Texte intégral
« SUD-OUEST ». - L'Etat entretenant, dans notre pays, des liens étroits avec les fédérations sportives, est-ce que cela ne vous conduit pas à représenter une sorte d'« exception française » ?
MARIE-GEORGES BUFFET. - Plutôt une exception sportive. La plupart de mes collègues européens pensent comme moi que l'on ne peut pas appliquer au monde du sport, les règles de l'entreprise et de la libre concurrence. Exemple : aujourd'hui, les compétitions sont sous la responsabilité des fédérations. Demain, si l'on appliquait les principes de la concurrence économique, on pourrait autoriser des compétitions privées organisées par des entreprises, ce qui reviendrait à ne plus reconnaître les règles que le mouvement sportif s'est données au fil du temps.
« S.-O. ». - L'Europe s'est construite autour de l'économie. Est-ce le bon niveau pour parler de l'avenir du sport ?
M.-G.B. - Le sport a été oublié par la construction européenne, alors qu'il occupe une place sociale, culturelle, économique de plus en plus importante. Il y est entré par l'arrêt Bosman, qui a déstabilisé les structures du football, en permettant aux clubs les plus riches d'acheter les meilleurs joueurs sans la moindre limite. Le sport doit maintenant entrer dans l'Europe par la bonne porte, c'est-à-dire en respectant les structures du mouvement sportif et son rôle social dans l'espace communautaire, ainsi que cela a été souligné à Vienne par le conseil des chefs d'Etat et de gouvernement.
« S.-O. ». - Est-ce que cela ne va pas aboutir à une uniformisation ?
M.-G.B. - Chaque nation a son histoire. Le sport, dans certains pays, dépend plus des régions que de l'Etat. Il ne faut donc pas chercher à uniformiser, mais se fixer des objectifs communs, comme on l'a fait sur le dopage. Il me semble nécessaire de favoriser le développement du sport en général plutôt que des intérêts particuliers.
« S.-O. ». - Est-ce qu'il n'est pas trop tard pour enrayer l'aspiration à l'autonomie des disciplines les plus puissantes ?
M.-G.B. - La cohérence du mouvement sportif est une des spécificités du sport en France. Le sport professionnel côtoie le sport amateur ce qui constitue un moyen de développement considérable. Il faut donc se donner des points d'appui législatifs pour éviter que cet équilibre soit rompu. On a tendance à oublier que, ce qui fait vivre le sport tous les week-ends dans nos régions, c'est le travail des bénévoles. Certains ne voudraient en faire qu'une source de gains.
« S.-O. ». - En excluant l'Etat ?
M.-G. B. - Ils excluaient surtout le mouvement sportif. L'Etat, n'en doutons pas, continuerait d'être sollicité pour financer la formation, l'accessibilité, les équipements. Mais sans avoir son mot à dire sur le reste, dévolu au business.
« S.-O. ». - Pour vous, en somme, seule la collectivité doit payer ?
M.-G.B. - Je ne suis pas contre, loin de là, l'apport de financements privés dans le sport. A condition qu'ils soient bien répartis et que l'argent ne dicte pas sa loi au sport.
« S.-O. ». - Vous souhaitez voir plus de femmes dans les instances dirigeantes. S'agit-il d'un moyen de préserver le sport de ses dérives ?
M.-G.B. - Il y a, à ce sujet, une analogie avec la politique : les femmes sont dans les mouvements sociaux, mais elles n'ont pas encore conquis la place qui leur revient dans la démocratie – d'où les dispositions constitutionnelles et législatives sur la parité. Dans le sport, les femmes pratiquent de plus en plus les disciplines qui leur plaisent, sans se soucier de savoir si elles sont ou ont été « réservées » aux hommes. C'est le cas, notamment, du football et du rugby, où l'équipe de France vient de faire un parcours remarquable. Mais nous ne retrouvons pas cette progression dans les structures dirigeantes, où les femmes pourraient apporter leur sensibilité et leur façon de voir les choses. Cela ferait beaucoup de bien au monde sportif. Deux femmes présidentes de fédération en France, et en réalité une seule – la responsable de l'équitation – dans les disciplines olympiques, c'est vraiment trop peu et cela n'est pas en adéquation avec le nombre de pratiquantes, qui a triplé en vingt ans.
« S.-O. ». - Vous êtes communiste. Participez-vous à la campagne de la liste de Robert Hue ?
M.-G.B. - Bien sûr ! Je dispose d'assez peu de temps, mais j'ai déjà participé à une trentaine de débats avec la liste Bouge l'Europe, dans laquelle je suis très fière d'occuper la dernière place.
« S.-O. ». - Même lorsqu'on critique le gouvernement ?
M.-G.B. – J'assume mes responsabilités gouvernementales. Il est normal que des questions s'adressent au ministre. Ces réunions se déroulent toujours à plusieurs, et nous ne cachons pas nos différences, qui sont une source d'enrichissement.