Interview de M. Pascal Clément, secrétaire général du PR, à RMC le 24 juin 1997, sur les objectifs de la convention nationale du PR après la défaite électorale de la droite, notamment l'élection du nouveau président du PR, et sur les premières mesures du gouvernement Jospin.

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Circonstance : Convention nationale du PR qui devient Démocratie libérale le 24 juin 1997

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Vous êtes secrétaire général du PR, un parti affaibli ?

P. Clément : Affaibli, oui et non. Affaibli dans la mesure où tous les partis politiques depuis quelques années, on le voit bien à travers les résultats électoraux, sortent affaibli parce que les Français ne s’y reconnaissent pas. Mais relativement affaiblis puisque nous avons fait avec François Léotard une campagne d’adhésion l’année dernière, comme l’a fait d’ailleurs Force démocrate dans le même temps, et nous avons aujourd’hui 33 000 adhérents à jour de cotisation, et c’est totalement prouvable.

P. Lapousterle : Cet après-midi, votre parti doit élire votre président. Gilles de Robien, Alain Madelin et P. Mathot sont candidats. Souhaitez-vous la victoire de l’un d’entre eux ?

P. Clément : C’est très clair. Je souhaite la victoire d’Alain Madelin pour au moins deux raisons mais que tout le monde peut comprendre. La première c’est parce qu’Alain Madelin nous permet la réconciliation de notre famille qui, quand même, avait tendance à prendre la technique du salami – ça partait par tranches -, de regrouper des hommes que vous connaissez comme Charles Millon, Jean-Pierre Raffarin, J. Dominati et bien d’autres. Donc, réconcilier, tourner la page des élections présidentielles de la dernière fois puisque le PR avait à 95 % soutenu Balladur et une partie, mais pas les plus modestes, avait soutenu Chirac. C’est terminé. C’est révolu, on tourne cette page. Et puis, le rassemblement et l’ouverture, Alain Madelin, par sa cote de popularité dans l’opinion publique, on le constate quand on veut bien regarder les courbes, a une capacité d’attraction des gens qui, justement, n’ont jamais fait de politique. Ce qu’il est convenu souvent d’appeler la société civile et qu’il a su si bien réunir dans le cadre de son club d’idées.

P. Lapousterle : Il n’a pas un visage libéral dur comme on dit ?

P. Clément : En France, si on n’est pas social-démocrate c’est qu’on est un libéral dur. Moi, je ne connais pas de libéraux en France. Je dis ça sans rire et avec effarement. Alain Madelin est avant tout un libéral humaniste. Cela veut dire qu’il s’agit de faire confiance à la personne, qu’elle puisse s’épanouir, qu’elle puisse être responsable et qu’ainsi, la prospérité puisse rejaillir sur tout le monde et bien évidemment sur les plus modestes d’entre nous. C’est ça être libéral, c’est ne pas faire toujours confiance à l’Etat mais faire confiance à l’homme.

P. Lapousterle : Le Général de Gaulle avait en son temps que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille, à la Bourse, mais on se demande si la politique du PR ne se fait pas au Figaro puisqu’il a fallu une lettre payante aux militants pour que Gilles de Robien fasse connaître sa candidature ?

P. Clément : Si vous voulez dire par là que nous avons plus de militants qui lisent Le Figaro que Libération, vous avez raison, je vous le confirme.

P. Lapousterle : Non, je pense à un responsable de parti qui doit payer un journal pour s’adresser à ses militants.

P. Clément : Au lendemain des élections présidentielles il y a deux ans, le PR avait gagné le deuxième tour mais avait perdu le premier, pour faire simple, et François Léotard, trois semaines après les élections s’est fait élire succédant à Gérard Longuet. Pourquoi ? Parce que dans nos statuts, en cas d’évènements exceptionnels, il faut réunir la convention et prendre les décisions qui s’imposent. Nous refaisons la même chose. Il est vrai que cela ne facilite pas une campagne qui permet d’avoir plusieurs candidats, qui écrivent aux militants et ainsi de suite. Donc, c’est vrai que Gilles de Robien a trouvé plus facile de publier une lettre que de l’envoyer à tous les militants parce qu’il n’était pas sûr, et nous non plus d’ailleurs, qu’elle puisse arriver dans les délais.

P. Lapousterle : Vous portez quel jugement sur cette méthode ?

P. Clément : C’est une méthode transparente et ouverte, qui s’en plaindrait aujourd’hui ? Non seulement les militants du PR reçoivent une lettre mais tout le monde peut la lire. C’est très bien.

P. Lapousterle : Et quand on lit dans la lettre que les gens ne supportent plus qu’on décide à leur place de leur avenir et qu’il faut cesser la politique du fait accompli en parlant de la direction de son propre mouvement ?

P. Clément : Très honnêtement, il faut savoir ce qu’est un parti politique. Est-ce une assemblée d’actionnaires d’une entreprise ou a-t-il pour mission de répondre à une situation politique donnée ? La situation politique est considérable, c’est un évènement historique. Après deux ans de Présidence de la République de l’un des nôtres, de la majorité, nous voilà dans l’opposition. Attendre trois ou quatre mois de happening dans les fédérations et passer l’été en disant : comme ça, on aura une bonne et belle campagne, non, ça s’appelle le chaos. Et si on avait fait le chaos, ce n’est pas une voix, pas deux voix, c’est mille voix qui se seraient levées en disant : mettez de l’ordre dans votre parti parce que c’est la chienlit. Aujourd’hui où justement François Léotard a eu les réactions qu’il fallait, qu’il a su au lendemain des élections faire en sorte que Force démocrate ne puisse pas faire un groupe autonome et devienne président du groupe UDF à l’Assemblée et faire en sorte qu’Alain Madelin puisse revenir d’une manière claire et concrète avec tous ceux qui nous avaient quittés dans notre famille ainsi réconciliée, voilà un acte qui permet l’ordre et si on préfère le désordre, qu’on le dise.

P. Lapousterle : Sur le fond, Alain Madelin affirme que le Président de la République est garant des institutions et n’est pas le chef de l’opposition. D’autres pensent que le rôle premier de l’opposition est de soutenir le Président. Quel est votre sentiment sur ce point ?

P. Clément : Je crois qu’aujourd’hui, la majorité parlementaire n’a qu’une chose à faire. C’est d’abord de se réorganiser, de tirer les leçons de l’échec et de laisser faire les institutions les unes et les autres. Il y a une institution, et Dieu sait qu’elle est importante, c’est celle du Président de la République. Le Président est rentré dans la cohabitation, les jugements sont d’ailleurs positifs sur son comportement et puis il y a le Parlement. Nous sommes chargés, les partis politiques représentés au Parlement, de l’animer. Et effectivement, notre destin est l’opposition. Et ça l’est d’autant plus que nous avons un PS qui vient de commencer par faire le contraire de ce qu’il avait dit pendant toute la campagne et je suis prêt bien évidemment à illustrer cette assertion.

P. Lapousterle : Charles Pasqua demande que son parti débatte d’accords possibles avec le FN. Il s’y déclare défavorable à titre personnel mais demande qu’on en parle pour crever l’abcès. Est-ce votre sentiment pour votre parti ?

P. Clément : Je crois qu’il faut nuancer. Quand on est libéral, on ne peut pas être en accord avec le FN. Mais quand on est intelligent, il faut arrêter de considérer que toute personne qui vote FN est un fasciste parce qu’hier, il votait pour nous ; aujourd’hui, il ne vote plus pour nous. Alors il y a des questions à se poser et ça, il faut le traiter.

P. Lapousterle : Et le traiter comment ?

P. Clément : Le traiter par des réponses appropriées aux problèmes que se posent les Français. Nous ne répondons pas assez à leurs problèmes, la preuve, c’est qu’ils nous quittent.

P. Lapousterle : Jugement de quinze jours de Gouvernement ?

P. Clément : Ce qui a frappé la plupart d’entre nous, les observateurs, c’était d’entendre M. Jospin dire que le gouvernement de M. Juppé était un gouvernement qui avait une certaine morgue, une certaine distance vis-à-vis des électeurs et prenait des décisions sans concertation. La première décision qu’ils ont prise, c’est celle des allocations familiales, c’est une décision qui idéologiquement leur paraissait saine et qui concrètement, se traduit par un soulèvement des associations familiales. Ça s’est fait sans aucune espèce de concertation. C’est le contraire de leurs promesses, c’est en plus une vision des choses qui, à mon avis, est abstraite. Sous prétexte d’égalité, de transformer l’essentiel des prestations familiales en prestations sociales, c’est-à-dire qu’on fait une politique de revenu, eh bien nous aurons un pays qui ne va pas trouver l’emploi comme solution à ses problèmes. Regardez, toute l’Europe paraît-il, a hurlé des leçons que M. Clinton a voulu donner aux Européens, moi je crois que l’Europe, sans vouloir une seconde tenter de devenir un pays comparable aux Etats-Unis, ferait mieux quand même un peu de s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays. Nous sommes la partie du monde où il y a le plus de chômage et qui ne veut jamais regarder les solutions des autres pays. Il faudrait être un peu intelligent et pas trop hexagonal. Les socialistes sont encore plus hexagonaux que nous. C’est le drame et nous sommes partis vers un système qui ne va sûrement pas amener la prospérité pour les Français.

P. Lapousterle : Il faut vous rappeler que les Français ont voté pour leur retour au pouvoir ?

P. Clément : Mais vous savez, les Français devraient être un peu plus formés en économie. C’est un effort qui devrait être fait dès l’école primaire.

P. Lapousterle : Vous me dites qu’ils ont voté à gauche parce qu’ils ne sont pas assez formés ?

P. Clément : Non, mais je voudrais souligner une contradiction. M. Jospin est de gauche, il promet les 35 heures payées 39. Mme Notat n’est pas de droite et elle dit à M. Jospin : vous avez tort. Ça veut dire qu’il y a chez les hommes politiques une manière de faire de l’économie qui ne correspond même pas aux responsables syndicaux. C’est-à-dire qu’il y a un des deux qui n’est pas compétent. C’est quand même une question qui est à se poser.

P. Lapousterle : Sur les allocations familiales, je me souviens que M. Juppé voulait introduire la même réforme, ce qui tend à prouver qu’elle n’est peut-être pas si stupide que ça. Les Français approuvent le fait que les allocations ne soient pas égales pour des niveaux de salaires inégaux.

P. Clément : Que pensez-vous d’un gouvernement qui ne gouvernerait qu’avec les sondages ? Quand vous ne touchez pas les allocations familiales, évidemment vous trouvez cette réforme parfaite, ça ne vous touche pas. C’est complètement stupide comme méthode de regarder ce qu’en pensent les sondages. Il faut savoir ce que l’on veut : une politique qui aide les familles ou une politique de revenus ? Si c’est une politique de revenus, effectivement, fiscalisations, c’était l’idée de M. Juppé ou plafonnons, c’est l’idée du gouvernement socialiste. Mais voulons-nous aider les familles ? C’est un principe d’égalité. Visiblement, on lui tourne le dos, on tourne le dos aux principes fondateurs des allocations familiales créées en 1945. Personnellement, je crois que c’est une grave erreur, c’est encore une espèce de misérabilisme qui se traduit par des mesures ni négociées ni approfondies. Quand je vois à l’échelle mondiale le risque de vieillissement, je pense qu’une politique qui ne va pas dans le sens de l’aide aux enfants, au-delà des revenus est une politique de « gribouille. »

P. Lapousterle : Elisabeth Guigou a déclaré qu’elle n’interviendrait dans le cours de la justice concernant les affaires. Etes-vous rassuré ?

P. Clément : Cette déclaration est très rassurante d’autant plus que tous ses prédécesseurs l’ont fait.

P. Lapousterle : Elle serait la première à le faire si elle le faisait ?

P. Clément : Bien entendu ! Mais ça n’est pas le problème. Arrêtons de regarder la justice du seul point de vue des affaires dites médiatiques. Je connais un peu ces questions étant avocat. Le Président de la République a lancé une grande réflexion à travers M. Truche et animée par les plus grands juristes ou par des gens qui sont, incontestablement, extrêmement intellectuellement objectifs, attendons leurs conclusions. Le Gouvernement fait une fois de plus de l’idéologie. Et l’idéologie, malheureusement, ça s’oppose à la compétence.