Interview de M. Philippe Séguin, Président du RPR, à France 2 le 6 juillet 1997, sur la réconciliation opérée au RPR, notamment sur les valeurs du gaullisme et le soutien à Jacques Chirac, les relations du RPR avec le Front national, et l'audit sur les finances publiques demandé par le gouvernement de Lionel Jospin.

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Circonstance : Assises extraordinaires du RPR, le 6 juillet 1997, élection de M. Philippe Séguin au poste de Président du RPR

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

D. Bilalian : On vous a entendu prêcher la réconciliation au sein du mouvement, précisant bien que vous n'étiez pas un parti politique comme les autres, et que ce mouvement ne devait pas être au service d'une ambition personnelle. Donc, vous n'êtes pas élu pour que le mouvement soit à votre service, au service de P. Séguin ?

P. Séguin : Certes non, le mouvement gaulliste est là pour porter un certain nombre d'idées qui ont été les idées qui ont été défendues victorieusement par J. Chirac en 1995. Notre analyse c'est que 1997 - les élections législatives - n'efface pas 1995. Et notre souhait, notre ambition c'est de défendre le rôle et la place du Président de la République dans les institutions, dans les mois et les années qui viennent.

A. Chabot : 1995 n'est pas effacé, mais au niveau des rancunes à l'intérieur du RPR, comment allez-vous faire pour réconcilier tout le monde ? On a vu l'accueil réservé à E. Balladur, N. Sarkozy, les amis d'A. Juppé.

D. Bilalian : Vous aurez ainsi constaté que lorsque je parlais de réconciliation comme de notre tout premier objectif, ce n'était pas un vain mot. Et que, au moins, ce premier élément du projet que j'ai proposé aux assises, répond à une véritable nécessité. Je crois qu'il faut que nous apprenions à assumer notre diversité. C'est notre essence même. Nous ne sommes pas un parti politique, nous n'avons pas vocation à être un parti politique. Et chaque fois que nous avons dérivé vers le statut de parti politique, nous avons eu quelques problèmes.

D. Bilalian : Cela a déjà été le cas ?

P. Séguin : Oui, bien sûr…

D. Bilalian : Comme avec A. Juppé ou J. Chirac.

P. Séguin : Non, non, ne personnalisons pas. En vérité, nous gaullistes, nous avons vocation à constituer un rassemblement. C'est une méthode différente de la méthode partisane. Cela ne veut pas dire que je ne respecte pas les partis. Mais un parti, à mes yeux, à nos yeux, c'est forcément réducteur. Ça représente un certain nombre de catégories, un certain nombre d'intérêts c'est tout à fait légitime - et ensuite, ces intérêts, ces catégories, alternent au pouvoir. Nous, nous avons une autre approche de la chose politique : nous pensons qu'il faut un grand mouvement politique qui représente l'ensemble des sensibilités, qui essaye d'en faire la synthèse - lui-même ! - et qui, ensuite, soit prêt à gouverner.

D. Bilalian : Est-ce que c'est pour ça, qu'aujourd'hui, vous n'avez pas voulu distribuer des places ?

P. Séguin : De toute façon, moins que jamais, notre mouvement sera un mouvement de notables. Ce qui certain, c'est que dans un premier temps, nous nous donnons pour objectif, en dehors de la réconciliation, de rénover notre mouvement Nous allons convoquer de nouvelles assises qui réformeront nos statuts. Dans l'immédiat, il y aura une structure provisoire. Et il va de soi que j'essayerai de faire en sorte que toutes les sensibilités qui se sont dégagées, qui se sont illustrées au cours des assises notamment, soient représentées.

A. Chabot : Quand vous dites « synthèse », prenons un exemple sur le plan économique. Vous avez un carnet : ce que l'on appelle « le gaullisme social ». On vous reproche souvent, d'ailleurs, d'être trop à gauche. Donc, entre ce que vous incarnez, et le libéralisme façon Balladur-Sarkozy, comment vous allez faire la synthèse ?

P. Séguin : C'est très simple, et c'est un bon exemple de la qualité de la méthode que nous préconisons. Il y a deux façons de se tromper devant les défis auxquels la France est confrontée, et qui ont un mot qui les résume : la mondialisation. La première façon de se tromper c'est de comprendre la mondialisation, mais de se dire que : bon ben, il faut en tirer certaines conséquences, se lancer dans une course au moins-disant social, remettre en cause tous les acquis, jeter le bébé avec l'eau du bain. Certains proposent cette solution. À mon avis, cela ne tient pas la route. D'abord parce que c'est complètement contraire à notre histoire, nos valeurs, etc. Et d'autre part, cela ne sera pas supporté par les Français, on irait vers l'implosion. Il y a une deuxième façon de se tromper. C'est celle du Gouvernement - si j'en crois ce qu'a raconté Monsieur Jospin dans son discours de politique générale. C'est d'avoir un discours extrêmement généreux sur les valeurs, sur la solidarité, et puis, de totalement ignorer le monde dans lequel on est. Moi, j'ai été très frappé lorsque Monsieur Jospin s'est exprimé à la tribune de l'Assemblée nationale - il a parlé une heure. Il n'a pas parlé une seule fois de la mondialisation, de l'environnement dans lequel on était.
Alors, deux façons de se tromper : sympathique pour l'une, inquiétante pour l'autre. Mais deux façons de se tromper. Ce qu'il faut c'est évidemment une synthèse entre la nécessité de la compétitivité, à laquelle on n'échappera pas, et d'autre part, le maintien des objectifs de solidarité et de cohésion sociale.

A. Chabot : Quand on vous a entendu récemment vous rallier au 3 %...

P. Séguin : Mais je ne me suis rallié à rien du tout A. Chabot ! Mais, ça c'est un procès vraiment…

A. Chabot : C’est pas un procès c’est une question.

P. Séguin : C'est un procès dont vous vous faites l'écho A. Chabot, que vous ne reprenez pas à votre compte. Vous êtes trop attentive de la réalité des choses pour risquer de le faire un instant. Donc, en 1992 - et je n'y suis pour rien - la France a voté oui à un référendum ! Sur un traité que l'on appelle le Traité de Maastricht. Vous vous en souvenez probablement ! Écoutez, c'est la démocratie ! Et dans le Traité de Maastricht parce que certains ont l'air de découvrir ça - il y a 3 % qui sont effectivement écrits. Et les Allemands sont effectivement fondés à dire : attention, il y a un petit problème.

D. Bilalian : Revenons à la politique française.

P. Séguin : Mais on y est dans la politique française ! Parce que la politique française et la politique européenne sont de moins en moins difficilement…

D. Bilalian : Un de vos projets c'est de reconquérir les voix du Front national : comment ?

P. Séguin : Attention, attention, mon projet c'est d'avoir le plus de voix possible, d'où qu'elles viennent. Cela étant, nous avons effectivement un problème facile à identifier qui est celui du Front national. Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir ce problème…

D. Bilalian : Les socialistes l'ont moins que vous ?

P. Séguin : Excusez-moi ! Lorsque, dans une démocratie, un parti d'extrême-droite atteint les chiffres qui sont atteints par le Front national. Cela pose un problème à tout le monde, un problème de fonctionnement de notre démocratie. Nous, ce que nous disons, c'est que nous récusons évidemment les idées véhiculées par la direction du Front national. Mais en revanche, nous admettons bien volontiers que, parmi les électeurs du Front national, il en est de très nombreux qui ne sont ni fascistes, ni racistes. Ceux-là ont été souvent des électeurs, voire des militants des formations de la majorité, en particulier de la nôtre. Eh bien, ceux-là nous nous donnerons les moyens de les convaincre que Le Pen leur propose une impasse, mais que nous, nous sommes capables de leur parler et de leur ouvrir les perspectives qui soient susceptibles…

A. Chabot : Alliance ou pas d'alliance alors ?

P. Séguin : Il est évidemment hors de question de faire des alliances, de même qu'il est hors de question de continuer à diaboliser le Front national, comme le font les socialistes très habilement pour nous gêner. Car, en diabolisant le Front national vous le renforcez, parce que vous le désignez comme le meilleur vecteur des inquiétudes et des angoisses qu'un grand nombre de Français éprouvent aujourd'hui.

D. Bilalian : Dans votre discours, vous aviez dit que vous n'étiez pas un partisan du consensus. Vous dites : la politique c'est un combat. Vous avez été violent contre L. Jospin, dont vous avez dit ces derniers jours : il ne faut pas qu'il se prenne pour le Président-bis.

P. Séguin : Tout à fait J'ai été très choqué par ce qu'il a dit à l'Assemblée nationale, sur le Sommet de Denver, et ce qu'il a fait dire sur les problèmes de l'OTAN. Je crois que nous sommes dans un domaine, qui est peut-être un domaine partagé, mais où il convient de discuter, que le Président de la République et le Premier ministre discutent pour arrêter la position de la France, mais discutent de manière confidentielle, discrète ; et ensuite, la voix de la France elle s'exprime. Or là, si Monsieur Jospin continuait, comme il l'a fait à deux reprises, nous aurions deux voix de la France. Cela fait une de trop.

D. Bilalian : Dernière chose, M. Séguin, vous êtes maintenant le chef de l’opposition…

P. Séguin : Je suis le président du RPR.

D. Bilalian : Est-ce que vous êtes, comme les Français, prêt à laisser du temps à L. Jospin pour qu'il puisse organiser son programme économique.

P. Séguin : Écoutez, lorsqu'on revendique dans une élection législative le pouvoir, il me semble que l'on doit être prêt.

A. Chabot : Il y eu une dissolution, quand même qui n'était pas prévue.

P. Séguin : Oui, mais enfin, je n'ai pas cru comprendre que M. Jospin disait : « pouce, j'attends le coup d'après, etc. » Il est le Premier ministre de la France, il faut savoir que c'est très bien de prendre son temps, mais que pendant que M. Jospin prend son temps, il y a des tas de choses qui se passent. Je pense à toutes ces restructurations dans certains secteurs industriels. Nous avons des partenaires avec lesquelles ces restructurations pourraient se faire, et qui sont en train de chercher d'autres solutions. Alors en tout état de cause, qu'on ne vienne pas chercher de mauvais alibis pour justifier tout cela. Et en particulier, cet espèce d'audit ridicule, inutile et paradoxal qu'on nous annonce pour le 21, pour, si j'ai bien compris, mettre en cause le gouvernement d'A. Juppé et justifier ainsi des mesures difficiles qui seraient prises. La vérité, elle tient en quelques chiffres très simples : fin 90, le déficit de la France, est de 1,6 %, d'après les critères de Maastricht. Lorsque les socialistes s'en vont en 1995, d'après le rapport Raynaud - qui a été utilisé de manière très discrète par M. Balladur - il est de 6,4. C'est-à-dire que les déficits de la France ont été multipliés par quatre par les socialistes de 90 à 93. Depuis que les gouvernements de l'ancienne législature ont été en place, on est passé de 6,4 à 4,2 fin 1996, et probablement que nous sommes aux alentours de 3,5/3,6. Alors venir reprocher son laxisme au gouvernement d'A. Juppé ou au gouvernement d'E. Balladur, c'est vraiment un peu fort de café. Et si c'est tout ce qu'on a trouvé pour justifier de laisser du temps au temps - ô temps, suspends ton vol, etc. - ce n'est pas grand-chose.