Interview de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, à TV5 Infos le 22 août 1997, sur la redéfinition de la politique en matière de coopération et de francophonie du gouvernement.

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Intervenant(s) : 
  • Charles Josselin - Secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie

Média : Télévision - TV5 Infos

Texte intégral

TV5 infos : L’invité de cette édition, je vous présentais lors des titres du journal, Monsieur le ministre, Charles Josselin. Merci d’être avec nous. Vous êtes en charge de la Coopération française. Vous êtes également en charge, et c’est important pour la chaîne, de la Francophonie. Je voudrais tout d’abord vous demander de définir aujourd’hui dans cette nouvelle équipe gouvernementale française ce que représente la coopération tant au plan géographique qu’au plan de la méthode.

Charles Josselin : Je veux d’abord faire observer que je suis secrétaire d’État en charge de la coopération, auprès du ministre des affaires étrangères. Cela signifie que désormais la coopération est vécue comme une partie intégrante de la politique extérieure de la France. C’est important à rappeler.

TV5 infos : C’est un vieux débat franco-français. Il avait même été question de supprimer ce secrétariat d’État.

Charles Josselin : Mon ministère a connu des périmètres variables, des appellations différentes. L’important est que la France joue pleinement son rôle dans l’action de coopération au développement. Elle reste, faut-il le rappeler, un des pays, sinon le pays qui par tête d’habitants, fait le plus pour la coopération au développement. La crise des finances publiques nous oblige à faire en sorte que les moyens qu’on y consacre soient utilisés le mieux possible. La réflexion est engagée pour voir comment on peut organiser autrement tel ou tel instrument qui sert aujourd’hui à l’aide au développement. Autre donnée importante, l’Afrique n’est pas le seul champ de la coopération au développement…

TV5 infos : Oui, il y a l’Asie également.

Charles Josselin : J’insiste. Désormais le secrétariat d’État à la coopération, c’est l’ensemble de l’aide au développement : Asie, voire Amérique latine ou centrale comprise. Mais il est vrai que l’Afrique, pour des raisons qui tiennent aussi à l’histoire, est un partenaire essentiel en matière de coopération. L’Afrique est certainement la partie du monde qui connaît aujourd’hui le plus de bouleversements géopolitiques ; hélas aussi, le plus souvent, le plus de violence et la dépêche que vous rappeliez tout à l’heure en est une preuve supplémentaire.

TV5 infos : Nous venons en effet d’apprendre peu de temps avant ce journal qu’un massacre a eu lieu dans un camp de réfugiés au Rwanda, et que ce massacre a causé quelques 120 morts. Donc un drame. Il y a peut-être un deuxième drame dans cette information : l’opinion publique occidentale ne sera pas marquée par cette information. Il y a une forme de résignation, je n’ose pas dire d’indifférence. Mais le problème de l’Afrique, n’est-ce pas aujourd’hui cette forme d’indifférence du Nord ?

Charles Josselin : Le premier drame, c’est l’habitude en Afrique de régler les problèmes par la violence. Parce qu’il y a trop d’armes, trop de soldats perdus ; à chaque fois qu’un conflit se termine, il jette en quelque sorte sur le marché des soldats en armes, avec des armes aujourd’hui puissantes, qui peuvent causer des dégâts considérables.

Si j’ajoute que le plus souvent un dirigeant politique battu s’en va avec son armée, avec l’espoir de revenir, pas forcément par la puissance des urnes, mais celle du feu de ses militaires, alors tout ceci explique une situation très préoccupante.

Si j’ajoute enfin que les Africains réaffirment très fortement leur volonté de s’autogouverner, – je pense en particulier à tous ces événements qui se produisent plus au Sud, en Afrique australe, en Afrique centrale –, la France se doit en effet de réfléchir à une autre alliance avec l’Afrique.

TV5 infos : La France n’est plus le gendarme de l’Afrique ?

Charles Josselin : La France ne doit plus se considérer comme le gendarme de l’Afrique. En aurait-elle les moyens qu’il faudrait que ceci corresponde à la volonté des Africains. C’est tout le débat. Nous posons désormais en terme de partenariat nos relations avec l’Afrique et peut-être aussi avec les élites africaines qui ont elles-mêmes changé, qui n’ont pas dans leurs mémoires la période coloniale, qui ont une autre histoire personnelle, et qui veulent bien collaborer avec nous, mais à la condition que ce soit, je le répète, sur une base en quelque sorte égalitaire. De la même manière, nous voulons bien aider les Africains, mais seulement les Africains qui veulent que nous les aidions.

TV5 infos : Est-ce que « l’esprit de La Baule » est encore en vigueur aujourd’hui ? Est-ce que l’aide de la France sera assortie à des efforts en matière de démocratie ?

Charles Josselin : Nous tenons en effet à ce que l’aide que nous accordons s’accompagne chez les Africains d’efforts en direction d’une démocratie dont on sait bien qu’elle ne pourra pas se mettre en œuvre aussi rapidement que nous voudrions ; à nous-mêmes, il a fallu un peu de temps pour y arriver. Les gouvernants doivent s’habituer à accepter une opposition, l’opposition à accepter d’être l’opposition et pas forcément boycotter systématiquement l’institution qu’elle n’a pas réussi à conquérir par les urnes. Cela veut dire aussi construire des États, des justices, des polices, plus de gendarmes peut-être, et moins de soldats.

TV5 infos : Est-ce qu’aujourd’hui l’Afrique est une terre où il y a une certaine émulation on va dire diplomatique. Les Américains ne sont-ils pas en train de prendre des positions diplomatiques, économiques que l’Europe et particulièrement la France occupaient autrefois ?

Charles Josselin : Il m’arrive de penser que l’implosion de l’empire soviétique a provoqué dans une certaine mesure plus de bouleversements en Afrique qu’en Russie, tant il est vrai que désormais au lieu d’un certain équilibre entre puissances, qui était la règle hier, les États-Unis, c’est vrai, peuvent se laisser plus librement aller. Est-ce à dire pour autant qu’il faut poser le problème comme si les États-Unis se préparaient à remplacer la France ? Certainement pas. Je regrette l’importance que les médias accordent parfois à quelques événements somme toute peu importants, en faisant comme si c’était l’essentiel. Quand soixante soldats américains viennent au Sénégal, ou en Ouganda pour faire de la formation au maintien de la paix, il ne faudrait pas oublier que la présence militaire française en Afrique reste importante, même si on est en train de la réformer.

TV5 infos : Peut-on dire un mot de l’image de marque de votre département ministériel ? On a parlé de réseaux, on a parlé de choses occultes très peu contrôlées. Il y avait le réseau Foccart, on a parlé des réseaux Mitterrand, etc. Est-ce que ceci peut être mis au compte du passé, et est-ce que cela ne pollue pas un peu l’image de votre action… ?

Charles Josselin : On a peut-être entretenu le côté un peu glauque, où il y avait des mélanges d’argent, d’informations plus ou moins secrètes. C’est vrai, il faut changer cela.

TV5 infos : On peut gouverner autrement la coopération ?

Charles Josselin : Je crois qu’il faut que la coopération apparaisse comme une politique aussi ouverte que les autres, que le Parlement soit informé, qu’il y ait une certaine transparence, qu’il y ait une bonne communication. Je voudrais dire à cet égard, l’espoir qui est le mien : qu’on arrive à mieux faire savoir ce qui se fait. C’est la seule solution pour que les Français adhèrent à la politique de coopération, comprennent qu’il ne faut pas opposer Corrèze et Zambèze, mais que le développement du Zambèze ou de sa région est important aussi pour nous-mêmes. Il faut aussi communiquer en direction des Africains pour leur rappeler ce que nous avons fait et ce que nous continuons à faire en Afrique. Aujourd’hui, ils ont plutôt tendance à s’intéresser à ceux qui commencent à s’intéresser à eux, en oubliant ceux qui s’y intéressent depuis longtemps.

TV5 infos : Vous parlez de communication. Naturellement TV5 est reçue sur ce grand continent. On peut rappeler les émissions de TV5 Afrique. Vous parlez même également d’Internet. C’est possible…

Charles Josselin : Internet n’a pas de frontières…

TV5 infos : En effet.

Charles Josselin : L’Afrique commence désormais à se doter des moyens les plus modernes en matière de communication. J’observe simplement que les moyens étant très disparates, et que le blocage de l’argent jouant nécessairement son rôle, on peut redouter un accroissement des inégalités en matière d’information au fur et à mesure que ces outils modernes pénètrent sur le marché. Je souhaite qu’on fasse bon usage de ces techniques et qu’on se souvienne qu’il faudrait que le plus grand nombre possible y ait accès, pas seulement les citoyens, mais aussi les territoires. J’ai peur qu’il y ait de nouvelles inégalités. Il faut s’en préoccuper.

TV5 infos : Vous estimez aujourd’hui avoir, bien difficile sans doute de répondre oui sans le moindre état d’âme : est-ce que la France se donne les moyens… Vous rappeliez que par tête d’habitant, il y a un effort réel. Par rapport à cette ambition très large, est-ce que, aujourd’hui, compte tenu de la situation économique difficile au Nord, on peut encore venir en aide aux pays les plus démunis ?

Charles Josselin : D’abord vous employez le mot « aide » qui est une forme de coopération. Le commerce, « trade » comme disent les Américains, en est une autre forme. Je ne vais pas opposer l’un à l’autre. Je souhaite que les entreprises françaises soient présentes sur ce marché important. Il n’y a pas de raison que nous en soyons absents.
Je pense que la « société civile » doit mieux s’impliquer dans nos aides en question. Quand je dis « société civile », je pense aux entreprises bien sûr et je me félicite des initiatives qui sont prises ici ou là, des occasions que j’ai déjà eues de travailler avec les chambres de commerce par exemple pour mobiliser davantage les entreprises. Je pense aux collectivités locales et là il y a un champ : celui que nous appelons la « coopération décentralisée ». Ce sont les relations directes de ville à ville ou de territoire à territoire, dans lesquelles d’ailleurs aujourd’hui beaucoup de collectivités sont déjà investies. Je voudrais insister sur le fait que non seulement ceci aide les villes africaines, mais ceci aide la démocratie locale à se développer. C’est une condition de la démocratie tout court. Je crois qu’il faut rappeler que c’est un enrichissement aussi pour les Français qui vont là-bas, qui découvrent autre chose, qui relativisent parfois certains problèmes, mais qui, c’est sûr en tout cas, s’enrichissent à cette culture différente.

TV5 infos : Vous êtes en charge de la Francophonie. Naturellement, c’est important pour la chaîne de la Francophonie, pour TV5. Rappelons les 70 millions de foyers raccordés au potentiel, les 6 000 réseaux câblés, cette diffusion mondiale. Aujourd’hui, cette émission est reçue également en Asie. La diffusion est tout à fait internationale. Que représente pour vous la Francophonie ? Est-ce une culture, j’allais dire exportée, est-ce un échange ? Est-ce économique, politique ?

Charles Josselin : Je voudrais d’abord que la Francophonie soit un avenir et pas un souvenir. Il faut que la Francophonie soit de son temps, qu’elle soit branchée sur les jeunes. De ce point de vue, les jeux de la Francophonie au travers du sport, de la culture, sont une magnifique occasion. La Francophonie doit intégrer l’économie et la politique. C’est la réalité d’aujourd’hui. Cela me paraît également important qu’elle s’appuie sur les moyens modernes de communication. C’est tout cela qui me paraît nécessaire pour faire vivre la Francophonie, à la fois défendre une culture et éviter la monoculture à l’échelle de la planète, qui serait un appauvrissement général. La Francophonie peut se développer bien sûr, dans les pays dits francophones. J’observe toutefois que des pays lusophones, c’est le cas du Mozambique et de l’Angola demandent du français. Il faut être capable de répondre à cette demande. Je crois que le sommet de Hanoï va être un moment important pour donner à cette Francophonie une réalité plus concrète.

TV5 infos : Une cinquantaine de pays se retrouvent dans cette famille des pays ayant le français en partage. Cela représente, j’allais dire politiquement, un groupe. Est-ce que l’élection d’un secrétaire général de la Francophonie peut donner, j’allais dire, plus de « chair » à la Francophonie ?

Charles Josselin : C’est en tout cas l’objectif poursuivi. En décidant de la création de ce poste de secrétaire général, on a voulu en effet donner à la Francophonie une image, un visage, une personnalité. C’est dire l’importance du choix du futur secrétaire général.

TV5 infos : Vous avez une idée ?

Charles Josselin : Non, pas du tout.

TV5 infos : On parle de Boutros Boutros-Ghali.

Charles Josselin : Disons que pour l’instant, Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations unies s’est porté candidat. Un autre candidat vient de se déclarer. Normalement, la date limite de dépôt des candidatures est la fin de ce mois. Dans une semaine, nous devrions en savoir davantage. Je souhaite en tout cas que la désignation du secrétaire général fasse l’objet d’un large consensus. Ce serait mieux qu’une victoire au couteau.

TV5 infos : Ce ne sera pas forcement le candidat de la France qui sera élu ?

Charles Josselin : J’espère bien. J’aimerais quand même que ce soit le candidat de la France.

TV5 infos : Oui. Sans qu’on puisse à nouveau donc avoir un nom, j’en conviens. Alors une fois donc la Francophonie représentée par une structure, par un homme, est-ce qu’au plan international il peut y avoir une action ? N’est-ce pas une forme de « concurrence » par rapport à ce qui existe ? À l’ONU, à des structures du même genre ?

Charles Josselin : Il faudra, sur le plan de la Francophonie politique, que le secrétaire général, et aussi tous ceux qui participeront autour de lui à la Francophonie, sachent trouver la bonne posture, y compris par rapport à ces conflits mondiaux qui mobilisent nécessairement l’ONU, parfois l’OUA. Il faudra jouer juste, et jouer bien sa partition, pour éviter que ce nouveau rôle vienne parfois aggraver la confusion. C’est une question importante sur laquelle nous poursuivons une réflexion avec nos partenaires francophones. Je ne doute pas qu’avant Hanoï, et à Hanoï, ces questions seront à nouveau débattues.

TV5 infos : On parlait de l’Afrique où il y a un certain nombre de pays qui connaissent des déstabilisations, même si d’autres avancent dans la démocratie. En Asie, on peut penser que des pays, par exemple le Cambodge, ne connaissent pas non plus une situation particulièrement calme.

Charles Josselin : Je le regrette. C’est d’ailleurs le jour même où je coprésidais une commission mixte franco-cambodgienne qui venait de décider de conduire un certain nombre d’actions de développement, qu’il y a eu ce coup d’État ou simili coup d’État, conduit par Hun Sen. Je souhaite que très vite, la situation se régularise et permette de conduire ces actions au développement pour lesquelles nous avions déjà beaucoup travaillé. Ce serait bien si nous pouvions constater à Hanoï que le Cambodge est en ordre et en harmonie.

TV5 infos : Par rapport au Vietnam, j’imagine que dans quelques semaines, on insistera également sur le respect parfois bien approximatif des Droits de l’Homme. Or, la Francophonie, c’est aussi les Droits de l’Homme ?

Charles Josselin : Oui, et nous voudrions bien qu’il y ait une relation justement entre Droits de l’Homme et Francophonie. On aimerait bien que les pays francophones soient un peu exemplaires du point de vue des Droits de l’Homme, qu’à l’intérieur des pays francophones, on sache aussi siffler les hors-jeu, et inviter ceux qui commettent des erreurs de ce point de vue à les corriger. Il y a une pédagogie de l’exemple par l’exemple qui peut jouer, quitte à aider les pays qui sont en difficulté. Je sais que ce n’est pas toujours facile d’accorder toute l’attention qu’il faudrait à la démocratie quand les problèmes de développement, de misère, de pauvreté sont aussi pressants. Il faut qu’il y ait évolution parallèle de l’économie et de la démocratie.

TV5 infos : Une question qu’on vous a posée ou qu’on a posée à vos prédécesseurs à diverses reprises : êtes-vous le dernier en charge de la coopération ?

Charles Josselin : Lionel Jospin nous a d’abord dit qu’il fallait nous inscrire dans la durée. Donc si je devais être le dernier, ce n’est pas pour demain. Je m’empresse de le préciser. Je voudrais dire en tout cas, que quel que soit l’organigramme gouvernemental, la coopération de la France au développement des pays qui en ont besoin, durera longtemps.