Communiqué de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "La Lettre confédérale" du 20 août 1997, et interviews à RTL, le 26 août, et dans "Le Parisien" le 25 août, intitulé "La semaine de quatre jours sans perte de salaire", sur la réduction du temps de travail pour "accélérer le processus de création d'emplois" et la proposition de prélèvement d'une cotisation UNEDIC sur les heures supplémentaires.

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Média : Emission L'Invité de RTL - La Lettre confédérale CFTC - Le Parisien - RTL

Texte intégral

La lettre confédérale CFTC n° 714 du 25 au 31 août 1997

10 milliards pour l’emploi des jeunes

Le Premier ministre a bouclé un projet de budget serré. Les salariés des industries de défense ont accueilli l’annonce d’une coupe sombre dans les commandes militaires avec l’inquiétude qu’on imagine car beaucoup d’emplois sont en cause.

Les fonctionnaires ont noté l’annonce du maintien de l’emploi, mais ils ne voient pas dans les annonces faites la perspective d’une reprise de la négociation salariale, toujours en panne.

En revanche, dix milliards de francs sont dégagés pour financer l’embauche de jeunes, en plus des dispositifs actuels. Une telle décision est une réponse à nos demandes.

Nous approuvons l’esprit dans lequel les emplois de jeunes seront recherchés. Aller à la rencontre des vrais besoins concrets de la population, permettre de rendre solvables des services qui ne parviennent pas actuellement à se mettre en place : voilà des choix qui vont dans le sens de ce que nous préconisons depuis longtemps. L’émergence de multiples formes de services et d’activités aura des effets très positifs à long terme car elle produira du bien-être social.

Cela étant dit, « c’est au pied du mur qu’on voit le maçon ». Que sera la réalisation ? Avec des contrats reconductibles pendant cinq ans, le gouvernement joue avec le feu : il risque de renforcer le désastreux contexte de précarité. Avec des emplois hors statuts, on peut alimenter la marginalité qui creuse le fossé entre de nombreux jeunes et les adultes.

Des centaines de milliers de jeunes se sont donnés rendez-vous à Paris, dans une démarche de confiance et d’espérance qui réconforte. Leur présence joyeuse nous rappelle que le monde de demain est déjà entre les mains de la jeunesse. Pas un ne doit être oublié au chantier de l’avenir.


Date : 25 août 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : Comment analysez-vous la situation sociale à la veille de la rentrée ?

Alain Deleu : Nos militants sont très inquiets. Le changement de gouvernement a créé une attente chez de nombreux salariés : ils veulent maintenant des décisions fermes. Pendant qu’on discute de création d’emplois et de réduction du temps de travail, les grands groupes continuent à licencier, même quand ils ne sont pas en difficulté. Le gouvernement doit se prononcer sur la multiplication abusive des plans sociaux et engager une action publique contre les licenciements.

Le Parisien : Qu’attendez-vous de la conférence nationale sur l’emploi qui doit se tenir fin septembre ?

Alain Deleu : Il faut qu’on en sorte avec des décisions concrètes. Si c’est pour nous dire : « Messieurs, négociez ! », ce n’est pas la peine ! Nous mettrons l’accent sur deux thèmes majeurs : la précarité et la réduction du temps de travail. Les salariés doivent être traités avec plus de dignité et de décence : cela passe notamment par une amélioration des conditions de travail et la garantie de ce que j’appellerais un « juste salaire », seul moyen de vivre correctement et… de relancer la consommation intérieure.

Le Parisien : Allez-vous soutenir la semaine de 35 heures ?

Alain Deleu : Nous irons même plus loin en demandant la semaine de quatre jours. J’entends dire que le partage du travail n’est pas une bonne solution : mais on le partage déjà ! Certains travaillent trop, alors que d’autres n’ont pas d’emploi : il faut rééquilibrer le temps de travail. Nous pousserons donc la loi des 35 heures mais à condition de maintenir les salaires. On ne peut pas demander à quelqu’un qui gagne le Smic d’être payé sur 32 heures ! L’État doit absolument garantir les salaires, en aidant les entreprises, comme il l’a fait avec la loi Robien. Cette loi a besoin d’être améliorée, mais il faut garder son esprit, sa philosophie.

Le Parisien : Vous vous êtes montré assez critique avec le gouvernement sur les emplois-jeunes comme sur le plafonnement des allocations familiales.

Alain Deleu : Nous avons émis des réserves sur le statut et sur la pérennité des emplois-jeunes, mais nous sommes du côté de Martine Aubry ! Enfin on se décide à partir des besoins non satisfaits dans la société pour créer des emplois : c’est la bonne voie. En ce qui concerne la politique familiale, nous approuvons à 100 % le triplement de l’allocation de rentrée scolaire, qui va être versée ces jours-ci et que nous avions demandée à Lionel Jospin. Mais nous proposons un véritable contrat familial, qui garantisse le revenu des familles, avec notamment une augmentation des allocations.


Date : mardi 26 août 1997
Source : RTL / Édition du soir

J.-M. Lefebvre : Est-ce que, comme L. Viannet, vous trouvez que le Gouvernement ne va pas assez vite, et vous lui demandez de préciser rapidement ses intentions ?

Alain Deleu : Il y a des sujets sur lesquels il ne faut pas traîner. Je pense aux privatisations par exemple qui étaient projetées, ce que ça va devenir maintenant. C’est vrai qu’il ne faut pas traîner et qu’il faut expliquer, discuter. Mais aussi sur la question de l’emploi, qui est je crois la question centrale de la fameuse conférence lorsqu’on parle des salaires, de l’emploi, les conditions de travail. C’est quoi cette conférence ? Moi je dis, c’est l’emploi en premier lieu. Surtout, il faut la réussir. La date ? Le plus tôt possible. Cela veut dire effectivement trouver entre le Gouvernement et les partenaires sociaux les bases d’un vrai changement pour des créations d’emplois plus rapides, surtout pour les jeunes, que l’on ne le voit aujourd’hui.

J.-M. Lefebvre : Donc ça passe par la réduction du temps de travail, pour vous ?

Alain Deleu : Pour moi, oui. Aujourd’hui, il y a un partage du travail : il y a ceux qui travaillent, ceux qui ne travaillent pas. Et souvent, le père part travailler et le jeune reste à la maison parce qu’il n’y a pas de travail, par exemple. On peut faire autrement quand même, et nous, nous disons que l’on peut accélérer le processus de création d’emplois en aidant, que les fonds publics aident ceux qui créent des emplois en baissant le temps de travail. Et c’est possible aujourd’hui. Aujourd’hui dans une entreprise, même petite, les patrons et les salariés peuvent ensemble décider de créer des emplois. Vous avez 100 salariés, vous pouvez en embauchez 10 de plus avec les fonds publics qui paieront intégralement les salaires correspondants.

J.-M. Lefebvre : La loi Robien pourrait être réaménagée, qu’est-ce que vous en pensez ?

Alain Deleu : Voilà, c’est la loi Robien ! et je pense que ce serait une erreur d’engager une politique de durée – ce qui est prévu, ce qui est voulu en la matière – en commençant par tourner la page d’une disposition récente qui produit des effets incontestables en termes d’emplois et qui change les comportements en entreprise ; où c’est la négociation, pour une fois, qui dégage les moyens par lesquels on crée des emplois. Ce n’est plus de l’argent qu’on distribue comme la fortune les yeux bandés autour d’elle en espérant qu’un jour quelqu’un crée des emplois avec ça, baisses de charges à tout va. Non, ce sont des mises de fonds qui sont faites, là où on crée des emplois. Et je pense que si l’on peut garder cet esprit-là, qu’elle s’appelle loi Robien ou loi Aubry, ça ne me dérange pas, ce n’est pas mon problème. Mais que l’on ne change pas de pied par rapport à cela.

J.-M. Lefebvre : Et vous pensez quand même que c’est réalisable sans une baisse des salaires ?

Alain Deleu : C’est ce qui est aujourd’hui. Aujourd’hui le budget…

J.-M. Lefebvre : Mais la généralisation… ?

Alain Deleu : La généralisation, l’État ne peut pas financer le passage de la France entière à 35 heures, ça n’est pas possible comme ça, c’est évident. Ça suppose un changement de l’organisation d’entreprise, des gains de productivité publics et privés. Mais engager le processus, changer les comportements, faire en sorte qu’on vive autrement le temps de travail, je crois qu’il peut y aider parce qu’une fois qu’on verra vivre autrement, on trouvera les chemins de négociation partout pour y parvenir.

J.-M. Lefebvre : Vous souhaitez une loi-cadre sur les 35 heures comme celle réclamée par le secrétaire général de la CGT ?

Alain Deleu : Le Gouvernement a dit qu’il ferait 35 heures. Je crois que c’est une ligne qui sera acquise un jour. On a fait un jour les 40 heures, c’est en 1936. Moi, je ne suis pas si âgé que cela, je me suis battu pour trouver les solutions aux problèmes des gens qui faisaient encore 48 heures, il y a 25 ou 30 ans. Donc ce sera évidemment long, j’espère pas 30 ans quand même, et l’an 2000 c’est une bonne date finalement. Je crois qu’il faut effectivement aller vers les 35 heures, mais il faut que ce soit le moyen de changer les comportements par rapport au travail dans l’entreprise. Et donc ça n’est pas une mesure autoritaire et généralisée.

J.-M. Lefebvre : Parallèlement, on assiste à une offensive contre les heures supplémentaires. Les syndicats là-dessus étaient plutôt réservés ?

Alain Deleu : C’est-à-dire que lorsque les salaires sont bas, les heures supplémentaires sont le moyen de boucler le budget. Donc il y a là un problème considérable, et c’est pourquoi on ne peut pas traiter les problèmes d’emploi en dehors des problèmes d’activité économique, donc de consommation et donc de salaire. Cela étant dit, nous disons effectivement : il n’est pas normal qu’il y ait des gens qui fassent, de façon systématique, 42-43-44 heures comme on le leur impose de fait, et que d’autres n’aient pas de travail aujourd’hui. Il y a, en France, pratiquement autant de jeunes au chômage qu’on en a vu à Longchamp dimanche. Le volume de chômage des jeunes, on ne peut pas accepter ça ! Donc nous sommes d’accord pour que l’on prélève une cotisation – Unedic, assurance-chômage – sur les heures supplémentaires et qu’on affecte cette cotisation aux mesures actives pour l’emploi, de l’Unedic. On a commencé à le faire, sur les retraites, ça marche bien.

J.-M. Lefebvre : Quand D. Strauss-Kahn dit – c’était hier matin chez O. Mazerolle sur RTL – que malheureusement pour le chômage, le Gouvernement n’attendait pas d’amélioration dans le deuxième semestre de l’an prochain ?

Alain Deleu : Oui, malheureusement je crains qu’il ait raison. Mais c’est tout le problème. Si on part de l’idée qu’il faudra 20 ans pour résoudre le problème du chômage en France, effectivement il faudra 20 ans. Nous devons refuser. J’entends encore ATD Quart-Monde dire : refusez la misère ! Il faut refuser le chômage dans sa tête et après on trouve des solutions. Ça n’est pas évident, il faut que tout le monde s’y mette sur le terrain. Ce ne sont pas seulement les grandes mesures nationales, c’est chacun sur le terrain qui cherche les solutions. Mais il faut le refuser, sinon effectivement dans 20 ans, on sera au même point.

J.-M. Lefebvre : La rentrée scolaire : 954 francs par élève rentrant en sixième, selon la Fédération des familles de France, 1 600 francs d’allocation rentrée qui a été quadruplée. Et où en est le projet de la mise des versements sons conditions des allocations familiales ?

Alain Deleu : Oh, il est toujours dans les cartons, je crois. Moi, j’ai demandé au Gouvernement que d’une part c’est qu’effectivement on ait cette allocation de rentrée scolaire qui soit forte – M. Jospin l’a accordée et je l’en remercie bien franchement. Maintenant, il reste ce problème mal pris, tordu, où on dit qu’il y a un niveau de revenus à partir duquel ce n’est plus la peine de donner des allocations familiales. C’est mal pris comme problème. Moi, je souhaite que M. Jospin applique ce qu’il a dit : c’est-à-dire, je discute, je dialogue avant de décider. Eh bien qu’il fasse pareil avec la famille.