Texte intégral
J.-P. Elkabbach
Ca va mieux ?
D. Cohn-Bendit
- « Ca va, ça va ! Les temps ne sont pas très, très roses… »
J.-P. Elkabbach
Parce que vous étiez à bout de nerfs et inquiet, vous l'écriviez, vous disiez "je craque" il y a une vingtaine de jours au début de la guerre du Kosovo. Apparemment, vous craigniez que les démocraties cèdent devant le tyran Milosevic. Est-ce qu'aujourd'hui les raids, les promesses de l'Otan vous rassurent un peu ?
D. Cohn-Bendit
- « Non, non. Pas franchement. Moi j'ai toujours peur du désastre, de la catastrophe dans le sens que l'Otan dit "patience, patience, on va gagner". Moi, je ne vois pas ce que cela veut dire "gagner". Le but des interventions militaires pour moi, reste et doit rester le retour des Kosovars au Kosovo, c'est-à-dire la reconquête du Kosovo, que ce soit une reconquête diplomatique que j'espère et je souhaite ou une reconquête militaire, si nécessaire mais, s'il n'y a pas un retour des réfugiés avant la fin de l'été… ils ne rentreront jamais au Kosovo. Alors, une expédition punitive contre Milosevic et perdre le Kosovo, cela me paraît aberrant. »
J.-P. Elkabbach
Il y a 20 jours, comme votre ami Noël Mamère à Paris et à Strasbourg, vous étiez prêt, il l'a dit, lui, à mourir pour le Kosovo. Vous réclamiez le recours à la force, un débarquement militaire sur le terrain, cela n'a pas été fait encore. Est-ce qu'il faut dire « heureusement » ?
D. Cohn-Bendit
- « Je crois que dire "mourir pour le Kosovo" ne veut rien dire. Mourir pour Pristina, c'était "se battre pour ... »
J.-P. Elkabbach
Surtout à Paris ou à Francfort...
D. Cohn-Bendit
- « “Se battre pour“. Se battre politiquement pour et avec les Kosovars. Alors, on nous dit, l'Otan nous dit, le président de la République nous dit, le chancelier allemand nous dit "patience, patience, vous allez voir ce que vous allez voir". Moi ce que je ne comprends pas aujourd'hui, c'est pourquoi la destruction du potentiel industriel de Milosevic va faire plier Milosevic. Parce que depuis le début, il y à quand même une erreur fondamentale, c'est de sous-estimer ce qui est une dictature rouge brune, c'est-à-dire un Milosevic, le pouvoir ... le pouvoir de destruction et Milosevic a longtemps travaillé avec Saddam Hussein. Saddam Hussein est toujours au pouvoir et moi, j'ai bien peur que l’on se trompe parce que c'est à l'honneur des démocraties de ne pas vouloir faire la guerre. Je ne suis pas "va t'en guerre" mais je dis : iI faut prendre nos responsabilités. »
J.-P. Elkabbach
Oui, ce matin encore, vous dites qu'il vaut mieux l'opération terrestre ? Vous mettez toujours la fleur au fusil...
D. Cohn-Bendit
- « Je dis : il faut dire on est prêt à reprendre le Kosovo, le démontrer, avoir des soldats sur place et accélérer le processus diplomatique en même temps. »
J.-P. Elkabbach
Mais vous croyez que ce n'est pas ce qui se fait ? Il y a énormément de soldats américains, français, européens, les raids aériens s'amplifient, les Apache et les avions A10 vont commencer à travailler dans la semaine…
D. Cohn-Bendit
- « Ecoutez, c'est complètement aberrant. Depuis le début, on dit : eh bien il faut accélérer, accélérer. On met des semaines à réorganiser les troupes. Moi, je crois qu'il y a eu une erreur au début, que cette erreur n'est pas réparée, que le chancelier allemand dit "il n'y a pas de discussion de l'opération terrestre", le président de la République française "il n'y a pas de discussion de l'opération terrestre"... Il faut dire la vérité à nos populations quand on est en démocratie ! Alors si on les prépare, il faut le dire, si on ne les prépare pas, il faut le dire. Je crois que l'on ne peut pas jouer au jeu du chat et de la souris pendant longtemps. »
J.-P. Elkabbach
Donc, vous restez impatient et vous continuez à crier votre désarroi et vos peurs.
D. Cohn-Bendit
- « J'ai une crainte qu'en fin de compte on s'arrange un compromis qui se fera sur le dos des Kosovars. Mais, je dis, il y a un plan, l'Otan a repris le plan de paix proposé par le gouvernement allemand. L'Otan a repris des idées de la France sur réintégrer l'Onu, faisons-le, faisons-le radicalement… »
J.-P. Elkabbach
Oui, mais cela ne se décide pas comme cela, cela ne se décrète pas.
D. Cohn-Bendit
- « Non, mais attention, comme l'intervention militaire à terre, au sol ne se décrète pas, cela fait des semaines qu'on l'a préparée, alors pour la préparer, il faut préparer les opinions publiques, aussi bien pour l'offensive diplomatique, il faut y aller, il faut inviter Tchernomyrdine, il faut aller en Russie, il faut inviter Kofi Annan, il fallait inviter Kofi Annan au sommet de (coupure son) l'Otan. Il faut avoir de l'imagination diplomatique s'il veut avancer. Est-ce qu'on a fait ça ? Non. Voilà ce que je critique ! »
J.-P. Elkabbach
A Washington, puisque vous en parlez, est-ce que pour vous Jacques Chirac et ses ministres Védrine et Richard se sont bien battus pour l'Europe ou pour la France ?
D. Cohn-Bendit
- « Je crois qu'il ya un vrai problème. En ce moment, tout le monde, dit "se battre pour l'Europe", c'est aussi vrai pour le gouvernement, allemand mais en ayant des positions qui sont des positions françaises ou des positions allemandes. Moi, je voudrais aller plus loin. L'Europe devrait proposer une réforme de l'Onu et penser, par exemple, qu'au Conseil de sécurité, ce soit l'Europe qui soit représentée et non pas les deux Nations qui ont vaincu qui sont au Conseil... la France et l'Angleterre. Je crois qu'il faut plus de cohésion européenne, ça c'est tout le problème de la campagne électorale, comment arriver à une cohésion européenne et à une cohérence européenne ? »
J.-P. Elkabbach
La guerre du Kosovo va avoir des conséquences à la fois sur l'Europe, les gouvernements européens de coalition, les partis et la politique. Les Verts, comment vous vous estimez être dans la phase actuelle ? Vous avez été pour l'intervention de l'OTAN, vous êtes, je l'ai dit tout à l'heure, la fleur au fusil, vous êtes…
D. Cohn-Bendit
- « Non, je ne suis pas la fleur au fusil ! Puisque je suis... non je suis pour les deux. Je suis pour une position conséquente d'une position de diplomatie et en même temps, en même temps, là il y a une double stratégie. Mais il faut les affiner ces stratégies. La diplomatie, c'est la tentative de réintégrer le Conseil de sécurité, d'avoir une résolution du Conseil de sécurité. »
J.-P. Elkabbach
Mais vous savez, vous parlez comme le gouvernement d'aujourd'hui, comme le président de la République !
D. Cohn-Bendit
- « Attention, attention, le président de la République le dit, je l'ai dit tout à l'heure, pourquoi n'a-t-il pas invité Kofi Annan au sommet de l'Otan comme on avait invité Kofi Annan au sommet de l'Europe ?
J.-P. Elkabbach
Alors, on parle des autres partis, le Parti communiste, à votre avis, le PC il s'en tire bien ou mal ?
D. Cohn-Bendit
- « Eh bien le Parti communiste est au milieu du gué sur une petite île et il regarde s'il revient en arrière, il se noie, s'il va en avant, il se noie. Donc, il est immobile. »
J.-P. Elkabbach
Mais il est clair ? Il est clair ? C'est une politique claire ?
D. Cohn-Bendit
- « C'est une politique claire de ne pas avancer et ne pas reculer. »
J.-P. Elkabbach
Cela va être plus facile pour vous. Est-ce, que le 13 juin, vous renoncez à dépasser le PC comme vous le disiez ?
D. Cohn-Bendit
- « Moi, je ne renonce à rien du tout. Je ne suis pour rien du tout. Le 15 juin, je veux que les Verts fassent un bon score. Je trouve qu'en ce moment, vu la position nette, ouverte, des Verts en disant... en ayant justement cette double stratégie, en acceptant l'intervention militaire même si c'est difficile et qu'il y a des débats très ouverts, je trouve que les Verts se positionnent très bien dans cette campagne et qu'ils sont très solidaires. »
J.-P. Elkabbach
Et le PS, est-ce que vous le trouvez cohérent, discipliné dans la guerre ?
D. Cohn-Bendit
- « Le PS est un parti reflet qui tousse derrière Jospin et on peut mettre derrière Jospin à l'intérieur du PS tout et son contraire, c'est-à-dire HoIlande, Sami Naïr, O. Duhamel, je veux dire, c'est très compliqué de s'y reconnaitre sur la liste PS. »
J.-P. Elkabbach
Et J.-P. Chevènement,
D. Cohn-Bendit
- « il lit les philosophes allemands... »
J.-P. Elkabbach
Vous ne pouvez pas le lui reprocher puisque Hensen Berger (phon), vous devez le connaître d'ailleurs...
D. Cohn-Bendit
- « Eh bien oui, niais quand on lit les Hensen Berger, il faut lire Hensen BergerR aujourd'hui qui est pour l'intervention militaire. Je voudrais bien... Ça, ce serait intéressant, le dialogue Chevènement-Hensen Berger d'hier, Hensen Berger d'aujourd'hui... »
J.-P. Elkabbach
Mais en tout cas Chevènement parle à l'intérieur, débat à l'intérieur mais la boucle à l'extérieur.
D. Cohn-Bendit
- « Je ne sais pas s'il parle à l'intérieur, je ne suis pas à l'intérieur. Vous y êtes peut-être vous et vous le savez... moi je n'en sais rien… »
J.-P. Elkabbach
Non, non...
D. Cohn-Bendit
- « Il prétend parler à l'intérieur mais Chevènement est responsable que l'on ail très peu de réfugiés Kosovars ici alors que d'autres pays européens en ont reçu beaucoup plus, je trouve que... et deuxièmement, il faut lancer une grande campagne en France. Une campagne pour les déserteurs serbes. L'Europe doit donner le droit d'asile aux déserteurs serbes. Affaiblir le pouvoir militaire des Serbes, c'est recevoir les déserteurs serbes. Ça, ça doit être… »
J.-P. Elkabbach
Ceux qui étaient au Kosovo ?
D. Cohn-Bendit
- « Ceux qui sont en service, qui ne… »
J.-P. Elkabbach
Ceux qui quittent le Kosovo qui étaient dans les milices, police ou dans l'armée serbe du Kosovo ?
D. Cohn-Bendit
- « Mais c'est évident que l'on a affaibli... ce qu'a fait l'armée américaine a affaibli les Allemands en accueillant les déserteurs. C'est les déserteurs qui affaiblissent une armée, c'est une des possibilités d'avancer. »
J.-P. Elkabbach
En quoi cette guerre des Balkans va modifier vos arguments sur l'Europe ?
D. Cohn-Bendit
- « Je crois que mes arguments sur l'Europe, cette guerre des Balkans renforce l'idée d'une nécessité de l’Europe plus démocratique, plus solidaire, une Europe qui n'est pas une association des Nations mais qui a des institutions communautaires. »
J.-P. Elkabbach
Avec une défense bien à elle,
D. Cohn-Bendit
- « Avec un corps civil de paix, une politique étrangère en amont civile de paix et une défense en aval commune. »
J.-P. Elkabbach
Oui, mais avec une défense sur laquelle il y aura des efforts nouveaux.
D. Cohn-Bendit
- « Il y aura des efforts nouveaux décidés par le Parlement européen et non pas par les Parlements nationaux. »
J.-P. Elkabbach
Les Verts voteront donc les crédits militaires, ce qu'ils n'avaient pas fait jusqu'ici.
D. Cohn-Bendit
- « Les Verts devront se poser le problème de voter une politique de défense mais elle doit être cohérente. Elle doit avoir un corps civil de paix non militaire et des possibilités militaires. Voilà la nouvelle stratégie. »
J.-P. Elkabbach
Sur quels thèmes vous allez relancer la campagne des Verts pour les' Européennes ? Parce que ça ne marche pas trop.
D. Cohn-Bendit
- « Non, ça marche très bien ! Arrêtez ! C'est n'importe quoi. Alors, quand on est... on gagne 2 à 3 % dans les sondages et on dit "ça ne marche pas trop" ! Alors je ne sais pas ce que, vous lisez comme journal… »
J.-P. Elkabbach
Non, non mais certains disent « ils vont à peine atteindre les 5 % ».
D. Cohn-Bendit
- « Arrêtez, dans les sondages on est entre 8 et 10 %. Alors, je ne sais pas où vous prenez ça. C'est peut-être... »
J.-P. Elkabbach
A partir de 6.
D. Cohn-Bendit
- « Non ! Ce n'est pas vrai ! Tous les derniers sondages étaient, de 8 à... arrêtez de dire des choses qui ne sont pas vraies. Moi je ne sais pas, peut-être que vous avez à Europe des sondages que personne n'a ! Alors là, je m'excuse tout de suite... »
J.-P. Elkabbach
La guerre du Kosovo vous laisse calme mais quand on touche aux sondages des Verts, cela vous met hors de vous.
D. Cohn-Bendit
- « Non, la guerre... non… ce qui me met hors de moi, c'est quand on ne dit pas la vérité ! C'est tout ! A part ça, si vous dites la vérité sur les sondages, cela me met... »
J.-P. Elkabbach
Sur quels thèmes concrets vous allez relancer la campagne des Verts.
D. Cohn-Bendit
- « La cohésion européenne, la cohérence sociale, la cohérence écologique, la raison écologique et la cohésion démocratique et institutionnelle de l'Europe. »
J.-P. Elkabbach
Et est-ce que vous acceptez, pour défendre des causes comme vous le fait comme le Kosovo, de perdre des électeurs ?
D. Cohn-Bendit
- « Mais, arrêtez ! On est en train de gagner des électeurs parce qu'on a une position cohérente. Pourquoi vous voulez que je me pose le problème de perdre des électeurs alors que nous avons en ce moment, aujourd'hui, pour nous, une clarté dans notre position ? »