Texte intégral
M. Michel Voisin : Quatre-vingts ans après la Révolution d'Octobre, l'histoire occupe une nouvelle fois l'actualité. Alexandre SOLJENITSYNE était couvert de sarcasmes lorsqu'il dénonçait hier la réalité de la machine totalitaire communiste ; aujourd'hui plusieurs historiens, anciens communistes français pour la plupart dressent le bilan effroyable des crimes communistes dans le monde : 85 millions de morts !
Monsieur le Premier Ministre, qu'allez-vous faire pour que ces crimes confirmés et reconnus comme tels ? Et que ferez-vous pour que soient établies les responsabilités de ceux qui ont soutenu ces abominations, quels qu'ils soient et où que ce soit ?
Monsieur Lionel Jospin, Premier Ministre : Soit votre question est une petite question politicienne qui ne mérite pas de réponse ; soit vous voulez, sincèrement et sans arrière-pensée, poser un des grands problèmes historiques de ce siècle. C'est cette deuxième hypothèse que je retiendrai.
Mais si vous souhaitez que je m'en tienne à la première, soit : je me rassiérai !
Je vais tâcher, bien que ce soit difficile, de répondre en quelques minutes à votre question, qui intervient, je le note au passage, le jour où le Président de la République se trouve à Hanoï, après s'être rendu en Chine où il s'apprête d'ailleurs à retourner…
M. Jacques Baumel : Cela n'a rien à voir !
Monsieur Le Premier Ministre : La révolution de 1917 a été un des grands événements de notre siècle. Nos manuels d'histoire en témoignent, des milliers et des milliers d'intellectuels et de créateurs, dans de nombreux pays, s'en sont réclamés, parmi lesquels, vous l'avez souligné vous-même, plusieurs des auteurs du livre dont vous parlez (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), et l'URSS de Staline, quelque appréciation que l'on porte sur elle, a été notre alliée contre l'Allemagne nazie. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe RPR). Il est significatif que la question soit posée par un membre du groupe UDF et non par un député gaulliste, et le monument à l'escadrille Normandie-Niemen, devant lequel je me suis recueilli voici dix jours, lors de mon voyage à Moscou, témoigne que l'URSS stalinienne était bien notre alliée dans cette période tragique.
En 1945, alors que les crimes de Staline étaient parfaitement connus, les communistes français ont fait partie d'un gouvernement issu de la Résistance et dirigé par le général de Gaulle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), et pour ma part je n'ai jamais mis le signe "égal" entre nazisme et communisme. (Interruptions sur de nombreux bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe RPR). Le nazisme est une doctrine intrinsèquement perverse...
Plusieurs députés : Le communisme aussi !
Monsieur Le Premier Ministre : ... qui ne s'est jamais dissimulée derrière des discours contraires, et qui assumait au contraire son antisémitisme et proclamait l'inégalité entre les races. Jamais il n'y a eu de "dégradé" dans le nazisme : il était intrinsèquement pervers, et devait être abattu. Il y a eu, en revanche, des "dégradés", des différences, dans l'analyse et dans la pratique, entre marxisme, communisme, léninisme et stalinisme. (Interruptions sur les bancs du groupe RPR et du groupe UDF).
François Furet, qui vient de mourir, considérait que le marxisme menait fatalement au communisme, mais d'autres historiens, comme Madeleine Rebérioux, présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme, établissent une distinction entre la déviation stalinienne et l'idéal communiste. (Mêmes mouvements). Celui qui vous parle a rompu, pour sa part, avec toute déviation de ce genre dès 1956, c'est-à-dire au moment de l'écrasement de l'insurrection de Budapest (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe communiste), et se réclame de la tradition démocratique du socialisme français. (Interruptions sur les bancs du groupe RPR et du groupe UDF).
Si le Goulag et le stalinisme doivent être condamnés et rejetés totalement, et si l'on peut penser que le parti communiste français, au nom duquel je ne suis pas habilité à parler, a trop tardé à le faire, il l'a néanmoins fait. ("Non !" sur de nombreux bancs du groupe RPR et du groupe UDF). Pour autant, il s'inscrit dans le Cartel des gauches, dans le Front populaire, dans les combats de la Résistance, dans les gouvernements de la gauche en 1945 et en 1981, il n'a jamais porté la main sur les libertés, il a tiré les leçons de l'Histoire, il est représenté dans mon gouvernement, et j'en suis fier !