Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur et président du Mouvement des citoyens, dans "L'Est Républicain" du 6 septembre 1997 sur l'action du MDC au sein du gouvernement de la gauche "plurielle", les conditions du passage à la monnaie unique (participation de l'Italie et euro faible), la réforme des lois Pasqua Debré sur l'immigration et le mode de scrutin pour les élections régionales.

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L’Est Républicain : Alors que l’université d’été du Mouvement des Citoyens (MDC) débute, quel bilan allez-vous tirer de vos premiers mois d’exercice du pouvoir ?

Jean-Pierre Chevènement : Celui d’un paysage nouveau qui se dessine, du fait de la victoire d’une gauche plurielle où le MDC a joué tout son rôle. La maturité politique des citoyens français a mis en pièces le piège qu’avait tendu Alain Juppé et ses amis. Ils voulaient, par une élection à la hussarde, avoir les mains libres pour conduire le pays à marche forcée, par un plan d’austérité draconien, vers la monnaie unique aux conditions allemandes. C’est-à-dire vers un euro aussi fort que le mark et très largement réévalué. Ce plan a échoué. On en voit dès maintenant les conséquences. L’équilibre budgétaire ne sera désormais plus assuré par l’austérité imposée aux familles, mais par l’effort fiscal des grandes entreprises. Quant à la priorité à l’emploi des jeunes, elle va se traduire par des mesures rapides et concrètes telle que l’embauche prochaine de dizaines de milliers de garçons et de filles pour des contrats de cinq ans.

L’Est Républicain : Sur l’euro, beaucoup assurent ne guère voir de différence entre les positions des anciens et actuel gouvernements…

Jean-Pierre Chevènement : La donne a pourtant changé ! Et les conditions qu’avait posées Lionel Jospin à tout passage à la monnaie unique, conditions que j’avais moi-même suggérées lors du congrès du Mouvement des Citoyens à Saint-Nazaire en octobre 1996, sont plus que jamais d’actualité. Ces engagements dessinent une autre perspective où l’euro, retrouvant une parité réaliste avec le dollar, ne serait pas ennemi de la croissance et de l’emploi, même si nous maintenons nos critiques argumentées à l’encontre d’un projet à notre avis inadapté à l’état actuel de l’Europe.

L’Est Républicain : Le discours officiel reste malgré tout accroché au dogme des 3 %. C’est acceptable pour vous qui n’avez jamais cessé de combattre les critères de convergence ?

Jean-Pierre Chevènement : Nous pouvons accepter l’hypothèse d’un euro faible dès lors que les conditions posées par Lionel Jospin, et notamment la participation d’emblée de l’Italie, seraient respectées. C’est d’ailleurs cette hypothèse qui a conduit les marchés à la revalorisation du dollar, particulièrement bienvenue pour notre industrie, pour nos exportations et pour l’emploi.

L’Est Républicain : L’accord monétaire européen ne s’établira pas forcément sur cette base…

Jean-Pierre Chevènement : Ce scénario est-il acceptable pour l’Allemagne ? Quelle influence exercera le débat électoral outre-Rhin sur cette question ? Euro faible, système européen resserré, simple monnaie commune ? L’issue n’est pas écrite à l’avance, c’est vrai, car une certaine manière de construire l’Europe est à présent à bout de souffle. Il faut préparer une refondation européenne au sein de laquelle la coopération monétaire trouvera sa place, au lieu de faire de celle-ci le moteur impossible d’un projet historique éminemment souhaitable, qui est la solidarisation croissante des nations européennes au service de l’homme.

L’Est Républicain : En maintenant les lois Pasqua et Debré, estimez-vous avoir renié vos promesses de campagne ?

Jean-Pierre Chevènement : Je n’ai pour ma part aucune peine à tenir au gouvernement les mêmes propos que je tenais hier comme opposant. C’est ma façon d’être vraiment républicain. J’estime que la démagogie est mauvaise conseillère et placer l’immigration au cœur de notre débat public c’est toujours, qu’on le veuille ou non, y amener l’extrême-droite. En l’occurrence, les dispositions choquantes des lois antérieures seront remplacées par une législation généreuse mais ferme, car je n’ai jamais partagé l’idée selon laquelle les frontières devraient être ouvertes sans aucun contrôle. La maîtrise des flux migratoires reste nécessaire dans la situation sociale actuelle et compte-tenu des déséquilibres du monde.

L’Est Républicain : Apparemment tous vos partenaires de gauche, notamment Les Verts, ne partagent pas cette approche…

Jean-Pierre Chevènement : Je le constate, mais dire le contraire c’est se rallier au libéralisme, au libre-échange, c’est promettre l’eldorado à des gens à qui on ne pourra proposer en réalité ni emploi, ni logement décent et dont l’avenir sera la clochardisation. Ce n’est pas la politique du gouvernement qui a choisi, à l’inverse, de faire fond sur l’idée républicaine et non sur le « laisser faire-laisser aller ». En revanche, tous les engagements pris concernant le droit des familles à vivre ensemble, l’accueil des étudiants et des chercheurs, la fin des tracasseries administratives inutiles, le retour à une certaine automaticité de l’acquisition de la nationalité française par stricte application du droit du sol, l’asile constitutionnel et territorial, tout cela sera mis en œuvre. Même si je regrette de n’avoir pu obtenir le remplacement du certificat d’hébergement par quelque chose de plus simple…

L’Est Républicain : Le choix de Lionel Jospin de ne pas modifier le mode de scrutin régional vous convient-il ? Et que préférez-vous : des listes uniques de gauche ou chacun pour soi ?

Jean-Pierre Chevènement : Le Premier ministre a souligné avec raison, que faute de consensus, il n’était pas bon de changer la règle du jeu à la veille de l’élection. À partir de là, je pense que la majorité plurielle gagnerait à constituer des listes communes dans les régions, dès lors qu’un accord acceptable serait conclu au plan national entre les formations qui la constituent. En tout cas, le Mouvement des Citoyens est bien décidé à rechercher partout des accords dans ce cadre.