Interview de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, dans "Le Monde" du 7 octobre 1997, sur l'élaboration du projet de loi de finances pour 1998, les méthodes de travail du ministère de l'économie, les procédures budgétaires et les relations avec le Parlement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q. – « Entre démocratie et efficacité, le budget vous paraît-il avoir trouvé le bon équilibre ?

R. – La démocratie commence avec les élections. Le premier signe de respect du vote, c’est que la déclaration de politique générale de Lionel Jospin ressemble fortement à son programme de campagne. Que s’est-il passé depuis ? Le gouvernement a pris un décret d’avance de 10 milliards de francs – pour financer notamment l’allocation de rentrée scolaire –, une procédure d’urgence pas particulièrement démocratique mais qui comporte des garde-fous : elle doit être financée franc pour franc et être ratifiée par le Parlement lors du collectif budgétaire de fin d’année. Le 21 juillet, l’audit des finances publiques répondait aux exigences de transparence, puisque ses résultats ont été rendus publics. Ensuite, le paquet de 32 milliards de francs qui a été adopté très vite pour calmer les inquiétudes éventuelles des marchés financiers (22 milliards de hausse de l’impôt sur les sociétés et 10 milliards de francs d’économies diverses) a été soumis à l’Assemblée dès l’ouverture de la session et est actuellement en première lecture.

Tout cela pour vous montrer que la démocratie rattrape très vite l’efficacité : il n’y aura pas de prélèvement sur les entreprises sans vote du Parlement. Quant au budget lui-même, il a été adopté le 24 septembre en conseil des ministres puis présenté à la commission des finances de l’Assemblée, à celle du Sénat, et enfin à la presse. Dans le passé, il est arrivé que, pour répondre à l’impatience des journalistes, l’ordre de présentation soit différent. Mais, comme nous avons affaire à un Sénat d’opposition, nous l’avons particulièrement respecté. En France, tout ce qui touche aux finances est extrêmement codifié, car le vote du budget est une prérogative essentielle du Parlement.

Q. – Comment s’est passé votre premier budget ?

R. – Dans la phase préparatoire, nous avons essayé de rendre plus démocratique la discussion à l’intérieur de la majorité. Le Premier ministre, Lionel Jospin, a permis un véritable débat interministériel : deux réunions de ministres, le jeudi, ont été consacrées, l’une aux recettes, l’autre aux dépenses. Ensuite, ce qui est nouveau, le Premier ministre, avec les ministres concernés, a reçu le président de l’Assemblée nationale, les présidents des groupes parlementaires, le président et le rapporteur de la commission des finances. Je crois que cette approche est assez différente de la pratique du précédent gouvernement.

Q. – Vous êtes ici, à Bercy, dans une administration très habituée à fabriquer le budget de l’État à sa manière. Vous sentez-vous prisonnier d’elle, ou bien appuyé par elle ?

R. – En arrivant, j’ai décidé d’aller rendre visite aux grandes directions qui sont sous ma responsabilité, notamment la direction du budget et le service de la législation fiscale. Il y a là quelques centaines d’agents qui ont travaillé énormément durant l’été : ils n’avaient pas vu leur ministre depuis un ou deux lustres. La préparation d’un budget, c’est un peu comme le lancement de la fusée Ariane, c’est une mécanique de précision, et nous avions huit semaines de retard. Nous leur avons fait comprendre que les hypothèses avaient changé et ils ont travaillé en conséquence. Je n’ai pas l’impression d’être prisonnier des quelques « poids lourds » de l’administration des finances. On compare souvent Bercy à un navire : Dominique Strauss-Kahn et moi-même, nous sommes dans la dunette. Mais l’administration, ce sont aussi des gens du terrain, ceux qui s’occupent de collecter l’impôt, de tenir les comptes publics, de veiller aux frontières. C’est très bien de faire un budget, mais cela ne sert pas à grand-chose si ensuite l’argent ne rentre pas.

Q. – La contrainte de Maastricht rend-elle plus délicate la confection du budget ?

R. – Nous devons nous tenir à 3 % maximum de déficit, certes, mais c’est moins Maastricht qui impose cette contrainte que la nécessité d’arrêter la boule de neige de la dette. C’est indispensable si l’on veut éviter de passer aux générations futures le poids de la dette en plus de celui des retraites. Pour 1998, dans la mesure où nous ne voulons pas accroître les prélèvements obligatoires, cela implique que les dépenses ne doivent pas dépasser l’inflation, soit 1,4 % ou plus exactement 1,36 %. Cela représente une marge de manœuvre de 21 milliards de francs. Rien que l’effet d’ancienneté automatique et quelques mesures salariales chez les agents de l’État représentent déjà 19 milliards de francs. Ajoutez-y 2 milliards supplémentaires de charge de la dette et il ne reste plus un centime. Ce qui signifie concrètement que chaque fois qu’on donne quelque chose à un ministre il faut le prendre à un autre.

Vous parlez de démocratie ? Le fait que maintenant les ministres soient à plein temps – ils n’ont plus le droit d’exercer de mandat exécutif local – leur a permis de passer assez de temps avec leurs troupes pour effectuer de vrais choix politiques. Fréquemment, le ministre dépensier ne voulait pas perdre la face devant son administration, où chaque directeur veut plus que, l’an dernier, et plus que son voisin. Ce qui alimente la spirale des dépenses.

Q. – D’où la tentation de couper partout également…

R. – J’appelle cela la méthode de Procuste, ce personnage mythologique qui allongeait les gens sur un lit et leur coupait les pieds s’ils dépassaient. C’est la façon autoritaire de faire entrer dans un cadre donné des gens qui s’y refusent. La méthode Jospin a été au contraire de discuter beaucoup pour faire accepter des priorités politiques : donner + 3,4 % au travail, + 3,1 % à l’éducation, + 6,2 % à la recherche et – 2 % à la défense, ce n’est pas couper partout pareil.

Q. – En matière de procédure budgétaire, quelles idées personnelles voudriez-vous faire passer pendant votre séjour à Bercy ?

R. – Ma première conviction est qu’il est possible d’avoir des discussions budgétaires fermes mais courtoises. Il faudrait aussi associer encore plus les parlementaires au moment de la préparation du projet de budget. Une autre idée à laquelle je tiens est que si l’on veut dépenser mieux et prélever mieux (puisque le plus est exclu), il faut un meilleur système d’évaluation des politiques publiques, auquel les parlementaires seraient bien sûr associés. Un exemple : la loi Pons qui détaxe des investissements dans les DOM-TOM a certains effets sur l’emploi : ils méritent qu’on les évalue sans idées préconçues.

Q. – Que répondez-vous à ceux qui déplorent que la loi de finances que vote le Parlement n’a qu’un lointain rapport avec celle qui est exécutée ?

R. – Quand le budget est sincère, on s’évite des désagréments. Mais il y a tant d’inconnues : comment rentreront les recettes, combien y aura-t-il de Rmistes, combien de logements mis en chantier ? On ne peut pas exécuter une loi de finances au million près. Et il faut garder quelques réserves en cas d’événement international imprévu.