Texte intégral
Date : Lundi 9 juin 1997
Source : France Inter
– « Nous demandons du temps. J’ai eu le sentiment que mes collègues ont compris la démarche qui est celle de la France. Chacun a compris que pour atteindre les objectifs, il y a besoin d’un nouvel équilibre qui place l’emploi plus au cœur des préoccupations, et ceci passe notamment par une meilleure coordination des politiques économiques, par une sorte de pôle économique à côté du pôle monétaire. Mon sentiment, contrairement à ce que j’ai pu lire de ci, de là, c’est que ceci renforce la crédibilité de l’Union économique et monétaire, car il nous faut une crédibilité qui soit celle du monde financier, mais il nous faut parallèlement une crédibilité qui soit celle des peuples européens. C’est en avançant sur ces deux piliers que je pense que cette crédibilité sera le mieux assurée. Il me semble que cette réflexion demande un peu de temps. Pour ma part, je pense que nous aurons à travailler un peu plus qu’une semaine. »
Date : lundi 9 juin 1997
Source : Europe 1
– « Personne ne doute de notre volonté d’aboutir à l’UEM, à la date qui est prévue. Mais aujourd’hui, alors que le Gouvernement français vient tout juste d’être formé, et que le Premier ministre ne s’est pas encore présenté devant la nouvelle Assemblée, il ne m’a pas été possible de marquer mon accord sur les textes relatifs au pacte de stabilité et de croissance. Nous avons besoin de procéder à une évaluation d’ensemble de ces textes au regard de tous les travaux qui ont été faits tant pour ce qui est des échéances de la CIG que pour celles de la monnaie unique. Si bien que nous demandons du temps. Et j’ai eu le sentiment que mes collègues ont compris la démarche qui est celle de la France. Pour la CIG, le Gouvernement français souhaite une conclusion rapide de la conférence, pourvu, évidemment, qu’on enregistre des résultats substantiels qui mettent l’Union en situation d’accueillir de nouveaux membres demain. Et nous voulons aussi – le Premier ministre s’est exprimé sans ambiguïté sur ce point – la monnaie unique à la date prévue. »
Q. Est-ce que tout cela sera réglé pour Amsterdam ? Et si ce n’est pas le cas, est-ce que vous ne craignez pas une réaction des marchés ?
R. « L’ordre du jour d’Amsterdam sera fixé par la présidence. Je crois en effet qu’il faut un peu plus que quelques jours de travail. Nous avons un sommet franco-allemand vendredi Poitiers qui me semble être une étape extrêmement utile et intéressante. La conférence à Amsterdam doit se réunir à partir de lundi prochain. Je ne crois pas que l’on puisse aboutir d’ici là. Je ne cherche pas du tout à allonger les délais. La présidence choisira d’inscrire ou non ce point à l’ordre du jour d’Amsterdam. Quant aux marchés, je voudrais les rassurer. La détermination du Gouvernement français pour la réalisation de l’UEM à la date qui est prévue est totale. »
Date lundi 9 juin 1997
Source : TF1
– « L’UEM se fera, nous le souhaitons, au ler janvier 1999, et nous sommes fermement décidés à appliquer les dispositions du Traité. Mais, chacun a compris que pour atteindre les objectifs, il y a besoin d’un nouvel équilibre qui place l’emploi plus au cœur des préoccupations. »
Date lundi 16 juin 1997
Source France 2
B. Masure : C’était l’un des sujets du Bac aujourd’hui : peut-on changer le cours de l’Histoire ; est-ce que vous avez, ce soir, l’impression d’avoir un tout petit peu changé le cours de l’Histoire ?
D. Strauss-Kahn : Ça serait un peu prétentieux, mais c’est quand même un peu de cela qu’il s’agit. Voyez-vous, toute cette affaire de construction monétaire et d’euro se faisait jusqu’à maintenant de façon très libérale et uniquement sur les questions monétaires. Et L. Jospin avait beaucoup insisté pour que l’on s’occupe d’autres choses. Bien sûr, la monnaie, il la faut, bien sûr qu’il ne faut pas des déficits excessifs, mais il faut aussi que l’on s’occupe de l’emploi et au cœur des débats aujourd’hui ont été mis l’emploi et la coordination économique. Ce qui fait d’ailleurs, par exemple, que dans quelques mois, avant la fin de l’année, il y aura un Sommet européen uniquement consacré à l’emploi, ce qui fait que... Vous parlez, je vous en prie.
B. Masure : Est-ce que précisément, de ce Sommet européen, on peut attendre des décisions tout à fait concrètes ? Chacun a encore en tête le douloureux problème de Vilvorde, par exemple, est-ce que ces problèmes sont définitivement évacués ?
D. Strauss-Kahn : Justement, dans la résolution qui a d’ores et déjà été signée, j’ai insisté pour que l’on introduise quelque chose qui empêche les opérations de ce genre, c’est-à-dire qui empêche qu’il n’y ait pas de concertation avec les syndicats, qu’il n’y ait pas une procédure qui aille suffisamment loin ; et ceci a déjà été accepté, ça n’attendra même pas le prochain sommet. Beaucoup de choses ont déjà été acceptées : les financements par la Banque européenne d’investissements – vous en parliez tout à l’heure – ou beaucoup d’autres éléments qui vont faire avancer les choses en matière d’emploi et en matière de croissance. Ce qui est le plus important pour moi –vraiment j’insiste là-dessus – c’est le fait qu’il y a une Banque centrale ; elle est indépendante en Europe et elle le sera à partir du 1er janvier 1999. Mais il fallait qu’en plus, à côté de cela, il y ait une sorte de pôle économique, nous disons en français un gouvernement économique. Les Allemands n’aiment pas trop ce mot, mais peu importe, l’idée est passée, et l’idée est la maintenant qu’un rapport va être écrit pour savoir comment organiser ce pôle économique. Cela, je crois, c’est une vraie victoire française.
B. Masure : L. Jospin souhaitait un PS qui ne soit pas un parti godillot, dès ce soir, F. Hollande estime que ces avancées d’Amsterdam sont insuffisantes.
D. Strauss-Kahn : C’est-à-dire que F. Hollande a dit qu’il ne fallait pas s’arrêter là, et il a raison. On installe une nouvelle procédure, un nouveau type de fonctionnement, mais on va mettre des mois à le mettre en place. Donc il ne faut s’arrêter en cours de route. De ce côté-là, F. Hollande a raison de dire que ça n’est que le début. Il faut continuer.
B. Masure : On a un peu l’impression que chacun plaide pour son opinion publique. Ce soir, votre homologue allemand affirme qu’il n’y a ni nouvelle compétence, ni crédits supplémentaires dans le texte décidé, et que ce pacte de stabilité a été adopté sans changement. Alors, on a du mal à s’y retrouver.
D. Strauss-Kahn : Le pacte de stabilité était déjà largement inclus dans le Traité de Maastricht. Et de plus, le Président de la République avait donné son accord en décembre dernier. Donc il ne pouvait pas être remis en cause. Ce que nous voulions, c’était le rééquilibrer par autre chose. Ça a été rééquilibré avec l’aide d’ailleurs de la plupart des pays européens qui étaient contents de voir la France mener le combat de l’emploi et ne pas rester uniquement sur les questions monétaires. Mais je veux dire que c’est en partie grâce à eux que nous avons réussi à aboutir. La France toute seule, ça aurait été difficile. Mais beaucoup de pays sont venus nous rejoindre pour nous dire : oui, vous avez raison, il faut maintenant que 1’Europe s’occupe de l’emploi. Et je crois que c’est ce que nous avons gagné.
B. Masure : Est-ce qu’il y aura prochainement l’annonce de grands travaux européens ?
D. Strauss-Kahn : Les grands travaux européens ont été annoncés depuis longtemps. Le problème, c’est qu’on n’avait pas le financement. Justement, ce qui a été décidé par le conseil européen aujourd’hui, c’est que la BEI allait fournir des prêts à long terme pour ces grands travaux. Donc vous voyez, c’est un exemple de plus – je pourrais en prendre beaucoup d’autres – de ce que des choses concrètes ont été mises en œuvre. Il y a de l’argent en plus, ce n’est pas du budget, c’est de la banque, de l’argent en plus notamment pour ces grands travaux européens Si bien qu’au total, je crois qu’aujourd’hui, c’est un succès pour l’emploi, pour l’euro. Et comme nous avons travaillé, tout le côté français, en bonne intelligence, je crois que c’est aussi un succès pour la cohabitation.
B. Masure : Ce compromis est selon-vous plus un succès de J. Chirac ou de L. Jospin ?
D. Strauss-Kahn : Très honnêtement, je crois que c’est un succès des deux. Le Président de la République avait essayé à Dublin de faire en sorte qu’on dépasse un peu l’aspect monétaire. Il y était un peu parvenu mais pas suffisamment. Vous avez vu comment L. Jospin m’a demandé, lundi dernier à Luxembourg, disons-le carrément, de mettre les pieds dans le plat ! Il y a eu une certaine tension, ça a été difficile mais nous l’avons emporté, sans doute parce que tout le monde était d’accord, le Président de la République et L. Jospin.
Date : Lundi 16 juin 1997
Source : France Inter
– « Lorsque lundi dernier à Luxembourg la France a fait savoir qu’il fallait rééquilibrer cette affaire, peu de gens, je crois, avaient le sentiment que d’une part, on y arriverait avant le Sommet d’Amsterdam et, d’autre part, qu’il y aurait une réalité à ce rééquilibrage. Le constat que je fais aujourd’hui, c’est que d’abord on y est arrivé. À ce pacte de stabilité qui mettait en œuvre un certain nombre de disciplines budgétaires prévues par le Traité, et qu’il fallait mettre en œuvre de toute façon, a été rajouté le démarrage de quelque chose qui peut avoir des suites importantes à la fois en matière d’emploi et en matière de coordination économique, puisque ce sont les deux sujets sur lesquels nous étions demandeurs. Pour moi, cette affaire, c’est à la fois un succès pour l’emploi, un succès pour l’euro et un succès pour la cohabitation. »
Date : Lundi 17 juin 1997
Source Europe 1
J.-P. Elkabbach : Il y aura donc un peu plus de social dans l’Europe. La dimension humaine et sociale est mieux prise en compte. Est-ce que vous avez le sentiment que la France obtient ce qu’elle voulait, dans ce domaine en tout cas ?
D. Strauss-Kahn : Je ne dirais pas que c’est un problème social. On a beaucoup parlé d’un volet social mais ce n’est pas tellement un volet social. C’est plutôt deux choses : la première est de mettre l’accent sur l’emploi, mais l’emploi c’est bien une question économique, ce n’est pas seulement une question sociale. Or, de ce point de vue-là, oui la France a beaucoup obtenu. Elle a obtenu que la Banque européenne d’investissement se mobilise pour financer... »
J.-P. Elkabbach : À partir de quand ?
D. Strauss-Kahn : « À partir du moment où l’euro existera. C’est parallèle au pacte de stabilité. Et donc, les deux choses n’existeront qu’en même temps, au moment où le pacte de stabilité se mettra en œuvre. Mais pour ce qui se passera avant, nous avons par exemple obtenu qu’un Sommet spécial européen se tienne à l’automne sur les questions de l’emploi. Et de ce côté-là, je crois qu’on peut vraiment dire que l’emploi, qui était un peu « l’oublié » de la construction européenne – puisqu’on parlait beaucoup de monnaie mais on ne parlait pas d’emploi – est revenu au centre du débat. Et puis il y a une autre chose, qui est au moins aussi importante : c’est la coordination des politiques économiques. »
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’on a frôlé l’échec à un moment ou à un autre ?
D. Strauss-Kahn : Oui, je crois. Je crois que les positions étaient affirmées, que c’était difficile. Tout le monde voulait arriver à une solution mais on n’y arrive pas simplement parce qu’on le veut, il faut faire des efforts. Je crois que nos partenaires nous ont beaucoup aidés, notamment les pays du nord de 1’Europe, l’Italie, le Portugal, qui souhaitaient eux-mêmes depuis longtemps qu’on ne parle pas uniquement de questions monétaire et budgétaire.
J.-P. Elkabbach : Mais vous montrez bien qu’il y avait une sorte de résistance des Allemands, et souvent aussi des Anglais avec les Allemands ?
D. Strauss-Kahn : Oui, il y avait surtout une résistance de nos partenaires allemands qui, depuis des années, essayent de faire en sorte que l’Europe monétaire – qui s’appelle théoriquement "l’Union économique et monétaire" – soit en fait uniquement monétaire et peu économique. Et ce qui a été acquis là, c’est que le travail va commencer pour mettre en place une vraie union économique.
J.-P. Elkabbach : Le couple franco-allemand a été secoué à Poitiers et à Amsterdam, il y a eu de la fâcherie dans Pair. Est-ce que vous pensez qu’il restera des traces ?
D. Strauss-Kahn : Non, je pense que tous les bons couples ont parfois un peu des scènes de ménage et qu’il est bon que les Français disent ce qu’ils ont envie lorsque c’est nécessaire. Mais comme nous sommes tous conscients que la construction européenne repose, pas seulement mais largement, sur le couple franco-allemand, chacun sait qu’il doit faire des efforts pour avancer.
J.-P. Elkabbach : G. Milési et B. Laporte, qui sont pour nous sur place, nous ont dit que vous avez impressionné puisque vous avez parlé tantôt en espagnol, en anglais, et surtout en allemand. Avec le chancelier Kohl, comment lui avez-vous dit ? Queue impression a-t-il faite ? Car à l’image, c’est un « Roc » Kohl...
D. Strauss-Kahn : Oui, c’est un personnage très important, très impressionnant. Pas seulement physiquement Quand il est dans une pièce, quand il est quelque part, on sent qu’il porte sur lui, maintenant, une vingtaine d’années d’histoire de notre continent. Et je dois dire qu’il est très impressionnant. Mais il est très important, me semble-t-il, avec nos partenaires allemands, de leur montrer que nous ne méprisons pas du tout l’Allemagne. Et parler allemand avec les Allemands, leur montrer qu’on connaît l’Allemagne, qu’on connaît la culture allemande, est je crois un élément d’un dialogue plus facile. Je crois que ça m’a beaucoup aidé dans cette négociation. J’irais même jusqu’à dire que je crois que nous n’aurions pas obtenu tout ce que nous avons obtenu si ces liens un peu personnels n’avaient pas été créés par l’allemand.
J.-P. Elkabbach : L’accord d’hier reçoit un accueil plutôt frais, sceptique, en France. Même, vous l’avez, entendu, chez les socialistes, au PS. Il manque de contenu, il manque de promesses, d’obligations précises sur l’emploi.
D. Strauss-Kahn : Le problème c’est que pour l’emploi, il n’y a pas d’obligation possible. On fait des efforts pour améliorer l’emploi, personne ne peut dire qu’on est sûr que, demain, le taux de chômage va baisser de 1 %. Ce qui est important, voyez-vous, c’est qu’il y a 18 mois, un des articles du traité qui prévoit la discipline budgétaire, a été mis en œuvre. Cela a donné lieu a du travail – parce que l’article faisait juste deux ou trois lignes –, cela a donné lieu à 18 mois de travail et ça a abouti à ce qu’on appelle le pacte de stabilité. Mais parallèlement, les autres articles du traité, ceux qui prévoient la coordination économique – ce que le Président Santer appelle "le pôle économique", et ce que L. Jospin appelle "le gouvernement économique" –, eh bien ces articles-là restaient aussi en quelques lignes mais ils n’avaient jamais été mis en œuvre, il n’y avait jamais eu de construction. Nous avons obtenu là qu’ils soient mis en œuvre et que donc, dans six mois, au Conseil européen de Luxembourg, il y ait un rapport là-dessus – un peu comme le pacte de stabilité – pour que, parallèlement à la Banque centrale européenne qui doit rester indépendante, se constitue ce "pôle économique". Pour nous, c’est fondamental.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous acceptez l’idée que votre gouvernement, le Gouvernement socialiste, accepte donc plus d’intégration économique et politique ? C’est-à-dire délègue plus de souveraineté à l’Europe ?
D. Strauss-Kahn : Pas plus que ne l’a prévu le traité de Maastricht.
J.-P. Elkabbach : Mais oui, quand même...
D. Strauss-Kahn : Le traité de Maastricht a prévu un certain nombre d’intégrations, vous avez raison. Il ne faut pas que soient mises en œuvre seulement celles qui sont monétaires, et pas celles qui sont économiques et qui servent la croissance et l’emploi. Alors, ce que nous voulons, en fait, c’est que toutes les parties du traité soient mise en œuvre. Or, nos amis les Allemands, avaient quand même réussi, depuis quelques années, à faire un effort tel que la partie monétaire soit mise en œuvre mais la partie croissance, la partie emploi, ne le soient pas. Eh bien, c’est le changement à Amsterdam, et c’est pour ça d’ailleurs que certains sont encore sceptique. Ils disent : "bon, on a décidé de changer mais ça n’est que dans un an, dix-huit mois, que le travail aboutira ; donc, pour le moment, c’est seulement une décision". Je les comprends. Et il faut évidemment d’abord cette décision pour commencer, car s’il n’y a pas de décision de commencer, on n’arrive jamais.
J.-P. Elkabbach : Votre gouvernement accepte le pacte de stabilité tel qu’il est, avec sa rigueur, ses contraintes ?
D. Strauss-Kahn : Oui, enfin on peut dire ça comme ça. La réalité est que ce pacte a été accepté à Dublin et que le chef de l’État avait engagé la parole de la France. Ce pacte a donc été, non pas signé mais accepté à Dublin. Ensuite, il a été rédigé pendant les mois qui viennent de s’écouler et il s’agissait là de le signer.
J.-P. Elkabbach : Donc, vous l’acceptez ?
D. Strauss-Kahn : Le remettre en cause aurait été renier la parole que le chef de l’État a donné en décembre à Dublin et c’était difficilement concevable. De toute façon, nous ne sommes pas contre une politique qui consiste à dire qu’il ne faut pas faire trop de déficits. Le problème, c’est qu’il faut équilibrer cette politique-là par une politique positive en faveur de l’emploi et c’est ça qui a commencé.
J.-P. Elkabbach : Cela veut dire qu’il pourrait y avoir une prochaine bataille dans les mois qui viennent en Europe, pour corriger, supprimer, ou augmenter les 3 % de déficits autorisés ?
D. Strauss-Kahn : Écoutez, c’est le problème du critère d’entrée dans l’euro, bien sûr il y aura une discussion là-dessus. Mais quel que soit le critère, finalement, l’euro se fera, je l’espère, à la date qui est prévue. Et ce qui comptait, c’était que, pour le lendemain du 1er janvier 1999 – le moment où le pacte de stabilité, ce fameux pacte de stabilité va exister parallèlement, existe quelque chose pour faire le contrepoids de la Banque centrale européenne.
J.-P. Elkabbach : Maintenant que vous êtes dans la négociation, quel serait le bon chiffre sur les déficits : 3 %, un peu plus, ou au contraire on est bloqué sur les 3 % ?
D. Strauss-Kahn : Je crois que, comme nous l’avons toujours dit, le principe c’est se rapprocher des 3 %. Et c’est ce qu’on appelle en français et aussi un peu en jargon bruxellois, "l’appréciation en tendance". Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que ce qu’il faut, c’est que les pays se rapprochent le plus possible des 3 % et qu’ils montrent qu’ils ont tendance à aller, à baisser vers 3 %, même s’ils ne l’ont pas atteint. Tout le monde ne partage pas cette interprétation-là du traité mais je pense qu’il faudra la faire valoir car il ne faut pas avoir un raisonnement uniquement comptable.
J.-P. Elkabbach : Cela va avoir des répercussions sur vos choix ou vos décisions économiques ? Est-ce que les marges de manœuvre que vous avez et que L. Jospin va présenter dans sa déclaration de politique générale, vont être affectées ?
D. Strauss-Kahn : Les marges de manœuvre ne sont pas encore totalement connues puisque, comme on l’a dit pendant la campagne électorale, une évaluation, un bilan de la situation des finances publiques doit être fait.
J.-P. Elkabbach : Dans combien de temps ?
D. Strauss-Kahn : L. Jospin va l’annoncer dans son discours de politique générale jeudi et il y a à peu près un mois de travail. Donc, vers le 14 juillet, les magistrats qui sont chargés de cela pourront donner leurs résultats. Et à ce moment-là, on pourra exactement estimer la situation budgétaire et donc la rapidité avec laquelle les mesures que nous voulons prendre peuvent être mises en œuvre. L. Jospin, dans la campagne, a bien dit que c’est un programme pour cinq ans, donc qui sera étalé, sur une législature mais il y a des choses par lesquelles il faut commencer tout de suite et ça dépend un peu du résultat de cette évaluation.
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’il faudra plus de temps pour lancer et engager vos projets ?
D. Strauss-Kahn : Non, vous faites là l’hypothèse obligatoirement que cette évaluation sera mauvaise. Je n’en sais encore rien. Si, effectivement, les résultats de l’appréciation sur les premiers mois de l’année montraient qu’il y a eu un dérapage du gouvernement précédent, alors, dans une certaine mesure, cela nous conduirait à aller un peu moins vite. Mais j’espère que cela ne sera pas le cas.
J.-P. Elkabbach : Et les premières mesures qui ne dépendent pas de l’audit ou de ce que vous appelez le bilan ?
D. Strauss-Kahn : Il y a un certain nombre de mesures mais vous comprendrez que je ne les énonce pas avant que le Premier ministre en parle à l’Assemblée, jeudi. Chacun voit bien ce qu’il convient de faire. Il y a des mesures à prendre, en faveur des salaires et notamment en faveur du Smic, des mesures à prendre dans différentes directions mais il est normal que ce soit L. Jospin qui en parle le premier à l’Assemblée.
J.-P. Elkabbach : Pensez-vous que vous pourrez créer les emplois promis, réduire le temps de travail et augmenter le Smic avec les contraintes budgétaires liées au pacte de stabilité que vous signez aujourd’hui ?
D. Strauss-Kahn : Réduire le temps de travail, nous avons dit que cela s’étalait sur plusieurs années et c’est sans rapport avec les finances publiques. Il n’y a donc pas de problème de pacte de stabilité là-dedans. De toute façon, le pacte de stabilité, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, ne commence à fonctionner qu’au 1er janvier 1999. Donc, nous nous sommes battus pour l’avenir, pas pour le présent.
J.-P. Elkabbach : Un mot sur la cohabitation. Quand J. Chirac s’exprimait, avez-vous eu le sentiment qu’il s’exprimait au nom de L. Jospin, de D. Strauss-Kahn, de P. Moscovici, d’H. Védrine ?
D. Strauss-Kahn : Oui. Très honnêtement, je crois que la France a parlé d’une seule voix. Ce que je retiens de ce Sommet, c’est que c’est à la fois une victoire pour 1’emploi parce que l’on a acquis des choses sur l’emploi ; une victoire pour l’euro parce que l’euro va continuer vers sa marche ; et une victoire de la cohabitation parce que la France, qui a eu des préoccupations que nous avons définies ensemble, le Premier ministre et le Président de la République, eh bien cette France a parlé d’une seule manière. Et je crois d’ailleurs que si nous avons obtenu ce que nous avons obtenu, c’est notamment parce que la France a été capable de parler avec la voix de la France et pas la voix de l’Élysée d’un côté et de Matignon de l’autre.