Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les conséquences de la réforme des armées sur la carrière professionnelle et les conditions de vie des militaires et sur les nouvelles politiques des ressources humaines liées à la disparition du service national, Paris le 20 juin 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion de la 55ème session du Conseil supérieur de la Fonction militaire (CSFM) à Paris le 20 juin 1997

Texte intégral

Mon général,
Monsieur le délégué général pour l’armement,
Monsieur le secrétaire général pour l’administration,
Monsieur le directeur,
Monsieur le secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire,
Messieurs les officiers généraux,
Messieurs les secrétaires généraux des conseils de la fonction militaire,
Mesdames, Messieurs,


Entre quelques contraintes de calendrier et avec un aménagement d’horaire dont je vous remercie, il m’a été possible de maintenir la séance plénière de cette 55e session du Conseil supérieur de la fonction militaire. Il était en effet de mon intention de manifester sans attendre, en prenant la parole ici devant vous, mon attachement à la communauté militaire, et de vous exprimer la fierté et le sentiment de responsabilité que je ressens d’avoir été placé à la tête de ce grand ministère ; je suis en effet désormais chargé, dans une relation de confiance avec le chef du Gouvernement, de conduire la poursuite des réformes fondamentales qui engagent l’avenir de notre défense.

C’est dans ces moments d’intense activité, comme il y en a déjà eu dans l’histoire de notre système de défense, que le besoin de concertation s’impose avec une particulière nécessité. Votre institution est le lieu premier de cette concertation au niveau national. Le dialogue direct que je peux entretenir avec vous, et tous ceux que vous représentez, est pour moi une charge indispensable et une nécessité ; je vous demande donc d’être mes interprètes auprès de toute la communauté militaire sur les éléments de débat que nous aurons pu avoir et sur les réponses que je souhaite déjà apporter aux questions que vous vous posez.

L’ensemble de votre communauté a démontré ces dernières années une grande disponibilité et une aptitude réelle au changement. Le ministère de la défense est à ce titre exemplaire dans sa capacité d’adaptation et de modernisation ; il m’incombe de maintenir cette capacité et de la mettre au service à la fois de l’efficacité de nos armes et du bien-être de la société toute entière.

Je sais que la diminution du nombre des régiments dans l’armée de terre, des bâtiments dans la marine, les réorganisations de l’armée de l’air, de la gendarmerie ou de la délégation générale pour l’armement, la réalisation de la nouvelle maquette du service de santé, l’adaptation du service des essences, ont des conséquences réelles et parfois préoccupantes pour vous.

Je ne méconnais pas dans ces circonstances la difficulté à concilier les ambitions de chacun avec les contraintes subies au fil des nombreuses restructurations qui ont déjà marqué les deux dernières décennies.

Beaucoup de militaires ont été un peu ballottés d’une réforme à l’autre ; aussi le besoin de repères, le besoin de perspectives, correspond-il à une des demandes que vous exprimez le plus souvent. Je prends en compte cette demande, et je sais que la stabilité dont j’espère bénéficier, la clarté de l’engagement du Gouvernement quant au sens de la réforme, nous permettront, après une concertation supplémentaire dans laquelle je m’engage maintenant, de fixer ces lignes d’avenir de telle sorte que chacun y retrouve la vision de sa situation personnelle.

Je veillerai à ce que les instances de concertation, l’ensemble des responsables du ministère travaillent en particulier sur les répercussions des réformes sur votre vie professionnelle et familiale, sur l’emploi de votre conjoint, la scolarité de vos enfants, sur vos efforts pour accéder à une propriété ; en un mot, sur tous les éléments de la vie personnelle que vous avez exposés à juste titre ici, et qui doivent être au cœur des préoccupations du ministère de la défense dont la vocation est également de vous défendre.

En revanche, il faut que la finalité, l’objectif d’intérêts publics qui préside à la « réforme de professionnalisation », reste clairement perçue par tous. Cette réforme vise à adapter l’outil militaire à ses finalités, nécessite que chacun fasse l’effort d’expliquer autour de lui les évolutions majeures de notre ministère pour en montrer la profonde justification.

En dépit de ces difficultés, vous faites la preuve, chaque jour, d’une totale disponibilité qui permet ainsi le maintien au plus haut niveau des capacités des forces. Je sais la qualité des hommes et des femmes qui composent ce ministère et leur engagement au service de la défense de la nation engagement au bout duquel peut se trouver le sacrifice de la vie ; je sais également que c’est l’effet de la qualité de la formation qui a été dispensée, celle du savoir-faire naturellement, mais aussi celle de savoir être qui ne s’acquiert que par l’exemple de l’encadrement et l’exercice quotidien de la discipline et de la solidarité des armées.

Je sais que chacun de vous se maintient dans une disponibilité sans faille pour remplir les missions démocratiquement choisies par la nation à travers ses représentants, le président de la République qui est le chef des armées, le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation, le Parlement, dont l’attachement aux principes généraux qui font notre défense est pour nous un appui précieux.

Je veux exprimer à nouveau devant vous l’admiration de nos compatriotes quant à la démonstration permanente que vous faites de vos qualités humaines ; les évènements qui se sont récemment déroulés à Brazzaville sont l’illustration de ce dévouement aux autres, de l’abnégation et, hélas, du sacrifice. Je m’incline à nouveau devant la mémoire de celui qui est tombé et je compatis à la souffrance des blessés que je compte retourner voir bientôt.

Je mesure toute l’ampleur de la tâche qui nous attend pour conduire cette réforme mais je sais votre volonté d’aller au bout des projets ; pour ma part, vous pouvez compter sur mon dévouement au service de l’exigeante fonction qui est la mienne, et je suis assuré que s’établiront entre nous des rapports de parfaite loyauté.

Je veux revenir sur les inquiétudes qui peuvent être les vôtres quant aux réformes en cours : la professionnalisation, comme le Premier ministre l’a dit hier dans sa déclaration de politique générale approuvée par la représentation nationale, sera poursuivie dans le cadre fixé.

La réforme de l’outil de défense décidée par le président de la République s’inscrit en effet dans des perspectives à venir qui demeurent inchangées : la nouvelle donne géostratégique et la plus grande variété des conditions d’engagements des forces. La professionnalisation correspond donc à nos besoins de défense, et au maintien de la place de tout premier rang que la France détient dans le monde, justifiée par ses multiples actions militaires et civiles au cours des générations passées.

Cette priorité de la loi de programmation militaire sera préservée ; les mesures d’accompagnement de la professionnalisation, notamment l’enveloppe du pécule, feront l’objet d’une attention toute particulière de ma part.

L’abandon progressif du service national dans sa forme actuelle sera poursuivi, et je présenterai dans les trois prochains mois aux parlementaires un projet de loi en ce sens, après avoir recherché la concertation la plus large au sein des deux assemblées parlementaires pour obtenir le plus grand assentiment sur un sujet qui touche aux fondements de notre cohésion nationale.

Il faudra également se fixer des objectifs précis pour le ministère, pour l’ensemble des forces et des services, afin que notre système de défense contribue aussi à cette grande priorité nationale qu’est l’emploi des jeunes.

L’organisation de nouvelles réserves donne lieu à des travaux associant les responsables de ce ministère, et d’autres administrations concernées. Déjà un nouveau concept d’utilisation des réserves a été défini ; je présenterai au Parlement dans les prochains mois le projet de loi qui mettra en œuvre cette réforme. D’ici là je développerai une large concertation sur ce sujet notamment avec les associations de réservistes déjà implantées, déjà assises, et qui expriment un dévouement à la nation qu’il faut saluer.

Ces grandes lignes vous étant désormais connues, j’en reviens aux travaux de cette 55e session.

Ils touchent à l’accompagnement de la professionnalisation ; dans les séances de travail que vous avez tenues jusqu’à hier, à l’occasion desquelles chacun s’est exprimé avec franchise, avec compétence et avec l’esprit d’ouverture interarmées qui préside à votre mission, vous avez exprimé des avis sur quatre projets de décrets et sur une étude, les carrières courtes. Vous avez également exposé des points de vue sur d’autres sujets d’actualité, sur lesquels j’apporterai en fin d’allocution des éléments de réflexion.

En ce qui concerne le parcours professionnel court, l’avis que vous avez formulé illustre la richesse du débat et la diversité de vos idées. Comme vous le savez, la fin du service militaire actif va modifier la physionomie de nos armées. Les appelés du contingent : militaires du rang, sous-officiers, officiers, scientifiques du contingent, spécialistes techniques, sont, aux côtés des militaires de carrière ou servant sous contrat, un des piliers de l’armée actuelle, ils disparaîtront. Aussi devons-nous dès aujourd’hui réfléchir aux nouvelles politiques de ressources humaines de la défense, qui s’inscrivent dans le respect de la vocation militaire.

Pour les militaires du rang et sous-officiers sous contrat, je ne vois pas la nécessité de modifier le cadre réglementaire qui s’applique à leurs positions ; nous nous en tiendrons à d’éventuels ajustements de gestion, ce qui d’ailleurs réclamera une grande attention dans la concertation individuelle.

En revanche nous aurons à adapter les textes actuels relatifs aux officiers de réserve en situation d’activité, dont il est possible que la dénomination soit modifiée. Il est néanmoins souhaitable que les conditions générales d’avancement et de statut de ces officiers soient confirmées, ainsi que leur vocation à l’octroi de la prime et du pécule, leurs possibilités d’accès à la retraite à jouissance immédiate ou différée et leurs conditions d’accès dans le corps de carrière. Le principe de base de la situation des ORSA devrait ainsi être maintenu.

En ce qui concerne les sous-officiers, la professionnalisation aura pour conséquence une plus forte proportion de contrats courts. Je tiens à dire à nouveau que ceci est consubstantiel à la réforme de professionnalisation ; il ne paraît pas en effet rationnel d’organiser une armée professionnelle comportant une proportion de sous-officiers âgés qui deviendrait un frein à l’emploi réel des forces. Le critère essentiel de l’accès aux cadres de carrière sera comme aujourd’hui l’obtention du deuxième degré de qualification ; ce droit, cette certitude, ce repère pour tous les intéressés, n’a pas à être revu. Pour ceux qui n’auraient pu l’acquérir, le départ se situerait donc entre 8 et 11 ans de service, à un moment qui tout de même est bien adapté pour bénéficier des aides au départ et pour envisager une bonne reconversion.

J’entends les craintes, exprimées au sein du Conseil, également exprimées dans la profondeur de la défense, en ce qui concerne l’accroissement des incertitudes de carrière, et en particulier les fluctuations qui peuvent affecter la situation des jeunes sous-officiers ; nous avons à y travailler, ceci constituera un des sujets de propositions complémentaires que nous allons élaborer avec les directeurs de personnels. Comme vous le souhaitez, le passage au statut de carrière devra se faire par une sélection sur des critères clairs et stables, qui soient connus de tous.

Nous avons également à réfléchir au remplacement des scientifiques du contingent ; ceci nous impose de trouver des méthodes de motivation, d’attraction, pour de jeunes universitaires qui devraient travailler auprès de la défense pour de courtes périodes allant jusqu’à 3 ou 4 ans, dans un contrat comportant une première expérience professionnelle. Cela nous amènera sans doute à conduire sans attendre une réflexion de l’article 98 E du statut général des militaires.

Permettez-moi maintenant de vous exposer quelques éléments de réflexion sur les sujets que vous avez mis à l’ordre du jour complémentaire.

Vous avez évoqué le thème de la reconversion. Comme vous le savez, dans toute armée professionnelle, puisque nous ne sommes pas tout à fait les premiers à entrer dans cette voie, les bonnes reconversions d’aujourd’hui font les bons recrutements de demain. C’est à cette capacité d’assurer une continuité et une visibilité dans l’évolution de carrière des plus anciens, que les jeunes se repèrent et mesurent l’intérêt d’entrer dans le service :

- parmi les agents concernés, certains acquièrent au cours de leur période dans les armées des compétences directement valorisantes sur le marché de l’emploi civil. Pour ceux-ci, il s’agira essentiellement de valider et de certifier leurs capacités, et leur permettre ainsi d’accéder à des diplômes ou à des équivalences pour leur retour ou leur entrée dans la vie civile. Il y aura un travail de préparation technique et de mise en ordre des qualifications employées dans le domaine militaire ;

- d’autres, en revanche, et c’est un sujet déjà plus difficile, auront consacré leur temps de service à des fonctions qui sont au cœur du métier militaire et ne sont pas directement transposables sur le marché du travail. Pour ceux-là, il faudra développer tout un schéma de reconversion. C’est un travail dans lequel je m’impliquerai personnellement avec le secrétaire général pour l’administration, le directeur de la fonction militaire et du personnel civil, pour définir dans les mois qui viennent une nouvelle politique et de nouveaux outils de reconversion au ministère de la défense. Je pense pouvoir vous donner rendez-vous prochainement sur ce sujet, mais je souligne que nous ne parviendrons pas nécessairement à la solution définitive la plus adaptée dès les premiers tests. En tout état de cause, il s’agit là, pour ma part, d’une priorité à laquelle il convient de s’atteler résolument.

Un autre sujet a fait l’objet d’un débat au sein de votre instance ; il s’agit de la place des femmes dans les armées. Je rappelle que les femmes représentent aujourd’hui près de 7,5 % des effectifs, avec 22 000 femmes en service.

L’effort d’intégration doit être poursuivi ; il correspond aux principes fondamentaux de nos lois et à l’évolution heureuse de notre société. Les principes du droit, avec lesquels, vous le savez, j’ai une petite familiarité, précisent que lorsque des limitations sont instaurées légalement à l’accès des femmes à un type de carrière, ceci doit être justifié par les conditions particulières d’emploi. Nous aurons donc sans doute à faire une certaine toilette des dispositions juridiques encore en vigueur, qui, pour certaines, éditent des plafonds, des quotas chiffrés, sans relations directes avec la nécessité de l’emploi. N’étant pas dans mes intentions de voir trop de textes édictés par le ministère de la défense ou proposés par lui annulés par la maison à laquelle j’appartenais antérieurement, nous allons donc nous efforcer de nous aligner.

Je souhaite également qu’une réflexion soit entreprise sur un sujet clé pour la position de notre défense au sein de la démocratie, celui des liens entre les armées et la nation. Le service militaire a été depuis quatre ou cinq générations la base de ce lien : il va disparaître. Il nous faut donc poursuivre et développer ce débat, et déjà je me rappelle tout le travail qui a été fait en ce sens l’année dernière, car nous entrons maintenant dans les actes, pour que de nouveaux modes de mise en relation des nécessités de la défense et des jeunes soient étudiés, mis en place, et praticables. Je vais consulter largement au sein des assemblées parlementaires sur ce sujet, car j’ai pu constater au cours des derniers mois la diversité des points de vue et la difficulté, d’ailleurs, d’en dégager un qui soit à la fois conforme à la loi majoritaire et qui soit tout à fait cohérent. L’expérience des praticiens et des hommes et des femmes de terrain que vous êtes me sera également précieuse pour trouver la bonne réponse à cette question clé pour les principes de notre démocratie.

Avant de terminer et de vous écouter pour la séance des questions-réponses, il faut envisager les thèmes qui pourraient faire l’objet de réflexions pour les prochaines sessions :

J’approuve la proposition qui a été faite d’inscrire à l’ordre du jour du prochain Conseil supérieur de la fonction militaire une étude sur le logement des militaires. C’est en effet une question, d’ailleurs ancienne, sur laquelle il convient de se pencher régulièrement, qui est en relation avec les choix publics généraux en matière de logement, et qui reprend également une actualité particulière du fait des conséquences de la professionnalisation et de l’intensification de la mobilité qui y est nécessairement associée.

Votre Conseil supérieur est un lieu de débat, un lieu de concertation, qui me paraît bien adapté à une réflexion sur l’approfondissement des systèmes de concertation et d’expression collective dans les armées. Il ne me semble pas nécessaire que nous nous fixions une échéance quant à cette réflexion car nous avons le temps devant nous. C’est un sujet sur lequel nous avons déjà évolué ; le Conseil supérieur est une institution qui a déjà un quart de siècle désormais rodée. Les systèmes d’échanges que vous avez avec vos camarades dans les unités, dans les services, se sont perfectionnés.

Cependant, nous entrons dans un système de professionnalisation qui doit laisser la place à la diversité de l’expression et qui doit éviter la coupure du monde titulaire avec le reste de la société. Aussi, sous une forme à laquelle je réfléchis encore, qui sera sans doute discrète car il s’agit là d’un sujet de débat qui peut facilement dériver, et sous une forme concrète, je souhaite que nous réfléchissions aux réformes ultérieures à mener afin de faciliter et de rendre aussi positives que maintenant, aussi constructives que maintenant, la concertation et l’expression collective dans les armées.

Par ailleurs, comme il se doit au moment d’une prise de fonction et d’une nouvelle étape gouvernementale, je suis à votre écoute pour chercher à rendre encore plus dynamique et encore plus productif le travail de vos instances et à en améliorer le fonctionnement interne.

Il me semble que nous pouvons en particulier mieux faire passer vers la communauté militaire l’information relative à vos travaux : il m’apparaît nécessaire que vous puissiez disposer des moyens d’expliquer mais également d’écouter. En effet, à l’heure d’une grande réforme, les principes autour desquels elle est bâtie, les axes qui sont recherchés doivent être régulièrement expliqués à l’ensemble des intéressés, afin que la routine ou l’accumulation des interrogations sur des situations ponctuelles ne finissent pas par obscurcir le sens et la justification profonde de cette réforme.

Nous sommes ainsi engagés dans une grande tâche de rénovation de notre outil de défense. Cette tâche est encourageante, elle porte en elle des éléments exaltants. Nous savons que nous menons une grande mission. Vous y tenez un rôle éminent : vous nous aidez, et vous m’aiderez en particulier à éclairer l’avenir. Je souhaite vous dire l’état d’esprit d’écoute, l’état d’esprit de respect et l’état d’esprit de disponibilité dans lesquels je veux continuer de travailler avec vous.


Je vous remercie.