault. Le capital d'Aérospatiale est à 100 % à l'État, il va falloir faire les évaluations. Il y aura des experts qui vont venir et qui vont faire les évaluations, tout le monde sait comment se passe une fusion, on regarde combien vaut l'entreprise A qui va fusionner avec l'entreprise B, on regarde combien vaut l'entreprise B et ensuite on fait une proportion qui est conforme à la valeur des sociétés.