Texte intégral
La Croix :
Que vous inspire le regard critique de certains députés socialistes sur les années Mitterrand ?
Jack Lang :
Je ne veux pas mettre en cause ces députés dont je ne connais pas les déclarations, je n’ai pas l’habitude de tronçonner les militants et les élus en générations. Il n’y a pas l’avant et l’après-Mitterrand, l’avant et l’après Jospin. D’ailleurs, la plupart des ministres actuels ont aussi appartenu soit au gouvernement soit à la plus haute hiérarchie dans l’appareil d’État durant les deux septennats de François Mitterrand. Martine Aubry, Elisabeth Guigou, Bernard Kouchner ont été d’excellents ministres naguère, comme ils le sont aujourd’hui. Lionel Jospin lui-même a été un remarquable ministre de l’éducation nationale de François Mitterrand durant trois ans, et le premier secrétaire du PS pendant sept ans.
La Croix :
Vous voulez dire que la « génération Jospin » a été façonnée par François Mitterrand ?
Jack Lang :
Évidemment, et par chacun d’entre nous, dont Lionel Jospin. Je me sens totalement étranger à ces histoires de clans et de sous-clans. Nous sommes tous les fils et les filles spirituels de François Mitterrand, de Jean Jaurès et de Léon Blum, et surtout des centaines de milliers de militants qui, depuis le XIXe siècle, se sont battus au péril de leur vie pour la liberté. Pour moi, le mouvement socialiste, c’est une longue histoire, qui comporte ses hauts et ses bas. Et si on ouvrait les dossiers de chacun, il y aurait beaucoup à dire, y compris de ceux qui se prétendent rénovateurs.
La Croix :
Lionel Jospin incarne-t-il une façon différente de faire de la politique ?
Jack Lang :
Le grand mérite de Lionel Jospin, c’est justement d’avoir transcendé ces querelles subalternes. Jospin n’a jamais employé l’expression « droit d’inventaire » comme on veut le faire croire. Il a simplement voulu tirer les leçons de nos expériences antérieures. D’où sa gestion maîtrisée des affaires de l’État. S’il s’agit d’instituer un tribunal, alors instituons-le pour chacun de ceux qui ont exercé des fonctions ministérielles et politiques de 1981 à 1993. Certains donneurs de leçons d’aujourd’hui ont parfois contribué à plomber notre action par leur immobilisme ou leurs fautes politiques. Moi, je reste fier et heureux d’avoir appartenu à ces gouvernements. L’œuvre accomplie est une œuvre historiquement immense, y compris sous le second septennat. Prenons l’année 1989 : partout, en Europe de l’Est, la France est alors le pays qui porte la parole de la liberté. C’est l’année de la mise en place du RMI, d’une politique éducative nouvelle, de recherche originale… Et l’euro, dont on se glorifie aujourd’hui, qui l’a inventé sinon François Mitterrand en 1992 ? N’oublions pas ces réformes qui ont marqué profondément la société. Certes, il y a eu des faux pas. Mais quel gouvernement n’en commet pas ? Le procès en mitterrandisme à bon dos, il confine parfois au procès en sorcellerie et sert d’habillage à de petits calculs politiciens. Certains persistent à faire ce procès en croyant caresser dans le sens du poil le premier ministre. Mais Lionel Jospin est lasse par ce type de manipulations. Tout cela me paraît puéril ou très intéressé. On aurait envie que ceux qui passent leur temps à ce type de pensées consacrent leur énergie à concevoir des réformes qui fassent changer la société d’aujourd’hui : s’attaquer aux inégalités sociales plus fortes que jamais, endiguer l’échec scolaire, révolutionner la politique de la ville aujourd’hui dans l’impasse, redonner du souffle à la politique de l’audiovisuel…
La Croix :
Les affaires pèsent d’un poids important sur ces années…
Jack Lang :
Mais quelles affaires ? François Mitterrand n’a jamais été mêlé à aucune d’entre elles. Lui reproche-t-on quoi que ce soit de précis ? Non ! On ne peut tout de même pas être tenu pour responsable des actes inadmissibles de ceux qui ont profité de votre amitié et trahissent votre confiance. Quand on prétend rénover la vie politique, on ne porte pas d’accusation sans preuve. On ne dit pas n’importe quoi. Le courage politique, c’est aussi de dire la vérité au lieu de suivre le dernier chien qui passe. Quand on voit avec quelle lâcheté certains rénovateurs socialistes ont abandonné dans la tempête Claude Allègre, je dis que les attaques contre lui sont aussi mensongères que celles portées contre François Mitterrand. Le vrai courage politique, c’est justement de savoir braver l’impopularité. Cessons de vivre le nez dans les sondages, retrouvons la passion des grandes convictions.