Déclaration de M. Philippe Séguin, président du RPR, sur les enjeux des élections européennes de juin 1999, notamment le rôle et les pouvoirs du Parlement européen, la réforme de la PAC, la sécurité en Europe, le contrôle de l'immigration associé à un renforcement des aides au développement et sur la défense de la pluralité linguistique et culturelle, Marseille le 5 mars 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Premier meeting commun RPR UDF de la campagne européenne à Marseille le 5 mars 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, Chers Amis,

Merci de votre présence, à toutes et à tous. Et – au risque de vous étonner – merci, aussi tout simplement d'être ce que vous êtes. Parce que ce qui fait que Marseille est incomparable, c'est d'abord vous, les Marseillaises et les Marseillais.

Oh ! Je sais bien que le site de la ville est exceptionnel. Que le vieux port n'a pas d'équivalent dans le monde. Que le panorama, depuis Notre-Dame-de-la-Garde est unique... Et je pourrais poursuivre une fort légitime litanie.

Mais là n'est pourtant pas l'essentiel.

Marseille est ce qu'elle est parce que vous êtes vous-mêmes chaleureux, enthousiastes, entiers – les esprits chagrins diraient, à tort : excessifs –, parce que vous nous rappelez que la vie vaut toujours d'être vécue, que rien, jamais, n'est impossible, parce que vous nous donnez l'exemple de l'ouverture sur le monde, sans le moindre complexe, parce que nulle part mieux qu'ici, quoi qu'on en ait dit, on a su accueillir et intégrer, parce que vous qu'on prétend individualistes, vous démontrez un sens de la communauté, une capacité de communion qui ne peuvent qu'impressionner.

Et c'est bien pourquoi j'aime Marseille.

C'est bien pourquoi je me réjouis d'y avoir passé des moments importants de ma vie. C'est bien pourquoi je suis toujours heureux de m'y retrouver...

Je crois un peu la connaître. En tout cas, j'ai participé, avec d'autres, que je n'ai pas oubliés, à la rédaction de sa chronique quotidienne, quelques années durant. Ce qui m'a permis de l'observer, de la disséquer et –, cela va sans dire – de la célébrer. J'ai même fouillé son histoire. Sous la direction d'un grand Marseillais dont je fus l'élève, ancien professeur au lycée Thiers puis à la faculté d'Aix, qu'on ne m'en voudra pas de citer et auquel je dois beaucoup : Pierre Guiral.

Et puis, oserais-je le dire ? J'étais parmi les 474 spectateurs du match O.M. –  Forbach. Je sais bien que nous sommes plusieurs dizaines de milliers à le prétendre, mais je vous assure que c'est vrai. Mais qu'on me croie ou qu'on ne me croie pas, voilà qui me vaudra, je n'en doute pas, un brevet de Marseillais bon teint. Ou bien je serai un vrai supporter. Ou bien je serai un menteur dont la sincérité mériterai d'être saluée...

Tout cela vous expliquera que je suis heureux, très heureux que ce soient des amis qui aient la charge d'administrer Marseille. Je ne crois pas exagérer, en effet, en disant que Jean-Claude Gaudin est mon ami. En tout cas, sachez que je suis le sien. Je ne vais pas vous raconter sa vie, ni vous dire ses mérites. Vous les savez aussi bien que moi. Et il les démontre jour après jour, en particulier depuis 1995. Moi, outre sa faconde, j'apprécie par-dessus tout sa franchise et sa loyauté. Ça n'est pas qu'il soit toujours facile. Dans la négociation, j'ai toujours préféré l'avoir avec moi qu'en face... C'est un beau compliment, on en conviendra...

Et ce n'est pas mon ami Renaud Muselier qui me contredira. Renaud, vous le savez, est l'un des grands espoirs de notre Rassemblement. Et ce qui est fait à Marseille m'a paru assez remarquable pour que je lui confie dans notre Mouvement la responsabilité de la politique de la Ville.

Alors, je sais bien – hélas – que certains ne sont pas de cet avis...

Je ne pense pas à cette liste dont j'ai pu comprendre, à voir ses affiches, qu'elle s'intitulait liste Gauche-Droite, Gauche-Droite, Gauche-Droite, sans que j'aie bien saisi si c'était parce qu'elle voulait nous faire marcher au pas cadencé, ou si c'était parce qu'elle voulait faire cause commune avec M. Jospin.

Non, je pense à ceux qui nous ont expliqué, pour justifier leur démarche, qu'il fallait que l'opposition suive l'exemple de la Gauche. Parce que, nous ont-ils dit, c'était la pluralité qui expliquait ses succès...

À dire vrai, je n'ai pas très bien compris de quel succès il s'agissait ! Si c'est du succès aux élections législatives de 97, je ne vois pas vraiment le rapport. Chacun sait bien que ça n'est pas parce qu'elle était plurielle que la gauche a gagné. Non, c'est tout simplement, tout bêtement, parce que nous nous sommes battus nous-mêmes.

J'ai peine à croire qu'on veuille parler de je ne sais quels succès de la politique du gouvernement.

Où sont-ils ces succès, en effet ? Qu'on nous le dise !

Moi, j'avais plutôt l'impression que si le gouvernement ne règle aucun problème, si le gouvernement n'entreprend aucune vraie réforme, si le gouvernement est si souvent conduit à exprimer des positions si évidemment contradictoires, bref, si le gouvernement s'en tient aux deux très mauvaises idées de sa campagne – je veux dire les vrais-faux emplois publics et les 35 heures – c'était précisément en raison des divisions et des incohérences de sa majorité. Parce qu'il me semblait acquis – et je n'en démords pas – que la majorité plurielle, c'est la cacophonie, donc l'impuissance.

Alors, de grâce, qu'on ne nous demande pas d'aller prendre modèle sur la gauche. C'est absurde.

Bien sûr que nous avons, dans l'opposition, nos différences, nos « spécificités » comme on dit savamment. Tant Alain Madelin que moi-même nous le savons. Et nous y tenons. Cela fait 41 ans que Libéraux et Gaullistes vont la main dans la main... Cela a-t-il empêché que nous restions différents, que nous restions « spécifiques » ? Seulement lui comme moi savons que nous ne pourrons pas gagner seuls, que nous ne pourrons pas gouverner seuls. Et que dès lors qu'il faudra gagner ensemble, dès lors qu'il faudra gouverner ensemble, eh bien, il est nécessaire que nous travaillions d'ores et déjà ensemble et que nous préparions sans tarder ensemble, un programme commun de gouvernement. Pour éviter demain tout risque de cacophonie. Pour éviter de reproduire les erreurs de la gauche. Et parce que c'est bien là le moins que nous devions à nos électeurs. C'est tout le sens de l'Alliance que nous avons voulu constituer. C'est tout le sens de l'union de l'opposition à laquelle nous restons, plus que jamais, attachés... Et toutes les raisons qui peuvent être avancées pour s'exonérer de l'obligation d'union de l'opposition ne peuvent nous convaincre.

Merci, en tout cas, de nous en apporter la démonstration ici, à Marseille, et dans toutes les Bouches-du-Rhône... C'est pour moi l'occasion de remercier l'ensemble des élus présents ici, aujourd'hui, qui sont l'illustration vivante de cette union. Les maires, adjoints, conseillers municipaux, les conseillers régionaux, les conseillers généraux et les parlementaires, bien sûr : mes amis Jean-Bernard Raimond, Jean-François Mattei, Léon Vachet, Jean Roatta, Roland Blum, Guy Teissier, François Giraud... Chacun de ceux que je viens de citer mériterait un développement disant ses mérites. Je voudrais les embrasser dans un hommage collectif. Et vous dire que vous avez bien de la chance de pouvoir disposer, dans ce département, d'une représentation d'une telle qualité. Et je vous le dis en toute sincérité, du fond du coeur. Et quitte à être sincère, je vais aller jusqu'au bout : ce que vous avez fait sur le plan qualitatif, c'est très bien. Mais pardonnez-moi : il me faut vous demander encore un petit effort, sur le plan quantitatif. En d'autres termes : ceux que vous nous avez envoyés sont très bien ; mais il n'y en a pas assez !

Vous allez me trouver très exigeant. C'est probablement mal venu. D'autant plus mal venu que vous êtes là, si nombreux, si attentifs. Et que vous y avez, pourquoi ne pas le dire, quelque mérite.

Parce que c'est vrai que les questions européennes peuvent, de prime abord, paraître éloignées de vos préoccupations quotidiennes. Les questions que vous vous posez le plus souvent, je crois les connaître. C'est votre emploi, celui de vos enfants... C'est votre sécurité quotidienne... Ce sont vos impôts... C'est votre liberté, ce sont vos traditions...

Certains vous disent qu'ils ne traiteront pas de ces sujets, parce que, expliquent-ils, ces élections européennes qui s'annoncent ne sont pas une affaire de politique intérieure. Eh bien, ils ont tort !

Je ne m'engagerais pas moi-même, je ne viendrais pas vous déranger si je n'avais le sentiment, chevillé au corps, que c'est par l'Europe aussi que passent votre emploi, votre sécurité, vos impôts, le respect de votre liberté et de vos traditions.

Et tout l'enjeu de ces élections européennes va être de réussir à le démontrer...

Vous l'aurez compris, ces élections européennes, elles doivent devenir une occasion de débat. L'occasion d'un grand, d'un beau, d'un véritable débat démocratique.

Or, force est bien de constater que, depuis vingt ans, le scrutin européen a été plutôt le prétexte fréquent à une sorte d'intermède récréatif.

Il a été trop souvent vécu comme un exercice obligé, comme le sont, en patinage artistique, les figures imposées : une sorte de mauvais moment à passer, les meilleures n'ayant pas forcément l'occasion de briller. Selon son niveau en compétition, on le considère donc comme une aubaine ou un casse-tête.

Il est vrai que le scrutin proportionnel autorise lui-même bien des fantaisies ; que l'abstention massive, minimise en tout état de cause la portée des résultats ; et que la diversité de l'offre, (c'est une jolie litote pour parler de l'émiettement des listes) tétanise ceux qu'on appelle les partis de gouvernement.

Bref : l'édition 1999 risquerait fort de ressembler aux précédentes si nous persistions à fuir la responsabilité de transformer ce qui s'apparente à une kermesse électorale en un véritable et nécessaire rendez-vous civique.

Eh bien, cette responsabilité, Alain Madelin et moi avons choisi ensemble de l'assumer. Parce que nous avons la conviction que l'Europe arrive à la fin d'un cycle et doit aborder une nouvelle phase de son histoire...

Longtemps, la querelle européenne s'est focalisée sur un antagonisme, simple, binaire, entre ceux qui rêvaient d'États-Unis, d'Europe, réplique du fédéralisme américain, et ceux qui ne pouvaient admettre que certaines compétences nationales puissent être utilement exercées en commun... Ce débat n'était pas médiocre. Il fut même à bien des égards féconds. L'Europe s'est construite, par strates successives, sur la trame de cet affrontement, de cette dialectique entre les idées des uns et des autres...

Mais cette confrontation, elle parvient désormais à son terme.

Et le problème n'est plus de savoir si l'on est pour ou contre la construction européenne mais de savoir ce que nous voulons en faire. De savoir, certes, avec quelles institutions nous voulons la gérer, de savoir, bien sûr, à quelle échelle nous voulons l'agrandir, mais aussi et surtout au service de quel projet politique nous voulons la mettre.

L'Europe, il ne s'agit plus de l'imaginer ou de la rêver, il ne s'agit plus de fantasmer à son sujet, il s'agit de la faire fonctionner.

Au demeurant, procéder autrement, ce serait se méprendre sur le rôle et les pouvoirs réels du Parlement européen.

Le Parlement Européen dispose de pouvoirs importants ; il contrôle et approuve le budget de l'Union européenne ; il participe à l'élaboration des directives et des règlements communautaires. Mais en aucun cas il ne lui revient de déterminer si l'avenir de l'Europe sera fédéral ou confédéral, si cet avenir consacrera la prééminence des régions ou la primauté des nations. Ces questions fondamentales, comme l'a si bien rappelé le Président Giscard d'Estaing, relèvent de la compétence exclusive des gouvernements, qui négocieront entre eux les futurs traités institutionnels. Ne nous plaçons donc pas hors du sujet en nous polarisant sur le problème des institutions. Surtout que les prochaines années seront celles d'une pause. Parce que ces vieux débats ont été tranchés... Ne soyons donc pas hors du sujet en négligeant les préoccupations concrètes de nos compatriotes vis-à-vis de l'Europe. Restons plutôt dans le sujet en prêtant attention au calendrier politique à venir.

Quelles sont en effet les questions qui se posent actuellement à l'Union et qu'elle va devoir traiter prioritairement ?

C'est la réforme de la politique agricole commune ; c'est l'évolution du budget communautaire avec l'éventualité d'une augmentation des prélèvements, que nous réprouvons pour notre part, avec véhémence... C'est l'accélération ou le ralentissement de l'intervention de l'Union dans la vie quotidienne des peuples, par le biais d'une réglementation communautaire dont nous jugeons, quant à nous, qu'elle se fait envahissante. C'est la gestion de la monnaie unique en direction ou non de la croissance et de l'emploi ; ce sont les conditions et les voies de l'harmonisation fiscale et sociale, si nous ne voulons pas en arriver à dissuader les Français de travailler en France, du jeune cadre au footballeur en passant par le chef d'entreprise délocalisée. C'est la lutte concertée contre l'immigration illégale ; c'est le combat contre le crime organisé, la grande délinquance, les mafias ; c'est le règlement des situations de crise de type de celle du Kosovo. Voilà les vrais sujets sur lesquels l'Europe est attendue. Voilà les vrais sujets sur lesquels les Français réclament une explication.

Voilà des vrais sujets sur lesquels nos compatriotes attendent une vraie confrontation démocratique, entre les propositions de la gauche et les options présentées par l'opposition.

Eh bien, ces sujets, nous allons les prendre à bras le corps en exposant, tout au long de cette campagne, la politique européenne que nous voulons ! Et pour l'heure, ce sont surtout les rapports entre cette politique européenne et le monde méditerranéen – dont Marseille est le coeur – que je voudrais évoquer sur les thèmes successifs de la sécurité, de l'économie et de la culture.

J'ai dit la sécurité, d'abord. Prenons bien garde en effet d'oublier que si on a voulu faire l'Europe, c'était d'abord pour y instaurer et y garantir une paix durable. Ne perdons pas la mémoire. Il y a à peine un demi-siècle, l'Europe de l'Ouest était déchirée. Il y a une dizaine d'année à peine, l'Est et l'Ouest du continent étaient en conflit larvé. La paix est comme la liberté. Elle se construit chaque jour. C'est pourquoi nous souhaitons donc une politique commune de diplomatie et de défense, dont la dimension méditerranéenne doit être à l'évidence un des piliers essentiels. La stabilité de l'Europe est en effet indissociable de la paix en Méditerranée. Or, on n'y compte plus les sujets d'alarme, qu'il s'agisse de l'Algérie, du Proche-Orient, en dépit des accords d'Oslo et de Wye Plantation, du difficile accouchement d'une solution politique à la crise Kosovare, de la résurgence de la question kurde – j'en passe.

Sans doute certains diront-ils qu'il n'y a rien de nouveau dans cette énumération. Que les rives de la Méditerranée n'ont jamais connu la paix depuis la guerre d'Espagne. Mais cette constatation même n'est-elle pas une invitation pressante faite par l'Europe de prendre enfin la mesure de sa mission ? Beaucoup de beaux esprits acceptent encore de considérer la Méditerranée comme une zone d'influence américaine ou comme une aire négligeable au regard des grands intérêts économiques. Ils s'accommodent de voir l'Union Européenne y exercer un simple rôle de bailleur de fonds alors que les problèmes politiques sont traités par d'autres... c'est là un contresens fondamental que la France ne doit pas cesser de combattre en plaidant sans relâche pour la cause d'un véritable partenariat euro-méditerranéen. Nous nous réjouissons, dans cette perspective, des multiples initiatives prises par Jacques Chirac pour faire avancer la cause du dialogue et de la paix, en Bosnie, au Kosovo, en Irak ou au Proche-Orient.

Nous soutenons également sans réserve le processus enclenché à Barcelone afin d'engager tous les pays riverains de la Méditerranée sur la voie d'un authentique coopération politique, économique, culturelle fondée sur l'équilibre, la réciprocité et le respect mutuel.

On peut craindre cependant que l'intendance ne suive pas... Le fait est que le budget des affaires étrangères et celui de la coopération ont amorcé, une nouvelle fois, un mouvement de repli au moment même où s'imposerait une impulsion supplémentaire. Car comment sérieusement plaider auprès de nos parlementaires le maintien de taux substantiels d'aides publiques aux pays du Sud alors que les crédits de l'espèce enregistrent chez nous une baisse de l'ordre de 7 % ?

Pourtant, nous savons bien que les déséquilibres méditerranéens nous concernent au premier chef, ne serait-ce qu'en raison de l'importance sur notre sol des communautés immigrées. Et les perspectives démographiques ne sont pas faites pour nous rassurer...

En 1960, les deux tiers de la population méditerranéenne vivaient sur les rives du Nord. Mais dès 2005, c'est l'inverse qui sera vrai. Cette situation nouvelle va rendre plus que jamais nécessaire l'adoption d'une stratégie négociée entre les partenaires européens.

Ce que nous attendons de l'Europe, c'est justement qu'elle aide la France à se dégager de la pression d'une immigration incontrôlée dont on ne pourra conjurer les effets que par un renforcement coordonné des moyens d'éviter les entrées irrégulières et par le développement conjoint des aides au Tiers Monde.

Et dans cette perspective, il nous faut dire et répéter que la politique du gouvernement comporte de très graves dangers pour l'avenir. Avec la régularisation massive des sans-papiers, avec le démantèlement de l'appareil législatif et réglementaire que nous avions mis en place, s'est créé un redoutable appel d'air ; et, de fait, la croissance exponentielle des demandes d'asile à la frontière, l'augmentation significative des flux migratoires irréguliers en provenance du Maghreb, le recul du taux d'exécution des reconduites à la frontière, tout cela se conjugue pour amplifier les menaces et accroître les dangers.

C'est un fait que, sur ce sujet comme sur tant d'autres, l'enjeu national et l'enjeu européen sont étroitement imbriqués. On ne peut, en effet, adopter à Paris des solutions de faiblesse et préconiser à Bruxelles des solutions de rigueur. Une certaine concordance dans le discours et dans l'action s'imposent à ceux qui se disent européens.

Nous, nous le disons haut et fort : l'Europe a besoin d'une politique uniforme de contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne comportant, le cas échéant, la possibilité de sanctionner les États laxistes. Elle a besoin d'une harmonisation des lois nationales de lutte contre l'immigration clandestine ; harmonisation allant dans le sens de la rigueur, et qui doit conduire le France à revoir sa copie, tant elle se situe à la traîne au regard de ses voisins. Elle a besoin d'adopter des critères communs pour la définition du droit d'asile.

Elle a besoin de règles claires et univoques en matière de régularisation des clandestins, mettant fin à ce jeu de mistigri où l'on cherche à refiler à l'autre ceux dont on ne veut plus. Elle a besoin enfin et simultanément d'une politique commune de co-développement. Une politique dont notre pays doit prendre la tête.

Entendons-nous : il ne s'agit pas de chausser les bottes – je devrais dire les bottines – du gouvernement qui se fait du co-développement une conception très réductrice et mal venue. La mesure phare de son programme en la matière consiste à proposer aux étrangers en situation irrégulière trois mois de formation rémunérée avant le retour au pays et de leur délivrer automatiquement un visa pour revenir en France six mois après leur départ.

Non, le véritable co-développement, celui que nous proposons, cela consiste à établir un lien entre l'aide au développent que consentira l'Union et le soutien effectif des pays d'origine à la lutte contre l'immigration clandestine. C'est d'ailleurs l'intérêt bien compris de ces pays autant que le nôtre. Car aucun deux n'a intérêt à voir fuir sa main-d'oeuvre et ses élites, alors que l'objectif est de réussir le décollage économique de la zone méditerranéenne.

Nous attendons également de l'Europe un surcroît de croissance et d'emplois. On peut saluer, dans cette perspective, les débuts encourageants de l'Euro dont les pays méditerranéens de l'Union sont heureusement partie prenante, au prix d'efforts d'adaptation remarquables et pas toujours suffisamment soulignés. Le taux de change de l'Euro par rapport au dollar est, pour le moment, de nature à faciliter la compétitivité des entreprises européennes. Il les aidera à affronter la mondialisation au lieu de la subir.

Nous en attendons autant des politiques sectorielles européennes. Et notamment de la politique agricole commune dont la sauvegarde intéresse toutes les nations riveraines de la Méditerranée, parfaitement conscientes de ce qu'elle leur a apporté. Bien sûr, des adaptations sont nécessaires tenant compte de l'ouverture des marchés mondiaux, mais nous ne sommes, pour notre part, fondamentalement opposés à toute « renationalisation de la PAC ». Et nous ferons preuve d'une vigilance de tous les instants quant à la manière dont seront défendus, au cours des négociations, les intérêts des agriculteurs français, méditerranéens et européens. Parce que, autant le dire : notre confiance envers le gouvernement socialiste reste très moyenne, compte tenu du précédent de Blair House.

Nous nous réjouissons d'autant plus que le Président de la République ait été le premier, à Petersberg, à souligner que la négociation agricole n'avait pas respecté aucun des principes que nous jugeons essentiels et qu'il fallait qu'elle reparte sur de nouvelles bases...

Et nous nous réjouissons aussi que le Président de la République ait insisté sur la nécessité d'une réforme de la PAC qui permette aux agriculteurs de continuer à gagner leur vie par leur travail et donc à conserver leur dignité. Parce que, comme Jacques Chirac, nous récusons l'image d'une Europe aboulique, acceptant, par une sorte d'angélisme, de devenir un terrain de jeu à la disposition de puissances extérieures. Comme l'ensemble des pays méditerranéens, nous demandons, au contraire, à l'Europe d'être capable de refuser les excès d'une mondialisation sauvage ; d'être capable d'imaginer des mécanismes de régularisation permettant de conjuguer la liberté économique et la solidarité sociale ; d'être capable d'imposer, au plan international, la définition de nouvelles conditions d'organisation et du commerce mondial et des marchés financiers.

On a trop méconnu jusqu'ici le potentiel de dynamisme des économies du Sud, potentiel qui constitue pour l'Europe une formidable opportunité.

Pendant longtemps, il ne fut question chez nous que de l'essor des nations du Pacifique et de la vitalité des dragons d'extrême orient. On laissait de côté, sur la foi de clichés vaguement méprisants, la montée en puissance des pays de ma Méditerranée. Mais on s'aperçoit aujourd'hui que ces pays sont capables de se tailler des parts de marché substantielles dans l'économie mondiale ; que le rythme de leur croissance n'a rien à envier à ces nations asiatiques pour lesquelles notre regard mêlait l'admiration et l'inquiétude ; que la structure de leur économie est souvent plus solide que d'autres, et beaucoup moins spéculative.

Il appartient à la France et à l'Union européenne de tout mettre en oeuvre pour accompagner et consolider le décollage économique des pays du Sud de l'aire méditerranéenne. Il s'agit pour nous d'encourager des regroupements régionaux – je pense, en particulier, mais pas seulement, à l'union du Maghreb arabe, il s'agit d'assurer des débouchés en Europe à leur production manufacturière, il s'agit de leur apporter des investissements. La conférence de Barcelone a jeté les bases d'un partenariat économique multiforme, qu'il convient de faire vivre avec détermination et ténacité, en prenant bien garde de ne pas bouleverser les équilibres économiques, sociaux et politiques, et de ne pas fragiliser les structures étatiques qui fournissent un rempart aux tentations communautaires, religieuses ou ethniques.

C'est d'autant plus vrai que la Méditerranée, à l'image de Marseille, est en train d'accomplir une véritable révolution tranquille. Que derrière le poncif d'une zone en proie aux intégrismes, à l'instabilité, aux tensions démographiques, se cache une autre réalité : celle d'une région vivante, créative, dynamique, tournée vers l'avenir.

C'est là en effet une autre raison à notre volonté de faire en sorte que l'Europe aide les peuples qui la composent à préserver la diversité de leurs cultures, de leurs langues, de tout ce qui constitue nos identités nationales.

Car le risque est grand de passer sous le rouleau compresseur d'une mondialisation uniformisatrice et appauvrissante

Il existe un risque d'uniformité linguistique, fondé sur le monopole d'un anglais international, au demeurant, réducteur et basique...Un risque d'uniformité des moyens audiovisuels et des autoroutes de l'information... Un risque d'uniformité des modes de vie, vouant le monde à la restauration rapide et à telle ou telle boisson gazeuse...

Par bonheur, l'Europe est là et, plus forte que la France seule, elle est capable, si nous savons l'orienter dans ce sens, d'éviter la dissolution de nos spécificités nationales dans un magma sans nom.

J'ai la conviction en effet que les prochains fronts sur lesquels l'Union devra se battre seront d'ordre culturel. La menace n'est pas seulement l'hégémonie anglo-saxonne. Elle est aussi le fait de ceux qui, au sein de l'Europe, ne songent qu'à développer les particularismes régionaux au détriment d'une concentration des moyens sur les cultures nationales et sur les langues à vocation mondiale que sont le français, l'espagnol, l'italien ou le portugais.

Écoutons Jacques Chirac qui s'est exprimé là-dessus dans le discours si fort qu'il a prononcé récemment à Porto : « La langue, c'est l'incarnation même de nos identités...Notre langue est notre première maison... Il s'agit d'encourager les libertés de penser et de créer, de les faire s'épanouir en accordant aux oeuvres, à leur diffusion et à leur exportation, un soutien raisonnable, national ou européen. Je le redis devant vous : la France ne cédera pas ! Son récent retrait de la négociation de l'accord multilatéral sur l'investissement l'a confirmé ». Culture, économie, démographie, sécurité intérieure et collective, autant de domaines, et il y en a d'autres, où nous attendons de l'Europe qu'elle nous aide à assumer notre vocation méditerranéenne et non à l'oublier. Mais ne nous faisons pas d'illusion : c'est d'abord sur nos épaules et sur celles de nos voisins d'Europe du Sud que repose la capacité de l'Union à marcher sur ses deux jambes. À nous de plaider pour un équilibre entre l'ouverture à l'Est et la coopération au Sud ; en aucun cas nos relations privilégiées avec l'Europe centrale ne doivent nous faire sacrifier les liens étroits qui nous unissent aux pays méditerranéens, liens qui expliquent et justifient le maintien d'une politique nationale active dans tous les domaines où ils sont en cause.

Mais tout cela, vous le savez bien à Marseille, Marseille qui est l'exemple même d'une synthèse méditerranéenne réussie. Au coeur de l'arc méditerranéen qui s'étend de Valence à Athènes, au débouché de l'axe Rhône-Alpin qui ouvre aux États du Nord l'accès à la méditerranée. Marseille a une vocation évidente à être l'un des poumons de l'Europe que nous appelons de nos voeux. Et le magnifique projet euro-méditerranée dont Renaud Muselier a la charge en est la plus remarquable illustration.

Cette vocation se fonde sur sa renaissance économique, sous l'impulsion de son maire, Jean-Claude Godin. En quelques années, en effet, Marseille s'est réveillée et peut afficher aujourd'hui des ambitions à la hauteur de son destin. Cette deuxième chance, dont l'école que nous avons visitée, cet après-midi, porte le nom, la Ville a décidé de la saisir à bras-le-corps.

Mais Marseille, ce n'est pas seulement un pôle économique, c'est aussi un lieu chargé d'histoire. Refuge pour les Républicains espagnols et des antifascistes italiens ; nouvelle patrie pour les Arméniens menacés par les Libanais dispersés ; terre d'accueil pour nos compatriotes rapatriés, votre ville a fait briller à nos yeux toutes les facettes de la civilisation méditerranéenne. Elle nous présente l'esquisse de ce que pourrait être un monde méditerranéen définitivement pacifié et réconcilié, prêt à assumer la plénitude de sa vocation. Ce monde à l'édification duquel nous devons oeuvrer avec autant de patience que d'enthousiasme.

Mesdames et Messieurs, Mes chers amis,

Devant l'ampleur et la diversité des défis que nous avons à relever – et dont le défi méditerranéen constitue l'un des principaux – il est clair que la campagne européenne mérite mieux que des discussions byzantines.

Qui peut sérieusement douter aujourd'hui de la nécessité d'un rassemblement de tous ceux qui conçoivent l'Europe comme une construction politique et démocratique, et refusent que se prolonge le mouvement de dérive vers une Europe technocratique et tracassière, dont les Socialistes, par manque d'imagination ou par idéologie, se satisfont secrètement...

D'un rassemblement de tous ceux qui se reconnaissent dans une Europe de la liberté, de la responsabilité, de la sécurité. D'un rassemblement de toutes les forces qui, en France comme chez nos voisins, récusent la perspective d'une Europe dominée par les socialistes et leurs alliés. Le vrai choix, il est là et nulle part ailleurs.

Et l'élection du mois de juin en représente un volet capital.

À l'heure actuelle, 13 pays sur les 15 membres de l'Union sont dirigés par des gouvernements d'inspiration socialiste. Si le Parlement européen devait reproduire la même configuration, les Gauches, plurielles ou pas, se trouveraient libres de modeler l'Europe à leur guise, avec tout le poids dont elles disposeraient pour infléchir les orientations de la Commission.

C'est la raison pour laquelle nous ne cesserons de plaider pour l'union la plus large de tous ceux qui s'accordent autour d'une autre vision de l'avenir de notre continent. Pour l'union de tous ceux qui veulent préparer l'alternance en faisant prendre conscience que politique européenne et politique nationale sont indivisibles, indissociables, que les orientations de l'une se répercutent sur l'autre.

C'est à cet objectif, qu'Alain Madelin et moi-même entendons nous consacrer, ensemble. Je ne doute pas un instant que c'est ce que vous-mêmes ferez à Marseille.

Car c'est ainsi que vous rendrez service à votre ville, à votre département, à votre pays...

Car c'est ainsi que vous rendrez service à l'union.

C'est ainsi que vous rendrez service à l'opposition.

Et, c'est ainsi, qu'une fois de plus, depuis Marseille, vous nous montrerez les chemins de la reconquête !