Texte intégral
Le Président de la République vient d’ouvrir la campagne pour les élections européennes. Il aurait pu choisir la voie du référendum pour associer les Français à la construction de l’Europe, qui ne les concerne pas assez, comme il l'a justement souligné. C’est cette voie que notre Constitution commande à qui entend être fidèle à l’esprit de la Ve République. C’est celle qu’attendaient effectivement les Français pour s’associer à l’entreprise européenne. S’associer, c’est-à-dire avoir le pouvoir de dire « oui », mais aussi le droit de dire « non ».
Faut-il qu’on les craigne, ces Français, pour que ce droit leur soit refusé par deux fois, et par les deux têtes de l’exécutif, fonctionnant dans la plus parfaite harmonie. Car, si la révision constitutionnelle devait conduire au référendum que seul Jacques Chirac avait le pouvoir d’éviter, selon l’article 89 de la Constitution, la ratification du traité d’Amsterdam ouvrait la possibilité à Lionel Jospin de proposer au Président de consulter les Français en vertu de l’article 11. Ce fut d’ailleurs la procédure choisie par François Mitterrand en 1992 pour le traité de Maastricht.
On se demande au passage où ont disparu ceux qui, à gauche, avaient la même démarche que la mienne et qui réclamaient naguère le référendum ? Aux abris, camarades ! Aux abonnés absents, citoyens ! S’il n’en reste qu’un…
La position choisie par Jacques Chirac nous concerne cependant davantage. Je rappellerais d’abord au Président que ses messages au Parlement se suivent mais ne se ressemblent pas. Le premier message qu’il lui adressa, peu après son élection, fut pour proposer l’extension du champ du référendum ! Comme le dit une célèbre publicité, ce sont ceux qui ne parlent le plus…
Passons. Donnons acte à Jacques Chirac d’avoir situé l’enjeu des prochaines élections européennes là où il devait se situer et non dans la partie de saute-mouton à laquelle entendent se livrer MM. Séguin et Hollande. Ceux qui siégeront à Strasbourg représenteront le peuple français, auront à défendre les intérêts de la France, et non les partis socialistes ou les partis libéraux. L’Europe des partis, non merci ! On a ce qu’il faut à la maison, si j’ose dire.
Les élections du 13 juin vont ainsi être la seule occasion offerte aux Français de donner leur avis sur l’Europe. Le président vient donc de nous donner sa propre vision des choses et s’affirme sans complexe comme un européen beaucoup plus fervent que ce à quoi il nous avait habitués jusqu’ici. Son message a le mérite de la clarté et je n’y vois rien qu’un européiste de vieille souche n’aurait pu prononcer. L’Europe fédérale est au bout du chemin, la nation est priée de s’y couler, puisque seule l’Europe lui permet, je cite, de « respirer », CQFD.
Si les nations sont priées de se dissoudre, les peuples, eux, ont le droit de conserver « leur identité, leur langue, leur culture ». Cela tombe à pic. Nous venons de ratifier la Convention européenne pour la défense des langues et cultures régionales. Nous ne nous doutions pas qu’elle allait s’appliquer aussitôt à la France !
Je crains que les Français ne se rendent absolument pas compte de l’état d’avancement de l’engrenage fédéraliste. A chaque traité, on leur dit, et Jacques Chirac n’a pas failli à la règle hier que le traité suivant serait celui qui « démocratiserait » les institutions européennes. On nous l’a expliqué, MM. Mitterrand et Kohl en tête, au moment de Maastricht. Ce devait être Amsterdam. Dans son message, Jacques Chirac expédie le traité d’Amsterdam, qu’il a quand même négocié, d’une pichenette – « il ouvre des voies nouvelles » – et renvoie à une nouvelle négociation la démocratisation promise.
Le problème, c’est que traité d’Amsterdam il y a et qu’il ferme toute autre voie que celle du fédéralisme le plus authentique, qu’il verrouille le dispositif au seul bénéfice des institutions fédérales que sont la Commission de Bruxelles et la Cour de justice de Luxembourg, et au détriment de l’institution qui représente les nations, le conseil des ministres.
Qu’on le lise ce traité, enfin ! Il confère à la Commission de Bruxelles le monopole, oui le monopole, de l’initiative, jusqu’ici partagée avec le Conseil. C’est exactement comme si l’on supprimait aux parlementaires le droit de proposer les lois, pour donner le monopole aux projets du gouvernement ! Car le gouvernement de l‘Union européenne, c’est la Commission, pas le Conseil : quand va-t-on oser l’avouer aux Français ? Dans le cadre des traités de Rome, de Maastricht et maintenant d’Amsterdam, le conseil des ministres, comme le Conseil européen, est l’organe législatif ; l’exécutif, c’est la Commission. Et la réforme des institutions européennes qu’on nous annonce comme le contrepoids politique des organes technocratiques, c’est en réalité, Jacques Chirac nous le dit franchement, de modifier les règles de la majorité au Conseil de façon que les « petits » pays ne puisse pas mettre les « grands » en minorité.
A part cela promis juré, il ne s’agit pas de « je ne sais quelle Europe fédérale »… Qu’est-ce que le fédéralisme alors ?
Sans prononcer le mot, le Président de la République a franchi dans ce message solennel un pas décisif dans cette direction. En paroles, c’est son droit et c’est même le propre de sa fonction d’indiquer la direction qu’il souhaite pour le pays. Mais il n’a reçu aucun mandat du peuple qui l’autorise, dans les faits, à aller aussi loin. Sa campagne présidentielle s’était placée, chacun s’en souvient, sous un tout autre registre et c’est parce qu’il lui a tourné le dos que les électeurs ne lui ont pas accordé la confiance qu’il réclamait lors de la dissolution de l’Assemblée nationale.
C’est qu’on peut faire l’impasse sur le peuple, compter sur son oubli et se contenter de l’approbation des partis. Mais cela n’a qu’un temps. Quant à moi, je ferai campagne d’abord et avant tout pour rendre aux Français la parole et le pouvoir qu’on leur a confisqués.