Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice président de Démocratie libérale et président du Conseil régional de Poitou-Charentes, dans "La Nouvelle République du Centre-ouest" du 13 janvier 1999, sur l'élection de Mme Comparini à la présidence du Conseil régional de la région Rhône-Alpes et la place des régions dans le cadre de la réforme des fonds structurels européens.

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Média : La Nouvelle République du Centre Ouest

Texte intégral

« La Nouvelle République » : « En tant que président du conseil régional de Poitou-Charentes et président de l'Association des régions de France (ARF), vous vous êtes montré très critique vis-à-vis de Charles Millon quand il a permis au Front national d'accéder à l'exécutif régional, en région Rhône-Alpes. Etes-vous satisfait de l'élection d'Anne-Marie Comparini ? »

Jean-Pierre Raffarin : « Je regrette beaucoup que la deuxième région de France ait connu de tels désordres. Ce n'est pas bon, ni pour Rhône-Alpes, ni pour la régionalisation, ni pour la décentralisation. Quand le cheval trébuche, le cavalier est toujours responsable. Charles Millon a multiplié les erreurs depuis quelques mois. L'élection du doyen d'âge était la meilleure solution en mars. Ensuite, cette élection s'est avérée impossible. Il n'existait que deux solutions : Mme Comparini ou M. Queyranne. Entre une solution de centre droit et une solution de centre gauche, je préfère la solution de centre droit. »

« NR » : « Mme Comparini a été élue avec le soutien du PS. Est-ce à dire que vous cautionnez en Rhône-Alpes, l'idée d'un front républicain dont vous avez refusé le principe en Poitou-Charentes ? »

J.-P.R. : « J'ai eu, en Poitou-Charentes, une majorité relative forte. Cette majorité régionale dispose de 27 voix quand la gauche plurielle n'en réunit que 23. J'ai ainsi pu réunir les conditions d'une bonne « gouvernance » en Poitou-Charentes. Sans dépendance ni compromission.

Sur le fond, la région n'est pas la nation. Le conseil régional n'est pas le modèle réduit de l'Assemblée nationale. L'arc républicain est un concept national auquel s'oppose, en région, le concept de dynamique de projet. Les progrès de la décentralisation ne doivent pas conduire à des excès de politisation. Les états-majors parisiens exportent leurs rapports de forces dans les régions. Pour moi, c'est une attitude regrettable et inacceptable de demander une suspension de séance dans un conseil régional pour solliciter des ordres à Paris. En dix ans de région, je n'ai jamais téléphoné à Paris pour qu'on me dicte mon attitude.

Le mandat régional n'est pas un mandat partisan. Les routes, les lycées, les entreprises n'ont pas d'étiquette. »

« NR » : « L'actualité de ces dernières semaines a-t-elle, malgré tout, fait progresser l'idée de région ? »

J.-P. R. : « Cette crise n'a pas que des inconvénients pour les régions. Par sa présence dans l'actualité, la région compense sa jeunesse dans l'histoire. Tous ces évènements ont donné une certaine modernité à la région… même si cette modernité est souvent douloureuse.

Les conditions de vie des lycéens, les problèmes avec le Front national sont des problèmes posés à la société française et qui sont débattus au niveau régional. Les régions sont les seules assemblées politiques dans lesquelles se trouve aujourd'hui l'arc-en-ciel des partis. Tout ceci fait que la région est dans l'actualité.

Mais je souhaite que les états-majors laissent les régions respirer et cessent de les mettre en permanence sous tutelle. Après les tutelles administratives, voici les tutelles politiques ou médiatiques. Respecter le territoire, c'est le laisser vivre, à condition qu'il respecte les principes républicains et démocratiques.

Je voudrais que les régions gagnent en autonomie et puissent agir dans une certaine paix démocratique. La première mission de la région c'est d'installer sur le territoire un climat constructif. La région est un espace de coopération ».

« NR » : « Comment le président de l'Association des régions de France compte-t-il faire avancer cette idée ? »

J.-P. R. : « Nous avons deux débats essentiels dans l'année 1999. Il y a d'abord la loi Voynet sur l'aménagement du territoire. Nous devons placer les régions en position de pivot contractuel avec l'Etat et l'Europe, au niveau supra régional, avec les départements, les villes et les pays, au niveau infra régional.

Cela passe par la paix démocratique. Ce qui ne veut pas dire sans débat. C'est ce qui est engagé, en Poitou-Charentes, avec le projet Poitou-Charentes 2010.

Mon deuxième objectif, c'est que l'ARF place vraiment les régions au coeur de la réforme des fonds structurels européens pour qu'on assiste davantage à une régionalisation de ces fonds plutôt qu'à une nationalisation de la politique européenne.

Enfin, je veux essayer d'engager une réflexion stratégique sur les régions du troisième millénaire et faire de la région l'espace de médiation entre l'homme et la modernité. En effet la région est suffisamment proche pour rester humaine. »

« NR » : « Vous avez eu, à la fin du mois de décembre, une réunion de travail avec le vice-président socialiste de l'ARF, Michel Sapin. Existe-t-il, à gauche, la volonté d'avancer dans le même sens ? »

J.-P. R. : Nous pouvons nous comprendre car tout ceci trouve son inspiration dans le discours de Rennes du président de la République. Jacques Chirac a joué son rôle de manière très positive en montrant la voie, ce qui est sa fonction ».

« NR » : « Aujourd'hui, l'opposition apparaît néanmoins divisée… »

J.-P. R. : « Je souffre quand je vois réapparaître les vieilles querelles UDF-RPR. Cela me rappelle les tensions personnelles entre Giscard et Chirac. J'ai tout fait, dans mon action politique, pour surmonter de tels clivages, et je souhaite vraiment qu'à l'avenir se construise une union sincère entre les gaullistes, les centristes et les libéraux, autour de Jacques Chirac, pour réussir la France de l'an 2000 ».

« NR » : « Pourtant, le président de votre parti, Alain Madelin, est de ceux qui crient à la trahison, après ce qui s'est passé en Rhône-Alpes. »

J.-P. R. : « Personnellement, j'essaie d'éviter les mots blessants, notamment à l'égard de ceux qui se battent courageusement pour leurs convictions. Quand on est pour l'union, on doit refuser l'invective. »