Interviews de M. Charles Pasqua, tête de liste du Rassemblement pour la France et l'indépendance de l'Europe aux élections européennes de 1999 et sénateur RPR, à France-Inter le 31 mai 1999 et à RTL le 3 juin, sur sa conception de l'Europe, la souveraineté nationale, le fédéralisme, la défense européenne et ses relations avec le RPR.

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Média : Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter - 31 mai 1999

France Inter
Pas un mot — enfin j’exagère ! — peu de mots sur l’Europe, hier soir, dans le débat entre N. Sarkozy et F. Hollande ?

C. Pasqua
— « C’était à peu près inévitable. Je veux dire par là que F. Hollande et N. Sarkozy ont sur l’Europe à peu près la même conception. Ils s’en cachent, il préfèrent se lancer dans un débat droite-gauche pour éviter de préciser leur conception de l’Europe. En réalité, tous les deux sont pour une Europe fédérale telle qu’elle a commencé à se construire. L’un et l’autre ont adopté le Traité de Maastricht ; l’un et l’autre ont adopté le Traité d’Amsterdam qui a enlevé à la France une nouvelle part de souveraineté — et non des moindres puisqu’il s’agit de ce qui concerne sa sécurité. Et c’est la raison pour laquelle hier soir ils n’avaient aucun intérêt à parler de l’Europe — ce qui ne pouvait, en définitive, qu’ajouter à la confusion. Et les téléspectateurs — dont j’ai été — en ont été pour leurs frais. Ils pensaient assister à un débat sur l’Europe qui leur aurait permis d’y voir clair — une heure de télévision c’est énorme, c’est beaucoup — et en réalité, ils ont assisté à la fin du débat sur les législative de 97. »

France Inter
Vous dites que la question principale, relative à la structure de l’Europe, à son organisation, n’est pas posée dans le débat ? Quand ont fait le distinguo entre Europe fédérale et Europe des nations…

C. Pasqua
— « Je crois que les Français ne comprennent pas grand chose à tout ça parce qu’on n’a rien fait pour les éclairer. Il faut essayer en quelques mots — C’est difficile, mais je vais essayer quand même — de poser les termes du débat. Je crois d’abord qu’il y a trois possibilités de développement de l’Union européenne. Les Anglo-saxons se contenteraient parfaitement d’une zone de libre-échange. Les Allemands — je caricature un peu — sont pour une Europe fédérale, car ils ont chez eux une organisation fédérale, et que ce qui est bon pour l’Allemagne, pensent-ils, est bon pour l’Europe. Quant aux Français ils ont toujours été — jusqu’à une date récente — pour l’Europe des nations, l’Europe des Etats. C’est-à-dire une Europe qu’on qualifie de “confédérale“. Une Europe dans laquelle les Etats acceptent de déléguer une part de leurs compétences mais n’abandonnent pas leur souveraineté. La différence est de taille, car les délégations de compétence ça peut se reprendre en cas de nécessité, tandis que l’abandon de souveraineté c’est définitif. Ça, c’est un premier point.

Deuxième point : la question de fond qu’il faut se poser n’est pas de savoir s’il faut faire l’Europe ou pas. Elle est en marche. La question qu’il faut se poser c’est : l’organisation actuelle est-elle conforme à ce qu’on peut espérer ou non ? Est-ce qu’elle permet de répondre aux aspirations des peuples et de résoudre un certain nombre de problèmes ou non ? Et dans le cas où on répond “non“, que faut-il faire ? L’Europe actuelle est organisée de guingois, je veux dire par là qu’une seule structure, à mes yeux, est légitime. C’est le Conseil européen, composé des chefs d’Etat et de gouvernement qui sont élus démocratiquement. Cela devrait être le toit de l’organisation de l’Union européenne. »

France Inter
Mais ça, M. Pasqua, vous êtes… Pour bien vous comprendre, car on touche là au mécanisme de l’Europe…

C. Pasqua
— « Oui, oui, c’est capital. »

France Inter
… vous êtes un peu seul contre tous. Quand vous dites : au fond, hier soir, il n’y a pas eu de débat, est-ce que ça veut dire que les choix sont déjà faits et qu’au fond, J. Chirac est un fédéraliste ? Et qu’au fond, encore une fois, le choix est déjà fait pour lui de la forme de l’Europe ?

C. Pasqua
— « Dans une certaine mesure oui. Dans la mesure où il a, d’une part, accepté le Traité de Maastricht, et d’autre part signé le Traité d’Amsterdam, il a accepté une certaine forme d’Europe fédérale. On peut s’en défendre, on peut expliquer les choses différemment, mais la réalité est là. Qu’avons-nous comme structures à l’heure actuelle ? Nous avons la Banque centrale européenne, qui est une institution fédérale. J’ajouterai que c’est la première fois dans l’histoire du monde que l’on voit des Etats transférer la responsabilité de leur monnaie, et donc dans une certaine mesure de leur économie, à des banquiers. Parce qu’il n’y a aucune autorité politique. Et ils ne sont responsables devant personne. J’ajouterai que la seule obligation qui leur est faite c’est de défendre la monnaie, et non pas en même temps de veiller au développement de l’économie. Deuxièmement, à l’occasion du Traité d’Amsterdam, nous venons de transférer à la Commission de Bruxelles — c’est-à-dire une équipe de hauts fonctionnaires — le contrôle des frontières, la politique d’immigration, le droit d’asile, etc. Donc, c’est bien une marcher ver une Europe fédérale. Mais dans le même temps… »

France Inter
A Toulouse — M. Schröder a beaucoup insisté là-dessus — on nous dit : « le renforcement de l’Eurocorp pour la mise en place d’une structure européenne de défense, ce serait un lien encore plus fort d’intégration que n’a pas pu l’être l’euro « . Là aussi, c’est la démonstration de la mise en place de l’Europe fédérale ?

C. Pasqua
— « Je pense que dans leur esprit, c’est probablement cela. Mais entre les mots et les réalités, il y a beaucoup de différences. Pour que les gens comprennent bien, revenons deux minutes au début de notre démonstration. Je rappelais donc que le toit de la construction européenne c’est le Conseil européen, qui est le seul légitime. Normalement, il devrait y avoir au-dessus de ce Conseil européen — c’est ce que nous proposons — le Conseil des ministres qui, comme dans chaque pays, dirigerait réellement l’Europe. Qu’ensuite ce Conseil des ministres soit assisté par une commission qui ne serait plus un exécutif, mais un organe d’exécution, cela serait beaucoup plus logique et beaucoup plus normale. Dans le même temps; dans le cadre de la subsidiarité, pour peu que le Conseil européen — qui est le seul organe légitime — définisse ce qui doit rester au niveau des pays, des nations, et ce qui peut passer au niveau européen, à ce moment-là, nous aurions une organisation cohérente. Ce qui veut dire qu’au niveau des nations, nous avons le contrôle des Parlements, et tout ce qui passe au niveau européen renforcerait le contrôle du Parlement européen. Ça ce serait logique ! Mais, il y aussi une politique à définir. Et, à l’heure actuelle, quand j’entends M. Sarkozy et M. Hollande parler — tous les deux — de la nécessité de développer l’emploi, ils se gardent bien de nous dire comment, puisque de toute façon tous les deux ont accepté les critères de convergence, le Pacte de stabilité, et que, partant de là, les Etats n’ont plus de marge de manœuvre. Donc, il n’y a pas de politique possible de relance économique. Et ce que je reproche aux uns et aux autres, c’est en réalité d’être les partisans d’une sorte de renoncement, et de préparer à répartir la pénurie. Voilà ce que je leur reproche. »

France Inter
Je n’ai pas de goût pour les petites phrases, à mon avis elles ne démontrent pas grand-chose. Mais, N. Sarkozy hier soir a dit à l’antenne — cela a même surpris F. Hollande — que nous ne faisiez plus partie du RPR !

C. Pasqua
— « Cela m’a surpris un peu mois aussi à vrai dire ! Nous voilà deux à être surpris. Avec vous cela fait trois. »

France Inter
Cela veux dire que sur cette conception de l’Europe, il y a un mur entre vous.

C. Pasqua
— « Entre qui et qui ? »

France Inter
Entre vous et Chirac, entre vous et Sarkosy…

C. Pasqua
— « Mais le problème n’est pas là. Le problème n’est pas de savoir si j’ai un désaccord avec le président de la République ou avec Sarkozy. C’est relativement secondaire. Le problème est de savoir si le mouvement dont j’ai été l’un des créateurs, l’un des fondateurs avec J. Chirac, et qui s’était donné comme ambition de défendre les intérêts de la France, reste fidèle à sa vocation ou s’il a dérivé. Je dis : il a dérivé. »

France Inter
Vous dites plus que ça, vous dites qu’il fait l’inverse de ce qu’il avait dit.

C. Pasqua
— « Oui, dans une certaine mesure c’est un peu ça. D’ailleurs, ça n’est pas le propre de ce mouvement. Je lisais, ce matin, rapidement les titres de la presse où l’on indiquait qu’on attendait un pourcentage d’abstentions considérable. Tant que les hommes politiques feront, au lendemain de l’élection, le contraire de ce qu’ils ont promis à la veille de l’élection, on aura ce fossé. Alors, il faut clarifier. Et si j’ai été candidat, ce n’est pas pour le plaisir d’être candidat, c’est tour simplement parce que je souhaite qu’il y ait une clarification, et je souhaite amener les gens à dire la vérité, et la politique qu’ils entendent suivre. »

RTL - 3 juin  1999

RTL
Vous dites vous attendre à une surprise agréable, pour vous, le 13 juin : vous lisez dans le marc de café ?

C. Pasqua
— « Non, mais ma foi on peut toujours s’attendre à une surprise et plutôt agréable que désagréable. Partant de rien, nous arriverons quelque part et non pas nulle part. »

RTL
Au-dessus de 5 % ?

C. Pasqua
— « Entre 10 et 15 %. »

RTL
Entre 10 et 15 % : la marge est large !

C. Pasqua
— « Oui, c’est assez large. »

RTL
Il y a des sondages qui vous sont très favorables, mais d’autres le sont moins.

C. Pasqua
— « C’est la vie, c’est comme cela. Ceci constituera un problème pour les instituts de sondage parce, qu’en fonction des résultats, certains auront peut-être moins de crédibilité pour passer leurs contrats commerciaux. »

RTL
N. Sarkozy vous reproche d’être devenu l’allié objectif de L. Jospin.

C. Pasqua
— « C’est original lorsque soi-même on se prépare — en se disant partisan de la souveraineté nationale — à adhérer au groupe PPE au Parlement européen, c’est-à-dire au groupe fédéraliste. Il faut savoir ce que l’on veut dans la vie. J’aime bien Nicolas, mais je crois qu’il devrait dire la vérité, ce serait plus claire. »

RTL
Il y a des députés du RPR quand même — même parmi ceux qui vous aimaient bien — qui sont un peu déboussolés parce qu’ils ont la sensation que vous dynamitez le RPR ou que vous cherchez à le dynamiter.

C. Pasqua
— « Non, moi ce n’est pas mon problème. Moi, je ne dynamite pas le RPR. Le RPR a été créé pour servir les idées, qu’en son temps, le général de Gaulle incarnait. Le RPR est un moyen, ce n’est pas une fin. S’il ne reste plus fidèle à ces idées, à quoi sert-il ? Il est là le problème. Il n’est pas ailleurs. Lorsqu’on répond “oui“ au Traité de Maastricht et lorsqu’on ratifie le Traité d’Amsterdam qui entraîne un certain nombre d’abandons de souveraineté, on ne peut pas dire qu’on reste fidèle à l’enseignement que nous avons reçu. Voilà les choses telles qu’elles sont. Je ne conteste pas le droit aux gens de changer d’opinion, mais je leur conteste le droit de se réclamer des idées qui ont présidé à la création du RPR. »

RTL
Mais finalement vous en arrivez à cogner sur le Président de la République, puisque lorsque vous dites…

C. Pasqua
— « M. Mazerolle, excusez-moi, vous êtes le porte-parole de M. Sarkozy ce matin ? »

RTL
Pas du tout.

C. Pasqua
— « Mais alors ! Donnez-moi votre sentiment plutôt que le sien. »

RTL
Abandon de souveraineté avec le Traité d’Amsterdam : J. Chirac a appuyé le Traité d’Amsterdam, donc indirectement vous cognez sur lui.

C. Pasqua
— « Mais je ne cogne pas sur lui. Je constate simplement qu’en adoptant le Traité d’Amsterdam — et personne ne peut dire le contraire — nous avons abandonné deux pans essentiels de notre souveraineté : le contrôle des frontières, la politique de visa et d’immigration, la sécurité, et nous avons reconnu la primauté du droit européen, jusque et y compris sur notre loi constitutionnelle par rapport au droit national. Voilà la réalité des choses. Alors, moi, je ne dis pas que c’est la faute de Monsieur X ou de Monsieur Y. Je constate qu’on a abandonné ces pans de souveraineté et que de surcroît on n’a pas demandé leur avis aux Français, conformément à la Constitution qui prévoit le référendum. »

RTL
Le « on » porte un nom quand même ! Enfin, vous ne voulez pas le prononcer mais…

C. Pasqua
— « je ne veux pas me lancer dans une querelle personnelle. Ce n’est pas mon problème. »

RTL
Vous allez créer un nouveau parti après le 13 juin ? P. de Villiers l’a laissé entendre l’autre jour.

C. Pasqua
— « D’abord attendons le 13 juin. Après le 13 juin, comme dirait l’autre, il y aura le 14. Ce qui est certain, c’est que je pense qu’il ne faut pas confondre les élections européennes avec d’autres élections — ce ne sont ni des législatives ni des présidentielles — mais ce que nous sommes en droit d’espérer à l’occasion de ces élections européennes — en tout les cas c’est ce qu’il faudrait — c’est que chacun clarifie ses positions et que l’on y voie plus clair. Je pense qu’il faut abandonner le double langage. Quand on est fédéraliste il faut dire : “on est fédéraliste“ ; quand on ne l’est pas, on dit : “on ne l’est pas“. Et puis on propose autre chose. »

RTL
Prenons un exemple concret avec le poulet à la Dioxine. Les Belges disent : « on a prévenu » ; les Français disent : « pas du tout, vous ne nous avez pas prévenus dans de bonnes conditions ». Est-ce qu’il ne faut pas justement renforcer les institutions européennes pour que l’information circule ?

C. Pasqua
— « Ce n’est pas un problème de renforcement des institutions européennes. On peut faire en sorte que les informations circulent mieux sans pour autant avoir une instance fédérale. Un certain nombre de choses qui ont été faites l’on été dans le cadre de la coopération entre les États. Mais à partir du moment où l’on supprime les frontières et où les produits circulent librement, il faut un minimum de réglementations. Mais qui est le mieux placé pour contrôler les choses ? Pour définir la réglementation au niveau de l’Europe c’est certainement Bruxelles, pour contrôler les choses sur le terrain c’est certainement les États. »

RTL
Dans l’histoire du poulet à la dioxine, qui a failli ?

C. Pasqua
— « Moi, je ne sais pas. Mais je pense qu’en fonction du ton que vous employez — qui est un ton très accusateur — peut-être allez-vous me dire qui a failli ! »

RTL
Non, moi je ne sais pas, non plus ! J’ai lu votre programme : vous voulez maintenir les monnaies nationales après 2001. C’est-à-dire que vous allez relancer la bataille contre l’euro ?

C. Pasqua
— « Il ne s’agit pas de relancer la bataille contre l’euro. Peut-être qu’un jour il y aura une étude conduite par des psychiatres ou des psychologues pour savoir pourquoi, en même temps, les dirigeants de 11 pays ont décidé de créer une monnaie unique sans avoir auparavant harmonisé leurs fiscalités, leurs charges sociales et arrêter une politique cohérente, et d’autre part pour essayer de comprendre pourquoi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des Etats se sont dessaisis d’une compétence régalienne pour transférer à des banquiers. C’est quand même étonnant. »

RTL
La paix au Kosovo semble devoir se dessiner : l’Europe va pouvoir jouer un rôle particulier ?

C. Pasqua
— « Je l’espère. Je constate simplement une chose — je n’étais pas le seul à le dire —, la réintroduction de la Russie dans le jeu diplomatique était nécessaire, et que d’autre part — comme je l’avais dit depuis le début avec d’autres aussi — c’était à l’ONU et au Conseil de sécurité de jouer pleinement leur rôle. On y vient. J’espère que maintenant les choses vont pouvoir se régler rapidement. »

RTL
Beaucoup en tirent la conclusion de cette affaire qu’il faut — notamment A. Juppé, hier matin, ici, à ce micro — la création d’une armée européenne.

C. Pasqua
— « L’armée européenne, oui, pourquoi pas ? Ce serait même nécessaire. Seulement avant de créer une armée européenne, il faudrait répondre à un certain nombre de questions. La première est celle-ci : l’Europe veut-elle être indépendante par rapport aux États-Unis ? Cela veut dire alliée des États-Unis mais pas à la botte ou supplétive des États-Unis. Alors si l’Europe répond “oui“ à cette question, il faut qu’elle se donne les moyens. »

RTL
Vous ne croyez pas que l’affaire du Kosovo a fait naître une conscience européenne, une conscience politique européenne ?

C. Pasqua
— « Ah, ce serait une très bonne nouvelle cela. »

RTL
Et ce n’est pas le cas ?

C. Pasqua
— « Pour le moment, en tous les cas l’Europe ne se manifeste pas autrement que par l’intermédiaire de la voix de Monsieur Clinton. »