Article de M. Jean-Antoine Giansily, président du CNI, dans "Profession politique" du 17 mai 1996, sur le bilan de la première année de Jacques Chirac à l’Élysée, la PAC, la monnaie unique et la préparation des élections législatives de 1998.

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Média : Profession politique

Texte intégral

La politique étrangère parait être l'un des points forts du bilan de la première d’année de Jacques Chirac à l'Élysée. Pourtant, les points de vue peuvent être diamétralement divergents comme le prouvent les deux opinions exprimées dans les pages précédentes par un délégué général du RPR et un député communiste, mis face à face. Entre les deux, si l'on peut dire, se place notre troisième invité, le président du CNI, Jean-Antoine Giansily, un partisan farouche de la politique européenne notamment en matière agricole et monétaire et qui le reste.

Depuis la chute du Mur de Berlin, la France n'avait plus de politique étrangère, C'est grâce au nouveau Président que notre pays a retrouvé sa place dans le concert des nations. Dès son entrée en fonctions, il a pris un certain nombre de décisions qui n'ont pas toujours été bien comprises de nos amis européens mais elles ont permis à la France de reprendre le leadership dans cette Europe en construction qui était le credo d'Antoine Pinay et qui est, plus que jamais, le nôtre.

La « patte » du nouveau Président

La reprise des essais nucléaires signifiait au monde que la présence à l'Élysée, au cours des dernières années, d'un homme politiquement affaibli et physiquement malade, désorienté face aux changements du monde, n'était qu'un accident de l'Histoire et que la France, qui fut une grande puissance militaire, entendait bien le redevenir en conservant l'outil nucléaire qui a forgé son indépendance.
Le renforcement du pilier européen de l'OTAN, la reconstruction de l'ex-Yougoslavie, le retour de la paix au Moyen-Orient : autant de dossiers importants où la « patte » du nouveau Président a très vite fait bouger les choses, débloqué des situations souvent jugées inextricables, imposé des solutions. Entre la politique de la canonnière et la politique du sac de riz, la France a choisi la voie de la médiation dans la fermeté, et Hervé de Charette conduit parfaitement cette nouvelle politique.

Pas de soutien inconditionnel

Cela dit, fidélité ne signifie évidemment pas soutien inconditionnel. Dans tous les grands débats du moment, nous avons l'intention de faire entendre haut et tort la voix des indépendants, dans le strict respect des principes du libéralisme auxquels nous sommes attachés et qui furent ceux de la campagne présidentielle de Jacques Chirac. Deux exemples permettront de mieux illustrer mon propos :
    – la politique agricole commune : elle fait partie de ces acquis de la politique communautaire dont la France a été le moteur et l'artisan. Nous n'accepterons pas qu'elle soit déclassée du secteur des dépenses non obligatoires.
    – au Parlement européen, avec mes amis du groupe UPE (Union pour l'Europe), nous en ferons un casus belli. Il faut détendre la PAC bec et ongles et nous veillerons à ce qu'elle soit détendue efficacement du côté français ;
    – la monnaie unique : la libre circulation des hommes, des capitaux et des biens, doit aujourd'hui trouver son accomplissement dans la mise en œuvre de la monnaie unique et dans l'instauration du marché intérieur des Quinze. La France souffre d'un déficit permanent de communication : on n'a pas assez expliqué l'intérêt de ne pas accepter le règne absolu du dollar et d'éliminer la spéculation qui s'exerce sur les marchés des capitaux.

Nous encouragerons le gouvernement dans les discussions en cours de la conférence inter-gouvernementale.

Il faut que, dans les discussions agricoles et monétaires, nos représentants se sentent appuyés.

Réorienter la majorité législative

Nous n'en sommes que plus à l'aise pour faire un constat sous forme de regret : si nous appartenons, nous, les libéraux, à la majorité présidentielle, nous n'avons pas le sentiment que le périmètre de la majorité parlementaire recoupe exactement celui de la majorité présidentielle. Certes, lors de notre dernier Conseil national qui s’est tenu à Ormesson-sur-Marne, les 20 et 21 avril, un sentiment unanime s'est exprimé : nous étions heureux d'avoir, dès le mois de décembre 1994, à une époque où nombre de prétendus « proches » le pressaient de se retirer, choisi Jacques Chirac comme candidat à l'élection présidentielle et nous sommes aujourd'hui heureux qu'il ait été choisi par la majorité des Français. Mais, sur le plan des idées, depuis la démission d'Alain Madelin, la majorité parlementaire se rétrécie. C'est un constat : la pluralité des idées et des opinions, à laquelle nous sommes passionnément attachés, n'est plus complètement assurée dans la majorité.

C'est ce qui explique qu'à nos yeux, tout ce que propose le gouvernement n'est pas pain bénit et que sur tel ou tel point, nous pouvons avoir des attitudes et des opinions différentes de celles du gouvernement.

Alain Griotteray a expliqué à notre dernier Conseil national, pourquoi il se sentait, quoique membre de la majorité, « Politiquement incorrect ».

Si être « politiquement incorrect »…

Si être « politiquement incorrect », c'est conserver son droit d'expression et de critique, c'est refuser de suivre inconditionnellement le gouvernement, c'est manifester clairement sa volonté de ne pas se renier, alors, oui, le CNI s'affirme résolument « politiquement incorrect »... Et il en tire donc les conclusions : puisqu'il y a désormais à l'Élysée, un homme qui correspond à ce que nous avions souhaité, nous pouvons envisager de réorienter la majorité sur nos idées.

Cela signifie que nous aurons, au bas mot, trois cents candidats aux législatives en 1998, y compris dans des circonscriptions où il y a des députés qui soutiennent le gouvernement. Il faut encourager la compétition : quels beaux libéraux serions-nous si nous découragions la compétition ! Le règne des bureaux ne fonctionne que parce que nous avons accepté que l'étatisme remplace le socialisme. Il faut en finir avec cette « pensée unique » qui ne correspond ni aux vœux de la majorité des Français ni aux intérêts supérieurs de la France.