Extraits de l'interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, à LCI le 27 mai 1999, sur son regret d'une éventuelle inculpation de M. Milosevic par le Tribunal pénal international et sur la nécessité d'une résolution de l'ONU pour mettre fin au conflit du Kosovo.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


S'il s'avère que cette inculpation est effectivement prononcée, je le regretterai parce que je crois qu'il faut faire de la politique. Faire de la politique, cela veut dire rechercher un accord, un accord raisonnable, un accord de bon sens pour faire vivre ensemble Albanais et Serbes du Kosovo dans le respect des règles internationales, des prérogatives de l'ONU et, il faut le dire aussi, de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie, même si le but est de parvenir à une autonomie substantielle du Kosovo.

À partir du moment où on veut faire de la politique, on évite de criminaliser car, à partir du moment où un adversaire est considéré comme un criminel, eh bien il n'y a plus de discussions possibles. On ne crée pas les conditions d'une négociation politique et, par conséquent, moi je n'approuve pas cette initiative. Je pense qu'elle ne sert pas la paix. Tout se passe comme si un certain ordre international, que je n'approuve pas du tout, reposait aujourd'hui sur un trépied.

D'une part, il y a la télévision qui crée les émotions, ensuite un tribunal international qui définit où est le criminel, disons, qui substitue à une vision pseudo-morale, en réalité manichéenne en noir et blanc, qui fait que d'un côté il y a les bons et de l'autre les méchants. Et à partir de là, il n'y a plus place que pour la guerre et encore pas n'importe quel type de guerre, une guerre des missiles où d'un côté il y a zéro mort, mais de l'autre côté, il y a beaucoup de victimes, beaucoup de dégâts, beaucoup de réfugiés.

Par conséquent, c'est là une conception de l'ordre international que je ne peux pas approuver. Je pense que les hommes politiques ont une responsabilité. Ils doivent la prendre et, aujourd'hui leur responsabilité, c'est de faire en sorte qu'il y ait une résolution à l'ONU et que l'on arrête de traiter un problème politique comme si c'était un problème de morale. C'est en fait une fausse morale, une morale hypocrite.

Il y a un proverbe qui disait « summum jus, summa injuria », « le sommet du droit est en réalité la plus grande injustice ». Et il y en a un autre qui disait, je crois que c'est Pascal : « la vraie morale se moque de la morale ». (…) Je fais en sorte que, à la faible mesure de mes moyens, le gouvernement français fasse pencher la balance du bon côté, c'est-à-dire du côté d'une solution politique négociée dans le cadre de l'ONU. C'est la seule raisonnable. Tout le reste n'est que déchaînement de la guerre, les malheurs grandissants.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer une fois, c'était juste avant les frappes, en disant qu'il n'y avait pas adéquation des fins et des moyens. Je n'ai pas changé d'avis car nous ne sommes non pas au 50e jour, mais au 62e jour des bombardements.

(source : http://www.mdc-france.org, le 1er juin 1999)