Article de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, dans "Le Figaro" du 1er avril 1999, sur le conflit du Kosovo, notamment la nécessité de trouver une issue politique par la négociation et son refus d'un engagement terrestre des troupes de l'OTAN.

Prononcé le 1er avril 1999

Intervenant(s) : 
  • Georges Sarre - président délégué du Mouvement des citoyens

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Ce qui est préoccupant dans l'intervention du président de la République, c'est ce qu'elle ne dit pas. Une intervention militaire en Europe est une affaire suffisamment grave pour qu'on ne puisse la justifier par le seul souci de mettre à exécution une menace antérieure. Elle suppose un but, elle exige d'être fondée en droit, elle appelle un débouché politique.

Quel est le but recherché ? L'éclatement de l'ex-Yougoslavie, en 1991, a transformé en hostilités ouvertes les anciennes rivalités entre Slovènes, Croates, Serbes, Bosniaques, Kosovars, et les conflits meurtriers n'ont cessé de s'y succéder. Comment parvenir à une coexistence pacifique entre ces peuples, comment aujourd'hui parvenir à faire vivre les Serbes et les Kosovars dans la province du Kosovo sans remettre en cause les frontières internationales ?

Vers les Balkans compliqués, l'Otan s'est rendue avec des idées simplistes : le président serbe, sous le coup des bombes, allait accepter les accords de Rambouillet ! Mais les frappes aériennes ne font qu'apporter un soutien populaire à son intransigeance et le conforter dans un nationalisme exacerbé. Au lieu d'arrêter les populations albanaises du Kosovo, elles les ont décuplées et l'Otan elle-même en est à déplorer le « désastre humanitaire » auquel ont abouti ses bombardements. Les déplacements forcés de population se sont accélérés dramatiquement. Les populations civiles albanaises prennent par dizaines de milliers le chemin de l'exode. Bref, il faut tirer au plus vite les leçons de ce fiasco et revenir sur le terrain politique au plus tôt.

Lionel Jospin a judicieusement rappelé que « nous sommes déterminés à créer les conditions d'un règlement politique à la crise au Kosovo. »

Imaginer que l'écheveau balkanique puisse se dénouer en quelques jours, sous la pression ou sous les bombes, est peut-être une caractéristique de la diplomatie des États-Unis, pays neuf, où le poids de l'histoire est bien faible. Mais dans cette région où tout est politique, la précipitation accélère les drames. Au lieu que l'Europe fasse partager à l'Amérique l'expérience qu'elle tire de son Histoire, doit-elle, sous l'injonction de certains médias, adopter ses méthodes de cow-boy ?

Les motivations américaines

1. Il faut voir clair dans les intentions des États-Unis, qui ne seraient pas fâchés de voir les Européens embourbés : on entend beaucoup, au Sénat américain, la voix de ceux qui exigent maintenant un engagement terrestre des armées européennes. C'est précisément l'impasse absolue. Ce n'est pas par la force des baïonnettes étrangères que s'instaurera un modus vivendi entre les deux peuples qui coexistent au Kosovo. Quant à ceux qui, à l'instar des discours présidentiels à Washington ou à Paris, voudraient se borner à diaboliser le seul Miloševic en faisant semblant d'ignorer les sentiments profonds des Serbes, qu'ils ouvrent les yeux ! Le départ forcé du dirigeant serbe n'éteindrait en rien la ferveur nationaliste du peuple, il l'attiserait davantage encore.

2. L'Europe n'a aucun intérêt à laisser les États-Unis placer un coin entre elle et les peuples slaves, entre elle et la Russie. C'est le destin d'une Europe européenne, de son indépendance, qui se joue ici. La France républicaine, sa diplomatie laïque, qui n'est prisonnière d'aucun préjugé dans les Balkans, doivent se placer au service d'une Europe dotée d'une autonomie réelle. Une détérioration de nos rapports avec la Russie ne nous laisserait pas d'autre issue qu'une dépendance accrue vis-à-vis de l'Amérique. Enfin, les États-Unis utilisent la défense des populations musulmanes au Kosovo pour faire oublier au monde arabe la réalité de leur politique ailleurs. La France, qui a d'autre rapports avec les pays de la Méditerranée, ne doit pas être dupe.

3. Il est urgent de revenir à la table de négociations. Une conférence internationale, associant toutes les parties, y compris la Russie, doit permettre d'obtenir la fin des bombardements et l'arrêt des exactions, le respect des minorités nationales dans le cadre des frontières internationalement reconnues.

La diplomatie française avait agi efficacement à Rambouillet : on se souvient que c'est moins l'accord lui-même que la présence d'armées étrangères au Kosovo qui avait suscité l'ire de Belgrade. C'est dire qu'une solution diplomatique n'est pas hors de portée.

L'issue à la crise n'est pas dans l'engrenage guerrier vers un engagement terrestre inacceptable, dans un enlisement contraire à nos intérêts et à ceux des Européens, mais dans le retour immédiat au politique et à la négociation. Il est nécessaire de le rappeler au président de la République : où est dans cette affaire l'intérêt national ?