Interviews de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 12 mai 1999, France 2 le 20 et RMC le 27 mai, sur la stratégie de l'UDF dans le cadre de la campagne pour les élections européennes de juin 1999, les relations avec les partis de l'opposition et la situation en Corse.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Journal de 8h - Emission Les Quatre Vérités - Europe 1 - France 2 - RMC - Télévision

Texte intégral

Europe 1 – 12 mai 1999

Q - « Hors des sentiers battus », le titre n'est pas forcément modeste mais il décrit, de manière personnelle, l'enfance d'un chef, un dirigeant politique se confie un peu, se raconte. F. Bayrou bonjour ! Il faut passer par là, dire qui je suis, voilà d'où je viens ?

– « Non, je crois que c'est assez normal que l'on raconte ses racines, d'où on vient, quel est le chemin qui vous a forgé votre « vision du monde » et de ce qui se passe. »

Q - Alors la confidence est plutôt réussie, j'y reviendrai. On parle un petit peu de politique, l'UDF publie sa liste ce matin, ce matin, c'est presqu'une coïncidence...

– « Cet après-midi, je pense ! »

Q - Pour les européennes, vous avez encore du retard, vous avez trois fois annoncé cette liste, elle a été retardée, qu'est-ce qu'elle va avoir d'originalité cette liste ?

– « Oh d'abord, d'originalité, les listes pour les élections, ce n'est pas l'exercice où on fait preuve de la plus grande originalité... »

Q - C'est vous qui riez !

– « Parce que naturellement, il y a ceux qui ont l'expérience, ceux qui ont déjà fait ce métier, les sortants, et puis il y a des nouveaux, la féminisation aujourd'hui est très importante et c'est un engagement que nous avons tous pris. Disons, des personnalités extérieures, j'ai déjà annoncé que le général Morillon serait sur cette liste, il sera numéro 5 de cette liste. »

Q - Chaque tête de liste souligne l'enjeu du 13 juin et aussitôt après, il publie une liste qui est remplie de copains et de copines, à quoi cela tient ?

– « Non, cela ne sera pas en tout cas le cas de la nôtre, ce sont des responsables politiques majeurs et qui joueront un rôle central au Parlement européen. Parce-que, je crois que la défense des intérêts et de l'idéal que nous avons de l'Europe, cela passe par une représentation solide au Parlement européen. Dimanche, vous l'avez vu, puisque vous y étiez, le Parti populaire européen a lancé sa campagne européenne à Madrid, avec J.-M. Aznar. Le Parti populaire européen, c'est ce que nous représentons en France, c'est un des deux grands groupes du Parlement européen. Plus de 200 députés, ce sont ces groupes, les socialistes pour la gauche et le Parti populaire européen pour le centre droit, qui orientent l'action du Parlement européen. »

Q - Non, moi Je veux savoir, jusqu'au dernier moment V. Giscard d'Estaing, hier soir, en a appelé à la fusion des 2 listes, qu'est-ce que lui répond, celui, que dans le livre, à propos de vous F. Bayrou, vous appelez : « le rebelle insoumis », qu'est-ce qu'il dit ? J'imagine que vous allez dire non, vous n'allez pas dire que vous allez faire une liste unique ?

– « Non, je pense que la véritable question, la plus importante et la plus profonde aujourd'hui, c'est le renouvellement de la politique française et de l'opposition. On a perdu souvent, on a perdu depuis longtemps avec des habitudes anciennes, il fallait en sortir et donc cette liste UDF, elle porte la volonté de rénover l'opposition et la vie politique française. »

Q - Même si on vous traite de diviseur ?

– « Non, d'ailleurs je ne l'entends plus. »

Q - Vous êtes élogieux et affectueux d'ailleurs avec Giscard d'Estaing dans votre livre, qui choisit le camp d'en face. Alors le livre, j'ai apprécié les portraits, qui sont plutôt réussis de vos maîtres et inspirateurs de rencontres, Lecanuet, Barre, Giscard, Chirac, Kohl, F. Mitterrand, vous dites de lui : jamais je ne l'ai vu en-dessous de ce qu'on attend d'un chef d'État, il avait un aspect fascinant, une énergie indomptable, un côté pathétique. Il y avait chez lui, d'une certaine manière aussi, une fracture.

– « Oui, c'était un homme extrêmement compliqué, qui était à la fois pétri de culture et profondément français et qui avait un côté de désinvolture à l'égard de la morale, et ce, de ce point de vue-là, je ne l'ai jamais approuvé, je l'ai regardé comme on regarde un des grands hommes qui ont fait le siècle, mais je ne l'ai pas approuvé. »

Q - Dans ce livre d'entretien, avec S. Pierre-Brossolette, il y a surtout les Pyrénées et votre village Bordères ; apparemment, vous n'habitiez pas le château, d'ailleurs si j'ai bien compris, il n'y a pas de château !

– « Non, toutes les maisons étaient des fermes et j'y habite encore aujourd'hui, je n'ai pas quitté le village où je suis né, où mon père est né, où mon grand-père est né, c'est un village de paysans au-dessus des Pyrénées. »

Q - C'est Bayrou le paysan, qui adore la terre, les vaches, les chevaux, il a des chevaux maintenant ?

– « Oui. »

Q - Et comme il n'y a pas de seigneurs à Bordères, on est assez fier dites-vous dans cette région, pour ne pas avoir à enlever son béret devant le seigneur.

– « Oui, et cela ne dure pas depuis aujourd'hui, j'ai souvent raconté dans mes livres sur Henri IV, qu'un des proverbes préféré d'Henri IV, je vous le dis en béarnais... "Le béarnais est pauvre, mais il ne baisse jamais la tête", eh bien il y a quelque chose comme ça, c'est un peuple épris de liberté et qui refuse de se soumettre. »

Q - Oui, vous dites, je suis du côté des gens d'en bas.

– « Oui, c'est de là que je viens et c'est donc de là que je suis. Voilà, je n'accepte pas et ne supporte pas l'humiliation. »

Q - Mais vous allez assez loin dans la confidence, vous dites : j'ai été timide, j'ai bégayé beaucoup et longtemps, je vous cite, j'ai été un petit garçon qui ne pouvait pas parler.

– « Oui, mais il y en a beaucoup vous savez... et cela vous donne l'amour de la langue et de la langue française et puis de l'art oratoire, lorsque l'on peut l'acquérir ou qu'on a la chance de s'en sortir. »

Q - Vous avez enseigné 10 ans, vous êtes devenu un orateur, quand on vous voit à la tribune, il y a une sorte de quoi, revanche ou plaisir ?

– « Plaisir ! »

Q - Les deux ?

– « Les deux peut-être. »

Q - Au passage, la photo de couverture du livre, c'est vous le paysan, Bayrou dans votre champ, en chemise et cravate, sur votre tracteur ou à l'étable, vous gardez la cravate ?

– « Non, je ne veux pas faire semblant, je pourrais naturellement exhiber des photographies d'agriculture, mais il y aurait un côté exhibitionniste que je n'aime pas donc... »

Q - Un mot, la revanche sociale, est-ce qu'elle passe pour vous par l'ambition politique ?

– « Ce n'est pas social, ce n'est pas une ambition, lorsque l'on donne sa vie à la politique, certains le font pour trouver du pouvoir, parce qu'ils sont fascinés, je ne sais pas, les avantages ou les plaisir du pouvoir, ce n'est pas mon cas. »

Q - Vous non, vous êtes un type formidable, un saint laïque.

– « Attendez, excusez-moi de vous dire, je ne suis ni saint, ni extraordinaire, je dis la vérité. Ce n'est pas le pouvoir qui est intéressant, en tout cas le pouvoir, quand on ne sait pas quoi en faire, ce n'est pas intéressant. Ce qui est intéressant, c'est de donner, à ceux qui vous entourent, le sentiment qu'une voie nouvelle peut s'ouvrir. »

Q - Alors on va voir un exemple, dans l'Europe fédérale avec des régions fortes que propose F. Bayrou, la Corse, vous lui accordez l'autonomie ?

– « Non, vous savez bien que ce n'est pas ça. L'Europe de demain... »

Q - Non, non la Corse !

– « Attendez, elle n'a pas un régime unique dans tous les lieux où l'on se trouve, mais l'Europe de demain et la France de demain, elle se forgera en donnant plus de responsabilités aux collectivités locales, plus de responsabilités au terrain, plus de responsabilités pour décider de prêts. Croire que l'on peut tout gouverner de Paris, cela nous conduit à ce que nous avons vécu en Corse, c'est-à-dire à des préfets qui croient qu'ils ont tous les pouvoirs entre les mains, qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne, parce que Paris leur donne un chèque en blanc. Et ce drame de la Corse, il faut l'appeler comme ça, drame de la Corse sous la gauche, drame de la Corse sous la droite, c'est qu'en effet, on pensait, que c'était entre les mains du pouvoir central à Paris qu'il fallait avoir tous les pouvoirs. »

Q - Au passage, le préfet Bonnet a été imprudent, maladroit, excessif, est-ce qu'il était aussi mauvais que ça, parce qu'on voit aujourd'hui les fraudeurs qu'il avait mis au pas relever la tête ?

– « Oui, ce serait un drame si cela se produisait. Ce qui s'est passé en Corse, c'est que les défenseurs de la loi se sont mis hors la loi et c'est un drame, parce que les pouvoirs politiques doivent donner l'exemple. »

Q - Je vous pose une question sur la motion de censure, vous avez tous dit, tout de suite : il faut censurer, sanctionner le gouvernement Jospin, elle ne vient pas sa motion de censure.

– « Je suis toujours de cet avis, parce que... »

Q - Mais vous êtes tous en désaccord !

– « J'espère convaincre le reste de l'opposition, parce que, la motion de censure, c'est le seul moyen de demander au Gouvernement d'assumer la responsabilité politique qui est la sienne et d'avoir un véritable débat devant l'Assemblée nationale. Est-ce que vous connaissez un pays démocratique, qui nous entoure, dans lequel une affaire comme ça n'aurait pas fait l'objet d'une motion de censure ou d'un débat à l'Assemblée ?

Q - Ça, vous le dites à N. Sarkozy !

– « Je le dis à tout le monde et, en particulier, à mes, partenaires de l'opposition. »

Q - Oui, vous vous réconcilierez avec eux le 14 Juin, pas avant.

– « On n'est pas fâché, la concurrence ou une simulation, ce n'est pas être fâché. »


France 2 – 20 mai 1999

Q - La famille Bonnet communique beaucoup avec la presse. Après madame Bonnet, sa fille, dans Le Figaro à paraître vendredi, parlent toutes deux de documents tenus secrets dans un coffre en Suisse. Ce matin, c'est au tour du préfet lui-même, B. Bonnet, qui annonce dans Le Midi Libre qu'il va mettre en cause deux anciens ministres de la République et qu'il va y avoir du sport. Alors, qui pourrait être mis en cause par l'ancien préfet de Corse ? On pense à qui : Ch. Pasqua, J. Rossi ?

– « Je n'en ai pas la moindre idée. Ne m'interrogez pas sur ce sujet, je ne suis pas un spécialiste. Tout ça me paraît très étonnant, très bizarre, très inquiétant parce que j'imagine, que ce n'est tout de même pas par hasard que madame Bonnet et la fille du préfet annoncent qu'il y a des documents secrets détenus dans un coffre en Suisse. »

Q - Ce qu'a nié le préfet dans un communiqué.

– « J'imagine que c'est avec des éléments d'information. Tout ça me paraît très surprenant. Cet homme était le plus haut représentant de l'État en Corse il y a encore quelques semaines. On lui avait donné les pleins pouvoirs. Tout ça ne me paraît pas sain pour la République. »

Q - Mais il peut y avoir du linge sale, si je puis dire, à déballer en Corse ?

– « Oui. Il paraît que oui. Honnêtement, je ne peux pas répondre. Vous savez, tout le monde dit : c'est une affaire de la Corse. Et la plupart de ceux qui nous écoutent, sont absolument certains que ce sont des dérives qui ne sont possibles qu'en Corse. Eh bien, moi, je crois que des zones de non droit – il y en a ailleurs en France : on a assisté il y a quelques semaines à une horde de supporters de Marseille qui ont démoli sept autobus, hachés menus, avec un car de police devant et un car de police derrière... »

Q - Qui n'ont rien fait.

– « Oui, voilà. Qui n'ont pas pu ou n'ont pas su ou n'ont pas voulu, je ne sais pas. Et puis, les mêmes ont démoli le TGV au retour. Et on nous annonce que les assurances paieront, comme si c'était une réponse. Je ne suis pas rassuré par la République en France. Et c'est toute la France, y compris la Corse qui me paraît malade. Et la suspicion dans laquelle sont tenus les Corses en raison de ces affaires doit être pour eux aussi, quelque chose de profondément troublant. »

Q - Mais dans cette affaire, la gauche comme la droite ont des préoccupations à avoir ?

– « Mais la gauche comme la droite ont échoué. C'est de droite comme de gauche qu'on a vu les mêmes dérives. L'idée que des gouvernements ont les pleins pouvoirs et dirigent des choses plus ou moins secrètes derrière le paravent de la légalité, cela a été des gouvernements précédents et c'est du gouvernement actuel. Si l'on ne comprend pas que c'est le système qu'il faut mettre en cause, qu'on doit ensemble réfléchir à la manière dont désormais on peut organiser l'État pour que ce ne soit plus cet État impuissant et au bout du compte, si profondément mis en cause, alors on se trompe. »

Q - Si les politiques sont mouillés en Corse, à quoi peut servir une Commission d'enquête parlementaire ?

– « C'est une commission d'enquête sur le fonctionnement des services de sécurité. »

Q - Le principe en a été adopté cette nuit à l'Assemblée.

– « Je trouve très bien que le Parlement fasse son travail de contrôle et qu'il aille voir dans quelle mesure ce que font les services de sécurité qui devraient être les serviteurs de la loi est légal ou ne l'est pas. »

Q - Vous avez regardé ça comment, la rencontre entre N. Sarkozy et V. Giscard d'Estaing, à la télévision sans doute ?

– « D'abord, je ne l'ai pas beaucoup vu parce que j'étais moi-même en campagne électorale. Un de mes amis m'a dit hier soir : les gaullistes autrefois allaient en pèlerinage à Colombey, maintenant ils vont à Vulcania. Mais ceci est un sourire. Tout ça, ce sont des petites manœuvres. Je fais une proposition simple : si on arrêtait les manœuvres. Les listes ont été publiées, le RPR a publié la sienne, nous avons publié la nôtre. Que disent les sondages ce matin ? Qu'en raison de ces trois listes, Ch. Pasqua, le RPR et nous, le score de l'opposition monte. Parce qu'on ratisse plus large. »

Q - Le RPR est à 17, Pasqua-Villiers 11 et vous-même à 11.

– « Pourquoi les sondages montent-ils pour nous ? Parce que je crois que nous avons une proposition cohérente et à laquelle, quand ils réfléchissent, les gens adhèrent. Vous savez qu'on a proposé trois choses : une défense européenne, une constitution pour l'Europe et un président pour l'Europe. »

Q - Une Europe fédérale quasiment.

– « Les adjectifs, s'est fait pour troubler. Mais disons trois choses que les gens comprennent : défense européenne, constitution, président. Dans le sondage que vous publiez ce matin, ces trois idées sont plébiscitées par les Français, entre 72 et 51 % approuvent ces trois idées. Est-ce que ce n'est pas un horizon pour l'Europe qu'enfin, les citoyens puissent un jour y comprendre quelque chose ? Parce que ce qu'il y a de plus frappant et de plus choquant, c'est que dans l'Europe comme elle est aujourd'hui, personne ne comprend rien. »

Q - Concrètement, s'il y avait plus d'Europe, que se passerait-il au Kosovo ? C'est le Conseil des ministres qui déciderait s'il doit y avoir ou pas une intervention terrestre et pas simplement l'Otan et les Américains ?

– « D'abord, ce ne serait pas les Américains qui seraient les seuls maîtres du jeu. Vous avez peut-être observé qu'il y a aujourd'hui des initiatives européennes complètement dispersées. Mais si l'Europe avait existé, ce conflit n'aurait pas eu lieu de cette façon. Parce que le principal atout de l'Europe, ça devrait être la prévention des crises. Dans cette affaire-là, il n'y a pas eu le déploiement européen et la cohésion européenne qu'on aurait pu souhaiter. Or c'est sur notre sol, c'est à 150 km de nos frontières. Comment fait-on pour laisser se développer un cancer comme cela, sans en porter à temps le diagnostic et le traitement. Si l'Europe avait existé, on n'aurait pas eu de cette manière, je le crois, je l'espère, cette crise au Kosovo. »

Q - Vous publiez chez Hachette-Littérature, un livre hors des sentiers battus, un livre d'entretien avec S. Pierre-Brossolette. Vous y confirmez un talent certain à croquer des portraits, vous y révélez aussi un certain nombre de blessures, de secrets. Pourquoi ? C'est parce que vous croyez que ça vous rend sympathique, humain ?

– « Il n'y a pas de révélations. Tout le monde m'a tellement dit : tu es trop secret, tu ne parles pas assez de toi, on connaît les autres, toi on ne te connaît pas. Alors, j'ai voulu raconter ce chemin que vous connaissez bien pour d'autres raisons et qui vient des Pyrénées, du monde de la terre, d'un petit village, d'un très beau gave et qui raconte en effet ce chemin, qui n'est pas toujours facile, entre les Pyrénées lointaines et pourtant si belles et puis l'aventure politique qui n'est pas tous les jours réjouissante. »


RMC – 27 mai 1999

Q - Vous venez de signer un ouvrage publié aux Editions Hachette-Littérature qui s'appelle : « 'Hors des sentiers battus. » Je voulais vous demander si tout simplement le titre n'était pas un programme politique en soi, vous qui avez choisi de vous battre dans cette campagne sous vos propres couleurs et de quitter le sentier battu de l'opposition unie ?

– « Il y a quelque chose d'assez vrai dans ce que vous dites. On a tellement besoin d'essayer des routes nouvelles que je me suis dit que c'était un titre qui résumait assez bien ce que je sentais aujourd'hui. »

Q - Êtes-vous satisfait des scores qui sont prêtés à votre liste, à peu près 10 %. C'est un score qui vous convient, qui vous conviendrait ?

– « Si c'est le cas, on peut, je crois, aller plus loin. Mais si c'est le cas ce serait un élément extrêmement fort dans le paysage de l'opposition : l'apparition, la réapparition, la naissance ou la renaissance d'une famille politique qui a quelque chose de nouveau à dire à la France dans un moment où elle s'interroge sur son avenir européen et national. Et le fait que les sondages montrent en effet ces scores et cette progression-là, cela veut dire que nous ne nous étions pas trompés, qu'en effet la France attendait un message nouveau sans bien savoir d'où il allait venir. »

Q - Je voudrais vous interroger sur ce point précis, pour tous ceux qui voteront pour votre liste : que ferez-vous de vos voix, en ce sens que vous ne cachez pas que vous voulez rénover, comme vous dites, l'opposition ? Est-ce que le 14 Juin au matin... ?

– « Je continuerai. »

Q - Est-ce que dans la pratique, dans le programme, dans la manière d'être de l'opposition, vous imposerez avec vos voix, quoi que vous pèserez, la rénovation dans la marche de l'opposition ?

– « Nous n'avons fait cela que parce que nous avions le sentiment que ça ne pouvait plus durer comme ça. Et on a vu les événements par la suite : la démission de P. Séguin, les moments qui ont été traversés par les autres familles de l'opposition. On a vu qu'en effet il y avait quelque chose qui demandait à changer. On était enfermé dans une manière d'être qui était pour l'opposition l'assurance de s'enfoncer toujours un peu plus. »

Q - C'est quoi la manière d'être ?

– « C'est très simple : c'est, au lieu d'avoir des débats d'idées n'avoir que des querelles de personnes, au lieu d'avoir des rapports francs, loyaux et respectueux, au vu et au su de tout le monde, de manière transparente, n'avoir que des manoeuvres par derrière. C'était ça l'impasse dans laquelle l'opposition s'enfonçait. Et les Français s'en rendaient compte sans pouvoir le formuler. Et ils le traduisaient d'une manière simple : le nombre des voix qui venaient sur l'opposition était toujours de plus en plus bas. »

Q - Vous serez en mesure de faire changer cet état de chose?

– « Je crois que l'apparition ou la réapparition, l'affirmation de cette famille nouvelle ou de cette voie nouvelle pour la France, ça sera de nature en effet à imposer cette entente loyale et franche que j'appelle de mes voeux. En tout cas, on sera là pour imposer ces nouveaux rapports au sein de l'opposition pour que les choses deviennent enfin comme elles doivent être, c'est-à-dire : entré alliés qui ont droit naturellement au respect et à la prise en compte de leurs idées parce qu'ils traduisent les attentes des Français. Vous savez bien, vous voyez bien apparaître le nouveau paysage de l'opposition : une famille nationale et Pasqua en est l'homme qui la mène aujourd'hui ; cette famille libérale, très libérale et conservatrice que le RPR et DL sont en train de faire, et puis cette famille européenne et sociale modérée, et en même temps généreuse qui affirme ses convictions que nous allons proposer. »

Q - Quand on dit ça à M. Sarkozy qui est votre camarade de tranchée dans l'opposition, il dit que Bayrou fasse bien attention à ne pas prendre la grosse tête !

– « Je crois que ça n'est pas une chose qui me menace. »

Q - Un point encore pour celui comme vous, qui venez de...

– « Mais vous voyez, vous me permettez une observation : vous m'avez entendu depuis le début de cette émission et vous m'entendez depuis des semaines. Moi je n'ai jamais eu besoin de critiquer les autres. Et je n'ai pas envie de le faire, parce que je pense qu'ils ont leur place dans le paysage et même s'ils ont besoin d'une rénovation profonde et de conduire ce changement chez eux, je n'ai pas envie de leur apporter des critiques. Alors pourquoi est-ce que les relations entre les différentes familles de l'opposition devraient être marquées par ce genre de petites phrases, totalement stupides et dont les Français ont par-dessus la tête ! Parce que ça fait 20 ans que les relations à l'intérieur de l'opposition c'est ça. Donc moi je ne critique pas et j'aimerais autant qu'on s'épargne ce genre de petites perfidies mesquines. »

Q - Un mot sur celui qui veut rénover la vie politique en France : est-ce raisonnable que le patron de l'UDF nouvelle que vous êtes, se présente en tête de liste aux élections européennes pour ne siéger, comme les autres, que quelques mois à Strasbourg, .puisque vous serez à Paris bien sûr, on le sait bien, au combat national...

– « Non, non. Le combat national est très important, mais ce qui compte c'est de mettre en place à Strasbourg un groupe dans lequel tous ceux qui participeront siégeront ensemble au sein du Parti populaire européen, le grand groupe du Parlement européen, pour être utiles. La France a été marquée à Strasbourg par l'absence des candidats et par le fait qu'ils étaient dispersés dans des groupes multiples. C'est à quoi je veux mettre un terme. Parce qu'il y a aussi à Strasbourg non pas seulement des idéaux à défendre mais aussi des intérêts français et qu'il ne faut pas, oublier que jusqu'à maintenant, ils étaient mal pris en compte. »

Q - Tout à l'heure le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie annoncera l'inculpation de M. Milosevic et un mandat d'arrêt international sera lancé contre un Chef d'État en exercice, ce qui ne s'est jamais vu dans l'histoire du monde. Est-ce une bonne chose ou est-ce que c'est un risque pour la négociation politique à venir ?

– « C'est une décision très compliquée, très importante et très compliquée. D'une part, elle marque un progrès du droit. Vous vous souvenez de cet événement qui, moi, m'a tellement frappé dans l'histoire : lorsque pour la première fois on a commencé à parler de persécutions des juifs en Allemagne nazie, il y a eu des plaintes devant la société des Nations. Et Göring qui était à l'époque le représentant allemand à la SDN, je·ne crois pas me tromper en disant que c'était lui, ministre des affaires étrangères, est venu devant la SDN et il a dit : "Écoutez, excusez-nous : charbonnier est maître chez soi". Cette phrase on devrait la voir marquée dans la mémoire de l'humanité. Donc il est bien qu'on ne puisse plus dire : charbonnier est maître chez soi. J'ai des atrocités chez moi mais je suis chez moi donc je fais ce que je veux; Et en même temps, vous le sentez bien, deuxième aspect de cette affaire : c'est une décision qui va assurément compliquer l'issue diplomatique de ce conflit, de cette crise. Enfin on n'imagine pas comment des négociations peuvent se nouer avec un homme contre qui est prononcé un mandat d'arrêt international. Et de ce point de vue-là, peut-être le timing n'est-il pas exactement ce qu'on aurait pu souhaiter. Dernier point si vous voulez bien : ce qu'on peut observer dans cette affaire des Balkans, c'est que plus on avance et plus l'Europe est absente. Je veux dire : il y a l'Amérique, il y a la Russie – malgré l'état tragique de ce pays – et il y a des Européens dispersés. Tant qu'on n'aura pas construit une Europe capable de parler sur la scène du monde, y compris sur notre continent européen, nous continuerons à être cette présence évanescente et impuissante. »

Q - On a l'impression que ça va durer encore un petit moment quand même.

– « On va essayer de changer les choses. »