Interview de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, à RTL le 15 avril 1999, sur les frappes aériennes au Kosovo et la recherche d'une issue au conflit par la négociation.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Vous recevez cet après-midi L. Jospin au Sénat, dans un contexte très particulier, puisqu'il y a, ce matin, la polémique sur les morts civils au Kosovo. Peut-être représailles serbes, peut-être aussi bavure de l'Otan. L'Alliance Atlantique peut-elle sans risques se faire accuser de bavure ?

- "C'est une situation douloureuse. Tout d'abord, la France est en guerre ; personne ne peut le contester. Ceci crée une obligation : celle de marquer une solidarité autour du couple exécutif, Président de la République et Premier ministre. Ceci me semble indispensable, La désunion se lit bien sûr préjudiciable a tout l'effort développé pour rechercher la paix. Ce que l'on sait de ce qui s'est passé est contradictoire. Les sources d'information ne sont pas conformes. Ce qui est certain, c'est que ce sont des innocents qui sont victimes. C'est la raison pour laquelle la poursuite des frappes n'empêche pas la recherche, par la voie politique et la voie diplomatique, d'une solution à ce conflit. Il est certain que Milosevic a une attitude condamnable. L'Europe ne pouvait pas laisser se poursuivre cette purification ethnique qui est insupportable à cette fin siècle en Europe. Il fallait réagir - et moi qui ai vécu Munich - la lâcheté collective de Munich nous a conduits à la suite des événements que l'on connaît Donc, il fallait réagir. Mais ceci n'empêche pas aujourd'hui de rechercher la paix."
 
Q - Pour le moment, il se déroule sur le terrain des atrocités. Même s'il s'agit de représailles serbes dans cette affaire, ces malheureux sont morts. Est-ce qu'on pourra comme cela, impunément, assister à ce genre de spectacles à quelques kilomètres des endroits où sont basées les forces alliées déployées en Albanie et en Macédoine ?

- "Non. C'est la raison pour laquelle je disais, il y a un instant, qu'il faut à tout prix rechercher par la négociation une issue à ce conflit Les frappes se poursuivent bien évidemment ; elles tendent à diminuer les forces d'intervention de la Yougoslavie. Mais dans cette recherche, je considère que la France et la Russie ont un rôle à jouer. Je l'ai dit d'ailleurs au maire de Moscou que j'ai reçu tout récemment Je l'ai fait savoir aussi au Premier ministre. Pourquoi la France et la Russie ? Parce que la Russie conserve des relations avec la Yougoslavie, qu'elle peut avoir une influence sur l'action de Milosevic dans le cadre d'une négociation. Pourquoi la France ? Parce que la France est considérée comme n'étant pas inconditionnelle aux Etats-Unis qui mènent les opérations militaires. Donc ces deux pays doivent développer le maximum d'efforts pour rechercher une issue politique ou diplomatique à ce conflit Je me réjouis que le Président de la République, hier, à Bruxelles, ait pris l'initiative en demandant que, le conflit arrêté, il y ait un contrôle administratif à exercer par l'Union européenne au Kosovo. Mais c'est un premier pas."

Q - On a tout de même le sentiment que pour que tout s'enclenche, il faut au préalable un signe de faiblesse de Milosevic. Or il n'en donne aucun.

- "Il faut persévérer. Il a tout même marqué sa volonté, s'il y avait une proposition d'accord. Mais nous n'avons pas l'information suffisante pour considérer qu'il faiblit, c'est vrai. Il faut persévérer ; peut-être qu'il faiblira. Mais est-ce que pour autant, il faut arrêter toute tentative de négociation, toute recherche d'un accord politique ?"
 
Q - Vous êtes pour un activisme diplomatique aussi fort que l'activité militaire ?

- "Je sais comment une guerre commence, je ne sais jamais comment elle finit J'ai fait part de mon sentiment en ce qui concerne les interventions terrestres. Je souhaite vraiment qu'il y ait un développement d'activité fort concernant la recherche des négociations. Je me félicite qu'hier l'Onu ait été réintroduite."
 
Q - Vous redouteriez une intervention terrestre ?
 
- "Je sais comment ça commence, je ne sais pas comment ça finit Je me souviens qu'en Serbie, les divisions SS ont connu des échecs cuisants. Par conséquent ... Et puis intervention terrestre, quels soldats interviennent ? J'ai lu une déclaration toute récente des Etats-Unis : ils considéraient qu'ils n'accepteraient qu'aucun soldat ne se manifeste en Serbie. Alors uniquement les Européens ?"
 
Q - Mais quelle impuissance tout de même ! Il y a les massacres ! C'est peut-être une bavure en plus. On tue des civils, on ne sait pas qui les tue...

- "Eh bien, voilà ! D'où l'obligation de rechercher par la négociation une fin à ce conflit Il y a eu tout de même un développement intéressant : la Russie va se réintroduire dans les négociations ; l'Onu, par K. Arman, intervient donc, par conséquent, tout cela me laisse penser qu'on doit aboutir. Et je pense que le maximum d'efforts doit être fait Je suis, moi, pour une recherche par la voie diplomatique et politique d'une issue à ce conflit."
 
Q - Vous voyez chaque semaine le Président de la République. Il est totalement mobilisé par cette affaire ?
 
- "Il est très ferme. Mais je considère qu'il n'est pas étranger à une recherche d'une solution politique. D'ailleurs il en a donné la preuve hier, puisqu'il a fait une proposition à Bruxelles ; proposition qui a reçu l'agrément des membres de l'Union européenne, et qui peut être une voie. Sera-t-elle la bonne ? Je n'en sais rien. Mais au moins il y a une offensive diplomatique qui est lancée."

Q - Dans cette crise, il parle avec L. Jospin, tous les deux à l'unisson. Avez-vous le sentiment qu'ils parlent à l'unisson parce qu'ils veulent démontrer qu'il y a une unité nationale, ou bien sont-ils profondément d'accord ?
 
- "Ils sont d'accord. On n'imagine pas qu'ils soient en désaccord. Notre pays est en guerre ! et par conséquent, il faut que le couple exécutif soit d'accord pour lancer une telle opération. Et je pense qu'ensemble ils recherchent une solution diplomatique à ce conflit, tout en maintenant bien l'initiative prise de frapper, sur ses points sensibles, la Yougoslavie."

Q - On a l'impression que le débat politique, pendant ce temps-là, a complètement disparu en France ?
 
- "Pas complètement disparu. Reste encore en toile de fond les élections européennes. Mais c'est vrai que les événements du Kosovo mobilisent les esprits."

Q - Puisque l'un et l'autre veulent une défense européenne et une politique étrangère européenne, sur quoi les listes RPR et PS vont-elles pouvoir se distinguer, alors qu'elles sont d'accord sur l'essentiel ?
 
- ""Au moins", j'allais dire. Encore que la formule ne soit pas adaptée, parce que, quand je pense à tous ces morts innocents, à quelque chose malheur est bon. On sait que l'enseignement à tirer, c'est qu'il y a urgence à ce que l'Europe coordonne sa défense, à ce que l'Europe ait une politique étrangère commune, à ce qu'on ne soit pas dépendant même d'un allié aussi fort que les Etats-Unis avec lesquels nous avons d'excellents rapports."

Q - On pourrait presque avoir une liste unique PS-RPR sur cette question ?
 
- "Je crois que le moment est passé de construire cette liste. Pour l'instant, les candidats sont partis, donc par conséquent, le point de non-retour a été atteint"

Q - Vous le regrettez ?
 
- "J'ai toujours été partisan d'une liste unique. Mais enfin il ne sert à rien ..."

Q - Non, je parlais d'une liste PS-RPR, moi !
 
- "PS-RPR, non, non, non ! Nous nous sommes mal compris. La politique du Parti socialiste sur le plan européen n'est pas identique à la politique que nous conduisons, nous."

Q - Mais s'il est d'accord sur l'essentiel avec le RPR ?
 
- "Nous sommes d'accord en ce moment en ce qui concerne le comportement de Milosevic. Milosevic a un comportement qui est déplorable, qui fait honte à la civilisation. Par conséquent, aucun homme politique responsable ne peut accepter un tel comportement. Il faut y mettre fin. Je regrette qu'à Rambouillet, on n'ait pas abouti. Il y a eu les frappes aériennes. Maintenant, il faut rechercher très rapidement, avec le concours de l'Onu, avec le concours de la Russie - et bien sûr la France doit développer le maximum d'activité dans ce domaine - une issue politique et diplomatique à ce conflit."