Texte intégral
RMC : 26 février 1992
P. Lapousterle : Vous êtes en campagne, les sondages ne vous créditent pas de résultats exceptionnels ?
L. Mermaz : Ils sont en gros, dans l'Isère, ce qu'ils sont au plan national avec cette grosse indication, que 43 % des électrices et des électeurs n'ont pas encore fait leur choix. C'est dire qu'il n'a jamais été aussi utile de faire campagne et d'aller sur le terrain.
P. Lapousterle : Vous pensez, vraiment que dans la ligne droite du 22 mars, il peut y avoir un redressement du score du PS ?
L. Mermaz : Je le pense, si nous sommes actifs. C'est ce que nous faisons dans nos régions. Si nous expliquons la politique du gouvernement, si nous disons ce que nous voulons faire en plus de ce qui a été fait été notamment pour être davantage en prise directe avec le monde du travail. Parce qu'on parle beaucoup des entreprises, c'est indispensable, on continuera de le faire, mais dans les entreprises, il y a les salariés, et de ceux-là, il faut s'occuper. C'est un problème de mobilisation morale.
P. Lapousterle : Vous avez de la bonne volonté d'être optimiste, parce que la série noire continue, les chiffres du chômage ne sont pas bons, est-ce que le gouvernement ne peut pas être accusé de ne pas avoir tout fait pour freiner le chômage ?
L. Mermaz : Et cependant, on crée des emplois, mais il y a une formidable inadéquation entre les emplois recherchés par les entreprises, et ceux qui sont disponibles. Actuellement, on cherche en France 500 000 emplois et on ne trouve pas. C'est un gros problème. Mais en attendant, il faut parer au plus pressé. Et la panoplie des mesures Aubry devrait faire diminuer le chiffre du chômage. Par exemple, le fait que les jeunes non-qualifiés peuvent être pris en charge par les entreprises qui doivent les former, et qui en échange sont exonérées de charges sociales, c'est une bonne disposition. J'espère que les entreprises vont s'en saisir. De même que ces emplois dits de proximité, qui permettent d'alléger les familles, et qui portent exonération jusqu'à 12 000 francs, cela devrait aussi inciter à engager des personnes pour aider dans la famille et faire reculer le travail au noir.
P. Lapousterle : Mais ça fait huit mois que le gouvernement Cresson est en place, que M. Aubry pond des mesures, mais les chiffres s'aggravent ?
L. Mermaz : Il y a cette toile de fond de la récession internationale et cette reprise qui n'en finit pas d'arriver, ça a des conséquences sur l'économie européenne. Regardez la situation en Allemagne, elle n'est pas meilleure. Vous me direz qu'il y a la réunification, mais la situation internationale est grise.
P. Lapousterle : Le Conseil constitutionnel a rejeté le projet des zones de transit, est-ce satisfaisant pour un homme de gauche de voir que ce sont neuf sages qui remettent en place les libertés individuelles en France ?
L. Mermaz : Je crois qu'on ne dit pas assez que dans cette affaire, c'est Mme CRESSON qui a pris l'initiative de saisir le Conseil constitutionnel, c'est personne d'autre. Si elle ne l'avait pas fait, nous n'aurions pas aujourd'hui ce débat. Le. Conseil constitutionnel ne remet pas en cause le fait qu'il faut prendre certaines mesures pour le contrôle de ceux qui sont en situation irrégulière. Il a simplement fait une réserve, à savoir que la personne contrôlée doit l'être sous la responsabilité, non du juge administratif, mais du juge judiciaire. Donc, c'est une demande de respect importante et forte de l'habeas corpus, mais encore une fois, l'initiative revient au Premier ministre.
P. Lapousterle : Mais il y a aussi une contestation sur la durée ?
L. Mermaz : Oui, mais s'il y a toutes les garanties, la durée peut avoir un effet bénéfique, c'est-à-dire qu'on se donne le temps d'examiner, de comprendre, c'est mieux qu'une décision qui serait de caractère exécutif. Je crois que le point central dans cette affaire, c'est que le juge judiciaire devra prendre ses responsabilités et ça, c'est une demande du Conseil constitutionnel, donc bien entendu il faut en tenir compte.
P. Lapousterle : Le gouvernement hier, était mis en accusation par des étudiants et lycéens ?
L. Mermaz : C'est une réforme qui est sérieuse, mais c'est une réforme qui n'est pas comprise du monde étudiant. C'est important de se faire comprendre.
P. Lapousterle : C'est toujours ce qu'on dit dans ces cas-là.
L. Mermaz : C'est exact. Mais je souhaite que le gouvernement et L. Jospin fassent le maximum pour qu'il soit compris. Donc il faut dialoguer, aller sur le terrain, entendre ce qu'on nous dit et se faire entendre. Mais la réforme qui vise à établir des passerelles, qui doivent permettre aux étudiants de bénéficier de deux sessions d'examen, tout cela va dans le bon sens.
P. Lapousterle : L. Jospin a refusé de voir le président de l'UNEF dans un débat radio ce soir, est-ce un bon début de dialogue ?
L. Mermaz : Peut-être qu'il envisage le dialogue sous une autre forme. Il y a deux mondes avec lesquels il faut dialoguer en permanence, c'est le monde paysan, et la jeunesse, les étudiants. Le dialogue est la grande loi du monde moderne.
P. Lapousterle : Que répondez-vous à la droite parlementaire, quand elle dit que c'est finalement elle qui est le vrai rempart contre le FN ?
L. Mermaz : C'est ce qui s'est passé dans les Alpes-Maritimes, ça veut dire que demain, ce sera peut-être la gauche. La candidature du professeur Schwartzenberg est là pour que la gauche soit aussi un élément du rempart. Il y a une droite qui est de gauche, c'est la démocratie, le parti du mouvement, les conservateurs, à partir du moment où on s'inscrit à l'intérieur de valeurs républicaines, là aussi il est normal de dialoguer. On n'est pas ennemi quand on accepte la République. Mais s'il se trouve dans certaines circonstances, si c'est un homme ou une femme de droite qui est en situation de s'opposer au FN, on doit lui reconnaître le rôle de rempart. Mais je suis sûr que la réciprocité sera vraie.
P. Lapousterle : À d'autres occasions, vous avez suspecté la droite de nouer des accords avec le FN ?
L. Mermaz : À ce moment-là, elle est passoire. Et dans un certain nombre de conseils régionaux, la droite a été passoire.
P. Lapousterle : Pour les prochaines élections, vous la suspectez d'être passoire ou rempart ?
L. Mermaz : Nous verrons au cas par cas. Il y a des hommes politiques de droite qui ne pactiseront jamais avec le FN.
P. Lapousterle : Faudra-t-il tirer des conséquences nationales au mauvais score prévu pour le PS ?
L. Mermaz : Il ne faut pas confondre les plans. L'institution régionale voulue par la gauche en 1982, et rejetée à ce moment-là par la droite avec une violence assez étonnante, mérite mieux qu'un transfert de débat. Si on parlait de l'avenir des régions, de leur rôle dans l'Europe. Si on se disait quel avenir social, économique et culturel ? Cela vaudrait mieux que de faire de la politique politicienne. Il n'en reste pas moins que le résultat des élections régionales sera important et influera sur la suite des événements.
RTL : 5 mars 1992
P. Coloni : C'est une bonne cuvée pour le Salon de l'Agriculture ?
L. Mermaz : C'est un Salon qui a attiré beaucoup de Parisiens et moins d'agriculteurs. La dispersion nuit à un grand rassemblement, le machinisme étant à Villepinte.
P. Coloni : Tout va-t-il mieux dans le monde agricole ?
L. Mermaz : Les agriculteur sont très attentifs aux négociations du GATT. Ils peuvent être assurés de notre ferme soutien. La commission prendra ses responsabilités. Le Conseil agricole sera très ferme, la France y a contribué. Mais les agriculteurs ont d'autres sujets d'inquiétude. L'Ouest est très sec, on risque d'avoir des problèmes, il faut y penser dès maintenant.
P. Coloni : Trouvez-vous regrettable qu'on privilégie les régionales au détriment des cantonales ?
L. Mermaz : Les cantonales sont maintenant bien connues, Les régionales le sont moins. Les médias s'y sont intéressés à coup de sondages. Elles sont parfois mal définies, par exemple en Rhône-Alpes.
P. Coloni : Pourtant, la loi Defferre a dix ans.
L. Mermaz : La région n'en est pas encore à sa vitesse de croisière. Le paradoxe, c'est de voir seulement deux régions détenues par le PS, les autres par l'opposition qui en 1981 était à fond contre les régions. Ceux qui ont lutté contre les régions sont maintenant pour, peut-être parce qu'ils sont à la tête de plusieurs d'entre elles. Ils ont parfois tendance à les transformer en bastion conservateur. Il y a le risque du clientélisme et du féodalisme.
P. Coloni : Il y a toujours eu des baronnies.
L. Mermaz : Oui, mais nous avons un risque de semi-indifférence de l'opinion. Il y a aussi une sorte d'abandon de ce qui faisait la vocation de la région, à savoir la formation professionnelle et le développement économique. La masse des Français n'a pas encore pris en main son destin régional.
P. Coloni : Les sondages ne vous sont pas très favorables.
L. Mermaz : Les deux régions que nous tenons le sont bien. Nous avons de solides chances de les garder. Étant donné l'extraordinaire dispersion des voix, l'opposition n'est pas au plus haut de service. Nous pouvons avoir d'heureuses surprises au niveau des élections des bureaux de l'exécutif et des présidences de régions. Midi-Pyrénées pourrait échoir à L. Jospin, la Haute-Normandie à L. Fabius.
P. Coloni : Le chiffre qu'on vous prête dans les sondages ne vous inquiète pas ?
L. Mermaz : Le service public de l'audiovisuel a multiplié les sondages. Nous en sommes intoxiqués. Je ne les conteste pas, mais leur répétition finit par avoir des effets. Il y a encore deux semaines de campagne. Je crois au dynamisme de ce que nous allons faire.
P. Coloni : C'est la méthode Coué ?
L. Mermaz : Non, c'est celle de gens qui sont en action. Le bilan des socialistes est bon. On ne change pas profondément une société en dix ans. Nos difficultés tiennent au fait qu'une partie de l'électorat socialiste ne vote pas. Il faut expliquer que beaucoup de choses demain dépendront des régions. Il ne faut pas se désintéresser des régionales.
P. Coloni : Vous êtes tête de liste dans l'Isère.
L. Mermaz : C'est un département dynamique et très varié. Je n'ai pas de sondage et j'ai dit, avec une pointe de sagesse, que je connaîtrai parfaitement le sondage le 22 mars.