Texte intégral
RTL – jeudi 28 août 1997
Jean-Marie Lefebvre : Ni mouche du coche, ni porteur d’eau, selon Robert Hue. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Alain Bocquet : Ça veut dire que les communistes sont des acteurs à part entière de la politique du changement que les Françaises et les Français ont souhaitée. Nous nous engageons pleinement dans cette politique.
Jean-Marie Lefebvre : Est-ce que vous considérez que les choses ont été trop lentes jusqu’à présent ?
Alain Bocquet : Le Gouvernement s’est installé juste à la veille des vacances. Il y a eu la trêve estivale, je pense qu’il fallait le temps de l’installation et du rodage. Maintenant nous allons entrer dans les grandes questions, notamment les problèmes de l’emploi, du pouvoir d’achat, le budget pour 1998. En fait, nous allons aborder les grands sujets.
Jean-Marie Lefebvre : L’avant-projet de loi sur l’immigration, présenté hier par le ministre de l’intérieur, a provoqué des critiques dans la majorité et au sein des associations. Le mot « abrogation » n’y figure pas. Pensez-vous qu’il y a, quand même, des avancées ? Ou souhaitez-vous que le terme « abrogation » disparaisse ?
Alain Bocquet : En ce qui nous concerne, nous sommes pour l’abrogation des lois Pasqua-Debré. Mais nous mesurons que dans le projet de loi qui est avancé par Jean-Pierre Chevènement il y a des avancées. Il y a la prise en compte du droit du sol ; il y a également la prise en compte du droit d’asile, du regroupement familial. En même temps, il y a une volonté de lutter fermement contre les filières clandestines d’immigration, donc tout une série d’aspects positifs. C’est un avant-projet, il est mis en débat. La prise en compte de la réflexion des associations et le débat parlementaire devraient permettre d’enrichir la loi qui sortira après ces débats.
Jean-Marie Lefebvre : Dans l’Humanité de ce matin, il y avait une interview de Maître Henri Leclerc, le président de la Ligue des droits de l’homme, qui disait : « Je compte sur les parlementaires de gauche pour modifier cet avant-projet. »
Alain Bocquet : Oui, tout à fait. J’ai bien lu et…
Jean-Marie Lefebvre : … Donc les communistes veulent changer le texte ?
Alain Bocquet : Par définition, les parlementaires sont là pour, à partir d’un projet gouvernemental, tenter de l’améliorer en étant complètement des relais-citoyens au regard de ce que souhaitent les gens concernés par tel ou tel sujet.
Jean-Marie Lefebvre : Les Verts semblent plus intransigeants que vous. Comment analysez-vous leur attitude ?
Alain Bocquet : Cette majorité est plurielle. Chacun a son libre propos, a ses propositions. En ce qui nous concerne nous avons pris des positions très claires. Nous n’avons pas changé, nous sommes comme nous l’étions avant l’élection – où nous étions à côté des sans-papiers depuis le début. Nous restons fidèles à nous-mêmes. Les Verts ont leurs propositions, leurs suggestions, leurs critiques, ça fait partie du débat démocratique !
Jean-Marie Lefebvre : La réduction du temps de travail, les 35 heures payées 39, le Gouvernement pourra-t-il tenir ses engagements ?
Alain Bocquet : Il est souhaitable qu’on aille vite vers cet engagement qui a été pris de réduire le temps de travail à 35 heures, et en ce qui nous concerne nous sommes, évidemment, pour qu’il n’y ait pas de diminution de salaires. Cela contribuerait notamment à répondre à un besoin, une attente forte dans le pays et ça permettrait, je crois, j’en suis presque convaincu, de créer de nombreux emplois pour les jeunes.
Jean-Marie Lefebvre : Quels signes de changement attendez-vous du budget 98 ? Qu’est-ce qu’il devrait contenir ?
Alain Bocquet : Écoutez, actuellement nous ne connaissons pas le détail du projet de budget. Bien entendu, je pense qu’il faut des signes forts en ce qui concerne une fiscalité nouvelle, qui s’attaquent vraiment à la spéculation financière qui a été en quelque sorte le cancer de ce que nous avons vécu depuis des années. Il faut complètement changer de ce point de vue. Il faudra donc des mesures fiscales qui s’en prennent à cette bulle spéculative, et qui en même temps allège la fiscalité sur les plus faibles et les revenus modestes. En même temps pour se donner les moyens, pour donner à la nouvelle majorité les moyens d’appliquer le changement.
Jean-Marie Lefebvre : Lionel Jospin et Helmut Kohl ont déjeuné ensemble, réaffirmation que la monnaie unique se fera, et dans le respect du calendrier et des critères. Vous y êtes hostile, ce serait une cause de divorce ?
Alain Bocquet : Vous savez, je ne suis pas trop pour le divorce, je suis pour qu’il y ait des discussions, des débats, des dialogues. Chacun connaît la position des communistes en ce qui concerne la monnaie unique, nous proposons depuis de très nombreux mois qu’il y ait une consultation des Français avant cette décision définitive. Je pense que la question de la consultation des Françaises et des Français au débat reste posée, et je souhaite que ce débat ait lieu et cette consultation aussi.
Jean-Marie Lefebvre : Vous n’étiez pas très favorable à la participation de ministres communistes au Gouvernement. Est-ce qu’aujourd’hui vous avez changé d’avis ?
Alain Bocquet : C’est une étiquette qu’on m’accole. Moi, je n’ai jamais dit cela. J’ai toujours dit qu’il y avait plusieurs possibilités, dont celle de participer au Gouvernement. J’ai dit pleinement mon accord avec cette participation, comme la majorité des communistes. J’ai approuvé cette décision et je suis pleinement dans cette majorité, et je fais tout pour que cette nouvelle majorité réussisse. Mon propos n’est pas de compter les points, de distribuer des notes, c’est de m’engager pleinement en tant que président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, en tant que militant communiste pour que la gauche réussisse, pas pour elle-même, mais pour notre peuple qui souffre trop.
L’Est républicain : mercredi 10 septembre 1997
L’Est républicain : Quelle est la position « fondamentale » sur laquelle le PC n’entend pas fléchir ?
Alain Bocquet : La priorité à la lutte pour l’emploi et la justice fiscale et donc pour cela la nécessité d’une autre utilisation de l’argent.
L’Est républicain : Où est la contradiction « objective » avec la position du Gouvernement ?
Alain Bocquet : Au plan européen, nous sommes contre la monnaie unique, contre Maastricht et le pacte de stabilité et nous sommes dans un Gouvernement et une majorité qui pour une part les mettent en application.
L’Est républicain : Vous déclarez vous situer dans une « voie étroite » ?
Alain Bocquet : Sur la base du mouvement social et de l’intervention citoyenne que nous voulons promouvoir, nous pensons que les choses peuvent bouger et évoluer. La voie peut devenir moins étroite si beaucoup de gens s’en mêlent.
L’Est républicain : Quelle appréciation portez-vous sur les premières mesures Jospin ?
Alain Bocquet : Une part d’entre elles sont positives, d’autres nous laissent plus dubitatifs, mais notre volonté d’agir pour faire avancer les bons choix est intacte.
L’Est républicain : Vos principales propositions dès la rentrée de l’Assemblée le 15 ?
Alain Bocquet : Pour l’emploi : il faut taxer la spéculation financière pour favoriser l’investissement clé de l’emploi privé ; créer les conditions de développement des entreprises nationales ; réduire le temps de travail sans diminution de salaire.
L’Est républicain : Robert Hue ne veut-il pas stopper les licenciements de l’automne ?
Alain Bocquet : Il propose la remise en cause du financement public dans les entreprises qui licencient. Il demande le blocage systématique des licenciements avant toute solution patente, par l’avis de l’inspection du travail.
L’Est républicain : La carte relance ?
Alain Bocquet : Elle n’a pas été jouée. Il faut insuffler de la consommation donc donner des moyens nouveaux par des augmentations de salaires. Les 4 % appliqués sur le SMIC ne sont pas suffisants.
L’Est républicain : Sur quels points le débat parlementaire devrait-il s’animer ?
Alain Bocquet : D’abord sur le budget. La proposition annoncée de taxation des sociétés est un départ positif. La fiscalité doit devenir plus démocratique avec hausse de l’impôt sur les grandes fortunes et révision de l’assiette avec la prise en compte des biens industriels et des œuvres d’art.
L’Est républicain : Une bataille possible sur la Sécu ?
Alain Bocquet : Nous avons toujours été contre la CSG. Puisqu’elle existe, on se battra pour qu’elle ne soit pas augmentée donc pour un statu quo.
L’Est républicain : Une autre sur les privatisations ?
Alain Bocquet : Un coup d’arrêt est bien tombé sur le champ des privatisations lancées par Juppé. Nous ne sommes pas hostiles à une réflexion sur la modernisation des entreprises nationales, comme France Télécom et Air France, mais nous voyons surtout leur démocratisation ce qui ne veut pas dire faire entrer le loup dans la bergerie.
L’Est républicain : Accrochage aussi sur les lois immigrations ?
Alain Bocquet : La loi Chevènement va pour une part dans le bon sens, mais nous restons attachés à l’abrogation des lois Debré-Pasqua. Nous considérons que le rapport Weil est une base de discussion, mais avec des avancées et des blocages.
L’Est républicain : Les trente-six députés PCF n’ouvrent-ils pas un large éventail de sensibilités ?
Alain Bocquet : Je ne leur colle pas d’étiquettes. Je pense qu’il s’agit de trente-six individualités avec leurs sensibilités, leurs divergences, parfois des avis contraires. Mais ils partagent tous la volonté commune d’une réussite de la gauche.
L’Est républicain : Le PCF n’avale-t-il pas une belle dose de pragmatisme et de réalisme ?
Alain Bocquet : Oui, en partant de l’idée que le réel peut être transformé. Globalement le gouvernement Jospin n’est pas mal parti, mais il a encore beaucoup d’efforts à faire.