Texte intégral
L'Indépendant catalan : Mercredi 21 avril 1999
L'Indépendant catalan : Vous êtes aujourd'hui à Nîmes, une étape de votre tour de France, pour promouvoir votre liste pour les européennes. Comment réagit l'opinion ?
Robert Hue : À ma grande surprise l'opinion ne se démobilise pas parce qu'elle est davantage préoccupée des conséquences du Kosovo que de l'actuelle campagne des européennes. Je rencontre partout des assistances nombreuses qui vont bien au-delà des militants politiques. Les gens sont très attentifs et émus à propos du Kosovo. Ils veulent connaître précisément notre position sur ce sujet.
Elle est claire. Notre première pensée va aux centaines de milliers de Kosovars jetés sur les routes de l'exil dans des conditions épouvantables. Nous participons à l'élan de solidarité qui fait l'honneur du peuple français.
Puis nous faisons ce constat : 27 jours après leurs débats, ces bombardements n'ont aucun effet sur Milosevic. La purification ethnique s'est amplifiée. Rien n'est réglé.
L'Indépendant catalan : Fallait-il ne rien faire ?
Robert Hue : Le pacifisme bêlant n'est pas ma tasse de thé ! Une partie de ma famille a fait la guerre d'Espagne et mon père la Résistance. Je sais qu'intervenir est parfois nécessaire.
Mais l'intervention actuelle débouche sur une impasse dramatique. Non seulement Milosevic n'est pas affaibli, mais il a renforcé ses pouvoirs.
Quant à son opposition, elle rase les murs quand, face aux bombardements, la population serbe se regroupe derrière le pouvoir.
L'Indépendant catalan : Vous êtes en contact avec cette opposition...
Robert Hue : Nous avons des relations soutenues depuis des années avec ceux qui combattent Milosevic. Aujourd'hui ils sont dans une situation très difficile que les bombardements ont encore aggravée.
L'Indépendant catalan : Ne disent-ils pas aussi que Milosevic est un avatar du régime communiste défunt ?
Robert Hue : À la vérité, Milosevic est viscéralement anti-communiste. Pour s'emparer du pouvoir, il s'est d'abord attaqué aux communistes. L'idéologie qu'il développe, c'est le nationalisme c'est-à-dire le contraire du communisme.
L'Indépendant catalan : En attendant les frappes continuent avec l'assentiment du gouvernement français que vous soutenez.
Robert Hue : Dans les réunions publiques les gens sont inquiets. Ils sentent bien que ce conflit entre dans un engrenage infernal. C'est pourquoi, nous les communistes, dans la majorité comme au gouvernement nous pesons de toutes nos forces pour qu'une solution politique offre une issue pour sortir de l'impasse.
L'Indépendant catalan : Mais jusqu'où le PC ne suivra-t-il pas le gouvernement ?
Robert Hue : Chacun comprend bien que les communistes ne peuvent accepter que la France soit entrainée dans l'engrenage que j'ai évoqué. Une intervention terrestre nous placerait au bord de l'abîme. Les communistes prendraient alors toutes leurs responsabilités.
L'Indépendant catalan : Toutes leurs responsabilités ?
Robert Hue : Toutes !
L'Indépendant catalan : Mais si l'intervention terrestre avait pour objectif une cause humanitaire ?
Robert Hue : C'est différent. Nous sommes pour une force d'interposition au Kosovo. Contre la partition. Pour un Kosovo pluriethnique autonome. Avec le retour des réfugiés, une zone démilitarisée après le retrait de l'armée serbe et de toutes les forces armées. D'où la nécessité d'une force d'interprétation internationale qui permettra de remettre en place les structures de sécurité nécessaires au retour d'une vie normale au Kosovo.
L'Indépendant catalan : Croyez-vous encore à une issue politique ?
Robert Hue : Oui, nous soutiendrons d'ailleurs toute proposition d'avancée, si mince soit-elle. La France doit prendre des initiatives comme elle a su le faire à Rambouillet avant que les États-Unis exercent une véritable hégémonie.
L'Indépendant catalan : Permettez-moi d'insister, jusqu'où n'iront pas les communistes ?
Robert Hue : Quand on pose la question aux Français, leur réponse est claire, ils tiennent à ce que la sensibilité communiste s'exprime au niveau de l'État, dans la majorité et au gouvernement. Notre devoir et de dire avec la plus grande force ce que nous pensons et ce que nous proposons. Il y a besoin d'un garde-feu contre des décisions qui conduiraient à l'enlisement dans les Balkans.
L'Indépendant catalan : Vous êtes donc prêt à quel (...) gouvernement si Lionel Jospin engageait la France dans une attaque terrestre au Kosovo ?
Robert Hue : Je suis convaincu que notre voix sera entendue. C'est la voix de la raison...
L'Indépendant catalan : Qu'arriverait-il si Jacques Chirac suivait l'Otan dans une offensive terrestre au Kosovo ?
Robert Hue : Cela deviendrait alors un problème de cohabitation entre le Premier ministre et le président de la République.
Le Parisien : vendredi 23 avril 1999
Le Parisien - Que doivent répondre les autorités françaises à la proposition américaine d'une intervention terrestre ?
Robert Hue - Mercredi soir, dans les propos qu'il a tenus à la télévision, le président de la République n'a pas dit un mot d'une possible intervention terrestre : je m'en réjouis. Les Américains donnent le sentiment de vouloir forcer la main de leurs alliés. Je souhaite donc que la réponse de la France soit sans ambiguïté : elle doit dire non. Pas question de s'engager, au coeur de l'Europe, dans un engrenage infernal, dont on ne peut imaginer ni les limites ni les conséquences...
Le Parisien - Faut-il tout de même envoyer des troupes au sol, au titre d'une force d'interposition ?
Robert Hue - Ne confondons pas deux choses : intervention au sol et force d'interposition. S'agissant d'une intervention terrestre, je considère que cela nous engagerait dans un engrenage meurtrier. On franchirait là une étape gravissime. Chacun, dans cette hypothèse, aurait à prendre toutes ses responsabilités, mais je n'arrive pas à imaginer qu'un tel choix puisse être fait par les autorités françaises.
Le Parisien - Vous seriez favorable, en revanche, à une force d'interposition ...
Robert Hue - Je veux faire une proposition concrète : la France pourrait, dans les jours qui viennent, prendre l'initiative de constituer ce qu'on pourrait appeler une « force de sécurité et de coopération », de façon à marquer sa préférence pour une solution politique. Sous l'égide de l'ONU, ces troupes auraient pour mission, dans une zone devenue démilitarisée, d'assurer le retour des Kosovars dans leur pays, et leur sécurité. La démarche s'inscrirait dans la mise en place d'un statut d'autonomie de la province. Je pense qu'une telle démarche doit se faire en large concertation avec nos partenaires européens et, sans aucun doute, en y associant la Russie, mais tout cela passe, bien entendu, par le retrait des forces serbes.
Le Parisien - Lionel Jospin a-t-il exigé des ministres communistes qu'ils se taisent ?
Robert Hue - Le Premier ministre n'a rien exigé de tel. L'alignement inconditionnel, dans des circonstances aussi exceptionnellement graves, ne serait pas à la hauteur des enjeux.
Le Parisien - Ne craignez-vous pas que l'anti-américanisme que vous affichez, avec des slogans comme « Otan go home », soit perçu comme un grand bond en arrière ?
Robert Hue - J'ai beaucoup de respect pour le peuple américain. Je ne peux pas être soupçonné d'anti-américanisme primaire ni même secondaire. Ce que nous n'acceptons pas, c'est l'hégémonisme des États-Unis qui, en l'occurrence, s'exerce par Otan interposé. Cette prétention à vouloir décider seul de ce qu'il faut faire ou ne pas faire, et de l'imposer aux autres, cette sélectivité dans le choix des causes qu'il faudrait défendre ou négliger, ce sont, pour moi, des choses insupportables. Les États-Unis sont, surtout, préoccupés d'asseoir la suprématie de leurs intérêts, notamment en Europe.
Le Parisien - L'Otan fête aujourd'hui ses cinquante ans...
Robert Hue - L'Otan a été créée dans une période où la politique internationale se résumait à l'affrontement de deux blocs : ce n'est plus le cas. La logique, ce serait une disparition progressive de l'Otan.
Le Parisien - Êtes-vous d'accord avec les 52 % de Français qui, selon un sondage CSA, souhaitent des négociations directes avec Milosevic ?
Robert Hue - Pour moi, la défaite la plus cuisante pour Milosevic, ce sera que l'État yougoslave soit contraint à une solution politique.
Quant à savoir avec qui nous devrons discuter (et le plus tôt sera le mieux), la réponse est évidente : avec les autorités qui seront alors en place à Belgrade.
Le Parisien - Vous avez qualifié Milosevic de « dictateur ». Doit-il partir ?
Robert Hue - Si Milosevic partait, je serais le premier à m'en réjouir. C'est un dictateur qui incarne tout ce que je combats. Sa folie nationaliste est ce qu'il y a de plus contraire à l'idéal communiste. On oublie trop souvent que, pour prendre le pouvoir, l'homme s'est attaqué aux démocrates et aux communistes. Depuis des années, nous dialoguons avec les démocrates qui le combattent. Je constate, hélas ! que, loin de l'affaiblir, la guerre a conforté la position de Milosevic, et a affaibli une opposition désormais réduite au silence alors qu'elle aurait pu jouer un si grand rôle.