Texte intégral
France-Soir : 17 avril 1999
France-Soir : – Avez-vous été surpris ?
Charles PASQUA : – J'ai été surpris par le moment choisi. Mais j'étais persuadé que cela arriverait un jour. Philippe Séguin a rencontré trop de tension dans l'exercice de ses responsabilités, elles l'ont amené à arrêter sa mission.
France-Soir : – De quelles tensions parlez-vous ?
Charles PASQUA : – Quand on a repris le RPR, Philippe Séguin et moi, nous avons redéfini la mission du mouvement gaulliste en réaffirmant sa personnalité. Il était notamment question de présenter des candidats RPR. Or, aux élections régionales, nous avons été conduits à faire des listes d'union et, pour l'élection européenne, le président de la République a pesé de tout son poids pour qu'il y ait une liste d'union de l'opposition. C'était une erreur. Il aurait mieux valu dès le départ une liste centriste, une liste RPR, une liste libérale. Philippe Séguin s'est rangé par fidélité derrière le souhait de Jacques Chirac. Il était extrêmement difficile de concilier le gaullisme et le libéralisme pur et dur, tout cela ne pouvait que conduire à une situation de conflit.
France-Soir : – Et Balladur à la tête du RPR ?
Charles PASQUA : – Ce serait une sorte de clarification. Mais le RPR n'aurait alors plus grand-chose à voir avec un grand mouvement populaire.
France-Soir : – Vous comprenez Philippe Séguin ?
Charles PASQUA : – Il vient de prendre une décision courageuse. Il tire les conclusions que j'avais tirées il y a quelques mois. Le système politique est biaisé. Philippe Séguin tire les leçons des contradictions dans lesquelles on avait voulu l'enfermer. C'est une clarification générale des faux-semblants du système des partis.
France-Soir : – Et pour le RPR, est-ce une bonne chose ?
Charles PASQUA : – Les adhérents doivent être déçus et amers.
Le Monde : 19 avril 1999
Q – La démission de Philippe Séguin de la présidence du RPR et de la liste RPR-DL aux élections européennes vous réjouit-elle ?
Charles Pasqua : Je la trouve conforme à ce qu'on pouvait attendre de Philippe Séguin, qui est un homme de caractère. J'étais persuadé que le moment arriverait où, entre le souhait qu'il avait de suivre le président de la République et le service des idées auxquelles il croit, il y aurait une incompatibilité.
Je crois que cette contradiction s'est aggravée à partir du moment où l'on a voulu faire une liste d'union de l'opposition en mariant le RPR, qui a quand même encore quelques réminiscences des idées gaullistes – entre autres, la nécessité de la République pour le maintien ou le rétablissement de l'égalité des chances entre les hommes ou les territoires –, et ceux qui croient qu'il faut laisser le seul marché jouer librement. Cette incompatibilité est devenue insupportable.
Q – M. Séguin a-t-il échoué dans son entreprise de refondation du RPR ?
Charles Pasqua : L'entreprise de refondation avait été bien engagée, mais elle ne pouvait être conduite à son terme que si le RPR arrivait à acquérir une certaine indépendance par rapport au président de la République. Dès lors que ce dernier souhaitait que le RPR s'aligne sur ses positions, alors qu'il est lui-même engagé dans la cohabitation, cela rendait les choses beaucoup plus difficiles. Quand Philippe Séguin a repris le RPR, c'était pour le refonder sur des bases gaullistes, populaires, éloignées de la pensée unique qui avait prévalu avec Alain Juppé. Or, aux assises de janvier 1998, il n'est pas parvenu à imposer le changement de nom, Rassemblement pour la France, qui devait symboliser ce retour au gaullisme. En avril, Jacques Chirac a demandé aux parlementaires RPR de ne pas voter contre le texte du gouvernement Jospin sur le passage à l'euro. En décembre, les trois amendements présentés par le RPR au projet constitutionnel sur le traité d'Amsterdam ont été refusés avec mépris par le gouvernement comme par l'UDF.
Conclusion : le RPR est le mouvement de Jacques Chirac, Philippe Séguin n'en était que le mandataire. Trois mois et demi après que j'ai moi-même décidé de me séparer du RPR aux élections européennes, Philippe Séguin prend acte que j'avais raison. On ne peut pas marier, en des matières aussi importantes, les convictions et les intérêts. L'intégration de la France dans l'OTAN et dans sa stratégie au Kosovo n'a fait qu'aggraver les choses…
Q – Le départ de M. Séguin marque-t-il un début de clarification à droite ?
Charles Pasqua : Peut-être, mais j'espère que cette clarification s'étendra aussi à gauche.
Q – Permet-elle, en tout cas, la formation d'une liste commune RPR-DL-UDF, plus cohérente, si l'on vous suit, que ne l'était la liste Séguin-Madelin ?
Charles Pasqua : Je trouve extrêmement choquant, pour ne pas dire scandaleux, que des responsables du RPR, qui, de surcroît, appartenaient à l'état-major de Philippe Séguin, considèrent que seule sa présence était un obstacle à l'union de l'opposition. C'est déloyal. Et c'est ne rien comprendre à la réalité : l'obstacle était dans le fait qu'on ne pouvait parvenir à une liste d'union de l'opposition qu'à condition que chacun oublie ses convictions. La droite est un vase cassé dont on recolle les morceaux, mais qui ne tient que si on le laisse dans la vitrine. Si l'on s'en sert, il éclate !
Ou bien l'on se regroupe selon une vision politicienne des choses, et l'on verra bien qui prend le contrôle de la droite, mais c'est assez accessoire ; ou bien l'on se rassemble – enfin ! – en fonction des réponses que l'on apporte aux problèmes. C'est ce que nous sommes en train d'arriver à faire. Les élections européennes peuvent être le révélateur d'une ligne de fracture intellectuelle, politique, économique, sociale, qui passe entre la nation et l'Europe, la République et la démocratie, les droits de l'homme et les droits des peuples.
Q – Mais, d'un point de vue « politicien », Bernard Pons a raison de dire que la liste RPR-DL, la liste UDF et votre liste sont toutes trois issues de la majorité présidentielle et que leurs voix pourront être additionnées en vue de la prochaine élection présidentielles…
Charles Pasqua : Dans la mesure où nous considérons que les élections européennes transcendent les partis politiques et où nous appelons à nous rejoindre des électeurs de la droite et de la gauche, j'imagine mal qu'on puisse nous ranger dans la majorité présidentielle ! Les raisons qui nous ont amenés, Philippe de Villiers et moi-même, à exprimer des désaccords avec le président de la République n'ont pas disparu.
L'Express : 22 avril 1999
Q – Quelles retombées sur la campagne européenne pouvez-vous espérer du renoncement de Philippe Séguin ?
Charles Pasqua : Philippe Séguin a pris acte qu'il avait agi à la tête du RPR « au mépris de [ses] propres engagements ». On pense évidemment à l'Europe et à la guerre du Kosovo. Son départ clarifie la situation et permet aux électeurs de choisir sans ambiguïté l'Europe qu'ils veulent, celle des nations, que je défends, ou celle de Bayrou, l'Europe fédérale. Quant aux autres, au RPR ou à DL, on ne voit pas vraiment ce qu'ils défendent dans cette élection, à part leurs intérêts de boutique. Qu'ils me rejoignent ou qu'ils rejoignent Bayrou ! Après tout, en 1994, le RPR s'est bien rangé derrière Baudis.
Q – Bayrou vous paraît-il le plus cohérent de vos adversaires quand il propose de conserver le principe de souveraineté tout en le transformant à l'échelon européen ?
Charles Pasqua : C'est un garçon honnête et cohérent, mais le système fédéral, qu'il appelle de ses voeux, marque la fin de la souveraineté et de la démocratie. Il ne peut pas y avoir de démocratie européenne, car il n'y a pas de peuple européen. Mais il faudra bien un jour consulter ces peuples, non par référendum européen, qui n'aurait pas de sens, mais par référendum international.
Q – Votre livre* est très sévère envers Jacques Chirac. Menez-vous campagne contre un président qui ne serait plus gaulliste ou contre une conception de l'Europe ?
Charles Pasqua : Jacques Chirac a été élu sur les thèmes de la fracture sociale et de l'exaltation de la volonté nationale, contre la pensée unique européiste. Au bout de six mois, il a opéré un revirement spectaculaire. Dans la campagne actuelle, dont l'enjeu est la place de la France dans l'Europe, Chirac, d'une certaine manière, c'est l'accessoire, pas le fond du problème. Il obscurcit l'horizon.
Q – L'attitude de Chirac face au conflit du Kosovo le réhabilite-elle à vos yeux ?
Charles Pasqua : La vraie question, c'est de savoir si les Quinze, ou plutôt l'OTAN et les Américains, ont une bonne analyse de la situation yougoslave. La réponse est non. Le Kosovo est une province qui fait partie intégrante de la Yougoslavie, confrontée à deux problèmes : une population majoritairement albanaise, une rébellion armée. Les accords de Rambouillet étaient inacceptables pour le peuple serbe, car ils portaient en germe l'indépendance du Kosovo – le berceau de la Serbie. Si l'on voulait nous retirer l'Alsace-Lorraine, quelle serait notre réaction ? Les bombardements ont donc conforté Milosevic et provoqué l'exode massif des Albanais. En collant à l'OTAN, la France a commis une grave erreur.
Q – Quelles conséquences cette guerre aura-t-elle sur la construction européenne ?
Charles Pasqua : L'Europe a immédiatement appelé à la rescousse les États-Unis, révélant ainsi son inexistence en dehors de tout protectorat américain. Il faudra bien qu'elle décide si elle souhaite, oui ou non, être indépendante. À l'intérieur de l'OTAN, cela m'apparaît impossible.
Q – Pourriez-vous faire triompher vos idées sans défaire l'Europe actuelle ?
Charles Pasqua : Puisque nous allons devoir choisir une nouvelle organisation de l'Union européenne, demandons-nous quelle Europe nous voulons : une Europe fédérale, une Europe de coopération ou une zone de libre-échange ? Profitons-en pour revenir sur les pouvoirs de la Commission et redéfinir la subsidiarité. On a appliqué ce principe à l'envers : l'Europe est censée intervenir quand les États ne le peuvent plus ; c'est le contraire qui se passe, en réalité.
Q – Quelles additions pratiquerez-vous au soir du 13 juin ?
Charles Pasqua : Ceux qui additionneront les voix de droite d'un côté, celles de gauches de l'autre ne pourront pas cacher qu'ils sont en réalité d'accord avec la politique européenne. La vraie addition, c'est celle de tous ceux qui auront milité pour la souveraineté nationale.
Q – Ce n'est plus Pasqua-Villiers, c'est Pasqua-Laguiller !
Charles Pasqua : Mais l'extrême-gauche défend, d'une certaine manière la souveraineté populaire…
Q – Votre aventure au RPR prendra-t-elle fin au lendemain des européennes ?
Charles Pasqua : Le RPR me sanctionnant sur le thème « À trop défendu la souveraineté nationale » ce serait cocasse ! Je propose que le PCF cède la machine à exclure – dont il ne se sert plus – au RPR. Pour 1 franc ou 1 euro symbolique.
Q – Mais si le RPR n'est plus gaulliste, pourquoi y rester ?
Charles Pasqua : Pour ne pas abandonner ceux qui y sont parce qu'ils croient aux mêmes idées que moi, tant qu'ils n'apercevront pas une autre possibilité.
* Charles Pasqua publie Tous pour la France (Albin Michel), un ouvrage au titre boomerang – Jacques Chirac rédigea La France pour tous en 1995.