Interview de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, à RTL le 31 mars 1999, sur la situation au Kosovo, l'intervention militaire de l'OTAN en Serbie, les réfugiés kosovars et la position de la France en faveur de la création de zones humanitaires sous contrôle de l'ONU.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle :
Après l'échec du Premier ministre russe Primakov, beaucoup de députés français, de gauche et de droite, expriment des doutes sur la stratégie suivie. Vous en faites partie ?

N. Sarkozy :
« Non ».

O. Mazerolle :
Vous n'avez pas de doutes ?

N. Sarkozy :
« Bien sûr que des questions se posent, bien sûr que des inquiétudes existent. Mais la question centrale était la suivante : pouvions-nous accepter, sur le territoire européen, qu'un dictateur de la pire espèce, dans la tradition stalinienne, puisse procéder à des purifications ethniques, massacrer les populations civiles, avec l'Europe qui ne dise rien ? Nous avons tous été, là, en train de dire, depuis des années, que l'Europe était synonyme de paix. Pouvions-nous accepter de rester les bras croisés à regarder ces massacres ! Fallait-il ne pas tenir compte des leçons de notre histoire récente, sur notre continent européen, pour continuer à ne rien faire ? »

O. Mazerolle :
Mais les bombardements n'empêchent pas les tueries, ni le nettoyage ethnique…

N. Sarkozy :
« O. Mazerolle, si vous me permettez, dans une situation complexe il faut essayer de raisonner le plus simplement et avec la plus forte cohérence ? Fallait-il agir ? Ma réponse est « oui ». Y avait-il une autre stratégie. Ma réponse est « non ». J'entends les critiques, et je n'ignore rien des suspicions ou des interrogations. Quelle était l'autre alternative ? C'était de ne rien faire. Avions-nous le droit de ne rien faire. Ma réponse est clairement « non » ! La passivité dans le passé a apporté des catastrophes plus grandes. Alors est-ce que, aujourd'hui, en quelques jours, l'intervention qui a été décidée peut tout résoudre ? Personne ne l'a imaginé. Pour autant, je n'entends aucune proposition alternative à celle qui a été décidée ».

O. Mazerolle :
Il y a celle de P. Quilès, qui était ici, hier matin, et qui rejoint d'ailleurs F. Léotard, pour la création de zones humanitaires sous contrôle de l'ONU.

N. Sarkozy :
« Je voudrais donner un autre élément. Est-ce que vous n'êtes pas frappé par la très grande unanimité des alliés, des chefs de gouvernement, des chefs d'État des grandes puissances européennes et des États-Unis ? Tous considèrent qu'il faut continuer dans la stratégie qui a été avancée. Ce n'est quand même pas un hasard si des hommes, des femmes – T. Blair, G. Schröder, le Président de la République, comme le Premier ministre français, le Président des États-Unis – considèrent qu'on ne pouvait pas rester sans rien faire. Donc, une stratégie a été retenue ; il faut la laisser se développer et attendre qu'elle produise des résultats. Car des résultats il faut en obtenir ».

O. Mazerolle :
Vous croyez qu'on aura Milosevic à l'usure ?

N. Sarkozy :
« Je crois d'abord qu'il faut faire confiance à ceux qui ont à conduire cette opération. C'est une opération suffisamment sérieuse qui met en cause la vie de nos soldats, pour que l'ensemble des observateurs, y compris les hommes politiques, s'abstiennent de faire des déclarations définitives. On doit faire confiance à ceux qui conduisent cela. Deuxièmement, il faut certainement obtenir des résultats, car la stratégie qui a été retenue, c'est celle qui consiste à obtenir des résultats. Ça sera certainement plus long que certains ne pouvaient l'imaginer. Je crois troisièmement, qu'il ne faut pas dévoiler nos intentions ; que Milosevic – qui est un dictateur, qui se comporte comme un assassin, ni plus, ni moins – on n'a pas besoin de lui dire : " Voilà ce qu'on va faire". »

O. Mazerolle :
Justement, ne l'a-t-on pas rassuré en lui disant auparavant : de toute façon, jamais on ne déploiera des militaires au sol ?

N. Sarkozy :
« Je crois que les déclarations qui disent : "Jamais", ou soit : "Tout de suite”, étaient des déclarations imprudentes. Il faut faire confiance et ne pas dévoiler nos intentions ».

O. Mazerolle :
Pendant ce temps-là il y a une situation explosive qui est en train de se créer parce que les pays voisins – Albanie, Monténégro, la Macédoine – ne peuvent pas absorber tous ces réfugiés. Ils risquent d'être déstabilisés…

N. Sarkozy :
« La situation explosive ne se développe pas parce que nous avons décidé d'une intervention militaire ».

O. Mazerolle :
Mais cette intervention militaire ne l'empêche pas …

N. Sarkozy :
« Nous verrons bien. Elle est à ses premiers balbutiements. La situation explosive, elle est créée par la présence à 800kms de nos frontières, d'un dictateur de l'espèce stalinienne que l'on pensait disparue à tout jamais. Et il ne faut pas le laisser dire, et permettez-moi de vous le dire, je ne peux pas laisser dire que cette situation explosive est la conséquence de la présence d'un dictateur sanglant sur le territoire européen ».

O. Mazerolle :
Mais, il y a urgence avec ce flot de réfugiés. Quelle solution pourrait-on envisager pour essayer d'empêcher non pas seulement de les accueillir, mais aussi d'essayer de faire en sorte qu'il n'y ait plus de réfugiés ?

N. Sarkozy :
« L'urgence est de garder son sang-froid, de rester cohérents avec la politique qui a été définie, et de mettre en place, jusqu'à ce qu'elle obtienne des résultats, la stratégie militaire qui est aujourd'hui conduite. Il faut faire confiance à ceux qui la conduisent ».

O. Mazerolle :
Le Président de la République et le Premier ministre sont totalement unis dans cette affaire ?

N. Sarkozy :
« Mais je l'espère, je le souhaite, et je le constate tous les jours. Quelle est l'autre stratégie possible ? C'était la passivité, c'était l'acceptation. Et l'on sait que chaque fois que les démocraties se couchent, qu'elles acceptent, qu'elles restent passives, les catastrophes qui arrivent le lendemain sont pires que ce qu'on pouvait imaginer ».

O. Mazerolle :
Vous le disiez il y a un instant : ça peut durer longtemps. C'est ce que dit aussi le Pentagone. Et certains, en France – R. Hue par exemple – s'inquiètent qu'on s'installe, comme ça, dans la durée.

N. Sarkozy :
« Je m'inquiète de voir que R. Hue a des ministres au Gouvernement. Le Parti communiste français, dont la tradition a toujours été bien connue, historique et présente, sent quelque complaisance à l'endroit de Milosevic, qui n'est rien d'autre qu'un dictateur communiste recyclé. Ce n'est pas une nouveauté. Mais je considère que ce n'est pas le PCF qui doit définir la stratégie dans cette affaire. Nous avons lancé un combat, l'ensemble des démocraties sont au coude-à-coude. Est-ce qu'on va donner un spectacle en France, d'une rupture de ce consensus ? Ma réponse est clairement "non" ! » 

O. Mazerolle :
La croissance repose, en France, sur la consommation des Français, des ménages. Cette situation ne risque-t-elle pas, à un moment donné, de rompre cette confiance ?

N. Sarkozy :
« Je vous félicite pour l'art de la transition… »

O. Mazerolle :
Est-ce que ça peut avoir des répercussions sur la croissance économique ?

N. Sarkozy :
« Ça ne peut pas rentrer en cause dans la définition d'une politique et de l'intervention militaire. S'agissant de la situation économique, il y a eu effectivement, un évènement très important : ce sont les déclarations de D. Strauss-Kahn qui valident toutes les analyses de l'opposition. Qu'avions-nous dit lors de l'adoption du budget 99 ? Faites attention, Monsieur le ministre, vous prévoyez des dépenses publiques en explosion, et qui augmentent, de plus, du double de l'inflation. Et encore : vos objectifs d'inflation ne correspondent pas à la réalité. En vérité, il avait fixé un objectif d'inflation qui est bien plus important que la réalité. Aujourd'hui – il vient de le reconnaître lui-même -, les recettes de la croissance ne seront pas au rendez-vous ».

O. Mazerolle :
C'est vrai dans toute l'Europe. La Commission européenne le dit…

N. Sarkozy :
« Parfaitement exact. Simplement, il nous avait dit : "On fera 2,8 de croissance". Aujourd'hui, nous sommes entre 2,2 et 2,5. Quelle est la conséquence ? C'est que l'argent ne rentrera pas dans les caisses puisque la croissance ne sera pas là. Le problème, c'est que, dans le même temps, les dépenses, elles, sont déjà engagées. C'est la question qui se trouve clairement posée, ce matin. Les dépenses ont été engagées par le gouvernement socialiste, et deux fois plus vite que l'inflation. Les recettes ne seront pas là ! »

O. Mazerolle :
Si, il dit qu'elles seront là…

N. Sarkozy :
« Non ! Non. Car quand la croissance n'est pas là, les recettes vont avec. Cela veut donc dire qu'il ne restera, pour D. Strauss-Kahn et le gouvernement Jospin, que deux solutions : soit augmenter les impôts, soit augmenter le déficit. Et l'éternelle histoire des socialistes au gouvernement recommence. Quand vous votez des dépenses, que vous les engagez, et que vous apercevez au milieu d'année que la croissance ne sera pas là –, ça se traduira – je vous le dis, ce matin, à RTL – soit par des augmentations d'impôts, soit par une augmentation de déficit. Et voilà que recommence la stratégie Rocard des années 89-90 ! Et je le regrette profondément ».