Texte intégral
Depuis plusieurs semaines, l’OTAN s’emploie à faire plier le régime de Milosevic. Cette confrontation a brutalement placé les français devant des questions essentielles. Démocratie et barbarie ? Agir par les armes et jusqu’à quel prix ? Ou situer le curseur entre le respect du droit international et les exigences de la morale ? OTAN ou UEO ? L’union européenne, simple projet monétaire ou projet de civilisation ? Bref, au seuil de la campagne électorale européenne, la crise du Kosovo nous a renvoyé au cœur du sujet essentiel de la paix ou de la guerre sur le continent européen et recentre le débat sur l’un des plus vieux thèmes (l’une des premières justifications !), de la construction européenne qui est celui de la sécurité.
Le Rassemblement Pour la République s’est, dès le départ, rangé derrière le Chef de l’état et s’est donné pour règle de soutenir, dans l’intérêt national, le gouvernement dans cette affaire. Pour nous, la France en initiant et en s’engageant résolument dans le processus diplomatique de Rambouillet, ne pouvait pas se soustraire de ses responsabilités militaires dès lors que la partie serbe tournait le dos aux principes fixés par le Groupe de Contact, acceptés par les autorités Kosovars. La raison comme l’honneur exigeait notre engagement militaire. Bien sûr, il est naturel de s’interroger sur la nature d’une opération lancée dans une région complexe, qui en outre, au regard de l’histoire, s’est souvent apparentée à une poudrière. S’ajoute à cela une amitié ancienne entre le peuple français et serbe. Pourtant, il y a des moments ou seul l’usage de la force est en mesure de servir la négociation. La paix, certains semble parfois l’oublier, n’est pas une donnée naturelle des relations internationales mais le résultat d’une dialectique politique, militaire et philosophique. Cette épreuve de force doit être ainsi considérée comme la poursuite de la paix par d’autres moyens.
Une épreuve de force inévitable.
Cette épreuve était inévitable car la situation était la suivante. Depuis plus d’un an la violence ne cessait de croître dans la région du Kosovo. Plus de 200.000 kosovars étaient déjà sur les routes, fuyant, sous la contrainte ou par peur, les exactions commises par les unités paramilitaires serbes.
Les observateurs de l’OSCE, présents sur le terrain, ne pouvaient, impuissants, que constater cet engrenage de répression serbe et de réaction de l’UCK. Au printemps dernier, face à la montée progressive de la tension, l’OTAN, il faut s’en souvenir, s’était efforcée de sensibiliser l’ensemble des acteurs régionaux en engageant une opération d’intimidation. Le 15 juin, près de 80 avions de 13 pays survolaient la région dans le cadre de l’opération « Faucon déterminé ». Sur le plan diplomatique, le canal russe, qu’il ne faut surtout pas négliger ou mépriser, semblait s’épuiser. Boris Eltsine recevait Milosevic le 16 juin et tentait, sans résultats réels ou du moins durables, de le convaincre d’être plus conciliant. Primakov en se rendant il y a quelques jours à Belgrade savait au fond de lui-même qu’il ne faisait qu’un tardif tour de piste en attendant une occasion plus opportune pour tenter de faire prévaloir une sortie de crise. Saisie du problème, l’ONU – déjà présente en Bosnie et en Macédoine – avait quant à elle adoptée une série de résolution, dont celle 1199 qui prévoyait « que soient prises immédiatement des mesures pour éviter le danger imminent de catastrophe humanitaire ». Puis vint la conférence de Rambouillet, très largement inspirée et conduite par la France. Cette conférence devait durer plusieurs semaines. Elle proposait aux parties kosovares et serbes, un plan de paix équilibré, qui écartait entre autre le principe de l’indépendance pour privilégier celui de l’autonomie. Ce plan, difficile à faire accepter aux kosovars, était finalement signé par ces derniers. Les serbes s’y refusaient jugeant inacceptable la présence d’une force étrangère chargée d’assurer le retour des réfugiés, le retrait des forces serbes, le désarmement de l’UCK, la mise en place de l’autonomie politique.
Au regard de cette chronologie des faits, on peut donc dire que tout fut tenté. Rambouillet n’était pas une conversation de salon mais une négociation. Celle-ci n’ayant pas aboutie, je ne vois pas quelle autre issue nous pouvions imaginer si ce n’est celle du bras de fer avec un régime dont apparemment le critère le plus pertinent est celui de la force.
De la guerre en Bosnie nous avions pu tirer trois enseignements. Premièrement, dans la poudrière des Balkans, il ne faut pas compter sur un pourrissement de la situation ou sur un relâchement spontané et gracieux de Milosevic. Cet homme est un tacticien décidé, adroit et Cynique, qui ne s’arrête que lorsque des limites lui sont fixées. Deuxièmement, l’opinion publique occidentale ne reste pas longtemps indifférente aux tragédies humanitaires. Il vient toujours un moment où elle se tourne vers ses responsables politiques et où elle exige un passage aux actes. Troisièmement, il ne faut pas se laisser enfermer dans une stratégie strictement humanitaire. En lançant l’opération force déterminée nous avons pris, c’est vrai, des risques, mais du moins avons-nous intégré ces trois enseignements.
Désormais les dés sont lancés. Les opérations militaires se poursuivront du moins tant que Milosevic ignorera les conditions de la paix. Ces conditions sont réalistes. Elles ont été très opportunément reprises par le secrétaire général de l’ONU. Parallèlement à l’usage de la force, tous les canaux diplomatiques doivent être utilisés et doivent converger vers une issue politique. Les politiques doivent constamment « garder la main » sur le processus militaire. Dans cet effort, la Russie doit impérativement être associée. Elle doit être respectée ; elle a son mot à dire. Jacques Chirac, en proposant de réintroduire les instances communes (ONU, OSCE) mais surtout l’Union Européenne dans le schéma diplomatique des alliés, apparait comme l’un des artisans les plus avisés et décidés dans l’élaboration d’une solution politique durable.
Répondre aux critiques.
Pourtant, en dépit des faits, des interrogations et des critiques parfois légitimes mais aussi parfois déplacées, persistent, et cela au sein même de la majorité plurielle. Elles sont généralement de trois ordres. Il faut y répondre.
Tout d’abord certains prétendent qu’il ne faut pas, selon leur formule, « ajouter la guerre à la guerre ». Ceux-là acceptent implicitement – dès lors que les négociations étaient bloquées et connaissant Milosevic – que la terreur menée par les milices serbes poursuive son cours. Ceux qui au nom de la paix, refusent l’épreuve de force tout en sachant que la paix n’a aucune chance d’aboutir du seul fait de la bonne volonté du président yougoslave, sont donc naïfs ou cyniques.
Autre argument, plus légitime celui-ci : c’est celui de l’absence de résolution de l’ONU autorisant explicitement l’emploi de la force. Pour la France, pour les gaullistes, ce point ne peut être sous-estimé car nous privilégions une conception su système international régulé par L’ONU et marqué, par principe, par le respect de la souveraineté nationale. Cependant chacun sait que si nous avions dû attendre le feu vert du conseil de sécurité nous y serions encore. Par ailleurs, nul ne peut nier le fait que nous sommes face à un drame humanitaire qui dure depuis plus d’une année ; nul ne peut également contester que la négociation stimulée par le Groupe de Contact n’a cessé d’être notre credo. Si l’usage de la force peut, en l’espèce, être jugé irrégulier, il ne peut être politiquement et moralement jugé comme illégitime.
Un autre argument est énoncé : celui de l’OTAN, structure dominée - ce qui est vrai ! - par les USA. Constatons au passage que certains des adversaires les plus résolus de l’OTAN s’opposent également à toute avancée marquante dans le domaine de la politique étrangère et de la défense au sein de l’Union Européenne… Cet anti-américanisme de circonstance nous éloigne du sujet. Pour l’instant, les populations martyrisées du Kosovo se fichent de savoir si l’opération est réalisée par l’OTAN ou L’UEO. Si ce débat interne aux occidentaux est capital, il ne saurait servir d’alibi pour se défausser de nos responsabilités militaires actuelles.
Enfin, un dernier argument est avancé. Au nom de la morale, nous dit-on, il faudrait intervenir aux quatre coins du monde tant les foyers de tension et les massacres sont nombreux. Ici, une seule réponse s’impose. Une réponse pragmatique. Les intérêts stratégiques de la France et de l’Europe sont concentriques. Nous intervenons au Kosovo parce que les Balkans sont à notre porte et parce que nous ne serions pas à l’abri des conséquences d’une extension de la crise. Par ailleurs la conception universelle des droits de l’homme ne peut nous faire oublier les réalités de la politique et des rapports de forces. Pour être clair, nous n’irons pas « faire la police » en Chine malgré les exactions commises au Tibet. En stratégie on agit en fonctions de ses intérêts, de ses possibilités, et de façon croissante mais néanmoins prudente, en fonction d’un paramètre nouveau dans les relations internationales qui est une certaine idée que les Etats démocratiques et leurs opinions publiques se font de l’idéal humain.
Une crise pour penser l’avenir.
Cette crise du Kosovo, après celle de la Bosnie, nous oblige à revoir notre formulation de l’Europe. Avec Maastricht, la mise en œuvre de l’Euro, du traité d’Amsterdam, de l’agenda 2000, l’Union Européenne, il faut bien le dire, s’est principalement occupée d’elle-même. Confrontée, avec le Kosovo, à un défi extérieur particulièrement grave, la voici dans l’obligation de réviser la hiérarchie de ses préoccupations et de ses objectifs. Les questions, longtemps ignorées, relevant du deuxième pilier de la construction européenne (celui de la Politique Etrangère et de la Sécurité Commune, dite PESC), celles liées à l’élargissement, prennent aujourd’hui une autre signification. A deux mois des élections européennes, si l’heure n’est pas encore au bilan, la crise dans les Balkans nous impose de faire le point et de tirer quelques enseignements pour l’avenir.
Cette crise est tout d’abord une illustration de la situation stratégique de l’après-guerre froide. Ceux qui croyaient que l’histoire s’arrêterait avec la chute du mur de Berlin se sont trompés. La disparition de la chape de plomb communiste a réveillé sur le continent européen de vieilles brûlures culturelles et nationales plus ou moins vivaces. Face à cette nouvelle configuration géopolitique, l’Union européenne à un devoir d’adaptation politique et militaire.
Il y a tout d’abord la nécessité de doter l’Union européenne d’une véritable politique de sécurité et de défense commune. Sur la base de la déclaration de Saint-Malo, qui voit les Anglais disposer à s’engager plus efficacement en faveur d’une Europe de la défense, nous devons accélérer le mouvement. Pour leur part, les Allemands, en participant aux opérations militaires du Kosovo, ont franchi, sur le plan politique et intellectuel, un pas important, qu’ils n’avaient osé réaliser depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La France, quant à elle, est sortie d’une posture longtemps critique ou timorée et semble disposée à des avancées concrètes. Les conditions sont donc réunies pour que les européens prennent leurs responsabilités et s’affranchissent d’une tutelle américaine handicapante. En procédant à une révision des modes de décision et d’action de l’Union en matière de PESC, le traité d’Amsterdam ouvre des pistes qu’il faut exploiter au maximum.
Institutionnalisation d’un dispositif politico-militaire permettant de répondre à ce qu’on appelle « les tâches de Petersberg », c’est-à-dire les missions militaires ou humanitaires hors-zone OTAN ; création d’un état-major européen ; mise en place d’un dispositif cohérent de projection de forces et d’observation par satellites… Toutes ces voies doivent être rapidement explorées. Par ailleurs, au Conseil Atlantique de Berlin en juin 1996, les alliés ont prévu la constitution d’une chaîne de commandement européenne au sein de l’OTAN et la possibilité de mettre des moyens de l’Alliance à la disposition des européens. Sur ce sujet, il faut aller vite et loin, en renforçant, par exemple, les pouvoirs du commandant-adjoint des forces alliées en Europe (dont le poste doit être réservé à un général européen), et en définissant une formule autorisant l’Union Européenne à agir sans être soumise au droit de veto des Etats-Unis.
Cette identité européenne de sécurité et de défense doit reposer sur un dispositif de coopération politique et militaire pragmatique et souple. Il ne s’agit pas de « fédéraliser » cette coopération – car en ce domaine la volonté des nations (ou plutôt de quelques nations !) est souvent plus ambitieuse qu’une incertaine et piétinante approche communautaire. Cette politique de sécurité et de défense aura par ailleurs un coût. Il faut savoir que le total des budgets militaires des 15 Etats européens est inférieur à celui des USA. L’autonomie des européens par rapport à l’OTAN ne peut être réalisée en l’absence d’un effort financier adapté, notamment ciblé sur des créneaux aujourd’hui défaillants dont celui, par exemple, de l’observation.
Complétant cette politique étrangère et de défense européenne, nous devrions par ailleurs rechercher les moyens d’associer plus étroitement la Russie dans les affaires du continent européen. Ce grand pays, aujourd’hui si fragile, est en manque de reconnaissance. Ne sous-estimons ni sa fierté, ni son utilité dans l’équilibre de la sécurité du continent. En outre, nous devons avoir à l’esprit sa situation politique interne. A une année de l’élection présidentielle, il faut mesurer la difficulté et l’importance de la tâche du premier Ministre Evgueni Primakov. Que ce soit au sein de l’OSCE ou dans le cadre du Groupe de Contact, nous pourrions réfléchir à une institutionnalisation de mécanismes nouveaux de collaboration diplomatique et militaire avec la Russie.
Enfin, la nécessité de l’élargissement de l’Union européenne se pose de façon plus brûlante que jamais. Au centre du continent, de jeunes démocraties ne peuvent demeurer dans l’isolement. Leurs regards sont tournés vers nous. Pour elles, l’essor économique, la stabilité politique, ne peuvent durablement s’inscrire hors de la communauté de progrès qu’incarne l’Union européenne. Cet élargissement, on s’en aperçoit aujourd’hui, est une nécessité stratégique. Il supposera un réaménagement des institutions de l’Union européenne afin de les adapter au nombre croissant des états membres qui ont vocation à rejoindre l’Union.
On le voit, la crise du Kosovo force les européens à la réflexion et à l’action. Alors que l’OTAN s’apprête à fêter son cinquantenaire, nous sommes en réalité à un carrefour de la construction européenne. Continuer comme avant ? Ou partir sur des nouvelles bases ? Le RPR, pour sa part, a choisi. Il est aujourd’hui, avec Jacques Chirac, convaincu que notre autonomie stratégique doit désormais s’inscrire et s’imposer dans un cadre élargi qui est celui de L’Union européenne. Les gaullistes ont fait la politique de défense de la France ; ils souhaitent dorénavant voir notre pays contribuer à la réalisation d’une authentique Europe de la sécurité et de la défense.