Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Chers collègues,
Et maintenant ? Car telle est bien la question. Après ces bombardements, comment retrouver le chemin qui mène à la paix ?
Avant d'en venir à ces questions qui sont les nôtres aujourd'hui, celles que se posent avec une grande inquiétude les Françaises et les Français, vous comprendrez que je m'arrête un instant sur l'étrange situation dans laquelle se trouve notre Assemblée.
Nous sommes sollicités pour donner notre avis sur l'engagement de la France dans une guerre deux jours après son déclenchement.
Je souhaite moins ici relever le paradoxe de cette situation que les questions qu'elle soulève sur le rôle dévolu à la représentation nationale. Il est sans précédent, je pense, que le Parlement ne soit pas consulté alors que le pays entre en guerre. C'est une décision majeure une des plus graves, si ce n'est la plus grave, qu'un pays, qu'un peuple aient à prendre.
La participation à la guerre du Golfe en janvier 1991 avait donné lieu à un débat solennel dans les deux Chambres. Et nous avions procéder à un vote. C'est la seule procédure acceptable en démocratie, quoi qu'en pensent la décision finale. Et j'ajoute que cette procédure me semble fondamentalement fidèle à l'esprit de la Constitution de la France.
Aujourd'hui des soldats français sont engagés dans des opérations militaires et la représentation nationale est mise devant le fait accompli. Le précédent ainsi créé grave. Est-ce dire que de telles interventions seraient à ce point banalisées qu'il y aurait point à consulter le Parlement ? Est-ce à dire que dorénavant il en serait ainsi ?
À ces questions il faudra apporter réponse.
Je ne crois pas pour autant, bien évidemment, que le débat d'aujourd'hui soit inutile. Bien au contraire.
Le déclenchement des hostilités envers la Yougoslavie rend plus nécessaire encore la prise rapide d’initiatives politiques pour faire cesser les combats - tous les combats - et pour sortir le plus rapidement possible d'un engrenage dont personne - pas même les plus fervents partisans de l'usage de la force - ne nient les risques majeurs pour la paix est l'avenir de la sécurité en Europe.
Tout le monde sait que la propagande manichéenne fait partie des lois de la guerre, qui ne favorisent pas à priori une réflexion sereine. Pourtant, dans ce moment où la violence des armes prétend couvrir la voix de ceux qui en appellent à la raison, il est plus que jamais nécessaire de rendre à l'esprit de responsabilité et à la politique la place qui ne devraient jamais perdre.
Chacun ici mesure la gravité exceptionnelle de la situation engendrée par les bombardements de l'OTAN. Il se n’agit pas d'une simple opération militaire ponctuelle dont les conséquences seraient circonscrites à cette partie des Balkans. C'est une certaine conception de l'Europe qui se joue, de sa manière de régler et de prévenir les conflits, de ses rapports aux Etats-Unis, de son attitude face au rôle que Washington prétend faire jouer à l'OTAN dans l'avenir.
C'est l'architecture de la sécurité en Europe de l'après guerre froide qui est en jeu. Chacun en la matière est devant ses responsabilités. Chaque pays européen, chaque force politique, chaque citoyen.
Pour la première fois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale un pays européen il est bombardé sans que le Conseil de sécurité de l'ONU ne se soit prononcée est en violation des principes de la Charte des Nations-Unies, fondement de la légalité internationale.
Pour la première fois dans ses cinquante ans d'existence, l’OTAN déclare la guerre à un pays souverain, sans autorisation de l'ONU, et contre un pays qui ne menace pas l'un de ses membres. C'est un événement d'une exceptionnelle gravité.
Cette violation des règles et des normes qui sont le critère de l'appartenance à la communauté des nations civilisées deviendrait-elle elle-même la norme ? La France - et c'était tout à son honneur - s’y est toujours refusée jusqu'ici, quand la tentation de franchir ce pas qualitatif se faisait jour. Pas aujourd'hui.
On invoquera en réponse à ces interrogations l’urgence de la riposte pour donner un coup d'arrêt à la barbarie. On fait même appel à l'histoire pour laisser planer le soupçon de démission sur ceux qui aujourd'hui conteste la légitimité de cette intervention militaire. Je récuse en l'occurrence, avec la plus grande vigueur, ces références au passé de la prétendue justification humanitaire aux frappes de l'OTAN. Les faits sont là en effet : loin de soulager les souffrances de la population, loin de faire reculer les possibilités pour l'armée yougoslave de poursuivre la répression des Kosovars, les bombardements aggraver la situation.
Les communistes français n’ont cessé de porter un jugement très sévère sur Milosevic et le pouvoir de Belgrade. Sa responsabilité est considérable dans les développements dramatiques qui déchirent le Kosovo, comme dans la radicalisation violente du courant indépendantiste qui en a résulté dans cette province. Le nationalisme attise le nationalisme. La haine appelle la haine. La violence faite aux droits de l’homme ne peut qu'engendrer ressentiment et révolte. Justement, n’était-ce-pas, dès lors, la responsabilité de la communauté internationale, et en premier lieu des Européens, d'évaluer en permanence les conséquences de leurs décisions concernant les Balkans et l'ex-Yougoslavie, en fonction de ces risques ? Quand ont été, pour les populations du Kosovo, les conséquences de l'annonce de bombardements de l'OTAN et de leur mise en œuvre ?
Sur injonction de l'OTAN, et pour permettre les bombardements, la “mission de vérification de l'OSCE” s’est retirée. S'en sont suivis, comme cela était prévisible, un déploiement accru des forces serbes, une recrudescence des déplacements forcés et de l'exode des populations avec, en fin de compte, l'aggravation de la tragédie pour tout un peuple, toutes origines confondues. Quant aux pressions nationalistes, elles s'en trouvent encore encouragées, et les témoignages ne manquent pas depuis mercredi, une sorte d'union sacrée renforcée autour de Milosevic.
Sans compter les séquelles durables, et pas seulement en Yougoslavie, du sentiment d'humiliation, face à ce qui sera ressenti par beaucoup comme une nouvelle démonstration de l'arrogance et de l'indignation sélective des puissants.
Enfin quelles en seront les conséquences pour l'Europe ? Pour l'Union européenne comme pour l'Europe continentale de l'Atlantique à l'Oural ?
Dans la dernière période, de fait, deux conceptions se sont affrontées : une conception américaine à travers le temps l’OTAN qui privilégiait l'emploi de la force pour des raisons fortes humanitaire : obtenir une action d'éclat justifiant face aux alliés européens et aux opinions publiques le maintien de l'OTAN au XXIème siècle et la mise en œuvre du “nouveau concept stratégique” que Washington veut imposer lors du 50ème anniversaire de l'OTAN, le mois prochain.
Face à cette vision, les Européens, en tout premier lieu la diplomatie française, ont, jusqu'à ces derniers jours, privilégié l'approche politique, difficile certes, très difficile, mais à terme la seule efficace. Je m'en suis publiquement réjoui. La Conférence de Rambouillet a rendu possibles des progrès réels. On le sait, le blocage porté sur la présence des forces de l'OTAN sur le territoire yougoslave, alors que l'accord était acquis sur le principe d'une large autonomie du Kosovo. Toutes les voies publiques pour aller vers un contrôle de l'application de l'accord, y compris par une force multinationale de maintien de la paix, étaient-elle épuisées ? Le “groupe de contact” a-t-il conçu est exprimé ses exigences de manière à emporter progressivement l'adhésion du peuple yougoslave, afin d'isoler les forces nationalistes et le pouvoir en place ? Je ne le crois pas. Et depuis mercredi, nous ne cessons de nous éloigner de ces conditions d'une paix durable.
Telles sont les raisons pour lesquelles il faut arrêter immédiatement les bombardements. Chaque bombe larguée, chaque destruction, chaque victime renforce le camp des extrémistes est réduit le champ d'intervention des démocrates, isole ceux qui réside aux pouvoirs nationalistes. Je le répète, tout ce qui se passe aujourd'hui, me conforte dans la conviction que ce n'est pas en ajoutant la guerre à la guerre qu’on créera les conditions de la paix.
Au contraire, chaque geste qui ouvre la perspective d'un “vivre ensemble” possible dans la Yougoslavie, dans cette région si meurtrie de notre Europe que sont les Balkans, chaque initiative qui décide une perspective de coopération réaliste entre les différentes composantes des populations yougoslaves par le respect des droits de l'homme, chacune je sais initiative contribue à élargir le champ de l'intervention démocratique et affaiblit le pouvoir nationaliste.
Pour toutes ces raisons je déplore, le groupe communiste déplore et désapprouve profondément la participation de la France à ses opérations de l'OTAN. Je pense qu’elles ne servent ni les populations des Balkans, ni la France, ni l'Europe.
Et maintenant, disais-je, que faire ?
Oui chacun est devant ses responsabilités.
Je considère que l'Europe se trouve enfermé dans des décisions prises ailleurs pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Elle se trouve aujourd'hui dans l'impasse. Elle ne s'en sortira qu’en portant un tout autre message. Le langage de la fermeté sur les droits de l'homme aura une portée d'autant plus grande qu’il s'accompagnera de la recherche obstinée de solutions politiques, qu’il respectera scrupuleusement les principes de la Charte de l'ONU, et qu'il donnera à une institution authentique européenne et non soupçonnable d’inféodation à une superpuissance hégémonique - je veux parler de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe l’OSCE. - les moyens de devenir le garant du maintien de la paix reconnue par tous.
C'est dans cet esprit qu'avec la demande pressante d'un arrêt des bombardements, Monsieur le Premier ministre, je réitère ma proposition d'une Conférence européenne sur les Balkans - ouverte à tous les pays européens qui accepterait de prendre part à l'édification d'une paix durable et à la reconstruction des pays de la région - placée sous l'égide de l'OSCE. Je note, de ce point de vue, avec l'intérêt l'idée avancés par Monsieur Romano Prodi d'une conférence, “indispensable” insiste-t-il, pour examiner l'ensemble de la situation dans la région des Balkans. C'est ma conviction.
Je veux y insister. Je considère les frappes de l'OTAN comme un échec de l'Europe, comme le signe de sa difficulté à affirmer son autonomie envers son allié américain et les visions manichéennes et aventureuses de la Maison Blanche en matière de sécurité et de relations internationales.
Les clivages d’aujourd'hui ne sont pas ceux de la guerre froide. Ne nous trompons pas de période, d'époque. Les tensions d'aujourd'hui ne sont pas celle d'hier. Par contre elles peuvent préfigurer celle lendemain.
Aurons-nous la capacité en Europe d'apporter des réponses nouvelles, adapté aux véritables menaces contre notre sécurité commune qui s'appellent écarts de développement, misère, exclusion, nationalisme, extrémisme… ?
Saurons-nous offrir au peuple du continent, et je pense tout particulièrement à ce d'Europe centrale et orientale, une autre perspective que celle de l'arrogance, de rapports de puissant à dominé ?
Au moment de conclure je veux citer cette phrase que Jaurès écrivait le 5 juillet 1914 : “la force brutale est arrivé à une sorte d'impasse historique. Elle ne peut plus résoudre les problèmes. (...) Elle ne peut débrouiller le choc de races, de religions, de traditions, de fanatisme qui s’agite à l’ouest européen. Ce choc n’aurait pu être débrouillé que par une grande action commune de l'Europe intervenant de toute sa force morale, non pas pour aigrir et exploiter les antagonismes, mais pour les apaiser en assurant des garanties de liberté, de sécurité, de justice le développement à tous les éléments ethniques et religieux durement enchevêtré.” Et Jaurès disait pour conclure : “Le recours aux moyens de guerre a été dans les Balkans un anachronisme. Et demain aussi toute méthode brutale sera inefficace.”
Tel est le message que pour ma part je souhaite que la France fasse entendre. Avec l'espoir que demain les Etats européens sauront mettre autant de détermination qu’ils en ont aujourd’hui, pour mettre un terme à la guerre, afin de reconstruire la paix.