Texte intégral
Q. Le Premier ministre a confirmé que la France sera prête au passage à la monnaie unique le 1er janvier 1999. Quelles mesures devront être prises pour respecter cet engagement ?
R. Le Premier ministre a clairement réaffirmé la volonté de la France de participer au premier train de l’euro l’année prochaine. Le gouvernement entend le faire dans les conditions prévues par le Traité de Maastricht. Ni plus, ni moins.
À notre arrivée aux affaires, quelle était la situation ? La France satisfaisait à quatre des critères de convergence : taux d’inflation faible, taux d’intérêt proches de la moyenne communautaire, stabilité externe du franc, niveau de la dette publique inférieure à 60 % du PIB. En revanche le niveau des déficits publics restait un point noir.
Le gouvernement a décidé de remédier à cette situation en adoptant dès le mois de juillet des mesures de correction qui doivent nous permettre de situer le niveau des déficits publics très près de la barre des 3 % du PIB fixée par le Traité de Maastricht. Les entreprises, et en particulier les entreprises bénéficiaires, ont été mises à contribution à travers un relèvement temporaire de l’impôt sur les sociétés. Pour 1998, le gouvernement présentera dans les jours qui viennent son projet de loi de finances avec un déficit en deçà de la barre des 3 %. Cet objectif sera atteint grâce au plein effet produit en 1998 par les mesures arrêtées en juillet dernier, et aussi grâce à une évolution globale des dépenses publiques relativement modérées. La France respectera ses engagements européens. Il reste à espérer que le plus grand nombre de nos partenaires au sein de l’Union en feront autant. Les bénéfices que nous pourrons retirer de l’euro seront plus grands si l’euro est à même de devenir rapidement une monnaie de référence internationale. Pour cela il faut que l’euro soit adossé à un espace économique suffisamment
Q. Après le Conseil européen d’Amsterdam qui a permis à la France de faire accepter à ses partenaires une résolution sur la croissance et l’emploi et le ralliement de la Grande-Bretagne au protocole social (intégré désormais dans le nouveau Traité d’Amsterdam), vers quelle Europe sociale se dirige-t-on ?
R. Vous avez raison de le rappeler, le Conseil européen d’Amsterdam, dont les résultats ont parfois été critiqués ici et là, marque un infléchissement notable dans la conception d’ensemble qu’on peut avoir de la future Union économique et monétaire. La France, par la voix de son Président de la République et de son Premier ministre, a affirmé très clairement ses positions. L’UEM est aussi une union économique qui doit se concevoir comme étant au service de la croissance et de l’emploi. Des avancées substantielles ont pu être obtenues à Amsterdam : chapitre emploi, incorporation du protocole social au Traité ; le tout étant d’application immédiate sans attendre la ratification du Traité d’Amsterdam par les quinze États membres.
Il reste maintenant à faire vivre concrètement ces dispositions. Ce sera l’objet du prochain Conseil extraordinaire consacré à l’emploi, qui se tiendra à Luxembourg en novembre prochain. La France est à l’origine de cette initiative. Il est donc normal qu’elle prépare très activement ce rendez-vous important, en liaison étroite avec la présidence luxembourgeoise. Notre souhait est d’organiser, a l’occasion de ce sommet, un échange le plus large possible, sur les bonnes pratiques en matière de politique de l’emploi, une bourse aux idées en quelque sorte.
Au-delà, il faut systématiquement chercher à tirer profit de la « valeur ajoutée » communautaire. Certes, l’Union européenne n’a pas de compétence propre en matière de politique de l’emploi. Mais les politiques communautaires ont un impact sur l’emploi européen. Il faut donc s’assurer désormais qu’elles sont bien orientées de ce point de vue. Pour ne prendre qu’un exemple, il serait souhaitable que la réforme à venir des fonds structurels permette une concentration des fonds sur les actions les plus pourvoyeuses en emplois nouveaux. En outre, l’Union peut stimuler directement l’emploi à travers sa politique de grands réseaux européens, dont le financement doit être assuré. Je mentionnerai aussi la BEI qui doit pouvoir y jouer un rôle plus actif, à côté du développement de ses actions de soutien au développement des PME-PMI innovantes.
Enfin, la revitalisation du dialogue social européen est indispensable. Il faut amorcer ce processus dès maintenant en demandant aux partenaires sociaux européens de contribuer aux travaux de ce Conseil européen extraordinaire.
Q. Comment le gouvernement français envisage-t-il les perspectives d’élargissement de l’Union européenne ?
R. L’élargissement est le prochain grand chantier de l’Union européenne. Après le Conseil européen d’Amsterdam, la voie est ouverte. La question qui se pose est moins, aujourd’hui, celle de la date que celle des modalités de cet élargissement. Aux Quinze de trouver les réponses adéquates qui permettront de maîtriser un processus qui sera long et qui, s’il était mal conduit, pourrait mettre à mal 40 ans de construction européenne.
Le prochain Conseil européen à Luxembourg se prononcera sur la liste des pays qui, les premiers, vont entrer en négociation et il aura surtout la tâche difficile de définir les principes qui devront guider l’ensemble du processus.
Quels sont ces principes pour le gouvernement français :
– faire aboutir la réforme des institutions qui n’a pu voir le jour dans le Traite d’Amsterdam : c’est la condition sans laquelle l’Union européenne se diluera rapidement en une simple zone de libre-échange, au mépris des intentions de ces fondateurs ;
– faire évoluer l’ossature de la solidarité européenne, c’est-à-dire les politiques communes, en adaptant celles-ci aux proportions des futurs élargissements et aux inévitables contraintes budgétaires ;
– enfin, c’est le sens de la proposition française de « conférence européenne », faire en sorte que le prochain élargissement n’aboutisse pas à récréer de nouvelles fractures sur le continent européen. Le processus sera long, certains candidats rentreront dans l’Union avant d’autres : il faut créer le cadre permettant à tous les pays qui, à terme, ont vocation à rejoindre l’Union, de travailler ensemble pour gérer de manière harmonieuse cette évolution vers un nouvel équilibre du continent européen.
Q. Ne doit-on pas craindre aujourd’hui, comme le dit Jacques Poos, ministre des affaires étrangères du Luxembourg qui assumera la présidence de l’Union jusqu’à la fin de l’année, le retour à un certain « nationalisme » de la part des États membres ?
R. Le retour à un certain « nationalisme » recouvre des réalités très différentes, dont certaines, clairement, sont contraires à nos valeurs. Le relatif succès de certaines formations politiques ne reflète pas toujours, à mon sens, une manifestation de méfiance à l’égard de l’Europe. Certes, certaines catégories des populations sont inquiètes du phénomène de globalisation l’échelle mondiale, qu’ils perçoivent comme une menace, en particulier pour leur emploi et pour l’avenir des systèmes de protection sociale. En même temps, elles me paraissent conscientes des limites des réponses que peut apporter chaque État et de la nécessité d’un renforcement de l’Europe politique.
À nous maintenant de donner une nouvelle impulsion à l’Europe, notamment dans la perspective des futurs élargissements. Je vois deux directions. La première consistera à mettre davantage l’Europe au service de ses citoyens et à l’écoute de leurs véritables préoccupations, au premier rang desquelles, l’emploi. La deuxième direction consistera à réfléchir à la frontière entre les sujets qui exigent un traitement au niveau communautaire et ceux qui pourront être traités au niveau de chaque État membre. Cette redéfinition est indispensable dans le cadre d’une Union élargie. À cet égard, la mise en œuvre de la « subsidiarité » n’est pas la manifestation d’un retour au « nationalisme », elle est plutôt l’antidote.
Q. Ne pensez-vous pas que les collectivités locales et régionales devraient être plus impliquées dans l’élaboration des politiques communautaires et notamment la politique régionale ? Le principe de subsidiarité ne devrait-il pas être étendu au niveau local et régional plutôt que de rester limité à l’Union et aux États ?
R. Dans ce domaine, les organes de représentation existent. Le Comité des régions, mis en place en 1994, fonctionne. Le Traité d’Amsterdam a élargi ses pouvoirs, en rendant désormais sa consultation obligatoire dans les domaines de l’environnement, du Fonds social européen, de la formation professionnelle, de la coopération transfrontalière et des transports. En outre, il dispose désormais d’une structure propre, et non plus commune avec le Conseil économique et social. Il peut être consulté directement par le Parlement européen.
Les institutions existent, leurs compétences ont été renforcées. Simplement en matière d’institutions, il faut toujours un peu de temps pour s’implanter solidement dans le paysage. Regarder le chemin parcouru par le Parlement européen en 20 ans ! Personnellement, je ne doute pas que le Comité des régions, dont la qualité des avis est reconnue unanimement, verra son influence s’accroître dans les années qui viennent. En tout cas, il constitue un précieux outil pour rapprocher l’Europe des citoyens européens et aussi pour mieux adapter les politiques communes à la réalité des territoires auxquels elles viennent s’appliquer.
En revanche, une extension du principe de subsidiarité au niveau local et régional ne me paraît pas souhaitable. L’Union européenne reste une construction interétatique. Les rapports entre les États et les collectivités locales doivent donc rester du ressort des États. Au surplus, les États-membres partent de situations de départ très différentes qui résultent elles-mêmes d’une longue histoire. Dans ce domaine, il ne serait pas réaliste de vouloir assimiler des pays à tradition centralisatrice comme la France, des pays à structure fédérale comme l’Allemagne, et des pays où l’autonomie régionale est reconnue comme l’Espagne et l’Italie.