Texte intégral
M. le président : L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, je suis heureux de saluer votre présence, ainsi que celle de nombreux ministres, à l’occasion de cette première séance de questions d'actualité au gouvernement. Nous y sommes sensibles. J'ajoute que c'est un plaisir et un honneur pour moi de présider cette séance.
Compte tenu du changement de gouvernement qui est intervenu, il me paraît utile de rappeler la règle du jeu.
Le temps réservé à chaque question est de cinq minutes : deux minutes et demie pour le questionneur et deux minutes et demie pour le répondeur.
Dans ces conditions, vous voudrez bien me pardonner s'il m'arrive de temps en temps de rappeler les orateurs à l'ordre, aussi bien les sénateurs que les ministres d'ailleurs.
Je ne méconnais pas le caractère désagréable de telles interruptions, mais je souhaite vivement que chacun respecte son temps de parole. En effet, si tel n'était pas le cas, certains seraient pénalisés, le temps consacré à la retransmission de cette séance par la télévision nous étant compté.
– Politique générale du gouvernement
M. le président : La parole est à M. de Raincourt. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt : Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
La déclaration de politique générale du gouvernement a été lue devant le Sénat. Elle n'a pas donné lieu à un débat, comme la Constitution l'aurait permis, mais je comprends tout à fait les motifs qui ont conduit le gouvernement à ne pas en solliciter l'organisation.
Monsieur le Premier ministre, votre participation à notre première séance de questions d'actualité me permet de soulever un certain nombre d'interrogations qui me paraissent importantes.
Le récent sommet d'Amsterdam a confirmé la création de la monnaie unique le 1er janvier 1999, qui impose la poursuite de la réduction des déficits publics. Peu de jours après, dans votre discours de politique générale reprenant les engagements que vous aviez souscrits durant la campagne électorale, vous avez annoncé, ai-je lu dans la presse, quarante-deux mesures, dont la quasi-totalité va entraîner des dépenses nouvelles, et je ne parlerai pas de l’arrêt de certains grands travaux ou de Superphénix, par exemple. Par ailleurs, des privatisations pourraient être différées ou abandonnées, vous privant des recettes correspondantes.
La seule économie annoncée – pour le moment, elle ne semble d'ailleurs guère faire recette – est le plafonnement des ressources pour l'attribution des allocations familiales. Monsieur le Premier ministre, c'est la remise en cause d'un principe que, pour notre part, nous n'entendons pas abandonner.
J'ajoute que la simultanéité de cette annonce et de la régularisation d'un certain nombre d'étrangers en situation irrégulière est pour le moins maladroite et qu'en tout cas elle en choque plus d'un. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président : Posez votre question !
M. Henri de Raincourt : Monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous financer les premières mesures que vous avez retenues ? Comment à la fois aller vers la monnaie unique, réduire les déficits, augmenter les dépenses, stabiliser ou diminuer les prélèvements tout en prenant en compte les nouvelles contraintes de la politique nationale que vous entendez conduire ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt : Tout cela en deux minutes trente !
M. le président : La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre à la question de M. de Raincourt, je voudrais d'abord dire que, si les usages et l'ordre du jour du Parlement m'ont conduit, depuis ma nomination comme Premier ministre, à m'exprimer trois fois devant l'Assemblée nationale, c'est avec un très grand plaisir que je me trouve aujourd'hui au Sénat pour répondre, avec les membres de mon gouvernement, aux questions qui nous sont posées.
Je suis heureux que l'occasion me soit donnée, avant la fin de la session parlementaire, d'ajouter que j'aurai le souci permanent, dans mon action gouvernementale, d'associer le Parlement, notamment le Sénat, dans le respect, naturellement, de l'indépendance de chacun et de la distinction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, aux débats qui précéderont ou qui accompagneront la mise en œuvre des orientations qui seront les nôtres.
En ce qui concerne plus particulièrement la question posée par M. de Raincourt, et après que Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, fut venue devant le Sénat présenter la déclaration de politique générale, je voudrais dire que, s'il existe un certain nombre de tensions, d'exigences contradictoires, de contraintes face auxquelles va se trouver le présent gouvernement et en raison desquelles, nous a-t-on expliqué, le précédent gouvernement avait préféré écourter la durée du mandat de l'Assemblée nationale, peut-être pour ne pas avoir, justement, à les affronter...
(Marques d'approbation et rires sur les travées socialistes. – Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
C'est une explication qu'on nous a donnée ! On ne nous en a pas donné tellement d'autres !
S'il existe des contraintes, disais-je, celles-ci relèvent moins, monsieur le sénateur – il faut nous en convaincre – d'une contradiction qui existerait entre nos engagements de campagne et le réel que de tensions, de contradictions ou d'exigences que recèle le réel lui-même et auxquelles nous sommes tous confrontés, ce gouvernement l’étant après le précédent. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce gouvernement a le temps devant lui. Par ailleurs, monsieur le sénateur, au-delà de toutes les promesses, lorsqu'un pays compte 3 millions de chômeurs et subit en même temps un endettement massif qui s'est, pour l'essentiel, envolé dans les années 1993 à 1995... (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) … lorsque ce même pays a un taux de prélèvements obligatoires considérable et que ce taux s'est accentué au point de constituer un record durant la période 1995-1997… (Nouvelles protestations sur les mêmes travées) … ces contraintes existent pour tous : elles existent pour mon pays et elles existent pour le gouvernement.
Nous avons à veiller aux comptes publics, à l'endettement, au risque de creusement du déficit. En même temps, nous devons nous efforcer d'intégrer une croissance qui donne peut-être des signes de reprise – mais ils sont encore fragiles, comme en témoignent des indicateurs contradictoires – alors que nous avons plus de 3 millions de chômeurs.
Ces contradictions existent dans la vie économique, mais aussi dans les rapports entre l'économique et le social, et même dans la société et la vie politique puisque l'on constate qu'une force extrémiste rassemble plus de 15 % des voix dans notre pays ! (« Grâce à vous ! » sur les travées du RPR.)
Nous devons par ailleurs affronter un rendez-vous monétaire, dont j'ai rappelé qu'il nous tenait et que nous nous engagions à le respecter.
Voilà le cadre général dans lequel le gouvernement va agir. Nous allons affronter ces difficultés.
Monsieur le sénateur, les réponses aux questions précises que vous avez posées vous seront données à l'automne, lorsque nous aborderons le débat qui concernera le collectif budgétaire et la préparation du budget.
À ce sujet, je vous précise que j'ai réuni les ministres avant de vous rejoindre pour évoquer l'exercice budgétaire. Le débat commence entre nous d'abord, parce que c'est nécessaire. En effet, les lettres de cadrage doivent partir bientôt. Or, la procédure budgétaire, en raison de la dissolution – je n'en fais le reproche à personne, mais c'est une donnée – a été retardée de deux mois. Nous devons donc agir dans un délai beaucoup plus restreint.
Vous aurez des indications précises sur vos questions lorsque nous parlerons et du collectif budgétaire et du projet de budget pour 1998.
Je dois ajouter, monsieur le sénateur, qu'il ne m'était pas venu à l'esprit de faire un rapprochement entre la mise sous condition de ressources du versement des allocations familiales et la régularisation de tel ou tel sans-papiers se trouvant dans une situation inextricable. Vous avez opéré ce lien. Il ne m'était pas venu à l'esprit, et je ne suis pas persuadé qu'il soit venu à l'esprit de beaucoup de nos concitoyens !
M. Claude Estier : C’est vrai !
M. Lionel Jospin, Premier ministre : En tout cas, nous allons effectivement tenir ces exigences contradictoires : croissance à soutenir, chômage à faire reculer et, en même temps, maîtrise des comptes publics, qu'il s'agisse du déficit du budget de l'État – nous aurons des informations précises sur ce point le 21 juillet quand l'évaluation des magistrats de la Cour des comptes aura été rendue publique – ou des comptes de la sécurité sociale, sur lesquels nous pouvons avoir de sérieuses inquiétudes.
Nous prenons la situation telle qu'elle nous a été laissée et nous travaillerons sur ces bases en espérant léguer à ceux qui nous succéderont une situation meilleure.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
- Politique de l’emploi
M. le président : La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc : Monsieur le Premier ministre, au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je salue votre première venue, avec le nouveau gouvernement de la France, devant la Haute Assemblée.
Nous sommes partie prenante de la majorité pluraliste. Nous voulons être les acteurs efficaces et constructifs de l'œuvre de changement pour en garantir le succès durable.
Comme les Françaises et les Français, nous sommes ambitieux pour notre pays afin que toutes et tous retrouvent, après tant de souffrances, de déceptions... (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) ... de promesses non tenues, le chemin de l'espoir, celui d'une vraie vie, pour lequel une formation réussie et un emploi qualifié et stable sont deux piliers indispensables.
Monsieur le Premier ministre, nous avons apprécié le ton décidé, la sérénité…
Plusieurs sénateurs du RPR : La question !
Mme Hélène Luc : … de votre déclaration de politique générale.
Nous approuvons les orientations et les mesures intéressantes qui se démarquent de l’ultralibéralisme et de l’autoritarisme des gouvernements de droite.
M. Josselin de Rohan : Les 4 % !
Mme Hélène Luc : Eh bien oui…
M. le président : Posez votre question Mme Luc ! (Posez votre question ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l’Union centriste.)
Mme Hélène Luc : Dans le même temps, nous trouvons nettement insuffisante l'augmentation de 4 % du SMIC. (Ah ! sur les mêmes travées.) et s'agissant du plafonnement des allocations familiales (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées), je vous le dis franchement, monsieur le Premier ministre, pour notre part, et vous le savez, nous n'y avons jamais été favorables. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac : Très bien !
Mme Hélène Luc : Vous ne manquez pas d’audace, vous qui n’avez pas augmenté les allocations familiales ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président : Posez votre question, Mme Luc, s’il vous plaît !
Mme Hélène Luc : Monsieur le président, c'est la faute de la majorité ! Je vous demande de me décompter le temps de parole dont on m'a privée ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
En 1996, les gros portefeuilles boursiers se sont enflés de 1 000 milliards de francs, record jamais atteint !
M. Charles Descours : Ça continue !
M. le président : Votre question, madame Luc !
Mme Hélène Luc : N’est-ce pas là qu’il faut prendre les financements pour le pacte de solidarité que vous voulez mettre en œuvre, monsieur le Premier ministre ?
M. le président : Votre question, s’il vous plaît, madame Luc !
Mme Hélène Luc : Monsieur le président, on m’a interrompue. Je vous demande de me permettre de finir ma question.
Notre économie a un besoin impératif de croissance.
M. Philippe François : C’est une déclaration !
Mme Hélène Luc : Le moteur est l’augmentation du pouvoir d’achat pour qu’alors suive la création en chaîne de milliers d’emplois dès la rentrée des classes, par exemple. C’est là le cœur de ma question. (Ah ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l’Union centriste.)
Pour permettre cette politique ambitieuse de relance, le refus du carcan des critères de Maastricht…
M. le président : Posez votre question, madame Luc !
Mme Hélène Luc : J’ai commencé à la poser ; je termine, monsieur le président.
M. le président : Votre question, s’il vous plaît ! Vous parlez depuis trois minutes et demie !
Mme Marie-Claude Beaudeau : C’est injuste !
Mme Hélène Luc : Monsieur le président, je viens de vous le dire, la question qui est au cœur de mon intervention est celle de l’emploi, pour la rentrée des classes par exemple.
Pour permettre cette politique ambitieuse… (M. le président coupe le micro de Mme Luc.)
M. le président : Votre question maintenant, madame !
Mme Hélène Luc : Monsieur le président, vous avez permis tout à l’heure à un orateur de dépasser son temps de parole de cinquante secondes !
M. le président : J'ai laissé parler M. le Premier ministre pendant cinq minutes, ce qui est normal, et M. de Raincourt pendant deux minutes quarante-cinq. Vous, vous en êtes déjà à trois minutes cinquante-cinq !
Mme Hélène Luc : Avec les interruptions !
J'en viens à ma question : comment, monsieur le Premier ministre, le gouvernement va-t-il associer les députés et les sénateurs à la préparation du collectif budgétaire sur les mesures tant attendues et les chantiers annoncés ? (M. le président coupe à nouveau le micro. – Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président : La parole est à M. le Premier ministre.
Mme Hélène Luc : Monsieur le président, je regrette votre attitude.
M. le président : Je regrette aussi, mais vous êtes intervenue quatre minutes trente !
Mme Hélène Luc : Si vous décomptez les interruptions, cela ne fait pas quatre minutes !
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Vous commencez très mal votre présidence sous un gouvernement de gauche, monsieur le président !
M. le président : La parole est à M. le Premier ministre, et à lui seul.
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Madame le sénateur, l'augmentation du SMIC de 4 %, avec un taux d'inflation inférieur à 1 %, est la plus importante depuis quinze ans.
Quant au fait de placer les allocations familiales sous plafond de ressources, il s’agit d’une décision juste (Applaudissements sur les travées socialistes) et comprise par la plus grande partie de l’opinion.
M. Emmanuel Hamel : Certainement pas !
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Elle n’a suscité, à mon sens – je laisse la liberté aux forces politiques – que des réactions extrêmement minoritaires, représentatives d’une proportion de familles extrêmement restreinte.
Sur la base d’une telle annonce, nous pouvons maintenant ouvrir des concertations.
M. Jean Chérioux : C’est un peu tard !
M. Lionel Jospin, Premier ministre : L’action gouvernementale est un dosage entre la décision, nécessaire, l'action et la concertation.
Si j'avais fait une déclaration de politique générale dans laquelle je m'étais contenté d'aborder des thèmes en disant que, sur tous, j'entamerai un dialogue perpétuel avec la population, vous auriez dit : quelle déclaration vague !
Il faut donc articuler un discours, donner des indications, marquer une volonté, la préciser pour que les choses soient claires (Vifs applaudissements sur les travées socialistes) et, ensuite, ouvrir le dialogue.
Notre politique de lutte contre le chômage – puisque telle est votre préoccupation, madame le sénateur – repose sur deux piliers : retrouver une croissance durable et créer les conditions d'un développement plus riche en emplois.
Aujourd'hui, la demande est insuffisante dans ce pays ; c'est le diagnostic des économistes. Il faut donc agir en faveur de l'investissement et de la consommation pour améliorer l'emploi.
La recherche d'une croissance plus forte ne se décrète pas. Elle se gagne sur une réorientation des politiques européennes. L'espace que nous avons essayé d'ouvrir au sommet d'Amsterdam, sommet qui s'est tenu quelques jours après la formation du gouvernement, est destiné à rechercher en Europe des concertations en vue de politiques plus dynamiques de croissance.
Elle se gagne aussi par le redéploiement des dépenses de l'État pour stimuler la demande et créer des emplois. À cet effet, les réhabilitations de logements annoncées seront engagées dès cette année, notamment pour les HLM, et la consommation sera soutenue grâce à l'augmentation forte de l'allocation de rentrée scolaire.
Elle se gagne encore par un nouveau partage de la valeur ajoutée entre les revenus du travail et les profits, passage qui s’inscrira progressivement dans des mesures fiscales.
Toutes ces dispositions contribueront à relancer la croissance.
Nous mettrons par ailleurs en œuvre le programme dit des « 700 000 jeunes ». Nous ne voulons pas intégrer artificiellement des jeunes dans les administrations, mais nous souhaitons plutôt partir des besoins recensés effectivement dans les entreprises, les collectivités, les associations et, naturellement, les services publics.
Pour cela, le ministre de l'emploi et de la solidarité, en liaison avec les ministres concernés – nous en avons parlé ce matin – a d'ores et déjà engagé, sur la base de missions confiées à des personnalités, un travail d'évaluation des besoins et de recherche de méthodes susceptibles de susciter des dynamiques communes et plurielles en faveur de la création d'emplois.
Ce premier dispositif sera mis en œuvre dès l’automne à travers les premiers contrats signés.
M. le président : Monsieur le Premier ministre...
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Enfin, à partir de la conférence sur les salaires, l'emploi et la diminution du temps de travail, nous pourrons, par la négociation et par une loi-cadre, ouvrir le grand chantier de la diminution du temps de travail, qui, lui aussi, servira l'emploi.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président : Mes chers collègues, je voudrais rappeler un principe : une question d'actualité porte sur un sujet précis, mais elle ne doit pas définir un programme de gouvernement ! Je vous demande par conséquent de faire preuve de discipline, sinon le nombre de questions posées sera limité.
- Méthode de gouvernement
M. le président : La parole est à M. Blin, pour deux minutes et demie.
M. Maurice Blin : Je n’utiliserai pas ces deux minutes et demie, monsieur le président. Depuis votre arrivée à l'hôtel Matignon, monsieur le Premier ministre, vous avez demandé expressément aux membres de votre gouvernement de « pratiquer le dialogue, la concertation et de respecter les droits du Parlement ».
En l'espace de quelques jours, dans trois domaines au moins, cette recommandation, au demeurant tout à fait opportune, semble avoir été oubliée.
Tout d'abord, le projet de loi de finances rectificative, un moment annoncé par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, pourrait, dit-on, ne pas voir le jour.
Le Parlement en sera donc réduit à avaliser en fin d'année les annulations ou les ouvertures de crédits décidées sans débat par le gouvernement.
Par ailleurs, madame le ministre de l'environnement a annoncé, dès sa prise de fonction, l'abandon d'un nombre impressionnant de programmes de travaux qui avaient fait l'objet d'études et d'engagements de crédits importants, ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt : Il fallait lire notre programme !
M. Maurice Blin : … sans concertation préalable…
M. Serge Vinçon : Aucune !
M. Maurice Blin : … ni, semble-t-il, avec ses collègues du gouvernement, ni avec le Parlement, ni avec les responsables des collectivités locales intéressées.
Nous pensons tous à la liaison fluviale Rhin-Rhône, à Superphénix, à l'EPABERRE, l'établissement public d'aménagement de l'étang de Berre, au tracé du TGV-Est, à l'autoroute A51 Grenoble-Sisteron.
Troisième point d'inquiétude et de surprise : le versement des allocations familiales sous conditions de ressources constitue l'exemple d'une décision prise sans que les partenaires sociaux intéressés aient été ni consultés ni même informés.
La remise en cause d'un élément aussi essentiel d'une politique familiale, vieille aujourd'hui de plus d'un demi-siècle, et qui pourrait annoncer demain celle de la couverture des dépenses de santé méritait, nous semble-t-il, davantage d'explications.
Certes, monsieur le Premier ministre, gouverner c'est décider, c’est-à-dire trancher. Mais cela suppose préalablement une écoute particulièrement attentive du pays.
Pouvons-nous espérer, monsieur le Premier ministre, que cette leçon, votre leçon, sera mieux entendue à l'avenir des membres de votre gouvernement ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président : Je vous remercie, monsieur Blin, vous tenez vos promesses.
M. Jean-Louis Carrère : Non, il avait dit qu’il n’utiliserait pas tout son temps de parole ! (Sourires.)
M. le président : La parole est à monsieur le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais pas si M. Blin a dit qu’il poserait sa question en moins de deux minutes et demie, mais, pour ma part, il me sera difficile de répondre dans ce laps de temps si les questions posées sont aussi larges – il est vrai qu’aujourd'hui c'est la première fois que le dialogue se noue.
M. le président : Ne répondez pas sur tous les points ! (Rires.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Très bien : avec votre autorisation, monsieur le président, je serai donc très lacunaire, et monsieur Blin me le pardonnera !
Un sénateur de l’Union centriste : Il n’y a qu’une question !
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Pour ne répondre que sur la méthode, je dirai que c'est celle de la concertation : concertation au sein du gouvernement, concertation entre les membres du gouvernement et le Parlement, concertation avec les acteurs de la vie économique et sociale et avec les citoyens.
Néanmoins, mesdames, messieurs les sénateurs, engager la concertation ne signifie pas que l'on ne doit pas respecter, notamment dans sa déclaration de politique générale, les engagements majeurs t les annonces claires qui ont été exprimés dans une campagne électorale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il n'est pas forcément recommandé de ne tenir aucune des promesses que l'on a faites et il est possible que, lorsqu'on se livre à cet exercice, on ait à subir quelques inconvénients ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Il me paraît donc juste que des indications aussi claires que la volonté d'arrêter le surgénérateur Superphénix ou la réalisation du canal à grand gabarit Rhin-Rhône...
M. Emmanuel Hamel : Deux décisions catastrophiques !
M. Lionel Jospin, Premier ministre : … puissent être confirmées dans une déclaration de politique générale.
Au demeurant, je le précise, en ce qui concerne les grands équipements, à ce stade, ce sont les deux seules annonces qui relèvent d'une décision gouvernementale. (Murmures sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Les ministres remplissent leur rôle en étudiant les dossiers, et le gouvernement arrête ensuite des décisions. Je réponds donc à M. Blin et, ce faisant, j'informe le Sénat sur l'état d'avancement de ces dossiers.
En outre, compte tenu de la complexité de l'outil que représente Superphénix – un équipement qui, cela mérite d'être tout de même rappelé, n'aura fonctionné normalement que onze mois en douze ans et aura coûté 60 milliards de francs à la collectivité – les choses se feront progressivement et les concertations nécessaires seront conduites.
Pour ce qui concerne le canal Rhin-Rhône, il faut reconnaître honnêtement, monsieur le sénateur, que le débat a eu lieu. Je me suis moi-même rendu à plusieurs reprises dans la région. Au moins pour les élus, les représentants du mouvement associatif et les citoyens de cette partie de l'est de la France, la cause est entendue. C'est une décision que nous avions annoncée et nous la mettrons en œuvre. Une grande partie de la population de cette région s'en trouvera soulagée.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt : Absolument !
M. Lionel Jospin, Premier ministre : J’en viens, monsieur le sénateur, à la partie de votre question qui avait trait au collectif budgétaire.
Bien sûr, il est utile de lire les journaux, mais je relève qu'il m'arrive de découvrir dans les gros titres des journaux – et, parfois, ceux-ci reprennent des « informations » parues dans un journal économique et financier étranger – l'annonce de décisions qui seraient, paraît-il, celles d'un gouvernement que je dirige mais qui n'ont pas encore été prises ! (Sourires.)
Cela relève évidemment des rapports avec une presse libre et attentive, mais parfois inventive. Il ne faut donc pas prendre forcément pour argent comptant ce qui est imprimé.
Ainsi, il n'a pas été décidé par le gouvernement de présenter un collectif budgétaire. Nous nous sommes posé la question mais, compte tenu des contraintes de temps que j'évoquais tout à l'heure, en raison de la dissolution et de la campagne électorale, ce collectif budgétaire n'aurait pu être prêt avant la seconde quinzaine de juillet. De toute façon, nous voulions attendre les résultats de l'évaluation des comptes publics, qui seront connus le 21 juillet. Si, donc, nous avions effectivement décidé de présenter au Parlement un collectif budgétaire, nous l'aurions obligé à siéger pendant la seconde quinzaine d'août.
M. Jean-Louis Carrère. Ils ont besoin de repos ! (Sourires.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre : Il nous est apparu que vous ne nous l'auriez pas pardonné (Murmures sur les travées du RPR) et vous auriez eu raison !
Nous avons donc retenu une autre méthode. Quoi qu'il en soit, à l'automne, les droits du Parlement seront parfaitement respectés.
Je ne reviens que rapidement sur les allocations familiales. C'était un engagement clair, pris en 1995, lors d'une autre campagne que j'ai eu l'occasion de mener. Cela a été rappelé dans nos propositions, notamment celles de la formation politique à laquelle j'appartiens. J'ai moi-même évoqué cette mesure et madame le ministre de l'emploi et de la solidarité s'est exprimée à plusieurs reprises très clairement à ce sujet.
Une décision de principe est prise. Un certain nombre de parlementaires appartenant à votre champ politique. (M. le Premier ministre désigne le centre et la droite de l'hémicycle) ont d'ailleurs approuvé cette mesure. Nous la croyons juste. Elle est comprise par l'opinion.
M. Emmanuel Hamel : Non ! (Si ! sur plusieurs travées socialistes.)
M. Lionel Jospin, Premier ministre : La concertation va s'ouvrir sur les modalités de sa mise en œuvre. Celles-ci seront décidées et concertées, parfois concertées avant la décision, parfois concertées après la décision : c'est l'art du gouvernement ! (Exclamations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Au niveau de responsabilité qui est le mien, je prends cette décision. Je m'efforcerai d'être moins maladroit ou peut-être même d'être plus adroit que mes prédécesseurs, si c'est possible ! (Vifs applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe communiste républicain et citoyen.)