Texte intégral
France-Inter : On ne vous a pas entendu sur le conflit du Kosovo depuis le début des frappes aériennes de l'Otan. Tous les ministres se sont-ils exprimés sur cette question ce matin en Conseil des ministres ?
Dominique Voynet : Certains l'ont fait. Je me suis exprimée longuement, ce matin, pour donner mon opinion sur cette guerre. Mais je voudrais le dire : je ne partage pas votre analyse. Le débat qui a eu lieu au Conseil des ministres a été un débat de bonne qualité, où des arguments de fond ont été échangés avec beaucoup de respect, beaucoup de scrupules, beaucoup d'attention aux arguments des uns et des autres. On n'était pas dans l'angélisme, on n'était pas dans des postures politiciennes. Je crois que les décisions qui sont à prendre et qui relèvent du premier ministre et du président de la République sont des décisions difficiles, très lourdes à prendre. Elles valent beaucoup mieux que les commentaires politiciens, insultants, caricaturaux, de P. Séguin.
France-Inter : Quelle est la position que vous, vous avez exprimée ?
Dominique Voynet : Tout d'abord, le premier ministre et le président de la République, au moment de prendre leur décision, ne l'ont pas fait à la légère. Je crois que c'est une décision qui a été douloureuse, qui reposait sur un pari : ce pari que Milosevic reculerait dans un délai court, qu'il renoncerait à ses funestes projets et notamment aux préparatifs d'isolement des populations serbes et albanaises au Kosovo et d'épuration ethnique. Ce pari, manifestement, reposait sur un certain nombre d'hypothèses qui s'avèrent non fondées : le pari qu'on ferait reculer Milosevic, le pari qu'on arriverait à ne pas radicaliser les positions des deux camps et à ne pas valider la posture des plus nationalistes ...
France-Inter : Et cela ne va pas militairement aussi vite que prévu ?
Dominique Voynet : Et puis, évidemment, l'épuration ethnique se poursuit, elle s'accélère ; la population albanaise est sur les routes, avec tout ce que cela suppose de drames humains et de drames politiques. On est aujourd'hui dans une situation très différente de celle qui avait été imaginée il y a une semaine. L'avenir est plus bouché. On est déjà dans une certaine forme d'enlisement et d'engrenage. Je ne vois pas de solution de court terme. L'expérience a montré que des frappes aériennes prolongées, pendant des semaines, ne suffisaient pas à faire céder un dictateur -on l'a vu en Irak. Saddam Hussein est toujours là et la cohésion de la population irakienne autour de lui est plus forte que jamais.
France-Inter : Doit-on en conclure que, ce matin, en Conseil des ministres vous avez exprimé votre inquiétude mais pas de désapprobation, comme les ministres communistes ?
Dominique Voynet : Les ministres communistes n'ont pas exprimé de désapprobation, ils ont exprimé une inquiétude. Parce que personne n'a envie de réécrire l'histoire, et n'a envie de juger de la validité de la réflexion qu'ont menée, à un moment donné, le président de la République et le premier ministre. Simplement, nous avons dû constater que les hypothèses néfastes hélas semblaient se concrétiser, puisque à brève échéance, il n'y a pas de possibilité d'interrompre ces frappes sans donner un succès politique, un succès diplomatique et un succès militaire à Milosevic. Donc, c'est une situation d'impasse tout à fait désastreuse qu'on ne peut pas surmonter par des solutions toutes faites. Moi je constate par exemple qu'on parlait il y a encore quelques jours d'intervention terrestre. Je constate que les forées de l'Otan n'y sont pas préparée, et que dans quelques semaines, si on le décidait, on ne serait plus dans une logique d'interposition entre les milices serbes et la population civile albanaise ; on serait dans une logique de reconquête territoriale, dans un territoire vidé de ses habitants albanais. C'est des choses extrêmement complexes dont on n’a pas discuté vraiment encore au fond. L'étendue du désastre commence seulement à être appréhendée, et je pense que le plus intéressant que nous ayons à faire aujourd'hui, c'est de réunir les conditions d’une discussion. J'espère qu'elle se fera dans le cadre de l'ONU, et pas de façon bilatérale sous la pression de l'Otan. La situation est grave et dramatique, et le dire avec sérieux, prendre en compte la complexité du phénomène, c'est se refuser à donner des bons points et des mauvais points.
France-Inter : On comprend bien que vous adoptez une attitude extrêmement nuancée. Le premier ministre a dit hier à l'Assemblée nationale qu'il n'avait pas jusqu'à présent, entendu quelqu'un en France proposer d'alternative sérieuse à ce qui est en cours en ce moment ?
Dominique Voynet : Mais la question qui est posée, c'est : est-ce que les frappes aériennes, c'était vraiment une action qui avait des chances d'être efficace ou pas. Est-ce que, parce qu'on avait dit « plus jamais Srebrenica », on devait engager une action militaire dont on avait quand même beaucoup de raisons de penser qu'elle ne serait pas efficace pour faire reculer Milosevic ? Moi j'ai entendu le ministre de la défense. Il nous dit : on avait des éléments· concordants qui nous montraient que l'épuration ethnique de grande ampleur était en préparation ; on avait des éléments qui nous laissaient penser que Milosevic pourrait reculer en quelques jours. C'était un pari, et comme tous les paris, il n'est validé par l'histoire que lorsqu'il est réussi. Ce n'est pas le cas.
France-Inter : Maintenant, la machine est lancée. Vous dites également que le débat au sein du gouvernement est lancé....
Dominique Voynet : Non, je n'ai pas dit cela ; c'est vous qui avez dit cela, Le débat, il n'a pas été lancé ce matin. Il a toujours eu lieu au sein du Gouvernement. Et moi je considère que je dois au premier ministre, je dois à mes partenaires de la majorité plurielle, un dialogue aussi approfondi, aussi sincère, aussi complet que possible. Je pourrais me taire aujourd'hui, ou je pourrais adopter des positions jésuites, angéliques, et prendre la tête de manifestations. Sauf que la responsabilité gouvernementale, c'est sortir ensemble d'une situation compliquée, d'une sorte de guêpier. C'est le cas sur le terrain, c'est le cas peut-être dans le Gouvernement. Il faut qu'on en sorte ensemble.
France-Inter : Vous dites : responsabilité gouvernementale. À terme, que va devenir la solidarité gouvernementale ?
Dominique Voynet : J'essaie de vous le dire, moi je trouve que c'est une des plus belles façons d'exprimer ma solidarité à l'égard du Gouvernement que de prendre en compte la complexité du phénomène, de contribuer au débat et de refuser des solutions simplistes d'un côté ou de l'autre. Je ne suis pas suspecte de sympathie avec cette guerre. Je suis très critique à l'égard de cette intervention militaire, vous l'avez compris. Mais je ne pense pas que l'heure soit venue de régler les comptes. L'heure est venue, je dirais, à la tentative de dégager des solutions qui permettent de ne pas rendre irréparable la situation dramatique dans laquelle se trouve la population albanaise du Kosovo et sans doute la minorité serbe du Kosovo, qui n'a peut-être pas choisi non plus l'affrontement en ce moment-là, et qui coexistait parfaitement avec ses voisins albanais.
France-Inter : Ce matin, en Conseil des ministres, en présence du président de la République, dans quelle atmosphère s'est déroulé le débat ?
Dominique Voynet : Moi j'ai trouvé que l'atmosphère était bonne, qu'elle était respectueuse, et que le président de la République lui-même y avait contribué de façon utile, en insistant notamment sur la nécessité pour l'Europe de se mobiliser pour traiter de façon sérieuse le problème des réfugiés qui sont des centaines de milliers. Je n'ai pas senti en quoi que ce soit la tonalité par laquelle vous avez abordé le problème tout à l'heure.