Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Armées d'aujourd'hui" de juillet - août 1997, sur la professionnalisation des armées, la programmation militaire et les restructurations de l'industrie de défense.

Prononcé le 1er juillet 1997

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Texte intégral

Armées d’aujourd’hui : A la tête du ministère de la Défense, quels sont les axes prioritaires de votre action ?

M. Alain Richard : La politique de défense est élaborée par le président de la République, chef des armées, en concertation avec le Premier ministre. Mon action s’inscrit donc dans ce cadre. Ma priorité va à nos forces. J’entends poursuivre avec énergie le processus de professionnalisation, et trouver, rapidement et dans la concertation, une issue pertinente au débat sur le rendez-vous citoyen. En tout état de cause, il me paraît urgent de consolider les relations entre le monde de la défense et la nation, tout particulièrement les jeunes.

Dans le domaine international, nous devons travailler à la mise sur pied d’une identité européenne de défense, ce qui implique de mettre au point nos rapports avec nos alliés de l’Alliance atlantique. Parallèlement, les récents évènements survenus en Afrique nous conduisent à repenser notre politique militaire dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur la politique de sécurité du continent africain.

Les industries de défense, comme l’a indiqué au Bourget le Premier ministre, doivent être restructurées afin de répondre à ce nouveau défi : construire une industrie européenne de défense capable de faire face à son concurrent américain. Nous ne devons pas échouer dans ce domaine, c’est pourquoi il vaut mieux prendre le temps de la réflexion et de la concertation, que d’assembler dans la hâte d’incertaines combinaisons.

Je crois utile d’ajouter que l’affirmation du dialogue et de la concertation, le sens de l’intérêt de l’Etat et de la bonne gestion des deniers publics, la priorité donnée au résultats tangibles, la recherche permanente de l’efficacité opérationnelle optimale de nos armées, doivent présider à la méthode nouvelle avec laquelle le ministère poursuivra son action. J’y veillerai personnellement.

Armées d’aujourd’hui : Le processus de professionnalisation, le nouveau service national avec le rendez-vous citoyen en particulier vont-ils être maintenus tels que prévus actuellement ?

Le cadre de notre action en a été fixé par le Premier ministre qui a affirmé, dans sa déclaration de politique générale, que la professionnalisation serait poursuivie. Réussir cette professionnalisation est un vrai défi. Je serai très attentif à ce que cette future armée professionnelle soit dotée des matériels modernes nécessaires à ses missions. Nos militaires doivent également recevoir une formation de qualité afin d’être d’abord opérationnels. Cette formation doit ensuite les aider dans la reconversion des cadres et des engagés. Je porterai une attention particulière à la reconversion des personnels qui effectueront des carrières courtes.

Quant au rendez-vous citoyen, un débat a été suscité par le gouvernement précédent, qui a proposé certaines solutions. Ce ne sont pas les seules. Il s’agit aujourd’hui d’identifier, avec la nouvelle majorité et par une consultation aussi large que possible de l’ensemble des formations politiques, laquelle des solutions est la plus conforme à l’impératif de la professionnalisation, à la disponibilité des armées, aux besoins d’encourager le volontariat et aux contraintes budgétaires.

Armées d’aujourd’hui : La loi de programmation militaire a été votée de façon à accompagner jusqu’en 2002 la réforme des armées. Cette loi devra-t-elle être réorientée, réexaminée ?

Nous n’allons pas présenter une nouvelle loi de programmation, la troisième en trois ans, à moins de vouloir vider de toute signification cet exercice.

La loi de programmation militaire sera donc préservée, et les mesures d’accompagnement de la professionnalisation, notamment l’emploi du pécule, feront l’objet d’une attention toute particulière de ma part. La loi est en vigueur, et elle est cohérente avec les principaux objectifs de défense, aussi avons-nous à placer les exercices budgétaires successifs, y compris pour l’année 1997 elle-même, dans la cohérence de cette loi. Mais si dans le futur, en fonction d’objectifs stratégiques, de l’évolution des missions ou pour des raisons de contraintes économiques déterminantes, on devait s’écarter de cette loi de programmation, je demanderais au gouvernement qu’on la révisât, plutôt que de tolérer des dérives successives subreptices.

Armées d’aujourd’hui : Quelle est votre position en matière de restructuration dans le domaine de la défense, aussi bien en ce qui concerne la DGA que les autres pôles industriels de l’armement ?

L’ensemble de l’outil de défense doit prendre en compte les bouleversements stratégiques, qui ont entraîné une contraction des marchés, ainsi que les impératifs de maîtrise des dépenses publiques.

La France dispose des atouts nécessaires pour être pleinement présente dans une industrie européenne de la défense plus intégrée. Pourtant, force est de constater que la France a pris dans le domaine des restructurations industrielles beaucoup de retard par rapport à ses partenaires européens.

S’agissant de secteurs industriels stratégiques et de dossiers souvent complexes, le gouvernement a décidé d’examiner en détail, et sans a priori, toutes les options possibles.

D’ores et déjà, il m’apparaît, dans le secteur électronique, que Thomson CSF doit constituer un pôle incontournable des restructurations de ce secteur, compte tenu des atouts humains, industriels et technologiques considérables dont dispose cette entreprise.

Dans le domaine aéronautique, le rapprochement des compétences civiles et militaires est essentiel et doit notamment permettre de préserver les capacités d’étude et les compétences technologiques remarquables, acquises par la France dans ce domaine au fil des années. A terme, la constitution d’un groupe aéronautique européen est sans doute le moyen de répondre à la concurrence américaine.

Plus généralement, la nécessaire poursuite des restructurations engagées dans le secteur des industries de la défense ne doit pas faire passer au second plan la valorisation des savoir-faire et des compétences de ceux qui travaillent au sein de ces entreprises. Je serai particulièrement vigilant quant aux conséquences sociales éventuelles que pourraient avoir certaines de ces opérations de restructuration.

Dans ce contexte, il convient de poursuivre la rénovation des modalités de préparation et de conduite des programmes d’armement et la réforme de la Délégation générale pour l’armement, afin d’accentuer l’effort de réduction des coûts et des délais que le ministère de la Défense a engagé depuis plusieurs années.

Cette exigence de réduction des coûts devrait conduire à inscrire les programmes considérés comme prioritaires dans une perspective pluriannuelle et à rechercher des coopérations européennes les plus larges possibles.

Armées d’aujourd’hui : Comment envisagez-vous le rôle de la France en Europe et dans le monde ?

L’action du ministère de la Défense doit être plus que jamais placée dans une perspective de coopération internationale et d’abord européenne. La France a des objectifs de partenariat, des engagements d’alliances, et doit intensifier ses liens avec tous ses partenaires, dans le cadre de l’Union européenne et de l’Union de l’Europe occidentale, mais aussi dans l’Alliance atlantique et dans la zone francophone, en premier lieu l’Afrique. Elle doit le faire alors que les conditions géopolitiques ont considérablement évolué et qu’aujourd’hui le risque le plus grand est celui de l’uniformité. Le rôle du ministère est donc de favoriser la création d’un monde authentiquement multipolaire dans lequel les impératifs de défense et de sécurité doivent pouvoir se conjuguer avec ceux de la coopération et de la solidarité.

Un des axes de notre engagement européen est que toute politique des structures industrielles doit partir d’une analyse commune des besoins, projetés au-delà de la décennie, des armées européennes. De plus, l’harmonisation des comportements industriels européens est un enjeu décisif.

Armées d’aujourd’hui : Comment envisagez-vous l’avenir des réserves ?

Les réserves feront l’objet d’un projet de loi pour s’articuler à la nouvelle législation sur l’armée professionnalisée, qui devrait être présenté au Parlement vers la fin de cette année pour être discuté et adopté au premier trimestre 1998. La disparition de la ressource des appelés oblige à repenser totalement, autour du volontariat, les filières de recrutement de la réserve. Celle-ci aura, de plus, un rôle important à jouer pour le maintien du lien civique entre l’armée et la nation, après la disparition du service militaire. L’organisation de nouvelles réserves donne lieu à des travaux associant les responsables de ce ministère aux autres administrations concernées, en concertation avec les associations de réservistes. Le dialogue guide notre action, et, sur ce dossier comme sur les autres, je tiens à rechercher l’échange le plus large avec les deux assemblées parlementaires pour obtenir le plus grand assentiment sur les sujets qui touchent au fondement de la cohésion nationale.