Article et interview de M. Laurent Fabius, premier secrétaire du PS, dans "Vendredi" le 27 mars et à Antenne 2 le 11 avril 1992, sur les résultats des élections régionales de 1992, et son "programme" pour réunifier le PS.

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Média : Vendredi - Antenne 2

Texte intégral

Vendredi : 27 mars 1992

Inutile de nous payer de mots : les résultats régionaux obtenus dimanche dernier sont, à de brillantes exceptions près, très décevants pour notre parti et ses candidats.

Bien sûr, les éléments d'explication ne manquent pas : le mécontentement dont souffrent, en période de crise, la plupart des formations au pouvoir ; la difficulté des partis de gouvernement par rapport aux forces de protestation, dont témoigne le recul de la droite parlementaire dans des élections qui auraient dû être faciles pour elle ; la cristallisation autour de l'extrême-droite d'une demande de sécurité et d'ordre est, autour des mouvements écologistes, d'une aspiration plus hétérogène – préserver le cadre de vie, vivifier la démocratie, préférer le vert de l'utopie au gris fréquent de la gestion.

Mais on ne peut se contenter d'enregistrer passivement ces phénomènes, comme un sismographe enregistre l'effet d'une éruption. Entendre le message des électeurs, dans sa complexité et ses contradictions, c'est aussi nous interroger sur nous-mêmes, sur notre action, sur notre langage, notre façon d'être. Il nous appartiendra de remettre sur le chantier nos pratiques militantes, nos idées et nos propositions. Et, plus largement, notre mode de relation avec nos concitoyens, tentés de croire aujourd'hui que nous nous intéressons davantage à la stratosphère des « grands équilibres » qu'aux réalités de la vie quotidienne. Il faudra le faire sans timidité, mais aussi sans démagogie. En conciliant la culture de gouvernement que nous avons acquise avec – comment l'appeler ? – la « culture de révolte » que nous n'avons pas le droit de perdre. Ce printemps sera à la rénovation. Tâche rude, mais tâche vitale. Dans l'immédiat, mobilisons nos énergies pour le second tour des cantonales de dimanche.


A2 : 11 avril 1992

H. Sannier : Pourquoi un congrès anticipé ?

L. Fabius : On a reçu aux élections un grand coup sur la tête, il faut avoir l'honnêteté de le dire. Il faut réagir. Les Français nous ont envoyé un message, sur le chômage, la morale, le social. Il faut qu'on ait une réaction, en tant que socialistes. Il faut qu'on se mette en ordre de bataille pour les législatives. Il faut que notre programme soit au point, que notre stratégie soit lisible, qu'on rassemble tout le monde. Il faut une occasion manifeste pour pouvoir opérer ce rassemblement. C'est ce qu'on appelle dans notre jargon un congrès. C'est le congrès du renouveau, qui doit être l'inverse du congrès de Rennes, qui avait été absolument calamiteux. Il faut qu'on rassemble tout le monde sur un projet pour aller de l'avant. Voilà le projet.

H. Sannier : Vous dites qu'il faut dépasser les courants. Cela fait peur à L. Jospin ?

L. Fabius : Si cela fait peur à certains, il faut essayer de les rassurer. Mon idée : nous avons des diverses sensibilités, cela permet à chacun d'avoir sa liberté. Mais il faut que ça ne tombe pas dans les excès. Il ne faut pas qu'il y ait chacun sa revue, ses locaux, et puis pourquoi ces batailles d'éléphants qui finalement dégoûtent tout le monde à commencer par nos militants. Il faut dépasser les clivages qu'on a connus, mais que chacun se sente à l'aise. C'est ce que je propose, et j'espère que je vais convaincre les uns et les autres.

H. Sannier : Certain éléphants pourront toujours affirmer le droit à la différence ?

L. Fabius : Oui, ça fait partie de notre histoire, c'est très important, mais il faut qu'on sache dépasser des clivages qui sont hérités du passé et n'ont plus beaucoup d'intérêt.

H. Sannier : Vous avez conforté M. Rocard comme candidat virtuel aux présidentielles. C'est un souhait ou un contrat entre vous ?

L. Fabius : P. Mauroy avait utilisé la formule, elle est confirmée. Il faut pour que le PS fonctionne bien, que notre stratégie soit au point, qu'on écoute les Français et qu'on n'ait pas de discussions annexes incompréhensibles.

H. Sannier : Le PS, c'est L. Fabius, et la présidentielle, c'est M. Rocard ?

L. Fabius : J'ai redit que le candidat virtuel était confirmé dans sa mission, voilà.

H. Sannier : Vous avez élaboré une stratégie avec P. Bérégovoy et F. Mitterrand. Passe-t-elle par des alliances, et avec qui ?

L. Fabius : Dans l'immédiat, non. Un gouvernement a été constitué, il a onze mois pour travailler et bien travailler, avec la majorité parlementaire. Nous avons emporté une majorité relative il y a quatre ans, elle va jusqu'à l'année prochaine. Il se peut qu’entre-temps, de nouveaux représentants nous rejoignent, je n'en sais rien, je n'y crois pas trop.

H. Sannier : On dit que les Verts vous rejoindraient au gouvernement ?

L. Fabius : Pourquoi pas ? Il n'y a pas eu de discussion là-dessus, mais les Verts, les écologistes etc. sont une force importante. Il faut que nous prenions en compte le souci de l'écologie qui s'est exprimé dans les élections. Cela ne veut pas dire nécessairement qu'ils entrent au gouvernement tout de suite. Mais sur le fond, approfondir la démarche écologique, écouter ce que les Français nous ont dit, c'est ce qu'il faut faire.

H. Sannier : Vous êtes pour le référendum ou la solution parlementaire sur Maastricht.

L. Fabius : Le Président s'exprime demain. Il sera d'abord nécessaire d'expliquer aux Français ce qu'est le traité de Maastricht. Peu de gens le savent. Il s'agit de renforcer la construction européenne, son caractère démocratique, parce que c'est trop technocratique aujourd'hui, et de donner une Europe plus économique et plus sociale. J'y crois, ce n'est pas dissoudre la France que de le faire, mais la renforcer. Quelle procédure ? Cela ira d'abord devant le Parlement. S'il y a une difficulté, peut-être que le Président décidera de soumettre à référendum. Il me semble que la procédure normale est de commencer par le travail parlementaire.