Interview de M. Hervé de Charette, président du PPDF et ancien ministre des affaires étrangères, à RTL le 25 mars 1999, sur ses réflexions concernant la participation de la France aux frappes aériennes de l'OTAN sur la Serbie notamment le constat d'absence d'une force militaire européenne, la perte d'influence de la Russie en Europe et le rôle des Etats-Unis dans l'OTAN.

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RTL : Faites-vous partie de ceux qui s’inquiètent sur l’issue des opérations engagées ? Et que faire si Milosevic ne cède pas ?

Hervé de Charette : Cette affaire soulève beaucoup de questions. Je voudrais dire d’abord que, naturellement, je soutiens l’initiative et les décisions prises par le Président de la République, et par le Gouvernement. Et bien entendu, je fais pleinement confiance au Président de la République dans cette période difficile, où nos armées sont engagées. Et comme l’ont dit d’autres hommes politiques avant moi, dans ces moments où nos armées sont engagées, même si on se pose des questions, même si on a des doutes, même si on a des interrogations, commençons par dire que nous sommes solidaires avec nos soldats qui se battent.

RTL : Que faire si Milosevic ne cède pas ?

Hervé de Charette : Dans cette affaire, il y a beaucoup de choses qui sont des sujets de questions et d’interrogations. D’abord, c’est « tout américain » cette affaire…

RTL : L’Otan…

Hervé de Charette : Oui, enfin l’Otan chacun sait ce que c’est. J’ai été ministre des Affaires étrangères donc je sais comment ça marche. Et j’ai vu que l’Otan c’était les États-Unis. Et vous le voyez bien d’ailleurs, puisque c’est le Président Clinton, un général américain, bon… Je crois que la France a bien fait de participer à cette affaire, mais c’est vrai qu’on peut constater qu’il s’agit d’une crise européenne, qui est gérée très largement à Washington. Et une fois de plus, c’est quelque chose qui nous blesse, qui nous heurte, et qui nous interpelle comme. L’Europe ne peut pas rester comme cela : « une Europe sans défense, sans politique étrangère sans moyens militaires, et sans volonté politique. Ça ne peut pas durer ! Et l’on voit bien, nos chefs d’État et de gouvernement sont réunis à Berlin, nous aimerions, je souhaite, qu’il y ait une initiative politique européenne, car nous avons besoin, dans cette situation de crise, que l’Europe exprime qu’elle existe. Vous savez, le Kosovo c’est grand comme deux départements français ; c’est habité comme deux départements français. Ce n’est quand même pas la mer à boire ! Et il faut déclencher toute cette orgie de technologie dont on nous parle, et il faut une armada américaine ! Nous ne sommes pas capables de régler ces problèmes-là. Voilà la réalité politique dans laquelle nous sommes. Je trouve que pour l’Europe ce n’est pas brillant.

RTL : Ce qui veut dire que, diplomatiquement cela risque de laisser des traces, même chez les Russes ?

Hervé de Charette : Pour les Russes, c’est vrai qu’il y a une sorte de – comment dire ? – de mépris affiché à leur égard, qui est tout à faire contraire à la tradition diplomatique française, et qui, je crois, est très dangereux pour le futur. Le destin de l’Europe se jouera avec les Russes. Nous avons besoin de rester toujours en dialogue avec eux. Aujourd’hui ils sont faibles, certes ; mais ils font ce qu’ils peuvent pour exister quand même et on voit bien qu’ils existent peu. Mais soyons attentifs. Et là encore, je pense que c’est aux Européens de parler avec les Russes et de faire en sorte qu’ils continuent d’être associés à nos réflexions et à nos décisions pour l’avenir de l’Europe. Le vrai drame au fond, c’est que, dans les Balkans, il reste un personnage qui est l’expression la plus sinistre de ce que l’Europe a traîné de boue au cours de ce siècle : « c’est Milosevic ! Et c’est vrai que c’est lui le principal responsable de tous ces malheurs, et que l’objectif c’est de faire en sorte que les Serbes comprennent que leur place est dans l’Europe, elle n’est pas entre les mains d’un dictateur communiste.

RTL : Est-ce que les frappes aériennes suffiront ou est-ce que vous ne redoutez pas l’engrenage d’une force sur le terrain, avec tous les risques ?

Hervé de Charette : Je ne crois pas personnellement à l’efficacité des frappes aériennes. Je vois bien que naturellement, on peut faire pas mal de dégâts. Mais j’ai assisté en Bosnie-Herzégovine à des frappes de l’Otan ; je ne suis pas un militaire, je n’y connais rien au plan de la technique, mais j’ai vu les résultats, et ce n’était pas brillant. Et nous avons commencé à tenir la situation en Bosnie-Herzégovine, quand, sous la décision du Président Chirac, on a envoyé l’artillerie française. À partir de ce moment-là, on a mis de l’ordre à Sarajero. Je pense donc que ce sont des éléments du même type qu’on peut appliquer au Kosovo. C’est-à-dire que tant qu’on se contentera de frappes comme ça, on pourra faire des victimes, on pourra faire, je dirais… beaucoup d’illusion, mais que la vérité, c’est qu’à un moment ou à un autre, il faudra bien que les troupes aillent sur le terrain pour mettre le peuple du Kosovo à l’abri du malheur.