Texte intégral
Messieurs les ministres et chers collègues,
Messieurs les gouverneurs,
Mesdames et messieurs,
De façon un peu inhabituelle, nous nous réunissons pour la deuxième fois consécutive en Afrique. Ceci nous permettra de reprendre le cycle normal de nos réunions : en Afrique au mois d'avril et à Paris en septembre.
Cette rencontre d'aujourd'hui nous donne l'occasion de nous réunir à N'Djamena et je voudrais tout d'abord remercier très chaleureusement notre collègue tchadien et l'ensemble du gouvernement tchadien pour leur hospitalité.
Le Tchad, comme la plupart des pays de la zone Franc, est aujourd'hui engagé dans un programme de redressement économique et financier soutenu par le fonds monétaire international. Je profite de cette occasion pour saluer les efforts importants qui ont permis d'atteindre ce résultat. Je ne doute pas que leur prolongement durable permettra aux citoyens de ce pays de tirer tous les bénéfices d'un processus exigeant mais tellement prometteur.
Mes chers collègues, le paysage me semble avoir radicalement changé. Nous ne pouvons que nous en féliciter. En 1993, sur 13 pays d'Afrique sub-saharienne sous accord avec le FMI, 4 seulement appartenaient à la zone Franc. Cette situation s'est complètement inversée : 9 pays de la zone Franc sont aujourd'hui sous accord, pour un nombre total de 14 programmes en cours en Afrique sub-saharienne.
Les institutions multilatérales soulignent cette réussite qui commence à être largement reconnue dans la presse internationale, même anglo-saxonne ! Souvent critiqués il y a encore peu de temps, les États membres de la zone Franc sont aujourd'hui considérés comme résolument engagés sur la bonne voie.
Nous ne faisons pas ces efforts pour recueillir les louanges internationales. Cela n'aurait évidemment aucun sens. Nous mettons en œuvre les mesures de redressement qui s'imposent parce que tel est l'intérêt de nos pays et de nos citoyens. Mais les commentaires positifs qui peuvent être faits contribuent à renforcer la confiance des opérateurs internationaux. Ils favorisent par ce biais l'investissement et donc la croissance.
Mes chers collègues, ces résultats favorables, nous y reviendrons tout à l'heure, doivent à l'évidence être confortés. Nous ne devons pas baisser la garde. Mais je voudrais, en commençant mon propos, vous dire, en toute simplicité, mon admiration pour le courage politique avec lequel toutes ces réf ormes nécessaires mais difficiles ont été et seront mises en œuvre.
Je ne crains pas de dire qu'avec ce changement de perspective, une page de l'histoire économique et financière de la zone Franc a été tournée et, je l'espère pour nous tous, résolument et définitivement tournée.
Venons-en à notre réunion d'aujourd'hui. Nous appartenons à la même zone monétaire. Aussi me paraît-il normal de développer rapidement devant vous les perspectives de l'économie française. Je souhaite également dire quelques mots des discussions internationales en cours sur les questions relatives à l'aide publique au développement, et aborder enfin la question des capitaux privés.
1. Les perspectives de l'économie française me paraissent aujourd'hui favorables :
Comme l'ensemble de l'Europe, la France a connu un net ralentissement de sa croissance au cours du deuxième semestre 1995. Mais tout indique que ce ralentissement est temporaire et que la croissance française devrait revenir sur une pente de l'ordre de 2,5°% à 3 % dès la seconde partie de cette année. Plusieurs indicateurs publiés ces dernières semaines me confortent dans un optimisme raisonnable.
Les fondamentaux sont en effet très favorables : notre inflation est faible puisqu'elle est voisine de 2 %, le taux d'épargne des ménages est élevé et les entreprises disposent de larges capacités d'autofinancement. L'économie française me paraît aujourd'hui très compétitive, comme en témoigne le redressement très sensible de nos balances commerciale et des paiements.
Nous sommes toutefois confrontés à une réelle difficulté dans le domaine de l'emploi : le taux de chômage, qui atteint 12 % de la population active est beaucoup trop élevé. Le réduire constitue notre priorité absolue.
Nous devons pour ce faire, réduire résolument nos déficits publics, qui ont atteint des niveaux insupportables. Il s'agit en effet d'établir un cercle vertueux qui doit voir la baisse des taux d'intérêt sanctionner la crédibilité des efforts de réduction du déficit public, et favoriser l'investissement, donc la croissance et l'emploi.
L'effort de réduction des déficits publics est massif et durable : en 1995, nos déficits publics ont été réduits à 5 % du produit intérieur brut. Pour 1996 et 1997, nos objectifs sont 4 % puis 3 %. Le niveau des prélèvements obligatoires est lui-même trop élevé. C'est donc par une diminution résolue des dépenses que nous devons atteindre nos objectifs.
Mes chers collègues, vous connaissez la difficulté de la tâche parce que vous êtes vous-même confrontés aux mêmes impératifs.
Je dois dire que les résultats spectaculaires que nous avons enregistrés récemment en matière de taux d'intérêt sont réconfortants : en moins de six mois, les taux à 3 mois ont baissé de plus de 320 points de base. Ils sont aujourd'hui largement inférieurs aux taux équivalents en Italie, au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada.
Cette question intéresse au premier chef notre coopération monétaire : plus les taux sont bas à Paris, plus ils sont bas dans la zone Franc. Nous bénéficions tous ainsi de la bonne appréciation portée par les marchés sur la conduite de la politique économique en France.
Au fond, cette confiance des marchés tient à la crédibilité du projet stratégique autour duquel s'articule notre politique économique, je veux parler de la monnaie unique européenne.
Les choses ont fortement avancé depuis notre dernière réunion à Bamako : grâce à la vigueur de la coopération franco-allemande, un scénario de passage à la monnaie unique a été arrêté à Madrid en décembre. À Vérone la semaine dernière, nous avons arrêté les principes d'un nouveau mécanisme de changes entre l'euro et les monnaies des États membres de l'Union Européenne qui ne pourront pas disposer de la monnaie unique dès le 1er janvier 1999.
Nous avons également décidé de renforcer les dispositifs de surveillance multilatérale, dans le domaine budgétaire notamment. Cette problématique, vous la connaissez bien, puisque vous êtes vous-même depuis longtemps en Union monétaire.
La rigueur budgétaire s'imposera en effet à chacun des pays européens dans les prochaines années. Les discussions que j'ai eues ces derniers mois avec mes collègues du G7 m'incitent à penser que cet impératif est également partagé par eux. Dans ce contexte, il me paraît nécessaire de nous arrêter quelques instants sur les perspectives d'évolution de l'aide publique au développement.
Je voudrais sur ce plan vous faire partager ma conviction.
2. Le maintien de flux suffisants d'aide publique au développement ne pourra être assuré que si nous pouvons faire état d'un renforcement de son efficacité :
Le président de la République a rappelé la priorité que la France attache à l'aide publique au développement. Il compte d'ailleurs faire de cette question un thème prioritaire du sommet du G7 de Lyon. Mes collègues du gouvernement et moi-même redoublons donc d'efforts pour convaincre nos partenaires industrialisés de l'intérêt de maintenir des flux conséquents en faveur des pays en voie de développement.
Mes chers collègues, l'honnêteté m'oblige à dire que la tâche est rude ! Rassurez-vous toutefois, ceci n'est pas fait pour nous décourager.
Regardons tout d'abord les faits. Le VIIIe FED a été reconstitué à un niveau très satisfaisant lors du conseil européen de Cannes. Mais l'exercice a été d'une difficulté extrême.
Les discussions pour la 11e reconstitution de l'AID ont été pénibles. Leur issue favorable était vitale pour la zone Franc. Il a fallu batailler ferme en raison du refus américain de reconduire les contributions financières antérieures.
Le résultat me paraît toutefois plus que satisfaisant : la capacité d'engagement de l'AID pour les trois prochaines années a été préservée, les États-Unis participent à la nouvelle AID, un fonds transitoire a été mis en place qui exclut du mécanisme de décision les mauvais payeurs. Enfin, et ceci apparaît évidemment crucial pour nous tous, la priorité africaine de l'AID a été confirmée, à la demande de la France.
Trois autres sujets importants sont devant nous : au plan régional la reconstitution du fonds africain de développement, au plan mondial, la pérennisation de la facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR) et la dette multilatérale.
S'agissant du fonds africain, la problématique me paraît assez simple, même si le résultat est difficile à atteindre. La question du niveau de reconstitution est directement liée au retrait éventuel de certains bailleurs de fonds. La France se mobilise très fortement sur ce dossier, comme vous vous en doutez. Mais il faut que vous profitiez des réunions de Washington pour agir de votre côté auprès des bailleurs de fonds tentés de réduire leur contribution. Il serait sûrement souhaitable d'envisager une action concertée des différentes régions africaines, par exemple dans le cadre du G24. Je pense notamment à l'Afrique australe, à l'Afrique orientale ou au Maghreb, qui peuvent disposer de relais utiles.
S'agissant de la FASR et de la dette multilatérale, nous sommes tous d'accord sur l'objectif. La question posée est celle des moyens : il ne faut pas s'y tromper, certaines propositions apparemment généreuses cachent parfois un désir de retrait évident. Il ne faut pas se laisser prendre au piège et demeurer exigeants quant à la bonne répartition des efforts réalisés par tous, qu'il s'agisse des bailleurs de fonds bilatéraux ou des institutions multilatérales elles-mêmes.
Une attention particulière doit être portée à la dette. Dès lors que des efforts énergiques sont engagés pour régler des problèmes budgétaires, il convient, pour préserver l'espoir et la confiance, d'étudier les moyens de régler définitivement le problème de la dette. Croyez bien que la France veillera à promouvoir la réponse la plus conforme à vos intérêts.
Nous aurons l'occasion de revenir sur cette question au cours de nos débats. Mais au-delà des aspects tactiques, quels enseignements tirer de ces évolutions ? Comment agir dans ce nouveau contexte ?
Je crois que le volume d'APD baissera inexorablement dans les prochaines années. La question posée est donc simple : quels arguments utiliser pour limiter cette baisse à des niveaux acceptables et orienter vers nos économies une part croissante des flux disponibles ?
La réponse me paraît également assez évidente : quand les ressources diminuent, leur emploi se fait plus sélectif. Il s'agit donc de montrer que l'aide au développement est efficace et qu'elle est bien employée dans la zone Franc.
Quels sont les éléments de la démonstration ? Nous les connaissons tous. L'aide est temporaire et ne crée pas de phénomène d'accoutumance : ceci est particulièrement important pour l'aide budgétaire, qui doit rapidement disparaître. Des politiques macro-économiques saines sont conduites, qui assurent les bases d'une croissance saine et durable. Une réelle transparence dans la gestion des deniers publics garantit que l'aide internationale ne vient pas se substituer à des ressources propres détournées de leur objet. Les privatisations et la libéralisation des économies créent les conditions d'un développement autonome appuyé sur un meilleur emploi des capitaux privés.
Tel sera en effet le dernier point de mon intervention.
3. Je crois que nous devons, impérativement, mieux mobiliser les capitaux privés en faveur du développement :
Aujourd'hui, le taux d'investissement de l'ensemble des pays de la zone Franc est la moitié de celui des pays du Sud-Est asiatique. L'initiative dans les secteurs productifs est donc encore insuffisante.
De même, les flux de capitaux privés internationaux en faveur de l'Afrique sub-saharienne restent insuffisants. En 1995, celle-ci n'a reçu que 5 % des flux de capitaux privés vers les pays en développement. Cette même année, les investissements directs étrangers n'ont représenté, en net, que 0,7 % du PIB des pays d'Afrique sub-saharienne, la moyenne pour les pays en voie de développement étant de 1,8 %.
Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. L'Afrique sub-saharienne, et la zone Franc en particulier, n'investissent pas assez. De plus, ils sont encore trop souvent en marge des flux de capitaux privés internationaux.
Que faire pour inverser cette tendance ?
Je crois qu'il faut d'abord rassurer les marchés sur le caractère durable des efforts de redressement entrepris. De ce point de vue, le déroulement satisfaisant des programmes de redressement soutenus par les institutions financières internationales constitue un signal non équivoque. C'est la raison pour laquelle la France attache autant de prix au maintien, pour chacun des pays de la zone Franc, d'un programme avec le FMI.
L'assainissement des finances publiques est un autre élément crucial de la confiance des opérateurs, qu'ils soient africains ou étrangers. Le redressement des excédents primaires dans la zone constitue, à cet égard, une priorité : les résultats obtenus en 1995 doivent être valorisés et les efforts de maîtrise des dépenses publiques et d'élargissement des assiettes fiscales doivent être prolongés.
Les réformes structurelles mises en œuvre avec le concours de la Banque mondiale contribuent également à rassurer les investisseurs. Elles permettent en effet d'améliorer la compétitivité des économies et, par le biais notamment des revues de dépenses publiques, de garantir l'efficacité des programmes d'investissement public.
Nous évoquerons tout à l'heure le fonctionnement des systèmes bancaires et celui des commissions bancaires. La crédibilité de ces dernières et donc le soin apporté à la mise en œuvre de leurs recommandations apparaît cruciale. Je me permets, mes chers collègues, d'insister sur ce point.
En effet, on sous-estime généralement l'importance que les opérateurs attachent au bon fonctionnement du cadre juridique dans le domaine des affaires. Le règne de l'arbitraire ou le mauvais fonctionnement de la justice apparaissent à juste titre à leurs yeux comme des obstacles dirimants en matière d'investissement.
C'est la raison pour laquelle la France a toujours attaché autant de prix au projet « droit des affaires ». Nous examinerons cet après-midi l'avancement des différents travaux d'intégration régionale. Je relève d'ores et déjà que la mise en place des institutions prévues par le traité OHADA progresse.
Au-delà de ces réformes de fond qui sont indispensables, l'affichage de certaines initiatives symboliques fortes peut également contribuer à conforter les investisseurs internationaux dans un sentiment de confiance favorable.
Votre décision d'accepter les obligations de l'article VIII des statuts du FMI serait, à cet égard, perçue de façon extrêmement positive. La décision appartient bien évidemment à chacun des États membres. Mais je me réjouis que nous puissions en discuter collectivement.
Mes chers collègues, avant de passer la parole à Jacques Godfrain, permettez-moi de vous redire ma satisfaction d'être aujourd'hui avec vous, à N'Djamena.
Après des années pénibles, la zone Franc est aujourd'hui placée sur une trajectoire porteuse. Elle le doit aux efforts constants qui ont été les vôtres depuis la dévaluation du FCFA.
Vous savez pouvoir compter, en la France, sur un partenaire proche, solidaire et exigeant.
Proche, parce que l'histoire, la langue et la culture nous ont rapprochés et qu'il n'est dans l'intention de personne de gaspiller un héritage qui est aussi précieux pour chacun d'entre nous.
Solidaire, parce que nous savons que les efforts que vous réalisez méritent d'être soutenus et qu'il en va de l'intérêt bien compris d'un pays développé comme la France d'accorder la priorité qui convient à cette tâche.
Exigeant enfin, parce qu'une relation de partenariat ne peut se construire que sur la confiance. Or, la France a confiance dans le souhait et la capacité de ses partenaires africains à construire eux-mêmes les conditions d'un développement sain et durable.
Je vous remercie.