Interview de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR et président par intérim, dans "Libération" du 22 mai 1999, sur la campagne électorale et les perspectives de l'opposition après les élections européennes.

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Q - Les européennes sont étouffées par la guerre du Kosovo et les événements corses. N'avez-vous pas l'impression de vous agiter pour rien ?

Je ne partage pas cet avis. Portée par l'actualité, cette campagne est plus facile à faire que je l'imaginais. Le Kosovo montre combien l'Europe est handicapée pour n'avoir pas su organiser un pilier européen de défense. Et que c'est bien l'Europe des nations qu'il faut construire. Les décisions en matière militaire ne sauraient être prises qu'à l'unanimité. Imaginer l'envoi de soldats français sans l'aval du gouvernement est inimaginable. La Corse vient également nourrir le débat. Dans tout autre pays de l'Union européenne, l'assassinat d'un préfet et l'emprisonnement de son successeur auraient entraîné des conséquences politiques. Pas en France. La campagne est donc loin de patiner. Et entre les différentes listes, les choix sont clairs. Charles Pasqua refuse l'Europe comme le PC et le FN. François Bayrou veut faire de la France une région de l'Europe et ne parle que de l'Europe. François Hollande ne parle que du socialisme à la française. Et il y a notre liste qui parle de la France et de l'Europe sans opposer ces deux concepts.

Q - Quand il s'agit de construction européenne, Jacques Chirac et Lionel Jospin sont sur la même longueur d'onde. N'est-ce pas gênant pour vous différencier des socialistes ?

Je me réjouis que, sur une affaire aussi grave, il n'y ait pas de désaccord entre le président de la République et le Premier ministre. Depuis Maastricht, l'Europe est un acquis pour l'immense majorité des gens. C'est nouveau par rapport aux campagnes précédentes. Le débat n'est donc pas pour ou contre l'Europe. Il a été tranché en 1992. Il est entre les partisans d'une Europe de la modernité et ceux d'une Europe socialiste. Voilà le clivage. Faut-il, comme le pense François Hollande, imposer à nos partenaires nos erreurs : les 35 heures, les emplois publics de Martine Aubry, les dépenses publiques ? Ou veut-on, comme je le préconise, prendre ce qu'il y a de mieux en Europe pour moderniser la France ? On dépense exactement les mêmes sommes que les Allemands pour l'éducation des lycéens du second degré : 39 000 F par an. Résultat : il y a 100 % de jeunes chômeurs de plus en France. Nous dépensons 30 % de plus pour notre santé que les Suédois. Résultat : ils ont, à une journée près, la même espérance de vie que nous. La France dépense trop, impose trop. La TVA ? On ne cesse de dire aux Français que le couple franco-allemand, c'est le moteur de l'Europe. Si c'est le cas et si nos économies se ressemblent, pourquoi est-elle de 15 % outre-Rhin contre 20,6 % ici ? Avec François Hollande, nous différons non sur la nécessité de faire l'Europe mais sur les conséquences que nous en tirons.

Q - Comment pouvez-vous ratisser large alors que vous êtes coincé à droite par Charles Pasqua et à gauche par François Bayrou ?

Je pense au contraire que nous avons réussi à créer une dynamique. Avec Alain Madelin, notre liste est cohérente. Elle est la seule qui s'oppose aux socialistes. François Bayrou ne dit pas un mot sur la gauche. Charles Pasqua réserve l'essentiel de ses coups au président de la République et ne cesse de répéter qu'il veut séduire les républicains de gauche et de droite. Ce n'est pas ma conception d'une opposition moderne.

Q - Le 24 avril, devant les cadres RPR, vous avez affirmé que, pendant cette campagne, vous ne vouliez pas, pour préserver l'avenir de l'opposition, « créer les conditions d'un fossé infranchissable avec François Bayrou, et même avec Charles Pasqua »…

Bayrou finira par comprendre, le 14 juin, ce qu'il n'a pas voulu entendre avant. Je suis un homme d'union. Je ne veux pas rendre impossible la réconciliation. Quant à Charles Pasqua, sait-il lui-même où il se situe après tous ces revirements ?

Q - Donc, le 13 au soir, il faudra additionner toutes les voix des listes de droite, comme l'a indiqué Bernard Pons ?

Non. Au scrutin proportionnel à un tour je ne vois pas à quoi servent les additions. Elles ne se conçoivent que quand il y a deux tours. Il n'en reste pas moins qu'il faudra travailler ensemble demain. Il n'y a pas d'autre stratégie que celle de l'union. Je suis persuadé que, une fois dégrisé par la fin de la campagne électorale, François Bayrou reviendra à de meilleurs sentiments sous la pression amicale de ses amis. Ils savent bien que nous avons tous besoin les uns des autres. Y a-t-il un seul député élu avec 10 % ?

Q - En cas de score médiocre, ne risquez-vous pas de voir votre présidence à la tête du RPR remise en cause ?

Etant président du RPR par intérim, il était normal que je prenne le maximum de risques à la tête de la liste, mais je n'ai pas pour autant le sentiment qu'on m'a fait un cadeau. Il vaut mieux que les résultats soient bons. Sinon, j'imagine assez bien les difficultés. Elles ne me font pas peur. Les lendemains de défaite sont plus solitaires que les soirs de victoire. Il se trouve que, depuis quelques jours, je sens bien cette campagne. Je suis heureux. Je la fais en disant ce que je pense sans qu'il y ait d'inflexion.

Q - Il vaut mieux être premier que deuxième de liste ?

Quitte à prendre des risques, autant les assumer complètement. Faut-il être dans le siège du copilote ou piloter ? Je crains que mon tempérament m'oblige à dire que je préfère piloter.