Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à France Inter le 25 mars 1999 et à France 2 le 30, sur l'échec d'une solution diplomatique et l'intervention armée au Kosovo, sa contestation par le parti communiste, la nécessité de renforcer la défense européenne et sur l'accord entre le PS et le Mouvement des citoyens pour les élections européennes.

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Texte intégral

France Inter - 25 mars 1999

Jean-Luc Hees : Un commentaire sur l’humour de P. Meyer vous concernant (Ndlr : après le portrait de F. Hollande par P. Meyer).

François Hollande : L'humour est réel, et d'avoir « une cervelle et des joues » est plutôt rassurant. Ce qui fait que, quand la cervelle ne va pas, les joues peuvent supporter les claques. Mais, en même temps, je crois que je ne veux pas être un chef d'entreprise. Non pas que le métier ne soit pas noble, mais je pense que, quand on est un animateur de parti, on doit, à la fois, respecter les militants - il y en a encore, même au-delà du Nord - et avoir des idées. Je ne dis pas non plus que les chefs d'entreprise n'ont pas d'idées, mais on ne traite pas les militants comme des salariés. Et le principe hiérarchique n'est pas aussi indispensable dans un parti que dans une entreprise. Chacun peut peser du même poids. En tout cas, j'ai la faiblesse de le penser, et j'essaye d'être plutôt un arrangeur. Et c'est vrai que, quelquefois, la machine n'est pas forcément facile à ordonner.

Jean-Luc Hees : C'est peut-être une question curieuse, mais je vous la pose quand même : est-ce que c'est un jour à marquer d’une pierre noire pour l’Europe ? Ou bien est-ce qu'au contraire, il y a une autre proposition possible : à savoir, est-ce c'est un jour où l’Europe manifeste une détermination et une volonté politiques et démocratiques ?

François Hollande : Je pense que les deux sont vraies. C'est-à-dire que, pour la première fois, l'Europe prend ses responsabilités. C'est-à-dire que, depuis longtemps on lui reprochait d'être inexistante. Et combien de critiques lui avaient été adressées, à juste raison, notamment pendant la crise en Bosnie, pour son impuissance, pour son incapacité à agir, et pour sa tendance rituelle à aller chercher les États-Unis pour faire le travail qu'elle ne voulait pas faire ! Là, elle participe également aux opérations. Alors, c'est aussi un jour triste pour l'Europe, puisque la guerre est sur son sol. Des frappes sont organisées, sont menées dans un pays d'Europe, non pas de l'Union européenne, mais un pays du continent européen. Alors je crois que les deux doivent être rapprochées. C'est parce que c'est un conflit qui, jusque-là, se développait en Europe, qu'il était indispensable que l'Union européenne s'en préoccupe.

Jean-Luc Hees : Est-ce qu'il y a des choses que vous savez, vous, à l'heure qu'il est, et que nous ne savons pas encore sur ce qui se passe militairement en Serbie ?

François Hollande : Non. Je crois que j'en sais autant que vous, c'est déjà pas mal, ou aussi peu, ce qui est déjà insupportable.

Stéphane Paoli : Vous en savez peu : est-ce que c'est normal ? Pas de débat au Parlement. L'Otan qui passe par-dessus la tête de Onu. Jean-Luc Hees posait la question de l'enjeu démocratique. Est-ce qu'elle ne va pas un peu trop vite ?

François Hollande : Le Premier ministre s'est exprimé mardi à l'Assemblée nationale. Il a dit cette chose simple : si les négociations n'aboutissent pas, si Milosevic ne signe pas l'accord que les Kosovars eux-mêmes ont accepté, alors le recours à la force est non seulement possible, mais inévitable. Donc le Parlement -l'Assemblée nationale en tout cas - a été informé de cette possibilité, de ce risque, et donc de cette décision qui, bien sûr, engage notre pays ; et pas simplement notre pays. Ensuite, le Premier ministre, il est avec tous les chefs d'Etat et de gouvernement d'Europe, le président de la République est également présent : à partir de là, ils sont tout à fait en phase. D'abord entre eux, et en phase avec ce qui se passe sur le terrain : ils sont informés. Le premier ministre a déclaré, par la voix du ministre de la défense, qu'il était tout à fait disposé à faire un débat, demain, à l'Assemblée nationale.

Stéphane Paoli : Oui, mais la guerre est commencée. L'enjeu est d'une importance considérable.

François Hollande : Ce qui est important, c'est de savoir pourquoi on fait une opération, quel est le terme de cette opération, quel est l'objectif, et quelles sont les forces que la France met en œuvre. Je pense que ça, le Parlement en est déjà informé, et doit en être davantage encore informé, vendredi. Et puis, il aura son mot à dire. Le débat existe.

Pierre Le Marc : « Débat » oui, mais est-ce que vous souhaitez un vote sur cette décision, car vous savez que, dans la majorité tout le monde n'est pas d'accord avec le choix du premier ministre et du président, notamment le Parti communiste ?

François Hollande : Dans la majorité et dans l'opposition…

Pierre Le Marc : Y compris au sein du Gouvernement : on a entendu les réserves de J.-P. Chevènement.

François Hollande : Si j'ai bien entendu vos informations, il y a, dans la majorité, dans l'opposition, des voix qui sont défavorables à...

Pierre Le Marc : Essentiellement dans la majorité tout de même. Car c'est votre premier allié, le Parti communiste.

François Hollande : Oui. Il y a le Parti communiste qui, depuis longtemps, est toujours opposé à quelque intervention que ce soit, où que ce soit, dès lors que les Américains en sont parties prenantes. Donc, il y a une espèce d'incapacité, - je le dis -, du Parti communiste, à sortir des logiques passées. Qu'est-ce qui doit compter aujourd'hui ? Que fait-on en Yougoslavie ? Il y a deux options. Soit on ne fait rien - ça a été d'ailleurs longtemps l'option choisie : on se plaint ; on fait des résolutions ; on essaye de trouver des compromis ; on envoie même - ce qui était le cas en Bosnie - des forces d'interposition, s'interposer on ne sait pourquoi, on ne sait comment, et prendre des risques. Il y a eu quand même des victimes. Donc, cette option-là, nous l'avons tentée, nous avons été critiqués là-dessus, quels que soient les gouvernements.
Il y a une autre option, qui est de favoriser la négociation, la diplomatie. Ce qui a été fait via deux pays d'Europe - la France et l'Angleterre - dans ce qu'on a appelé « les pourparlers de Rambouillet. » Et au terme de l'action diplomatique, au moment où un accord peut être signé - il est signé par une des parties, il pouvait l'être par l'autre -, vous constatez qu'il y en a un - en l'occurrence, Milosevic - qui ne veut pas rentrer, ou terminer le processus diplomatique. Que faites-vous ? Cette question interpelle tous ceux qui ont vocation à décider, y compris le Parti communiste.

Pierre Le Marc : Vous souhaitez un vote ou non sur cette décision ? 0n parle beaucoup de modernisation du Parlement...

François Hollande : Je n'écarte aucune hypothèse. Si certains veulent qu'il y ait un vote, eh bien qu'ils le disent ! Moi, je ne suis pas hostile à ce qu'il y ait un vote.

Jean-Luc Hees : Tout de même, il y a un malaise, il y a un malaise chez les communistes, il y a un malaise chez les Verts, il y a un malaise aussi chez certains membres du Parti socialiste - je pense à M. Quilès par exemple. Comment expliquez-vous ce malaise par rapport à d'autres situations qu’on a connues ? Je fais référence à la guerre du Golfe, par exemple, où on sentait majorité et opposition unies derrière le président de la République.

François Hollande : Il y a quand même eu un malaise aussi pendant- la guerre du Golfe. Le Parti communiste y était également hostile. J.-P. Chevènement était ministre de la défense, il est parti, ce qui est quand même un moment difficile.

Jean-Luc Hees : Il y a un malaise aussi dans la droite.

François Hollande : Ce malaise est légitime par rapport à un recours à la force, par rapport à des bombardements, par rapport à une situation de conflit en Europe, dans laquelle, pour la première fois, l'Union européenne s'engage, où des avions français sont parties prenantes d'une opération. Qu'il y ait des interrogations, des demandes d'informations, même des réticences, je crois que ça fait partie de ce qu'on attend d'une vie publique, d'une vie démocratique. Donc, je n'ai aucun état d'âme sur le fait que beaucoup en aient. Je pense que chacun, en son for intérieur, et en tout cas pour moi, pèse le pour et le contre.
Il n'y a personne qui peut se dire : voilà, il faut surtout ne jamais faire la guerre, car en définitive mieux vaut accepter les solutions des dictateurs plutôt que de s'interposer. On a connu dans notre histoire ce type de tentation ; on appelait ça : « l'esprit de Munich. » N'essayons pas de reproduire, car rien n'est comparable : mais je peux comprendre cette recherche obstinée de la paix, même si souvent elle conduit à la guerre.
Et puis, même ceux qui partagent - ce qui est mon cas - l'opinion qu'il faut, dans certaines circonstances, intervenir, et pas forcément de façon illimitée, pas forcément de façon infinie, absolue, mais qu'il faut intervenir, mais même quand on est· sur cette option-là, on peut aussi en mesurer les risques, en partager les responsabilités, et aussi s'interroger sur le terme.

Stéphane Paoli : La politique c'est vraiment anticiper. Il ne s'agit pas d'aller trop vite, mais la question de « demain » se pose. Or, on a bien vu dans les derniers conflits, ces dernières années - l'Irak - que les bombardements, souvent, ne servent pas à grand-chose. Que fait-on ensuite ?

François Hollande : Vous savez, si on se pose toujours la question : « Qu'est-ce qui va se passer demain ? » On ne répond pas à la question principale : « Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? » La seule question qui vaille aujourd'hui, c'est de dire : « Est-ce qu'on intervient ou pas ? » Le gouvernement, le président de la République, ont considéré que pour la France, il fallait intervenir ; que c'était une question de crédibilité et de paix. De crédibilité, parce que nous étions vraiment parties prenantes d'un processus diplomatique. Nous avions tout engagé : des conversations, des pressions, des rendez-vous. Nous avions souhaité pendant des semaines que cet accord entre Yougoslaves et Kosovars soit signé. Au bout d'un certain moment, l'une des parties vous dit : je ne signerai pas votre accord, et non seulement je ne le signerai pas, mais en plus, je vais massacrer, je vais écarter, je vais poursuivre ma purification ethnique ! Que faites-vous ? C'est un problème de crédibilité.
Après, il y aussi un problème de paix. Car que se passe-t-il si on ne fait rien ? On sait pertinemment que les Albanais sont prêts, eux aussi, à se mettre en mouvement ; qu'il y a la question turque qui est même en filigrane, et qu’à partir de là, on peut avoir un embrasement. Alors, je réponds à votre question : maintenant on est intervenu, et...

Stéphane Paoli : Quel partenaire européen aura décidera, d'envoyer des hommes sur le terrain, autre qu'une force d'interposition ?

François Hollande : Attendez, on n'en est pas là ! Pour le moment, on détruit des forces yougoslaves qui constituent l'arsenal de guerre de Milosevic. À partir d'un certain moment, on pourra considérer que l'opération s'arrête parce qu'elle doit s'arrêter. Milosevic est aussi confronté à une opinion publique ; il est aussi confronté à une situation internationale. Il peut céder, il doit céder.

Jean-Luc Hees : Comment cela se passe, dans l'exécutif, entre L. Jospin et J. Chirac ? Comment est-ce que les décisions se prennent puisque des soldats français sont engagés ? Comment est-ce qu'on s'informe entre l’Élysée et Matignon ?

François Hollande : Je ne suis pas au milieu des deux protagonistes, que les auditeurs se rassurent ; je ne joue pas - ce serait d'ailleurs difficile - les intermédiaires, mais je pense que sur les questions majeures, et nous sommes dans ces questions majeures, aussi bien pour ce qui se passe au Kosovo que pour les négociations de Berlin, les deux responsables de l'exécutif se parlent et sont en convergence sur l'essentiel.

Jean-Luc Hees : C'est une phase qui met en prééminence et en lumière le président ?

François Hollande : Oui, mais cela, ce sont nos institutions, c'est la Constitution, et il est normal que la premier ministre la respecte il est normal que le président de la République, chef des armées, intervienne, par, exemple hier soir, pour expliquer aux Français l'intervention dans laquelle la France est partie prenante. Je crois que pour que la cohabitation fonctionne bien, pour que le pays soit bien gouverné, il faut que l'un et l'autre des responsables de l'exécutif respectent les prérogatives de chacun. Je crois que c'est tout à fait important et que, à certains moments, au-delà des sensibilités, l'intérêt national soit seul en cause. C'était le cas dans ces dernières 48 heures, à la fois par rapport aux enjeux du sommet de Berlin et par rapport à ce qu'il fallait faire au Kosovo.

Jean-Luc Hees : Est-ce que M. Milosevic est en train de tendre un piège à l'Otan ? Et que craignez-vous le plus ? L'enlisement, l’escalade ? B. Eltsine nous parlait, hier, d'un « nouveau Vietnam au cœur de l'Europe » – la formule était frappante.

François Hollande : Je crois que nous étions devant un dilemme : ne rien faire, c'était la certitude que Milosevic allait, était en train de procéder – comme il l'avait fait en Bosnie, peut-être avec plus de férocité encore au Kosovo pour des raisons historiques : à l'épuration ethnique et à l'élimination de toute forme d'opposition venant des Kosovars. Cela était la certitude. Il y a un risque dans toute intervention : je ne peux pas, ici, dissimuler ce risque ni le contester. Il est évident qu'à chaque fois qu'on rentre dans un processus de recours à la force, qui est toujours un échec par rapport à une solution diplomatique, il y a un risque el il faut le maitriser ce risque ; et c'est pourquoi il faut dire que plus vite on reviendra à la solution diplomatique, mieux ce sera. Quel est l'intérêt, si je puis dire - le mot est horrible -, quel est le sens de l'intervention ? C'est d'épuiser les forces de combat de Milosevic pour l'amener à revenir le plus vite possible à la table des négociations.
 
Stéphane Paoli : Quelle situation paradoxale tout de même ! Voilà pour la première fois de son histoire l’Europe qui s'engage collectivement dans une action militaire, c'est-à-dire, au fond, qui pose la question de la défense européenne. Et à l'instant où cette question est posée, tous les enjeux et tous les risques sont pris parce, que même si, encore une fois, on ne peut pas anticiper à ce point, peut-être que demain, s'il s'agit d'envoyer ou non des hommes là-bas, l'Europe pourrait se diviser sur une telle question. Donc en même temps, construction et division, au même instant.

François Hollande : Nous avions tous, je crois, les uns et les autres, souhaité que l'Europe prenne enfin ses responsabilités, existe en termes de politique étrangère et de défense. C'est d'ailleurs pour cela que nous faisons l'Union européenne, nous ne faisons pas l'Europe simplement pour faire un grand marché, pour avoir une monnaie qui circule, mais pour que l'Europe se dote des instruments politiques, pèse, pas simplement pour régler ses problèmes à l'intérieur de l'Union mais à l'extérieur de l'Europe, par rapport à des conflits qui soit à ses frontières - on le voit bien aujourd'hui -, par rapport au système monétaire internationale, par rapport aux pays en développement qui demandent une intervention de l'Europe, et pas simplement humanitaire mais aussi une autre organisation du monde. Nous voulons faire l'Europe. Et nous avons, à un moment, une retenue si l'Europe de la défense, c'est de prendre ses responsabilités, alors c'est coûteux, c'est même périlleux puisqu'il y a des risques. La tentation pourrait être de dire : finalement, restons-en comme aujourd'hui, comme hier, puisque aujourd'hui a déjà été un changement, et puis confions notre destin aux États-Unis d'Amérique. Ce serait tellement facile, aujourd'hui, de dire : finalement les Américains sont intervenus, nous aurions préféré une autre solution.

Jean-Luc Hees : Ça ne vous inquiète pas l'hégémonisme des Américains ?

François Hollande : Le risqué majeur, c'était que les Etats-Unis interviennent tout seul. D'ailleurs, c'était leur intention depuis plusieurs semaines puisque vous savez que c'était la volonté affichée de N. Clinton. Il a dit : bon, on intervient. Nous, nous avons dit non, il faut qu'il y ait d'abord un processus diplomatique, il faut que chacun se retrouve autour d'une table. Ça a été l'initiative franco-britannique et les pourparlers de Rambouillet. Ça, c'était le rôle de l'Europe. Eh bien, non, on refuse, justement, une sorte d'hégémonie américaine - il y a un problème, j'envoie des bombes et demain, ça ira déjà mieux. Non, il faut que chacun soit autour de la table et prennent les décisions qui peuvent éviter le recours à la force.

Stéphane Paoli : Mais le lien maintenant.

François Hollande : Le lien, maintenant, c'est que c'est l'Union européenne qui a en partie les clefs de la réponse, d'abord pour lancer l'opération avec les Américains mais aussi pour l'arrêter. Donc l'Union européenne est collectivement - et nous l'avons voulu ainsi - en capacité de' lancer une opération, de l'arrêter aussi et de faire prévaloir ; toujours le principe de la solution diplomatique.

Stéphane Paoli : Même contre les Américains si nécessaire ?

François Hollande : Mais bien sûr. Je crois que ce qui était en cause, c'était la crédibilité même de l'Union européenne, Et si l'Union européenne n'avait rien fait, soit parce qu'elle avait peur de faire, soit parce qu'elle voulait laisser les Américains et rien que les Américains - solution qui, je l'ai dit, s'est passée ces dernières années -, eh bien - que crois que c'était la fin, pour une bonne partie des années qui viennent, de toute ambition d'une Europe politique et de défense.

Pierre Le Marc : Vous pensez que la gravité de la crise peut créer à Berlin un état d’esprit tel que cela facilite le règlement des problèmes graves qui sont en discussion, c'est-à-dire l'Agenda 2000 et la PAC ?

François Hollande : Je crois que ça exige, de la part de tous les partenaires européens, beaucoup de responsabilité. Que dirait-on si on était capable de se mettre d'accord sur une intervention et qu'on ne parvenait pas à régler : nos différents contentieux ? Mais il faut que ça se passe effectivement avec la volonté de trouver un compromis. Et vous savez que nous, nous avons cette volonté là, mais en même temps, nous avons des intérêts à défendre et ; notamment ceux d'une agriculture respectueuse du territoire et de fonds structurels, les dépenses communautaires, qui doivent être tournés vers l'avenir.

Jean-Luc Hees : Ce qui se passe depuis hier, est-ce de nature à modifier très considérablement le déroulement de la campagne européenne ? On était parti dans un certain nombre de débats : est-ce que ce qui vient de se passer, ce qui est en cours en ce moment ; peut vraiment modifier l'état d'esprit, je pense aux électeurs plus qu'aux partis d'ailleurs ?

François Hollande : Oui. D'ailleurs, il faut toujours penser plus aux électeurs qu’aux partis. Qu'est-ce qu'il s'est passé ces dernières semaines ? On s'interrogeait. Finalement, ces élections européennes, à quoi vont-elles servir ? Il y a eu trois événements majeurs qui sont venus dans l'actualité pour redonner un sens à ces élections. Premier événement : la démission de la Commission européenne. On s'interrogeait, finalement cette Europe sans contrôle, ce Parlement européen sans pouvoir. Il s'est passe ce qu'arrive dans d'autres démocraties : un Parlement européen qui veut contrôler une commission, en l'occurrence la commission de Santer et qui, grâce à une intervention d'un rapport, finalement arrive à procéder à une démission collective. Et aujourd'hui, nous nommons un nouveau président, correspondant d'ailleurs à la majorité politique de l'Europe, de gauche et de centre gauche, et je crois que c'est déjà un acte politique. Deuxième événement : c'est précisément les discussions sur Agenda 2000. On s'interrogeait sur l'Europe : quel est son avenir, quel est son passé ? Aujourd'hui, quelles dépenses veut-elle organiser pour les six ans qui viennent ? Troisième événement : l'Europe de la défense. On la fait ou on ne la fait pas ? Je crois que les électeurs sont, dans une certaine mesure, devant ces choix-là. Et ils devront regarder les partis non pas pour ce qu'ils sont mais ce qu'ils leur disent.

Pierre Le Marc : Daniel Cohn-Bendit souligne que la liste socialiste, depuis l’accord que vous avez signé avec Jean-Pierre Chevènement, est totalement brouillée. N’est-ce pas le cas ? Par exemple sur la défense, vous allez proposer quelque chose ? Vous avez des chevènementistes sur votre liste, sont-ils d'accord sur ce que vous allez proposer ?

François Hollande : Oui, ils nous ont dit qu'ils étaient globalement d'accord avec nos propositions car ils voulaient regarder vers l'avenir et non pas vers le passé.

Stéphane Paoli : Identité de vue ?

François Hollande : Écoutez oui, pour l'instant il y a d'identité de vue, y compris sur ces questions d'Europe de la défense, ces questions d'Europe de la croissance, de l'emploi. C'est l'essentiel. Par ailleurs, nous sommes dans le même gouvernement. La question que vous devriez poser, c'est : est-ce qu'on peut être dans le même gouvernement et avoir des opinions quelquefois différentes. C'est ça la question ? Parce que sur la liste, c'est la conséquence. Quand vous êtes dans un gouvernement que vous décidez, vous pouvez quand même être sur une liste, ça me parait normal. Donc moi, j'aurais mt?me été· prêt à faire une liste encore plus ouverte et y compris aux Verts et aux communistes.

Pierre Le Marc : Donc, c'est la ligne Hollande, ce n'est pas la ligne Chevènement que vous allez défendre ?

François Hollande : Pour l'instant, je m'appelle F. Hollande, je n'ai pas changé d'identité.

Pierre Le Marc : Mais vous avez des chevènementistes.

François Hollande : Oui et ils ont accepté, tout en gardant leur propre identité, de figurer sur cette liste avec le programme que nous allons présenter, un programme qui veut faire avancer l'Europe différemment d'hier, c'est-à-dire plutôt vers la croissance et l'emploi, vers l'Europe sociale, mais aussi vers l'affirmation d'une Europe politique. Quant à ce gouvernement, je crois que justement parce qu'il rassemble des partis qui n'ont pas forcément la même position, y compris sur cette question-là, c'est bien qu'il en soit ainsi.

Stéphane Paoli : Alors qu'est-ce qu'on dit ? Gouvernement de gauche ou de centre gauche ? Ou de centre tout court, pendant qu'on y est ?

François Hollande : Nous sommes un gouvernement de gauche, mais je dois constater qu'en Europe, il y a des formules qui peuvent être différentes. Il y a des coalitions qui ne sont pas tout à fait à l'image de ce que l'on fait en France. D'ailleurs, on était un peu exotiques, en France, en 1997, quand on a formé cette gauche plurielle. Vous savez, les communistes, il n'y en a quand même pas énormément en Europe. Donc, quand on a formé un gouvernement avec les communistes, certains se sont interrogés. Les chevènementistes, ça n'existe qu'en France. Les Verts, on était les premiers à faire une coalition avec les Verts. Les Allemands ensuite nous ont suivi. Donc on était au départ dans une coalition de gauche plurielle et puis on s'aperçoit que deux ans après, elle est plutôt en bonne forme, cohérente, capable de prendre des décisions alors que ce n'est pas forcément le cas dans le reste de l'Europe. Mais ce qui est important, c'est que l'Europe est majoritairement de gauche et de centre gauche. Et R. Prodi incarne bien cette nouvelle Europe le nouveau président de la Commission.


France 2 - 30 mars 1999

Françoise Laborde : Est-ce qu'au fond, l'intervention du président de la République avait pour but de rassurer une opinion publique qui doute de plus en plus ?

François Hollande : Il est normal que le président de la République, chef des armées, vienne rendre compte de la situation devant les Français. Il n'avait pas pu le faire au moment où la frappe a été décidée, puisqu'il était avec L. Jospin au sommet de Berlin. Ensuite, L. Jospin lui-même s'est expliqué devant le Parlement. Nous avions trouvé que c'était un peu tard, mais il n'y avait pas d'autre moyen de le faire, même s'il y avait eu déjà des communications devant le Parlement. Là, le président de la République s'explique, il a dit qu'il reviendrait d'ailleurs pour fournir d'autres informations. Je crois qu'on est dans une logique institutionnelle. Maintenant, c'est le fond qui compte, c'est moins l'explication. C'est-à-dire : qu'est-ce que l'on fait maintenant ?

Françoise Laborde : Le président de la République a laissé entendre que ça allait durer.

François Hollande : Je crois qu'il faut affirmer une nécessité d'une pression sur Milosevic. On voit bien ce qui se passe en ce moment au Kosovo : les massacres de populations civiles. Même les négociateurs kosovars, qui étaient à Rambouillet il y a quelques jours, sont peut-être morts. On n'en sait absolument rien. On a même des informations qui laissent supposer que tel est le cas. Donc, on voit bien qu'il faut maintenir une pression militaire.
Et, en même temps, il faut rechercher toutes les issues diplomatiques possibles. A un moment ou un autre, les armes doivent cesser. Il faut que l'on revienne autour d'une table, et il faut trouver les solutions pour tout le monde, aussi bien pour les Serbes que les Kosovars, que les Yougoslaves en général. Cette zone des Balkans est une poudrière, ça l'a toujours été dans le siècle. Il faut à un moment, qu'il y ait cette conférence de la paix pour, une bonne fois, qu'on en finisse avec ces interventions des uns, des autres, ces pressions.

Françoise Laborde : Au sein de la majorité plurielle, il y a des divergences. Le Parti communiste est hostile à l'intervention, il dit même que cette intervention a renforcé Milosevic.

François Hollande : Qu'il y ait un débat au sein même du pays, ça me paraît normal. Personne ne se fait une raison d'une intervention militaire, et personne n'imagine que ce soit facile...

Françoise Laborde : Surtout avec les conséquences humanitaires que l'on voit.

François Hollande :  … Que ce soit facile de prendre une telle décision pour les pouvoirs publics. Personne ne souhaite que ça dure, pas plus les uns que les autres au sein même des communistes – puisqu’ils les traverse aussi. Donc, je trouve que c'est normal. Il y a un moment où il faut aussi prendre une responsabilité. Le gouvernement l'a prise, le chef de l'État aussi, les Européens aussi. Donc, il faut aussi assumer ce qui se fait pour en sortir. Car le pire serait de dire : « On fait la guerre - ou en tout cas une intervention armée - simplement pour punir. » Non ! On fait une pression militaire pour revenir le plus vite possible à la seule solution qui vaille : c'est-à-dire l'issue politique et diplomatique.

Françoise Laborde : Justement, le premier ministre russe, E. Primakov se rend aujourd'hui à Belgrade. Est-ce qu'une partition du Kosovo, si c'était une des solutions proposées par les Russes et les Serbes, est acceptable par l'Alliance ?

François Hollande : Vous savez que les Européens, et notamment les Français, avaient pris une initiative à Rambouillet, de mettre justement les Serbes, les Kosovars autour de la table pour trouver un accord les Kosovars avaient accepté un accord qui maintenait l'ensemble du Kosovo dans la Serbie, dans l'ex-Yougoslavie telle qu'elle existe aujourd'hui. C'était quand même un point important pour les Serbes parce qu'ils considèrent à juste raison, en droit et dans l'histoire, que le Kosovo est parti intégrante de la Serbie.
Donc, ce serait maintenant, je crois, un recul que d'évoquer une partition. Ça ne satisferait ni les Serbes, ni les Kosovars, ce serait simplement une protection. Ce qui ne serait déjà pas mal dans le contexte actuel.
Non, je crois qu'il faut essayer de trouver ce qui existait autrefois. Autrefois - ce n'est il n'y a pas si longtemps, c'était il y a dix ans - lorsque Milosevic a détruit l'autonomie du Kosovo, il a mis un engrenage fatal dont on voit aujourd'hui l'issue. Mal d'ailleurs, puisque c'est une issue militaire. Et il faut revenir à ce qu'était autrefois la situation : c'est-à-dire l'autonomie du Kosovo.

Françoise Laborde : Mais on ne comprend pas très bien la stratégie des Européens. On a commencé par écarter les Russes, maintenant on fait appel à eux pour jouer les médiateurs auprès de S. Milosevic. Et hier, on entendait le Porte-parole de B. Eltsine dire : au fond, ce qui s'est passé à Rambouillet n'a servi à rien, ce qu'on a appelé le groupe de contact n'est plus légitime et la négociation peut se faire ailleurs par exemple à Moscou. On ne se retrouve pas, là, dans les mains et de Milosevic et des Russes ?

François Hollande : D'abord, n'exagérons rien ! Les Russes ne sont pas une puissance qui conteste l'Occident ou l'Europe. C'est un acteur du jeu diplomatique il n'y a aucune raison de le négliger, ce serait même une erreur dans cette partie-là. Ce que l'on souhaite, c'est qu'il y ait, à un moment, l'intervention de tous ceux qui peuvent trouver une issue diplomatique. D'ailleurs, vous avez un peu exagéré le rôle des Européens. Il y a eu les Européens bien sûr dans ce moment de Rambouillet, mais les Russes n'ont jamais été loin. Et le groupe de contact, ils en font partie. Donc il faut aujourd'hui encore que les Russes jouent leur rôle dans la diplomatie. Et s'ils peuvent trouver par les liens qu'ils ont avec Milosevic et avec la Serbie, ce que aujourd'hui, d'autres ne peuvent pas trouver, eh bien tant mieux ! Personne ne va ici récuser cette intervention.

Françoise Laborde : On a le sentiment que les Russes comme Milosevic font un préalable : c'est l'arrêt des frappes de l'Otan avant tout début ile négociation. C'est acceptable ?

François Hollande : Ce qu'il faut, c'est qu'il y ait la diplomatie. Dès lors que Milosevic dit : « Je reviens vers un processus de discussion », les frappes s'arrêtent. Donc, ne jouons pas à ce petit jeu : « c'est toi qui commences. » Non, il faut ·qu'à un moment, la diplomatie reprenne ses droits. Et si les frappes s'arrêtaient, à ce moment-là, Milosevic pourrait considérer qu'il n'a même pas à négocier puisqu'il a obtenu ce qu'il voulait : c'est-à-dire l'intervention de sa part au Kosovo, le massacre des populations civiles, la purification ethnique, et puis finalement, le départ des Kosovars vers d'autres pays de la région, ce qui provoquera, incontestablement un certain nombre de conflits, si on n'obéit pas aux normes.

Françoise Laborde : Pour l'instant, on ne cesse pas les frappes ?

François Hollande : Pour l'instant, il faut que les frappes servent un retour de la diplomatie. Dès que la diplomatie a repris ses droits, les frappes s'arrêtent.