Articles de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 12, 19 et 26 février 1999, sur la situation sociale, notamment le congrès de la CGT et la réduction du temps de travail et les négociations de Rambouillet entre la Serbie et le Kosovo.

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Média : Lutte Ouvrière

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LUTTE OUVRIERE / 12 février 1999

Tous ensemble oui, mais pour combattre le patronat, pas pour s’entendre avec lui
A en croire la presse, le patron des patrons Seillière s’est félicité après le congrès de la CGT de « l’approche nouvelle » décidée par la centrale, et de son « attitude moins systématiquement contestataire ». Seillière se réjouit peut-être trop tôt, car la  CGT, ce n’est pas seulement la direction confédérale, c’est aussi des milliers de militants liés aux travailleurs de leurs entreprises et subissant la même exploitation. Nombre de ces militants savent, comme d’autres syndicalistes dont les dirigeants pratiquent depuis belle lurette le « syndicalisme de négociation et de proposition », que ce syndicalisme-là ne vaut rien face à la rapacité patronale.
Dans toutes les entreprises, y compris dans les entreprises encore nationalisées, les patrons sont à l’offensive. Ils suppriment des emplois en aggravant le chômage. Ils généralisent la précarité et par là-même, ils baissent les salaires et vident la législation du travail de son peu de contenu. Ils augmentent les cadences, introduisent le travail de nuit et le travail du dimanche ; ils rendent le travail du samedi obligatoire et ils ne veulent même plus le payer en heures supplémentaires. Ils cherchent à imposer la flexibilité, c'est-à-dire le pouvoir de décider des horaires en fonction des seuls besoins patronaux, en détruisant la vie personnelle et familiale des travailleurs.
Ce que les patrons appellent « négociation » consiste seulement à obtenir la signature des syndicats au bas des textes qui officialisent la dégradation de la condition ouvrière. La loi Aubry, dite des 35 heures, leur sert de plus en plus de cadre. On le voit bien chez Peugeot-Citroën : même la deuxième version de l’accord proposé par le patron, après le refus d’un premier accord par tous les syndicats, vise à entériner les suppressions d’emplois, le calcul du temps de travail sur trois ans, et le droit du patron de faire faire 48 heures les semaines où cela l’arrange quitte à imposer des congés obligatoires n’importe quand.
Il est à la mode du côté des centrales syndicales de présenter la recherche d’entente avec les patrons comme un signe de modernité, de « politique constructive ». Eh bien non : cautionner par la signature syndicale l’offensive patronale, ce n’est pas de la modernité. C’est une démission.
Une politique constructive celle qui consiste à renoncer à la lutte ? Sûrement pas ! Les travailleurs n’ont jamais rien obtenu autrement que par la lutte, et c’est dans les luttes et par les luttes qu’ont grandi dans le passé les organisations syndicales qui méritent ce nom.
L’unité des seules directions syndicales pour vendre les intérêts des travailleurs pour un plat de lentilles ne favorise pas mais retarde les luttes indispensables. Oui, c’est uni dans la lutte que les travailleurs imposeront au patronat et au gouvernement la suppression du chômage et le droit des travailleurs à une vie décente. Nous en avons la force. Mais ce ne sera pas en s’abaissant devant le patronat et ses exigences scandaleuses qui aggravent la condition ouvrière pour augmenter les profits. Il faut au contraire imposer que l’on prenne sur les profits patronaux et sur les fortunes des bourgeois de quoi financer la création d’emplois en nombre suffisant, dans les services publics mais aussi dans toutes les grandes entreprises en répartissant le travail entre plus de bras sans baisse de salaire. Il faut que la collectivité contrôle ce que deviennent les sommes colossales accumulées par les entreprises sur le dos de leurs travailleurs. Ces sommes devraient servir l’intérêt de la population, et pas une petite minorité de parasites. Il faut, non pas l’entente avec le grand patronat, mais lui arracher le contrôle exclusif qu’il a sur l’économie.
Il est indispensable de populariser ces objectifs parmi les travailleurs, ceux qui ont un emploi comme ceux qui en sont privés. C’est pour le faire, aussi, pendant la campagne des élections européennes que Lutte Ouvrière présente une liste en commun avec la Ligue Communiste Révolutionnaire. Ce ne sont pas de simples objectifs électoraux : c’est en faisant les objectifs des luttes futures qu’il est possible, tous ensemble, de stopper l’offensive patronale et de renverser l’actuel cours des choses.


LUTTE OUVRIERE / 19 février 1999

Une campagne anti-fonctionnaire et anti-ouvrière
Après les fonctionnaires en général, on a assisté cette semaine à une attaque en règle contre une nouvelle catégorie de travailleurs, les salariés de la SNCF. Les sources sur lesquelles s’appuient la presse et la télévision pour insulter les cheminots et les traiter de « privilégiés » sont encore une fois un « rapport confidentiel » commandé par la direction de l’entreprise publique. Les travailleurs de la SNCF ont ressenti à juste titre cette campagne comme une insulte et une provocation, eux qui payent chaque année leur tribut en vies humaines, en handicapés à vie, à la suite d’accidents du travail, qui sont la conséquence de l’aggravation des conditions de travail découlant des réductions d’effectifs permanentes imposées par les représentants des gouvernements qui dirigent la SNCF.
Ces prétendues « révélations » viennent après la campagne contre les fonctionnaires, commencée elle aussi après « des indiscrétions » sur un autre rapport commandé par le gouvernement, puis relancée au moment de la publication officielle du rapport qui prétend que les fonctionnaires travailleraient en réalité bien moins de 35 heures. Une partie des fonctionnaires, les enseignants, avaient déjà eu droit aux insultes répétées du ministre de l’Éducation, Allègre, et à sa volonté « de dégraisser le mammouth », la « graisse » étant constituée des personnels de l’Éducation nationale.


En fait, cette campagne est orchestrée et conduite par le gouvernement de la gauche plurielle lui-même. Jospin et ses ministres savent très bien ce qu’ils font et ce qu’ils veulent : il n’y a pas, contrairement à ce que certains laissent entendre, des « erreurs de communication », quand les hommes du gouvernement s’en prennent de façon aussi injuste et indigne à des millions de salariés.
Mauroy, l’ancien Premier ministre de Mitterrand, pour évoquer l’action du gouvernement de la gauche unie dans les années 1980 parlait du « sale boulot » que devait faire son gouvernement. Le « sale boulot » de ce gouvernement, comme de ceux qui l’ont précédé, de gauche comme de droite, est d’assurer d’abord les profits du grand patronat. Depuis plus de vingt ans que l’économie capitaliste stagne, végète, voire recule, les gouvernements ont assuré les rentes de la minorité capitaliste en faisant transférer une partie toujours plus grande des recettes de l’État vers les caisses du patronat. Entre les exigences de la minorité de possédants devant les incertitudes du marché capitaliste et les intérêts de la grande majorité de la population, le gouvernement choisit de mettre les finances publiques au service des plus riches. Et pour trouver l’argent nécessaire à ce choix de principe il ne lui reste plus qu’à tailler dans ce qui, dans le budget, sert de près ou de loin à la satisfaction des besoins de la population.
Le but de la campagne actuelle contre les salariés du public est là, même s’il est inavouable face à la grande majorité de la population. Il s’agit de réduire autant que faire se peut les emplois dans les services publics, fonctionnaires ou pas, pour transférer au grand patronat les dizaines de milliards ainsi « économisés », quitte à détruire une part décisive de ces services publics, quitte à laisser les écoles des quartiers populaires ingérables, quitte à transformer en désert hospitalier des régions entières, quitte à laisser les transports publics aller à la dérive. Et l’on pourrait ajouter quitte à ce que l’électorat populaire se mette à vomir les représentants des partis de gauche pour qui ils votaient.
Il n’y a que deux politiques possibles, celle de se soumettre aux appétits sans borne des possédants, ou celle de s’attaquer à la mainmise de ces derniers sur l’économie. Plutôt que de s’attaquer aux vrais privilégiés, ceux de la finance et de l’industrie, le gouvernement accepte de gouverner en fonction des intérêts de l’économie capitaliste et multiplie en conséquence les attaques contre les travailleurs.
Jospin et ses ministres pensent qu’ils peuvent, avec moins de risque de réactions que la droite (voir Juppé en décembre 1995), s’attaquer à l’emploi dans les services publics. Alors ils mènent campagne en ayant comme objectif « d’économiser » la paye de dizaines de milliers d’enseignants, de postiers, d’employés des transports, de travailleurs des hôpitaux.
Cette offensive contre les salariés du secteur public est le pendant de la politique du gouvernement qui aide le grand patronat à réaliser des milliards de profits supplémentaires en licenciant, en aggravant les conditions d’emploi, en baissant et en rendant plus précaire la situation des salariés et de leurs salaires.
Le gouvernement pense pouvoir jouer sur une démagogie primaire, qu’il est allée puiser dans les discours de la droite la plus rétrograde, en espérant que le discours anti-Fonction publique l’aide à masquer chez les autres travailleurs et les chômeurs qu’il s’agit bel et bien d’une offensive contre tout le monde du travail sans distinction. Seulement ce sont les mêmes salariés du privé qui ont quelqu’un de leur famille qui travaille dans le secteur public. Ce sont les mêmes qui envoient leurs enfants dans des classes surchargées, qui voient les gares de banlieues désertées le soir, qui sont confrontés aux difficultés à pouvoir se faire soigner…
Les salariés des services publics ont les mêmes intérêts que ceux de leurs camarades du privé, sans parler des chômeurs qui verront encore plus s’éloigner l’espoir d’avoir un emploi avec les réductions massives d’emplois ainsi programmées. Car l’intérêt général voudrait justement que pour en finir avec la misère et le désespoir ce soit la politique exactement contraire qui soit imposée. Car il faudra bien, et le plus vite possible, que les travailleurs s’en prennent aux fabuleux profits des grands capitalistes, imposent l’arrêt de toutes les aides, dégrèvements et subventions dont ceux-ci profitent afin qu’avec les centaines de milliards de francs ainsi récupérés, on puisse en finir avec le chômage en faisant créer directement par l’État les millions d’emplois utiles, voire vitaux, dans tous les services publics.
 

LUTTE OUVRIERE / 26 février 1999

Les hypocrites qui nous gouvernent
Les grandes puissances qui, avec suivant les moments des menaces plus ou moins appuyées de bombardements, s’emploient à Rambouillet à convaincre le gouvernement serbe de faire des concessions aux Albanais du Kosovo ont décidément une curieuse conception du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elles se sont prononcées pour l’autonomie de cette région, mais contre son indépendance, comme si ce n’était pas au peule kosovar de décider lui-même quel doit être son avenir, quel type de liens il entend garder avec la Serbie.
Et dans le même temps, après l’enlèvement du leader kurde Öcalan, dont toute la presse dit qu’il a perpétré avec le soutien des services secrets américains, ces grandes puissances n’ont pas fait le moindre geste pour protester contre les exactions du gouvernement turc, pour qui le simple fait de se prononcer en faveur de l’indépendance du Kurdistan constitue un crime passible de prison.
C’est que pour les USA, comme pour les impérialistes de deuxième grandeur que sont la Grande-Bretagne, la France ou l’Allemagne, les droits des peuples ne sont que des belles paroles destinées à dissimuler les vraies raisons de leurs prises de position.


Quand en Yougoslavie des tendances séparatistes se sont manifestées entre les différentes républiques, les grandes puissances ont applaudi à l’indépendance de la Slovénie où elles trouvaient chacune leur compte. Elles ont ensuite soutenu qui les Serbes, qui les Croates, en fonction de leurs intérêts économiques respectifs. Et aujourd’hui, elles s’érigent en police de l’Europe centrale (en ripoux serait plus juste), non en fonction des désirs des peuples de la région, mais en fonction de leurs intérêts à elles.
Quant au problème kurde, peu leur importe que des dizaines de millions d’hommes et de femmes se trouvent soumis à la répression d’un régime, le régime turc, qui est loin d’être complètement sorti de la dictature, parce que ce régime est l’un de leurs appuis dans la région.
Mais les dirigeants des grandes puissances ne sont pas seulement hypocrites quand il s’agit de politique internationale. Ils le sont tout autant quand ils  s’adressent à leur propre population, en affirmant agir dans l’intérêt commun, alors qu’ils ne défendent que ceux des industriels et des banquiers : quand ils appellent les travailleurs de leurs propres pays à toujours plus de sacrifices, alors qu’ils font tout pour permettre au grand patronat d’empocher toujours plus de bénéfices sur le dos de la grande majorité de la population.
La loi Aubry sur les 35 heures est un bel exemple de l’hypocrisie de nos gouvernants. Présentée comme une mesure en faveur du monde du travail, destinée à la fois à réduire la peine de ceux qui ont un emploi, et à lutter contre le chômage par la création de nouveaux emplois, elle apparaît de plus en plus ouvertement aux yeux de tous les travailleurs comme un moyen donné au patronat de mettre en œuvre cette « flexibilité » qu’il appelle de ses vœux, c'est-à-dire la possibilité de nous faire travailler quand il veut, comme il veut, aux moindres frais pour lui, et aux dépens de notre vie personnelle. Et tout cela sans résoudre en rien le problème du chômage, car ce que veulent les patrons, c’est supprimer des emplois et non en créer.
Derrière les discours sur les droits des peuples ou sur les droits de l’homme que tiennent les hommes qui nous gouvernent, il n’y a que l’égoïsme sordide des classes possédantes. Décidément le socialisme, pas celui de Jospin ou d’Aubry qui ne cherchent qu’à complaire au grand patronat, mais au sens que ce mot avait à l’origine du mouvement ouvrier quand il signifiait la collectivisation des grands moyens de production et leur mise à la disposition de l’humanité toute entière sous le contrôle des travailleurs, oui le socialisme reste une idée neuve.