Texte intégral
Le Parisien : La gauche est attachée au lien armée-nation. N’est-il pas, du coup, paradoxal qu’un ministre socialiste entérine la fin du service national ?
Alain Richard : Dans la situation stratégique qui est la nôtre aujourd’hui, il serait disproportionné de maintenir artificiellement un système de conscription s’adressant à plus de 300 000 jeunes, alors que nous aurons à terme besoin de personnels moins nombreux, très formés, très disponibles.
Le Parisien : La journée de préparation à la défense sera-t-elle suffisante pour maintenir ce lien armée-nation ?
Alain Richard : La préparation à la défense, ce n’est pas une simple journée. C’est un tout : une formation civique pendant la scolarité, d’abord ; la journée proprement dite, ensuite ; enfin les préparations militaires proposées aux volontaires. Ces dernières permettront de répondre au souhait d’un service court évoqué par bon nombre de parlementaires au moment où le Président de la République a engagé la professionnalisation des armées.
Le Parisien : Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique de la professionnalisation en supprimant carrément le service national, y compris la journée que vous maintenez et qui coûte très cher ?
Alain Richard : L’argument n’est pas valable. Il y a un coût fixe, inévitable, qui tient au recensement et à la gestion du fichier des jeunes de 16 à 25 ans, indispensable si on doit un jour « remonter en puissance ». C’est une administration d’environ 3 500 agents, soit près de la moitié de la direction actuelle du service national. Dans ces conditions, le coût direct de la journée que nous mettons en place est inférieur à 200 millions de francs. Or, le budget global de fonctionnement des armées est supérieur à 100 milliards.
Le Parisien : L’Éducation nationale va-t-elle s’impliquer davantage ?
Alain Richard : Oui. Bien entendu, cela ne prendra pas la forme d’une matière spécifique. Mais les questions de défense trouveront place dans les cours d’instruction civique, d’histoire, d’économie ou encore de géographie. L’Éducation nationale, c’est la volonté de Claude Allègre, fournira les méthodes et les appuis pédagogiques à ses enseignants pour qu’ils développent cette formation. Si possible, dès la prochaine rentrée.
Le Parisien : Comment se passera la journée de préparation à la défense ?
Alain Richard : On convoquera chaque journée entre 50 et 150 jeunes qui seront répartis par groupe de 30. L’essentiel du temps tiendra en une présentation de l’organisation générale de la défense et des principaux métiers militaires. À cela s’ajoutera le devoir de mémoire avec, notamment, le rappel des conflits passés. On expliquera aussi ce que sont les volontariats. Un bilan de ce qui aura été assimilé durant cette journée nous aidera à faire un test d’alphabétisation. Cette journée pourra avoir lieu le mercredi, le samedi, voire le dimanche. Elle sera obligatoire, et assortie de sanctions pour ceux qui ne se rendraient pas à la convocation. Mais chaque jeune aura le choix entre trois dates possibles.
Le Parisien : Comment va se passer la phase de transition ?
Alain Richard : L’obligation d’accomplir le service actuel de dix mois s’impose aux jeunes nés avant le 31 décembre 1978. Comme viennent de l’accomplir les jeunes nés cette année-là qui n’ont pas demandé de reports ou, alors, un report très court.
Le Parisien : Quel régime pour les sursitaires, ou pour les jeunes qui ont un contrat de travail ?
Alain Richard : On va s’efforcer de répondre aux situations individuelles avec le plus de souplesse possible, mais en restant ferme sur le principe : les jeunes d’une même génération doivent accomplir leur service. Je trouve que ce serait très négatif que, pendant cette période de transition, on multiplie les situations de dérogations, donc les inégalités. Cela étant, le jeune qui a un contrat de travail en gardera le bénéfice. Il devra être réintégré à la fin de son service.
Le Parisien : Qu’attendez-vous du volontariat ?
Alain Richard : L’essentiel des moyens de la défense sera constitué, à l’avenir, par les engagés, lesquels feront, au minimum, trois ans et souvent entre huit et quinze ans. Beaucoup de ceux-là deviendront des militaires de carrière. Les volontariats à proprement parler, dont la durée sera calquée sur celle des emplois-jeunes (de un à cinq ans), seront composés, eux, de deux groupes : 16 000 postes dans la gendarmerie, 11 000 répartis dans les armées. Il s’agira d’emplois de service et de techniciens de la base, qui bénéficieront du statut militaire.
Le Parisien : À quoi servira la réserve ?
Alain Richard : Jusqu’à présent, après la conscription, on restait réserviste une trentaine d’année, mais très peu de réservistes avaient une activité quelconque. Là, on va passer à une réserve beaucoup plus compacte (100 000 personnes), mais qui sera active, et nécessaire à beaucoup des missions de l’armée. Un projet de loi en ce sens sera déposé dans quatre ou cinq mois.
Le Parisien : Pour vous, qu’y a-t-il eu de plus surprenant dans la mise en œuvre de cette réforme ?
Alain Richard : Au départ, quand Jacques Chirac a annoncé sa volonté de professionnaliser l’armée, il y a eu un choc pour tous…
Le Parisien : Y compris pour vous ?
Alain Richard : Pour moi aussi. Beaucoup de gens, dont j’étais, ont été heurtés par le fait qu’on abandonnait la conscription. C’était un choix historique. Mais, un an et demi après, s’il reste des problèmes compliqués pour l’application de cette réforme, celle-ci est acceptée par tous.