Interviews de M. Charles Pasqua, tête de liste du Rassemblement pour la France et l'indépendance de l'Europe aux élections européennes de 1999 et sénateur RPR, dans "L'Est républicain" du 25 mai 1999, "Le Progrès" du 27 et "L'Indépendant catalan" du 31 mai, sur sa campagne électorale dans le cadre des élections européennes, ses objectifs pour la France et ses relations avec le Mouvement pour la France avant et après le scrutin du 13 juin 1999.

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Média : L'Est républicain - L'Indépendant catalan - La Tribune Le Progrès - Le Progrès

Texte intégral

L'Est Républicain : mardi 25 mai 1999

Q - Après les élections européennes, les suffrages que votre liste va obtenir sont-ils solubles dans ceux de l'opposition ?

- Il s'agit d'élections européennes. Les députés qui seront élus le 13 juin siégeront à Strasbourg, pas au Palais Bourbon. Et je serai effectivement, avec Villiers et tous ceux qui seront élus avec nous au Parlement européen, dans l'opposition, parce que nous ne sommes pas d'accord avec la façon dont est gouvernée l'Europe.
Quant à savoir où compter nos voix par rapport à la politique intérieure, je n'en vois pas maintenant l'intérêt. Cela dit, tout le monde sait bien que je ne suis pas socialiste.

Q - Le scrutin ne passionne pas l'opinion. Que faudrait-il dire ou faire pour réveiller son intérêt ?

- Je ne partage pas votre sentiment. Dans toutes les réunions que je fais, il y a toujours environ mille personnes, très attentives, très concernées. Les médias ont décrété que le scrutin européen n'intéressait pas les Français. Je crois qu'ils se trompent.

Q - Pourquoi menez-vous ce combat ? Et s'opposer à l'Europe, n'est-ce pas s'opposer à Jacques Chirac qui n'a plus de doutes sur la construction européenne ?

- Ce combat est celui de tout mon engagement politique depuis que j'ai suivi le général de Gaulle. Il est celui de l'indépendance de la France. Il est celui d'un peuple qui veut conserver le droit de dire non. Il est celui de la souveraineté et de la démocratie nationale. En votant pour la liste que je conduis, les Français ne voteront pas tellement pour Pasqua ou pour Villiers, mais voteront pour dire qu'ils ne sont pas d'accord avec la façon dont l'Europe les traite, les ignore. Et, croyez-moi, leur voix s'entendra non seulement en France, mais dans toute l'Europe.

Q - Votre alliance avec Philippe de Villiers ira-t-elle au-delà de l'accord ponctuel qui vous unit pour les européennes ?

- Notre combat ne s'arrêtera pas le 13 juin et j'espère bien que nous pourrons rassembler plus largement encore.

Q - Quel regard portez-vous sur l'affaire de la paillote incendiée en Corse ?

- Que notre État est bien mal en point. La France n'est plus gouvernée. Elle est à peine, à grand peine, administrée. Et l'autorité de M. Jospin me paraît compromise pour un certain temps, ce qui n'est pas bon pour la France.

Q - Il y a la gauche plurielle qui gouverne, vous croyez à la droite plurielle ?

- Tout cela ne veut plus dire grand-chose. Sur l'essentiel, la gauche et la droite font la même politique, ils ne se déchirent que sur l'accessoire. La réalité, c'est la « cohabitation plurielle », ce que j'ai appelé la cogestion.


Le Progrès : 27 mai 1999

Q - On dit que cette campagne ne passionne pas les Français…

Ce n'est pas du tout mon sentiment ! Je constate que nos salles sont pleines, et que les gens sont très attentifs aux explications que nous leur donnons, Philippe de Villiers et moi. On ne peut naturellement parler d'un engouement extraordinaire pour ces élections, mais je note qu'il n'y en a pas eu pour les précédentes, et je suis tenté de penser que la participation sera plutôt supérieure.

Q - C'est qu'il y va, selon vous, de l'avenir de la France… Pourquoi dramatiser ainsi ces européennes ?

Nous ne dramatisons pas : le traité d'Amsterdam accentue la dérive fédérale. Nous avons perdu notre souveraineté monétaire avec le traité de Maastricht. Nous avons figé les politiques économiques à travers le Pacte de stabilité. Avec Amsterdam, nous transférons le contrôle des frontières, de l'immigration et des visas à la Commission de Bruxelles, qui s'est jusqu'à présent révélée, dans le meilleur des cas, incompétente, et dans le pire des cas, nuisible. Or la sécurité est un pouvoir régalien par excellence, auquel nos concitoyens sont de plus en plus sensibles, dans la mesure où la sécurité se dégrade. Et il est contradictoire de vouloir une police de proximité et de transférer les pouvoirs de sécurité à Bruxelles. Plus grave encore, nous reconnaissons avec le traité d'Amsterdam la primauté du droit européen sur le droit national, (...) et y compris sur notre Constitution.

Q - Mais le traité d'Amsterdam est en vigueur depuis le 1er mai. N'est-ce pas un combat dépassé ?

Ceux qui opposent ces arguments, sont soit ignorants, soit de mauvaise foi. Car le traité d'Amsterdam fait obligation aux gouvernements de réformer les institutions avant le prochain élargissement, et c'est bien dans ce cadre que nous situons notre action, à Strasbourg et en France. Il reviendra en effet à nos gouvernements, président de la République et Premier ministre, de faire des propositions de modifications des institutions…

Q - Et vous leur faites naturellement confiance pour avancer les bonnes propositions…

Pour être tout à fait sincère, non. C'est pourquoi la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre de l'année prochaine, doit être précédée d'un grand débat dans l'opinion publique, pour savoir quel type d'Europe nous acceptons. Vouloir créer l'Europe sans le soutien des peuples est une démarche absurde, voués à l'échec.

Q - La guerre du Kosovo montre-elle qu'il n'y a pas assez d'Européen ?

Je dirais qu'elle fait apparaître en creux qu'il n'y a pas assez de volonté politique européenne. Mais dans le même temps, elle révèle la faiblesse des gouvernements européens, qui s'accommodent assez facilement de voir les Américains régler les problèmes à leur place.

Q - Une différence européenne devrait se construire sans les Américains ?

Je ne suis pas contre les Américains, je suis contre le fait que les intérêts européens soient assumés par les Américains. Que nous soyons les alliés des Américains, même le général de Gaulle ne l'a pas contesté. Mais il faut qu'il y ait d'abord une volonté d'indépendance de l'Europe. S'il n'y a pas cette volonté, alors restons sous le parapluie américain et considérons que nous ne sommes qu'une étoile supplémentaire, ou peut-être douze étoiles, sur le drapeau américain – au moins, les choses seront claires !

Q - Ce débat sur l'Europe reste, selon vous, plus important que le débat droite-gauche ?

Ce qui intéressait la droite et la gauche, c'était qu'il n'y ait pas de débat européen, afin de ne pas sortir des clivages et de conserver les vieux rituels des partis. Or nous avons joué le rôle du poil à gratter, et réussi à entraîner sur le terrain de l'Europe ceux qui ne voulaient pas. Et nous comptons bien poursuivre ce travail de pédagogie.

Q - Reste une opposition : comment se retrouve-t-elle après les élections ?

Je n'ai pas l'impression que cette opposition ait fait preuve d'un dynamisme exceptionnel dans sa lutte contre le gouvernement de gauche. La cohabitation est un mauvais système, elle est « émolliente », avait très justement dit Philippe Séguin. Je constate ainsi qu'il aura fallu trois semaines à l'opposition pour présenter une motion de censure contre le gouvernement sur la Corse.

Q - Après le 13 juin, vous restez RPR, malgré la volonté de certains, tel Alain Juppé, de vous exclure ?

Cela m'indiffère complètement… Car après le 13 juin, la question sera d'une autre nature : il s'agira de savoir si le RPR est capable de se rénover, de se ressourcer, pour jouer son rôle, qui est d'incarner une certaine idée de la France. S'il s'agit de devenir comme les autres, il n'a plus aucune raison d'être.

Q - Et le RPR aurait raison d'être ?

Exactement.


L'Indépendant catalan : lundi 31 mai 1999

Q - De ville en ville, de salle en salle comment sentez-vous évoluer l'opinion ?

D'abord, je veux vous dire que je suis à Perpignan, pays du rugby, pour y retrouver Jean-Louis Dolsa, qui est candidat sur notre liste, une liste où figurent, entre autres, la petite-fille du célèbre international Cantoni et Serrieres l'ex-capitaine du Racing-Club de France, ma liste comprend des sportifs et des jeunes, filles et garçons. C'est un grand sujet de satisfaction. Ces jeunes prendront le relais de nos idées sur la France et sur l'Europe, apportant ainsi un démenti à ce que disent les caméléons pour qui la France serait une idée ringarde. Je rappellerai ce mot d'Alexandre Sanguinetti : « Pour se débarrasser d'un caméléon, il suffit de le poser sur une couverture écossaise ! ».

Q - Vous visez qui, plus particulièrement ?

Devinez !

Q - Bien, dites-nous au moins comment se comportent à votre égard vos anciens amis du RPR ?

Cela dépend : en règle générale, les militants du RPR sont tristes. Ils ont été attristés par ma séparation avec Philippe Séguin, puis quand j'ai décidé de constituer ma propre liste afin que le débat ait lieu. Même s'ils m'ont compris, ils se trouvaient placés devant un choix douloureux : rester fidèles au mouvement ou rester fidèles à leurs idées. Pour finir, le départ de Séguin les a en même temps littéralement « sonnés » et libérés : ce départ me donnait raison.

Q - Et aujourd'hui ?

Et aujourd'hui beaucoup d'adhérents du RPR viennent à nos meetings. Certes, les cadres et les élus sont plus réservés mais nombreux sont ceux qui me disent qu'en réalité ils voteront ou feront voter pour nous. Finalement notre entente avec Philippe de Villiers ne les a pas choqués.

Q - Certains ne pensent-ils pas déjà aux prochaines élections ?

Quand Philippe Séguin a quitté ses fonctions à la tête du RPR, beaucoup ont espéré que nous allions constituer le trio qui avait déjà lutté contre Maastricht. Mais ce n'est peut-être que partie remise. Les élections européennes provoqueront, j'en suis sûr, une crise de conscience au sein même des états majors politiques et les conduiront à regarder la réalité en face.

Q - Et la réalité c'est quoi ?

La réalité, c'est la désaffection d'une grande partie de leurs électeurs, ce qui les amènera à comprendre que l'heure de la rénovation de leur parti est arrivée. S'ils ne le comprennent pas, cette rénovation se fera sans eux et par conséquent contre eux.
Ils auront apporté la preuve qu'ils ne servent plus à rien et qu'ils ont non seulement perdu le contact avec le peuple mais que ce peuple l'a désormais compris.

Q - Vous avez été ministre de l'Intérieur. Trouvez-vous justifié le sort qui est fait au préfet Bonnet ?

Quelles que soient les erreurs commises par le préfet, son maintien en détention est incompréhensible. De même que le maintien en détention des gendarmes. Les Français ne comprennent pas que pour un délit minime commis sur ordre, des gendarmes soient mis en prison.
On se montre décidément beaucoup plus accommodant envers les délinquants ! Voilà qui n'est pas de nature à redorer le blason de l'État auprès de l'opinion publique.

Q - Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l'insécurité a gagné les hôpitaux. Comment l'expliquez-vous ?

Nous payons vingt ans de laxisme.

Q - Vingt ans parmi lesquels vous avez été au pouvoir !

Nous avons été, c'est vrai, au gouvernement. J'ai personnellement été ministre de l'Intérieur à deux reprises, mais pendant deux ans chaque fois, ce qui est insuffisant. Mais les Français se souviennent que j'incarnais à leurs yeux la sécurité, de même que pour les policiers, j'incarnais la solidité d'une politique et la solidarité envers le corps que j'étais appelé à commander. Je vous rappelle cependant qu'à l'époque, j'étais soupçonné de je ne sais quelle dérive sécuritaire. Beaucoup de gens, il est vrai, parmi ceux qui me critiquaient, n'avaient pas encore pris conscience de la montée de l'insécurité.

Q - Et aujourd'hui ?

Aujourd'hui le pays reste traumatisé par les conséquences d'un certain nombre d'idées gauchistes et centristes qui ont consisté à privilégier la prévention, susceptible d'après eux de régler, à elle seule, tous les problèmes. On voit le résultat. La répression est nécessaire quand il y a des délits commis notamment par des récidivistes. Quand à l'angélisme dont on fait preuve certains, il a conduit à la montée de l'insécurité, de la violence et, à terme, à la contestation de la République elle-même. Pour ma part, si je souhaite une Europe forte, je me bats d'abord pour la République et pour la France.