Interviews de Monique Vuaillat, secrétaire générale du SNES, à RTL le 4 mars 1999 et dans "Le Monde" du 30, sur l'opposition du SNES à la réforme de l'enseignement proposée par Claude Allègre et les propositions pour une réforme de l'enseignement secondaire.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - France Inter - Le Monde

Texte intégral

Le 4 Mars 1999 - RTL

RTL : Vous avez remué la tête en écoutant les réactions…

Monique Vuaillat : Je voudrais faire une rectification : le ministre n’a pas osé soumettre sa charge au vote du Conseil supérieur. Et je comprends mieux pourquoi. Après le vote des arrêtés qui fixent les horaires des élèves, il faut quand même que le public sache que les arrêtés des premières et des terminales n’ont pas été adoptés par le Conseil supérieur, et que l’arrêté qui fixe les horaires en seconde l’a été de justesse, à une voix près. Le consensus n’existe pas et tout le monde n’est pas d’accord avec sa réforme, et ça va bien au-delà des enseignants du SNES, comme vous pouvez le voir.

RTL : On savait que vous n’étiez pas tout à fait d’accord. Quelles leçons tirez-vous cependant de cette journée, sur un texte qui a été, quand même, un petit peu remanié ?

Monique Vuaillat : Nous, nous sommes favorables à des réformes dans les lycées. Je fais observer que, voici quatre ans, que nous mettons en place une réforme, contrairement à ce que dit…

RTL : Mais pas celle de M. Allègre.

Monique Vuaillat : Ça, c’est la réforme Jospin que nous mettons en oeuvre.

RTL : Mais vous n’êtes pas en accord avec celle de M. Allègre.

Monique Vuaillat : Non, nous ne sommes pas d’accord avec cette réforme-là, car ça nous semble être une réforme très médiocre, qui a comme conséquence d’en donner moins aux élèves, à tous les élèves, pour financer une toute petite part d’aide aux élèves en difficulté, tout en laissant les classes à 38-40 intégralement en l’état. Et quand les parents vont s’apercevoir que leurs enfants ont moins d’heures de français, moins d’heures de mathématiques, que l’enseignement des langues vivantes est en partie transféré sur des assistants de langues étrangères qui n’ont pas les compétences pour cela, je pense qu’ils y verront plus clair dans les raisons pour lesquelles nous sommes en désaccord avec cette réforme.

RTL : M. Allègre parle « d’allégement des horaires » certes, mais les aides individualisées pour les élèves, ce n’est quand même pas n’importe quoi, tout comme la réintroduction de l’instruction civique. En général, les parents sont plutôt favorables !

Monique Vuaillat : Ça fait des années que nous demandons une aide aux élèves en difficulté. En particulier, nous demandons à ce qu’il y ait des travaux en petits groupes ; qu’il y ait moins d’élèves dans les classes ; et qu’on prenne à part les élèves qui ont des problèmes. Ce que nous contestons, c’est qu’on ne finance pas de façon précise ces aides-là, et que ça soit les autres élèves qui financent pour les élèves en difficulté. Cela ne nous semble pas juste, surtout à un moment où on aborde le XXIème siècle, et où il y a des connaissances très importante à donner. Il faut du temps ; il faut réorganiser le temps pour travailler mieux dans de meilleures conditions, mais en même temps, je crois qu’on n’a pas intérêt à diminuer trop le temps scolaire, car c’est générateur d’inégalités.

RTL : On a le sentiment un peu que le SNES est contre toute réforme…

Monique Vuaillat : Non, le SNES a soutenu toute une série de réformes, a fait des propositions. Je vous signale, au passage, que nous venons de sortir une brochure à 30 000 exemplaires, qui propose une réforme des programmes, du collège au lycée. Encore faut-il que le ministre veuille bien la lire et les prendre en compte. Nous sommes pour des réformes, nous avançons des propositions. Ce que je remarque c’est quand même que, lorsqu’elles coûtent un peu d’argent, on les met de côté assez facilement.

RTL : Enfin quand vous dites « elles coûtent un peu d’argent » quand même le budget de l’éducation nationale est un des budgets prioritaires de l’État.

Monique Vuaillat : Il faudrait que le ministre m’explique comment il va faire pour faire en sorte, que les classes de seconde qui ont plus de 55 élèves n’existent plus à la rentrée sans créer aucune création de postes. Il faut créer 2000 postes pour faire ce travail-là. Nous, nous ne sommes pas pour qu’on raconte n’importe quoi à l’opinion publique. Si le ministre veut vraiment réduire les effectifs de classes, il sait que cela coûte des créations de postes et que ça nécessite des recrutements. Pourquoi ne les programme-t-il pas ? Pourquoi est-on sous le règne du gel de l’emploi public ? Et pourquoi fait-on croire à l’opinion que ça va aller mieux quand on sait que ça ne va pas aller beaucoup mieux dans ces conditions ?

RTL : Avec le ton que vous prenez, est-ce que cela veut dire que vous maintenez votre semaine d’action et qu’il y aura une grande manifestation le 20 mars je crois ?

Monique Vuaillat : Oui et une grève le 15. Nous sommes, nous, pour avoir de l’ambition pour les jeunes dans ce pays. Et nous ne voulons pas fabriquer des exclus parce qu’on appauvrirait l’offre de formation dans le service public. Donc nous allons sacrifier de l’argent pour ça, et nous allons faire grève, et nous allons déployer de l’énergie pour venir à Paris, par plusieurs dizaines de milliers. Parce que nous défendons l’intérêt des élèves. Et je n’accepte pas vraiment d’entendre dire par un responsable de parents d’élèves que nous défendons des acquis. Nous n’avons pas d’acquis à défendre dans ce domaine-là. Ce n’est pas nous qui sommes les premiers touchés par les réductions d'horaires des élèves, ce sont d’abord les élève ! Et donc qu'on prenne ça en compte ! Maintenant, si les parents admettent que le service public doit leur en donner moins, après tout c’est leur responsabilité de le dire !


Le 30 MARS 1999 - LE MONDE

Le Monde : Le congrès du SNES s’ouvre dans une période marquée par un affrontement permanent avec le ministre de l’éducation nationale. Dans quelles conditions allez-vous ouvrir ses travaux ?

Le Monde : Cette grève et cette manifestation n’affichaient-elles pas des positions et des objectifs contradictoires ?

Monique Vuaillat : L’objectif est clair : nous voulons une autre politique scolaire. La question de la démocratisation du système éducatif se pose dans un contexte différent de celui des années 80. Elle se heurte aux inégalités sociales et culturelles croissantes dans une société qui, en certains endroits, se déstructure et se restructure sur d’autres règles que celles qui sont enseignées dans l’école républicaine. L’école doit prendre en compte cette situation nouvelle mais ne peut pas le faire seule…

Le Monde : Chacun, s’accorde sur ce constat…

Monique Vuaillat : Non, tout le monde n’est pas d’accord. Ce gouvernement s’accommode du blocage de la démocratisation, des injustices sociales, du chômage grandissant, des zones déshéritées. Sa politique scolaire est en faux-semblants. Il laisse entendre que l’inégalité scolaire provient des contenus et des enseignements. Et il en profite pour réduire les exigences et diminuer le temps scolaire en prenant le risque que les élèves les plus déshérités soient les premières victimes.
En dressant le bilan de toutes les réformes, y compris celle du collège de François Bayrou, on s’aperçoit que les diminutions d’horaires représentent l’équivalent d’une année de formation en moins pour les élèves. Ce n’est pas un progrès. Il devrait y avoir une vision commune sur ces valeurs-là avant d’en tirer toutes les conséquences pour l’organisation des enseignements, l’évolution du métier et l’amélioration des conditions pédagogiques…

Le Monde : Ce débat semble occulté par la constitution d’un « front des anti-Allègre » qualifiés par le ministre de « révolutionnaires du statu quo ». Comment le SNES entend-il dépasser cet affrontement ?

Monique Vuaillat : C’est vrai, les adhérents sont traversés par des contradictions. Ils s’interrogent sur la finalité du service public, sur leur rôle. Il est regrettable que le gouvernement ait pris la responsabilité, depuis deux ans, d’ouvrir un conflit entretenu par les propos provocateurs du ministre. Ce faisant, il a fait barrage à un débat solide et sérieux.

Le Monde : La stratégie du SNES a pu apparaître flottante : certains adhérents vous ont reproché une valse-hésitation avec Claude Allègre, tandis que d’autres ont stigmatisé votre alliance avec les conservateurs du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc)…

Monique Vuaillat : Nous avons été confrontés à un réel désarroi provoqué par le choix du ministre de se conduire en patron de choc, avec tous les stigmates des stratégies patronales : diviser, discréditer la profession et son organisation syndicale la plus représentative. Nous avons sans doute mésestimé le discrédit de ce ministre auprès de la masse de la profession. La stratégie qui a consisté à émettre et à défendre nos propositions n’a parfois pas été comprise parce que l’hostilité aux choix et à la méthode du ministre est allée grandissant.

Le Monde : Était-ce une bonne raison pour vous allier à des organisations comme le Snalc et la Confédération nationale générale autonome (CNGA), au risque de susciter le désarroi de vos adhérents ?

Monique Vuaillat : Si tel avait été le cas, fa manifestation du 20 mars n’aurait pas attiré autant de monde. Pour certains de nos collègues, il fallait tourner le dos à ce ministère et même demander sa démission. Ce mot d’ordre ne peut pas être repris par une organisation syndicale. Notre responsabilité est de remettre en cause le statu quo pour obtenir des modifications. Il est donc impossible de déserter le terrain de la discussion. Mais notre désaccord reste profond avec le Snalc - lorsqu’il continue à émettre des réserves sur le collège pour tous notamment.

Le Monde : N’êtes-vous pas victime de vos hésitations à l’égard de la réforme des lycées ?

Monique Vuaillat : Nous avions formulé des propositions sur les filières, les séries, les programmes, l’amélioration des conditions d’enseignement, l’aide individualisée aux élèves et les travaux pluridisciplinaires. La réforme en est très éloignée. Nous ne pouvons accepter que les deux heures d’aide aux élèves se traduisent par une diminution des horaires pour tous. Ce choix résulte d’une volonté de procéder à moyens constants.

Le Monde : Claude Allègre vous reproche de demander « toujours plus » alors que les résultats escomptés ne sont pas à la hauteur…

Monique Vuaillat : Ce ministre ferait bien de procéder à une évaluation sérieuse du système éducatif. Il y a dix ans, 250 000 jeunes sortaient sans qualification ; aujourd’hui, il en reste 56 000. C’est encore trop et il faut, sans attendre le lycée, s’attaquer à cette question essentielle. Ce ministre ferait bien de prendre en compte l’effort des personnels qui ont permis à 68 % d’une classe d’âge, au lieu de 30 % autrefois, d’atteindre le niveau du baccalauréat. Ils ont accueilli beaucoup d’élèves, mais les gouvernements ont toujours cherché à assurer cette massification au moindre coût.

Le Monde : La FSU n’a pas toujours donné l’impression d’être sur la même ligne que vous. Comment expliquez-vous cette différence d’appréciation ?

Monique Vuaillat : La stratégie de division du ministre a en partie porté ses fruits entre le premier et le second degré. Dans le débat sur les transformations de l’école se retrouvent les différences de culture. Le second degré reste très attaché aux connaissances, aux programmes. Dans le premier degré, les problèmes d’enseignement se posent différemment. Nous avons eu aussi un débat sur la façon de se positionner face à un gouvernement de gauche. L’expérience des années 80 nous a appris qu’il fallait exercer des pressions importantes. Aujourd’hui, nous nous employons à construire une initiative commune au troisième trimestre.

Le Monde : La FSU a lancé un appel au premier ministre. Quelles seraient les conditions d’une reprise du dialogue ?

Monique Vuaillat : Que l’on remette tout à plat. Nous sommes des professionnels de l’éducation. Si l’école relève bien d’un choix de société, pourquoi faudrait-il que seule la voix des parents et des élèves soit entendue et que celle des enseignants et des personnels soit discréditée ?

Le Monde : Comptez-vous rester à la tête du SNES ou serez-vous candidate au poste de secrétaire générale de la FSU ?

Monique Vuaillat : Pour le SNES, comme pour la FSU, la question n’est pas celle d’un (ou d’une) secrétaire général(e), mais celle d’un collectif. Nous en discuterons lors du congrès. La relève se prépare. Le SNES a proposé la formule d’un secrétariat général collectif dans lequel il sera présent.