Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, sur l'attente de la reprise économique mondiale, sur la marge de manoeuvre des pays industrialisés et sur la coordination des politiques économiques dans le cadre de l'OCDE, Paris le 18 mai 1992.

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Circonstance : Réunion ministérielle de l'OCDE les 18 et 19 mai 1992

Texte intégral

Monsieur le Président, 
Monsieur le secrétaire général, 
Mes chers collègues,

Après avoir connu en 1991 une évolution de leur activité beaucoup moins favorable que ce qui était attendu, les pays de l'OCDE semblent devoir renouer avec la croissance en 1992 et, plus encore, en 1993. Certains des obstacles qui pouvaient entraver la reprise apparaissent aujourd'hui levés ou sur le point de l'être.

L'inflation a reculé dans la plupart des pays. Le mouvement de désinflation devrait se poursuivre en 1992 et 1993, comme le retracent les projections du secrétariat. Il s'agit là d'une évolution très positive dont il convient de se féliciter.

Les taux d'intérêt à court terme ont fortement baissé dans les pays ayant connu une récession l'année dernière et les structures financières des agents privés se sont assainies. Il y a tout lieu de penser que les conditions d'un redémarrage de l'activité sur des bases relativement saines se trouvent désormais réunies.

Pourtant, la reprise de la croissance semble devoir être moins marquée que lors des phases de reprise économique précédentes. Le chômage devrait baisser dans la plupart des États membres de l'OCDE d'ici à la fin de l'année prochaine, mais dans certains pays, le rythme de cette baisse peut paraître décevant. Par ailleurs, une croissance insuffisante de nos économies risquerait de retarder, voire de remettre en cause, le processus de transformation des systèmes économiques entrepris par de nombreux pays, qu'il s'agisse des pays d'Europe centrale et orientale, des pays de l'ex-URSS ou des pays d'Afrique ou d'Amérique du Sud.

Face à cette situation, les gouvernements des pays industrialisés doivent faire face à leurs responsabilités : ils doivent s'attacher à favoriser une reprise mondiale plus soutenue, et notamment le redémarrage des investissements.

Notre stratégie doit s’appuyer sur une combinaison appropriée de la politique budgétaire et de la politique monétaire, s'appuyant sur une politique de maîtrise des coûts, et de réformes structurelles, ce qui permettra de dégager les bases d'une croissance saine et non inflationniste. Les contributions apportées par chaque pays peuvent être différentes selon le contexte économique propre à chacun. Mais elles seront d'autant plus efficaces pour améliorer la confiance et soutenir l’investissement qu'elles seront placées dans le cadre d’un effort systématique et coordonné de nos gouvernements. Ainsi que je l’ai indiqué à plusieurs reprises, notre solidarité face aux difficultés économiques est un des facteurs de la confiance et donc d'une forte reprise.

Quelle analyse peut-on faire des marges de manœuvre disponibles dans les différents pays ?

Le Japon se distingue par une position budgétaire très solide. Depuis le printemps 1991, la croissance a fortement fléchi et repose maintenant largement sur les exportations. L'excédent courant japonais a doublé l'année dernière. Les déséquilibres de balances commerciales entre le Japon, les États-Unis et l'Europe se creusent à nouveau. La renaissance de ces déséquilibres doit être combattue. Le renforcement de la demande interne par l'augmentation des dépensés publiques de l'État et des collectivités territoriales amorcé récemment devrait être accentué.

En Europe, dans un contexte budgétaire généralement tendu, les pays qui maîtrisent leurs dépenses publiques peuvent laisser jouer les stabilisateurs automatiques pour favoriser la croissance. C'est ce que la France a fait, mais avec prudence, en limitant l'action des stabilisateurs automatiques aux pertes de recettes. Ces pertes de recette sont seules responsables de la détérioration du solde budgétaire : les dépenses supplémentaires décidées en cours d'année sont gagées par des économies. La France donne, en matière budgétaire, une priorité absolue à la maîtrise des dépenses publiques et à une utilisation plus efficace des fonds publics.

Les pays qui ne maîtrisent pas leur situation budgétaire doivent, au contraire, sans tarder, mettre en œuvre les mesures de redressement qui s'imposent. Ils permettront ainsi une baisse des taux d'intérêt. Cette baisse coordonnée des taux, qui soutiendra l'activité et en particulier l'investissement, apparaît aujourd'hui comme une priorité.

Aux États-Unis, la sortie de récession semble moins vigoureuse qu'à l'accoutumée, sans doute en raison du niveau élevé des taux longs réels et de l'importance du déficit budgétaire. L'objectif doit être un ajustement budgétaire à moyen terme.

L'urgence de l'ajustement budgétaire est encore plus nette dans certains pays européens qui conservent des politiques monétaires très restrictives pour contrer les tensions inflationnistes, tout en maintenant des déficits budgétaires élevés. Un « policy mix » plus équilibré créerait certainement de meilleures conditions de croissance potentielle.

Il faut en effet éviter de faire supporter à la seule politique monétaire le poids de la lutte contre l'inflation. Il faut en outre, si nécessaire, utiliser les divers instruments de la politique monétaire, comme la France vient de le faire, et pas seulement l'arme des taux d'intérêt. Nous avons pu en effet baisser sensiblement le taux des réserves obligatoires. Cela permettra, grâce à la réduction du taux de base bancaire, de réduire le coût du crédit, ce qui devrait bénéficier en particulier aux petites et moyennes entreprises.

Voici esquissée ce que pourrait être la contribution de chaque pays à l'effort commun pour soutenir la croissance. L'objectif, rendre possible une baisse sensible des taux d'intérêt, doit être clairement affiché. De façon plus générale, il faut également redonner confiance aux investisseurs en leur offrant un environnement économique et monétaire stable.

Les pays de la Communauté européenne y ont contribué de façon décisive en décidant de créer l'Union économique et monétaire qui aura une incidence positive sur la croissance et qui permettra une baisse de l'inflation. L’économie mondiale devrait, elle aussi, profiter de ces effets bénéfiques.

La France, de son côté, poursuit une politique de stabilité monétaire basée sur une appréciation sereine et continue du franc qui contribue au ralentissement de l'inflation et favorise la croissance.

Les réformes structurelles doivent par ailleurs être poursuivies. En matière de croissance et de lutte contre le chômage, elles ne peuvent aucunement se substituer à de bonnes politiques macroéconomiques. Leur objectif est autre : elles sont indispensables pour accroître le potentiel de croissance à moyen terme. Votre organisation y attache une importance particulière et le processus de surveillance mutuelle qui s'exerce notamment dans le cadre du comité de la politique économique et du comité d'examen des situations économiques permet de faire utilement progresser la réflexion.

La France s'est pour sa part engagée dans un processus de réformes structurelles important, notamment en matière de fiscalité de façon à favoriser l'épargne, ainsi que dans le domaine du financement de l'économie. Par ailleurs, la lutte contre le chômage étant la principale priorité du gouvernement en matière économique, celui-ci cherche à desserrer les freins à l'emploi. À ce sujet, je considère qu'il est faux de dire que notre système de protection sociale est un obstacle à la création d'emplois. Il est vain de vouloir établir une croissance durable en affaiblissant la protection sociale dont bénéficient les salariés. Quant à l'influence des organisations représentatives des salariés, surtout si elles tiennent compte dans leur action des contraintes économiques, elle contribue à la qualité des relations sociales, et donc à l'efficacité de l'économie. C'est aussi en ayant en tête cet objectif de cohésion sociale que le gouvernement français privilégie les actions de formation et d'insertion au bénéfice des chômeurs de longue durée.

Il faut continuer de travailler au renforcement des disciplines dans les domaines des échanges. L'aboutissement des négociations d'Uruguay aurait vraisemblablement des effets bénéfiques sur la croissance mondiale. Encore faut-il que les concessions entre les différentes parties prenantes soient équilibrées.

Les pays industrialisés doivent également prendre leurs responsabilités face aux menaces qui pèsent sur l'environnement mondial. La France est, depuis plusieurs années, très active dans ce débat. Elle poursuivra son action en ce domaine, et notamment son effort d'aide publique vis-à-vis des pays en voie de développement pour qui un développement durable est un développement respectueux de l'environnement. Je me félicite à cet égard de la tenue à Rio en juin prochain du « Sommet de la planète terre ».

La relance de l'économie mondiale est un problème collectif dont aucun pays industrialisé ne peut s'abstraire et l'OCDE, dont la vocation est de promouvoir la coopération économique nous apporte, par la qualité de ses réflexions, une assistance efficace. Sa technicité et son expertise en font une organisation indispensable et spécifique. Il ne faudrait pas que l'OCDE perde cette spécificité en tentant de devenir une organisation universelle et à compétences multiples.

Enfin, parce que l'économie mondiale est un tout, je voudrais terminer en évoquant la situation difficile dans laquelle se trouvent les pays d'Europe centrale et orientale, les pays de la CEI et de nombreux pays du Sud. La chute de la production dans les pays de l'Est, les difficultés rencontrées par les pays en voie de développement et particulièrement les pays, les plus pauvres, notamment en Afrique, pour amorcer le décollage de leur économie sont des problèmes devant lesquels les pays industrialisés ne peuvent rester inactifs.

Je me félicite de la solidarité dont ils ont fait preuve face à cette situation, et je peux vous dire que la France continuera à jouer un rôle de premier plan pour promouvoir l'aide dont les pays en difficulté ont besoin.

Les institutions internationales, chacune dans sa sphère de compétence et dans les limites de leurs moyens, et parmi elles l'OCDE, doivent apporter leur pierre à l'édifice.

Je vous remercie.