Interview de M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement, à RMC le 17 mai 1999, sur le défilé de nationalistes en Corse, le rétablissement de l'état de droit, l'éventualité du dépôt d'une motion de censure par l'opposition et le mode de nomination des préfets.

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Texte intégral

RMC : Souhaitez-vous un changement de majorité en Israël, c'est-à-dire que M. Barak l'emporte sur M. Netanyahou ?

Daniel Vaillant : D'abord que les Israéliens votent ! C'est un vote démocratique, ils votent aujourd'hui. Après, je ne vais pas vous le dire autrement : en tant que socialiste, bien évidemment, je me réjouirais que les socialistes l'emportent, que les travaillistes l'emportent en Israël. Y compris pour le processus de paix, chacun s'accorde à reconnaître qu'ils sont plus qualifiés, sans doute, après Rabin, Pérès, pour faire redémarrer le processus de paix. C'est ce que je leur souhaite : gagner, et de tout faire pour que le processus de paix se réenclenche vraiment.

RMC : Est-ce que le défilé samedi, pour la première fois en Corse, de milliers de nationalistes appartenant à toutes les organisations et à visage découvert, ne signe pas l'échec de la politique du gouvernement en Corse ?

Daniel Vaillant : Non. Ce serait dramatique de considérer, parce qu'il y a une manifestation, que ce serait l'échec de la politique de l'État de droit. Au contraire, il faut que dans la vie concrète, dans les actes concrets des services de l'État, dans tous les domaines, il y ait la réaffirmation de l'État de droit, c'est-à-dire qu'il y ait l'égalité entre les Corses et les continentaux. L'égalité, tout simplement. Et je pense que ceux qui défilaient samedi n'ont pas intérêt à insulter la République. Je me souviens aussi qu'il y avait 40 000 personnes derrière le cercueil du préfet Érignac. Donc, on ne quantifie pas les politiques à l'aune de telle ou telle manifestation. Le droit de manifester existe dans notre pays. Il est normal qu'il soit respecté quel que soit l'endroit. En même temps, la République, ses lois s'appliquent à tous les citoyens, et il ne doit pas y avoir des citoyens français à plusieurs vitesses.

RMC : Mais on a vu des milliers de personnes défiler derrière le cercueil du préfet Érignac et 16 mois après, d'autres défiler contre la politique de l'État.

Daniel Vaillant : Je ne crois pas que ceux qui défilaient derrière le cercueil du préfet Érignac défilaient pour soutenir l'État, mais d'abord dans l'émotion. N'oublions pas qu'il y a eu l'assassinat du préfet par des gangsters, des terroristes, des malfrats. C'était l'affirmation – de tous ceux qui, à l'époque, défilaient – de vouloir que d'abord les coupables soient arrêtés – ce qui n'est hélas pas encore le cas –, qu'ils soient sanctionnés et jugés, et que les Corses puissent retrouver la tranquillité, le développement économique. Moi, j'insiste beaucoup, ce sera la volonté du gouvernement de faire en sorte que la Corse sorte de l'ornière dans laquelle certains l'y ont mise, que ce soient les gouvernants par le passé ou que ce soient les élus de l'île. Qu'ils fassent des propositions, ce serait quand même plus raisonnable, pour la politique concrète. Parce que les Corses méritent mieux que l'impasse dans laquelle certains veulent les enfermer.

RMC : Que répond le gouvernement à ceux qui demandent un changement de statut de l'île, c'est-à-dire une autonomie encore plus développée ?

Daniel Vaillant : Je crois que ce n'est pas un problème statutaire, ce n'est pas un problème institutionnel, c'est un problème de la vie concrète. Il faut tout faire pour que, dans sa spécificité, dans sa beauté, la Corse puisse se développer dans le cadre de l'État de droit. Le gouvernement et le nouveau préfet, le préfet Lacroix, vont s'y employer dans le cadre de sa mission de direction et de coordination des services de l'État. Il faut tout faire pour aider la Corse, pas assister les Corses, mais aider la Corse et les Corses à s'en sortir par le haut. Et je crois que ce n'est pas en s'enfermant dans un débat sanitaire ou institutionnel que l'on fera avancer les choses.

RMC : Quelle est l'interprétation donnez-vous, sur le plan politique, à la décision prise ce week-end par le RPR et Démocratie libérale, de rejoindre l'UDF pour déposer une motion de censure cette semaine contre votre gouvernement ?

Daniel Vaillant : Vous avez une curieuse manière de formuler les choses : « Le RPR et DL qui rejoindraient l'UDF » ! Non, je crois qu'on n'en est pas là. La motion de censure est une procédure normale, c'est le contrôle parlementaire classique, c'est un moyen d'éteindre l'incendie de la droite, c'est son problème.

RMC : L'incendie de la droite ou l'incendie en Corse ? De quel incendie parlez-vous ?

Daniel Vaillant : De l'incendie électoral de la droite, sa dispersion, ses divisions, ses surenchères. Le maire de Neuilly, qui est tête de liste du RPR n'hésite pas à critiquer sévèrement « ses amis », entre guillemets, de l'UDF. Ils peuvent se mettre d'accord sur une motion de censure pour censurer un gouvernement alors qu'ils savent très bien qu'ils n'y parviendront pas parce que la majorité plurielle mais rassemblée, cohérente derrière le gouvernement et le Premier ministre, montrera qu'elle est toujours en majorité à l'Assemblée nationale. Donc, je dis à la droite qu'elle fasse ce qu'elle entend faire. La motion de censure est une procédure normale, classique et banale, qu'elle n'a pas encore utilisée, mais si elle n'a trouvé que cela… Elle met longtemps en tout cas pour la décider, cette motion de censure. C'est peut-être l'écriture du texte qui doit être difficile.

RMC : Le RPR était resté très prudent depuis le début de cette affaire et avait refusé de soutenir la motion de censure proposée par l'UDF. Est-ce que vous croyez que ce changement de pied…

Daniel Vaillant : Ils étaient prudents, s'ils deviennent imprudents, si vous pensez que c'est imprudent de signer une motion de censure avec l'UDF, je vous laisse à votre commentaire !

RMC : Ma question est autre. Est-ce que le changement de pied du RPR vous laisse supposer que le président de la République est devenu plus dur sur cette affaire ?

Daniel Vaillant : Je crois que le président de la République n'a pas à intervenir, ne doit pas le faire dans des procédures parlementaires classiques. Il est le président de la République et j'imagine qu'il entend rester dans ce rôle et pas dans un autre.

RMC : À propos du président de la République : à l'Assemblée nationale, le Premier ministre a rappelé – lorsqu'on lui reprochait d'avoir nommé le préfet Bonnet en Corse – que ce préfet avait été nommé en conseil des ministres avec la signature et l'approbation du président de la République. Est-ce qu'il y a coresponsabilité du président de la République et du Premier ministre pour toutes les nominations en conseil des ministres ?

Daniel Vaillant : Le Premier ministre a rappelé une banalité toute simple : les nominations se font en conseil des ministres. Et s'agissant d'un préfet, bien évidemment, il est nommé sur proposition du ministre de l'intérieur, du Premier ministre, après consultation du président de la République. C'était le cas pour le préfet Bonnet.

RMC : Est-ce qu'il y a coresponsabilité dans la nomination ?

Daniel Vaillant : À partir du moment où les préfets sont nommés en conseil des ministres, l'ordre du jour des conseils des ministres est fixé par le président de la République. Et, s'agissant du préfet de la Corse, en l'occurrence au lendemain de l'assassinat du préfet Érignac, il était bien normal que le Premier ministre soumette le nom du préfet proposé à l'examen du président de la République. Et donc, c'est dans ces conditions toutes banales que le préfet Bonnet avait été nommé. Il n'y a pas un Français qui pense que, de toute façon, des préfets sont nommés sans que le président de la République n'en soit informé.

RMC : Ça veut dire qu'il y a coresponsabilité, finalement, globale du président de la République et du Premier ministre sur l'ensemble de la politique du pays.

Daniel Vaillant : Mais c'est un processus de nomination ! Ne confondons pas des projets de loi fixés par le gouvernement et soutenus par la majorité qui viennent au conseil des ministres, le président de la République acceptant – parce que c'est la lecture constitutionnelle de la Ve République qui le veut – les textes du gouvernement parce que le gouvernement a la légitimité du suffrage universel à travers sa majorité parlementaire. Il laisse le gouvernement gouverner.

RMC : Mais pour toutes les nominations, il y a coresponsabilité ?

Daniel Vaillant : Pour un certain nombre de nominations, il y a manifestement dialogue, et donc une forme d'accord du président de la République.