Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à New York et interview à Radio France internationale le 25 septembre 1997, sur la situation politique et économique de l'Afrique et sur l'aide internationale pour le développement économique et le règlement des conflits.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture de la 52ème assemblée générale des Nations unies à New York (Etats-Unis) le 22 septembre 1997 - intervention au Conseil de sécurité sur la situation en Afrique le 25.

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

52e assemblée générale des nations Unies - New York 25 septembre 1997

Madame le Président,
Monsieur le secrétaire général,
Monsieur le Président,
Monsieur le secrétaire général de l’OUA,
Mesdames et messieurs les ministres,

Notre Conseil a régulièrement l’occasion d’évoquer l’Afrique mais, c’est trop souvent pour rechercher dans l’urgence des solutions à des crises. Aussi est-ce une excellente chose que de débattre au fond des problèmes de la paix et du développement sur le continent africain. Aucune autre enceinte internationale ne peut le faire avec la même légitimité ni avec les mêmes responsabilités.

D’abord, de quelle Afrique parlons-nous ?

Depuis 1995, le continent africain a renoué avec la croissance, une croissance supérieure à son taux de croissance démographique, croissance toutefois inégalement répartie.

Certains ont su tirer parti d’une bonne conjoncture en s’engageant simultanément dans la voie de la démocratisation et de réformes économiques courageuses.

Mais, pour bon nombre de pays, la croissance n’est pas encore au rendez-vous, et l’environnement régional revêt une importance déterminante.

En outre, si l’Afrique dans son ensemble renoue avec la croissance, la part globale de l’Afrique subsaharienne dans les échanges mondiaux n’a cessé de se dégrader depuis 25 ans pour n’en représenter aujourd’hui que 1,5 %, ce qui met en évidence la difficulté de l’Afrique à s’insérer dans le processus de mondialisation en cours.

Le fardeau de la dette, malgré des programmes récurrents d’annulation ou de rééchelonnement, reste un handicap majeur pour l’Afrique au moment où elle cherche les voies d’un nouveau dynamisme.

À ces contraintes fortes, il faut ajouter la tendance à la réduction de l’aide publique internationale. Avec la fin de la guerre froide, une partie de l’aide dont bénéficiait l’Afrique s’est dirigée vers d’autres horizons. Surtout, certains grands pays ont opéré des coupes drastiques dans leurs budgets d’aide au développement. Dans certain cas, cette réduction est supérieure à 30 % pour les seules années 1995 et 1996.

Or, cette diminution de l’aide est intervenue au moment où l’Afrique engageait des processus d’ajustement structurel courageux. Les gouvernements africains disposaient ainsi de financements externes diminués au moment même où ils imposaient à leurs populations des efforts considérables.

La poursuite de la réduction des flux d’aide internationale constituerait, je veux le souligner, un risque majeur d’aggravation des tensions et des crises en Afrique. Nous l’avons rappelé à nos partenaires européens en 1995 lorsqu’il s’agissait de renouveler l’enveloppe du Fonds européen de développement, nous avons plaidé cette cause au Sommet du G7 à Lyon en 1996. C’est l’engagement de la France depuis des décennies, elle a longtemps été seule à le rappeler. Elle continuera à le faire.

C’est cet arrière-plan que nous devons avoir à l’esprit lorsque nous abordons les questions de sécurité en Afrique, même si, dans chaque crise, les facteurs politiques locaux et sous-régionaux, et souvent les factures ethniques, jouent également un rôle de premier plan.

Les tragédies qu’ont connues certains pays ces dernières années ont produit d’immenses drames humains, d’immenses déplacements de populations civiles vers des pays en proie eux-mêmes à des graves difficultés. Ces flux de réfugiés ont déstabilisé des régions entières, en dépit des efforts remarquables du haut-commissariat aux réfugiés.

Ces populations, parfois prises en otages par des groupes armés convaincus de génocide, pour lequel un tribunal pénal international a été créé, ont à leur tour été victimes de massacres dans des conditions sur lesquelles il est indispensable de faire la lumière, pour construire l’avenir autrement.

Mais des signes d’espoir apparaissent. Tout d’abord, depuis de plusieurs années, l’Afrique confirme chaque jour davantage sa volonté d’être active dans la prévention et le règlement des conflits qui l’affectent. L’organisation de l’unité africaine joue un rôle positif croissant dans nombre de situations délicates. Pour la première fois dans l’année écoulée, les secrétaires généraux de l’ONU et de l’OUA ont désigné un représentant spécial conjoint, en la personne de l’ambassadeur Sahnoun, dans la région des Grands lacs. La France salue ce rapprochement entre les deux organisations. J’ajoute que j’approuve ce que le secrétaire général de l’OUA a dit à propos de l’appel du président Bongo en ce qui concerne la République du Congo.

Certaines organisations sous-régionales, en Afrique australe, en Afrique de l’Ouest et dans la Corne de l’Afrique, affirment leur compétence, et constituent déjà, des facteurs de stabilisation qu’il faut encourager. La diplomatie préventive des chefs d’État concourt heureusement à dénouer nombre de différends.

Dans certaines situations, l’Afrique, en dépit de moyens limités, a pris l’initiative d’opérations de maintien de la paix. L’action de l’ECOMOG au Liberia, constitue à cet égard une expérience positive. La mission de surveillance des accords de Bangui, en Centrafrique, aura été un succès pour les pays africains qui l’ont constituée. Le Conseil de sécurité a pris acte de ce succès, en approuvant récemment la poursuite de ses opérations.

Cette évolution positive, je le redis, doit être encouragée. Mais, parce que ces encouragements ne doivent pas, selon nous, rester purement verbaux, il faut mettre en place les mécanismes permettant à la communauté internationale dans son ensemble de coordonner son aide aux États et aux instances africaines, pour renforcer leurs capacités dans le domaine du maintien de la paix.

C’est dans cet esprit que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis sont récemment convenus de coopérer pour renforcer les capacités des pays africains dans le domaine du maintien de la paix, sous les auspices des Nations unies et en liaison avec l’OUA.

Mais aider l’Afrique à s’impliquer davantage dans la résolution de ses crises n’autorise en aucune façon, selon nous, la communauté internationale à se désengager de ses responsabilités à l’égard du continent africain.

Elle doit au contraire s’impliquer au-delà des déclarations d’intention, et intervenir effectivement dans les situations de crise aussitôt que les conditions d’une présence efficace sont réunies.

La France, pour sa part, consciente de ses responsabilités particulières en tant que membre permanent du Conseil de sécurité et consciente de l’importance qui s’attache au respect des décisions du Conseil de sécurité, s’est employée inlassablement à apporter sa contribution à la prévention des crises, en privilégiant chaque jour davantage une approche multilatérale des questions de sécurité sur le continent africain. Tout en maintenant les accords de défense qui la lient à certains pays, elle a marqué son refus de se laisser impliquer dans les conflits internes ou de s’ingérer dans les affaires intérieures de ses partenaires africains.

La France a clairement choisi sa politique : soutien à la construction de l’État de droit et de la démocratie, à la bonne gouvernance, soutien au développement, clé de la stabilité et de la paix en Afrique, construction d’un partenariat tourné vers l’avenir. Elle partage cette politique avec ses partenaires de l’Union européenne, qui constituent ensemble, à travers le Fonds européen de développement, la convention de Lomé et les aides bilatérales, de très loin, le principal partenaire du continent africain. La France adapte et modernise sa politique africaine mais elle ne se désengagera pas, au contraire. C’est la politique qu’elle continuera de défendre, en coopération avec vous, madame le Président, monsieur le secrétaire général, mesdames et messieurs les ministres.

RFI : 25 septembre 1997

RFI : Quelle est l’utilité de la déclaration du Conseil de sécurité sur l’Afrique ?

H. Védrine : C’est une déclaration qui conclut un tour de table. Donc, je dirais que l’utilité de cette réunion et de ce tour de table a permis aux membre du Conseil de sécurité de se pencher pendant trois heures sur les questions africaines, indépendamment de la gestion d’une crise urgente. Habituellement c’est sous la forme d’une crise qu’on s’en occupe, donc sous l’angle le plus tragique et le plus préoccupant. Là, c’était différent. C’était une vraie réflexion – chaque pays a pu exprimer sa politique – sur ce qui peut être fait, dans le cadre de l’ONU et au niveau de la concertation des politiques internationales sur l’aide à l’Afrique en matière d’économie et de développement et ce qui peut être fait en matière de stabilité et donc de maintien de la paix. Je crois que c’était très intéressant que cette approche soit mise en avant parce que c’est une approche d’avenir et non pas une approche d’urgence ou de pompier.

RFI : Concrètement, qu’est-ce que les pays africains peuvent en attendre ?

H. Védrine : Ils peuvent en attendre un signal politique et psychologique important qui est que l’Afrique n’est pas le continent oublié. Tout le monde a indiqué que sur le plan économique l’évolution de l’Afrique était très prometteuse et cela a permis à des pays comme la France, précisément, de rappeler que même si une partie de l’économie africaine commence petit à petit à s’insérer dans l’économie mondiale, l’économie africaine conserve un besoin absolu et vital d’une aide au développement importante. J’ai dit à cette occasion ce qui est la position constante de la France, du président de la République et du gouvernement : il ne faut pas que ce développement de l’économie de marché et du commerce dispense les pays riches de leur devoir d’aide et à cet égard nous avons l’intention de continuer à faire tout ce que nous pouvons et d’entraîner l’Union européenne dans une politique généreuse et intelligente pour l’avenir à ce point de vue.

RFI : Vous ne voyez pas avec une certaine ironie tous ces pays se précipiter, tout cet intérêt se faire – pas toujours désintéressé d’ailleurs –, à propos de l’Afrique ?

H. Védrine : Vous avez raison de dire qu’il peut y avoir des arrière-pensées d’intérêt aujourd’hui. Nous le savons bien puisque la France a été présente en Afrique depuis des décennies alors que cela ne correspondait pas à un calcul particulier et à des époques où cela était moins profitable ou moins prometteur. Il n’empêche que ce qui est important est que les pays africains puissent bénéficier de cet intérêt, même s’il est nouveau. Bienvenue à tous les pays africains qui ne s’intéressaient, à nos yeux, pas assez à l’Afrique avant et qui s’y intéressent à nouveau maintenant. On ne va pas le regretter quand même.

RFI : Il n’y a pas de concurrence ?

H. Védrine : Non, bien sûr que non. Il y a complémentarité de toutes les formes d’aide et d’intérêt, dès lors, encore une fois, que ce besoin de développement n’est pas escamoté et qu’on lui laisse toute sa place dans une série d’approches où il y a du commerce, de l’aide et où il y a, d’autre part, de plus en plus de formation pour que les armées africaines soient en mesure de faire, par elles-mêmes de façon adéquate, du maintien de la paix.