Texte intégral
Le Figaro : Comment mener campagne alors que le pays est engagé dans une guerre ?
Nicolas Sarkozy : Les élections européennes ont toujours été des élections difficiles. Mais la guerre au Kosovo, loin d’affadir notre discours sur l’Europe, le renforce. Ce conflit montre qu’il faut davantage d’Europe. Il faut notamment construire l’Europe de la défense. Mais une Europe adossée aux Nations, qui seules peuvent décider d’envoyer leurs soldats se battre. Dans cette campagne, il y a ceux qui ne parlent pas de la France, ceux qui ne parlent que de l’Europe. Nous sommes les seuls à parler de la France et de l’Europe, en expliquant que l’Europe n’existerait pas si elle ne pouvait s’appuyer sur des Nations fortes. Nous refusons d’opposer l’une à l’autre. La France et l’Europe sont indissociables.
Le Figaro : Philippe Séguin entendait déjà défendre et la Nation et la construction européenne. Qu’apportez-vous à cette campagne ?
Nicolas Sarkozy : Les choix de Philippe Séguin avant son départ étaient aussi les miens. J’aurais préféré de beaucoup qu’il continue. La question de savoir si, depuis son départ, quelque chose a été amené, ou retranché, est finalement secondaire, et d’ailleurs ce sont les électeurs et eux seuls qui le diront.
Nous entrons dans une nouvelle phase de la campagne. Les enjeux se clarifient. Le débat est entre la gauche et la droite. C’est pourquoi je lance un appel à tous les électeurs de l’opposition : la liste que je conduis avec Alain Madelin est la seule liste qui puisse battre les socialistes, la seule qui marque une rupture avec la pensée unique socialiste, la seule qui clairement propose de choisir l’Europe de la modernité et de la liberté en refusant l’Europe socialiste, la seule qui soutienne la politique du président de la République. Notre ambition est bien d’incarner et de préparer l’alternance. Nous allons donner du tonus à la campagne et à l’opposition toute entière, qui en a bien besoin pour retrouver l’envie de défendre ses valeurs et ses convictions.
Le Figaro : Vous semblez vous inscrire plus volontiers que votre prédécesseur dans le cadre européen.
Nicolas Sarkozy : Je suis sincèrement européen. Je l’ai toujours été. Que serait la France sans l’Europe ? Nous n’aurions plus d’agriculture sans la politique agricole commune. Nous ne serions pas une grande puissance exportatrice alors que l’essentiel de nos exportations se fait en Europe ; nous serions toujours victimes de dévaluations compétitives sans l’euro.
Je souhaite que la France prenne ce qu’il y a de mieux chez nos partenaires, la TVA des Allemands à 15 %, les charges sociales des Italiens, la tranche marginale de l’impôt sur le revenu des Anglais à 40 %. Je veux combattre cette spécificité française qui nous conduit à être les champions du chômage en Europe. Je conteste la vision rabougrie et frileuse de la France que donnent ceux qui refusent l’Europe.
Le Figaro : Vous allez aujourd’hui rencontrer le Premier ministre espagnol dont l’influence est grande sur les membres du Parti populaire européen. L’adhésion du RPR au groupe PPE au Parlement de Strasbourg est-elle toujours d’actualité ?
Nicolas Sarkozy : L’objectif est de regrouper à Strasbourg le maximum de députés français de l’opposition pour peser davantage. Déjà les socialistes contrôlent le Conseil – ils dirigent treize gouvernements sur quinze. Déjà ils détiennent la présidence de la Commission… Je ne souhaite pas qu’on leur donne le pouvoir au Parlement européen ! La question du rassemblement des droites contre la gauche à Strasbourg est posée. Le RPR est prêt à faire partie d’une grande coalition des droites européennes à Strasbourg. J’ajoute que je vois en M. José Maria Aznar le symbole d’une opposition qui s’est reconstruite, qui s’est modernisée… et qui a gagné !
Le Figaro : Et celle d’une adhésion du RPR au PPE ?
Nicolas Sarkozy : Pourquoi pas ? Mais à la condition qu’il soit clairement précisé que nous ne pouvons pas nous inscrire dans le schéma d’une Europe fédérale, qui correspond à une vision parfaitement archaïque et idéologique de l’Europe.
Le Figaro : Souhaitez-vous également associer à cette démarche les éventuels députés de la liste conduite par Charles Pasqua ?
Nicolas Sarkozy : Charles Pasqua ne parle jamais des socialistes, mais exclusivement du président de la République, auquel il réserve toutes ses flèches. Il va même jusqu’à refuser que ses électeurs soient comptabilisés dans la majorité présidentielle. Tout cela ne milite pas en faveur d’un rapprochement. J’ajoute qu’à sa différence je ne cherche pas à rassembler la gauche et la droite car je considère qu’il est plus que temps pour la droite de faire la politique de ses électeurs.
Le Figaro : Quand sera posée la question d’une éventuelle exclusion de Charles Pasqua du RPR ?
Nicolas Sarkozy : Je n’ai rien à dire sur la sage décision qu’avait prise Philippe Séguin. Nous verrons cela après les élections.
Le Figaro : Cette élection est-elle la fin d’un cycle ou le début d’un nouveau cycle pour l’opposition ?
Nicolas Sarkozy : Il nous faut sortir de la spirale des défaites – en juin 1997 aux législatives, en mars 1998 aux régionales. Il est temps de réagir, de relever la tête, de mobiliser notre électorat. Nous devons prouver que la droite se réveille, qu’elle est en ordre de marche, qu’elle a un projet alternatif. Nous ne pouvons pas nous résigner à voir les socialistes majoritaires en France et en Europe.
Le Figaro : Vous vous êtes installés, pour les besoins de votre campagne, au siège de l’Alliance. Mais celle-ci existe-t-elle encore ?
Nicolas Sarkozy : L’Alliance n’existe plus. C’est clair. J’ai tout fait pour que l’union soit la plus large possible. J’ai tendu la main à François Bayrou. Il ne l’a pas saisie. Il a préféré appuyer sur les divergences alors que je lui offrais de parler de nos convergences. Nous allons débattre projet contre projet. Je reste, pour ma part, convaincu que l’union de l’opposition est indispensable. Je prends bien garde à ne pas élargir un fossé qui a déjà été creusé. Il faudra, demain, reconstruire. Chaque fois que l’on s’est divisé, on a perdu. Je suis certain qu’il comprendra le 13 juin ce qu’il n’a pas voulu entendre avant.
Le Figaro, 5 mai 1999
En réponse à nos questions sur la Corse, Nicolas Sarkozy nous a déclaré : « En Corse, la vérité va-t-elle continuer à cheminer ? Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir un peu en arrière. Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement nous ont d’abord expliqué qu’ils étaient, depuis que notre démocratie existe, les premiers, les seuls, à vouloir remettre l’État républicain en Corse. C’était immodeste, imprudent, mais c’était ce qu’ils disaient. Puis Chevènement s’est rendu à plusieurs reprises en Corse, pour redire qu’on allait voir ce qu’on allait voir, et que cela serait complètement différent de ce qu’avait fait la droite quand elle était au pouvoir. De fait, Chevènement a raison : on n’a jamais vu ça !
Le gouvernement a donc envoyé en Corse un préfet spécial, tellement spécial qu’il rendait compte directement à Matignon. Il était reçu chez le Premier ministre, il prenait ses instructions du Premier ministre, et tous les membres du gouvernement soutenaient ce préfet qui, à lui seul, représentait tout l’État.
Le premier résultat de cette politique qui voulait rétablir l’État républicain, et multipliait maladresses, méthodes suspectes, rodomontades ? Le doublement des voix des nationalistes aux élections régionales en Corse ! Le restaurant Chez Francis n’avait pas été encore plastiqué. Là, le gouvernement a commencé par nous dire que les trois gendarmes avaient pris une initiative personnelle. Après un long tête-à-tête, le ministre renouvelle sa confiance au préfet Bonnet. Mme Guigou, jamais en reste d’une parole définitive, met en garde l’opposition contre ce qu’elle appelle « la politisation ».
Qui a donné l’instruction aux gendarmes ? Le colonel, sait-on aujourd’hui. Qui a donné l’instruction au colonel ? La garde à vue du préfet, sa destitution, semblent indiquer la réponse. Une seule question demeure : le préfet Bonnet a-t-il agi seul, sur une initiative personnelle, ou le ministre de l’intérieur lui a-t-il donné une instruction ? Qui, au ministère de l’intérieur, était au courant des décisions que prenait le préfet Bonnet, directement en liaison avec une équipe spéciale, parfaitement autonome vis-à-vis des corps constitués de l’État ? C’est un coup sérieux porté au gouvernement, et, plus grave, à tous ceux qui voulaient sincèrement rétablir l’État de droit en Corse. Quel gâchis ! Deux ans pour en arriver à la mise en garde à vue d’un préfet, et à l’emprisonnement de trois gendarmes !