Déclarations de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à des questions sur la Conférence nationale sur l'emploi et la politique de l'emploi du Gouvernement, notamment le passage aux 35 heures, l'emploi des jeunes et le départ à la retraite de salariés dans le cadre du dispositif de l'ARPE, à l'Assemblée nationale le 14 octobre 1997.

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Circonstance : Séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale le 14 octobre 1997

Texte intégral

Présidence de M. Laurent Fabius

M. le président : La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président : L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
Nous commençons par le groupe par le groupe communiste.

Conférence nationale sur l’emploi

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le Premier ministre, le groupe communiste et partenaires se félicite des conclusions de la conférence nationale qui s’est tenue vendredi (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française) et en particulier de la décision d’élaborer une loi-cadre pour les trente-cinq heures. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Louis de Broissia. On y reviendra !

M. Alain Bocquet. Il s’agit là d’une décision importante parce que c’est une bataille de plus de deux décennies du monde du travail, du mouvement syndical, de la gauche, des communistes. Elle va contribuer à alléger la peine de travail, à créer des emplois…

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. C’est faux !

M. Alain Bocquet. … et, de ce point de vue, je veux m’indigner de l’attitude du Conseil national du patronat français (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française), une attitude qui affiche bien son archaïsme social, son intolérance. Il n’y a pas de mots assez durs. On parle de guerre, de tueur, de complot !

Ce n’est pas du tout ce qui sied à une démocratie comme la nôtre et au dialogue social qui doit avoir cours dans un pays comme le nôtre. Une inquiétude s’est d’ailleurs exprimée. Face à ce front du refus du CNPF, vous pourrez compter bien évidemment sur les parlementaires communistes qui prendront part à ce combat pour…

M. Louis de Broissia. Casser la machine !

M. Alain Bocquet. … que le contenu de la loi-cadre pour les trente-cinq heures corresponde pleinement aux souhaits des salariés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

Ma question est double : quelles mesures comptez-vous prendre face à l’intransigeance patronale et pouvez-vous nous donner quelques indications sur le calendrier et le contenu de cette loi-cadre pour les trente-cinq heures qui correspondra, j’en suis sûr, à une nouvelle dignité pour les salariés de ce pays et pour l’avenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Il entend respecter ses engagements vis-à-vis du peuple français, prendre en compte la réalité économique « Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française), proposer la négociation sociale et faire jouer à la France un rôle d’initiative dans l’Europe, une Europe que nous voulons construire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Tels sont les cinq éléments qui aident à comprendre la décision du Gouvernement.

M. Jean Ueberschlag. Incantation !

M. le Premier ministre. Ce n’est pas une incantation mais un constat. Nous avons 3 500 000 chômeurs en France et notre société en est profondément déstabilisée.

M. Jean Ueberschlag. C’est vous qui les avez créés !

M. le Premier ministre. Par une politique de croissance que le budget permet – un budget de croissance et un budget pour l’euro – par une politique de l’emploi à l’échelle européenne que nous commençons à proposer à nos partenaires à travers le somme sur l’emploi, par le programme pour l’emploi des jeunes (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française) qui se met en place dans le public et démarrera dans le privé, et, enfin, par la diminution du temps de travail, nous voulons dire que la priorité de ce gouvernement est la lutte pour l’emploi et contre le chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Le Gouvernement entend respecter ses engagements vis-à-vis du peuple. Il y va de la réhabilitation de la démocratie dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. – Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) J’ai annoncé que nous voulions parvenir aux trente-cinq heures au cours de la campagne présidentielle de 1995. Nous l’avons réaffirmé dans notre programme législatif et dans les discussions avec nos partenaires pendant la campagne législative de 1997. Je l’ai répété dans ma déclaration de politique générale. Il faut s’habituer à ce que, sur des points essentiels, ce gouvernement tienne ses engagements devant le peuple français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jacques Myard. Vous allez dans le mur.

M. Le Premier ministre. De ce fait, personne ne peut se dire surpris et encore moins berné. Mesdames et messieurs de l’opposition, il vous est arrivé de mener campagne sur un slogan qui avait intéressé le peuple : la lutte contre la fracture sociale. Vous avez abandonné ce slogan et vous avez été sanctionnés pour cela. Si je dois un jour être sanctionné par le peuple…

M. Jacques Myard. Cela viendra !

M. le Premier ministre. … je préfère que ce soit sur ma politique plutôt que pour l’abandon de ma politique. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pour autant, dans nos propositions, et Mme le ministre de l’emploi et de la solidarité y a veillé avec le ministre de l’économie et des finances et moi-même, nous prenons en compte les réalités économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Ce n’est pas aujourd’hui que nous passons aux trente-cinq heures, c’est en l’an 2000, c’est-à-dire dans plus de deux ans ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.) Ce n’est pas tout de suite pour tous, puisque cela ne concernera pas les entreprises de moins de dix salariés. Nous étions d’ailleurs prêts à retenir le chiffre de vingt salariés et c’est plutôt pour complaire à certaine organisation, dont on a beaucoup parlé, que nous ne l’avons finalement pas retenu. Il y a, en effet, des problèmes de « frontières » avec d’autres organisations, vous le savez. Ces mesures ne s’appliqueront, en tout état de cause, qu’à la fin de la législature.

Elles ne s’appliqueront pas sans contrepartie, puisque le Gouvernement prend l’engagement d’aider les entreprises…

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Avec quel agent ?

M. le Premier ministre. …Ce ne sera pas sans un nouveau dialogue, y compris avec les chefs d’entreprise, puisqu’en 1999, en fonction des conditions économiques de l’époque et en tenant compte des négociations qui, j’en suis sûr, se développeront dans de nombreuses entreprises entre les chefs d’entreprise et les syndicats, nous examinerons ensemble des modalités concrètes du passage aux trente-cinq heures (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française), et cela ne se fera pas de façon uniforme. Nous voulons en effet ouvrir un espace de négociations, …

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. C’est tout un champ qui est ouvert aux partenaires sociaux de ce pays, s’ils veulent s’en saisir, sur le temps de travail, mais aussi sur les minima sociaux, les minimas de branches, les cas des hommes et des femmes qui ont travaillé dès quatorze ans et cotisé quarante ans (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), la simplification des formalités administratives pour les petites et moyennes entreprises.

Pourquoi n’ai-je pas eu en réponse une proposition alternative du CNPF sur la base de laquelle nous aurions pu discuter ? Comment pouvait-on demander à ce gouvernement, engagé devant le pays, de renoncer à un axe essentiel de ses propositions sans aucune contrepartie, sans engagement d’aucune nature ? Nous pensons bien que la négociation sociale se nouera dans les entreprises, et Mme Marine Aubry va y travailler avec les autres responsables du Gouvernement au cours des mois qui viennent.

Enfin, Monsieur le président du groupe communiste, nous voulons effectivement que la France puisse jouer un rôle moteur et d’initiative dans l’Europe.

M. Charles Ehrmann. Exhortation !

M. le Premier ministre. Je suis d’accord avec le président de la République quand il nous demande, dans les discussions internationales, de ne pas adopter l’attitude d’un pays qui donne la leçon aux autres. Mais ne pas donner la leçon aux autres, ne pas être arrogant, cela ne signifie pas se réjouir d’être simplement dans le peloton de queue du conformisme économique européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jacques Myard. Parlez-nous de Tony Blair !

M. le Premier ministre. Le Gouvernement se propose de redonner à la France un rôle moteur sur des questions qui secouent toute la société européenne, dans laquelle il y a 20 millions de chômeurs.

Je suis heureux de voir que la crise italienne, que nous ne souhaitions pas car le gouvernement de ce pays est, vous le savez, réaliste, moderne, s’est dénouée sur la question des trente-cinq heures. L’Italie s’engage dans cette perspective. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Claude Lefort. Exact !

M. le Premier ministre. Le président de la confédération européenne des syndicats vient d’affirmer que ce signal donné par la France était un signal pour toute l’Europe…

M. Arthur Dehaine. Bref, tout va bien !

M. le Premier ministre. …que l’objectif des trente-cinq heures restait bien celui du syndicalisme européen.
Oui, une France qui propose, qui anime, puis qui dialogue, c’est cela, mon idée de la France ! (Vifs applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. – Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Le Président. Nous passons aux question du groupe de l’Union pour la démocratie française.

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je dirai à M. Madelin : non, la France n’a pas tout essayé contre le chômage et il reste encore beaucoup à faire et à imaginer ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Patrick Ollier. Ce n’est pas une question au Gouvernement ! Monsieur le président, ne laissez pas faire cela !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, toute votre politique est justement orientée vers la lutte contre le chômage, pour l’emploi et la croissance, qu’il s’agisse de la loi en faveur de l’emploi des jeunes, qui a été votée hier par une très large majorité, du projet de loi en faveur de l’emploi des jeunes, qui a été votée hier par une très large majorité, du projet de loi de finances pour 1998, qui va dans la même direction, de la loi de financement de la sécurité sociale avec l’importante réforme du financement de l’assurance maladie, ou de la conférence nationale sur les salaires, l’emploi et la réduction du travail, qui est un événement historique dans notre pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

Mme Christine Boutin. Historique, en effet !

M. Jean-Marc Ayrault. Après le temps de négociateurs, on nous annonce le temps des tueurs. Eh bien, nous, nous refusons le dogmatisme ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.) Nous refusons l’intransigeance (Mêmes mouvements) social et nous voulons privilégier la voie de la négociation et du compromis.

Cette conférence, monsieur le Premier ministre, a ouvert beaucoup d’autres chantiers que celui concernant la réduction du temps de travail, que vous venez d’évoquer. Comment se déroulera la suite ? Elle passera, d’une part, par la voie législative et, d’autre part, par la voie de la négociation.

En tout cas, le groupe socialiste sera à vos côtés…

M. Jean-Jacques Jégou. Quelle est la question ?

M. Jean-Marc Ayrault. …pour vous aider à mettre en œuvre cette politique au service de l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste. – « Quelle est la question ? » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Il n’y a pas eu de question !

M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues, vous allez entendre la réponse. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. Lionel Jospin, Premier ministre. Moi, il me semble avoir entendu la question. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

M. le président. Mes chers collègues, cette excitation ne se justifie pas.

Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole, et vous seul.

M. le Premier ministre. Mesdames, messieurs, à défaut d’avoir entendu la question (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française), peut-être pourriez-vous écouter la réponse !

Vous avez raison, monsieur le président du groupe socialiste, d’insister sur le fait…

M. Pierre Lellouche. C’était une bonne question !

M. le Premier ministre. … que la conférence sur l’emploi, les salaires et le temps de travail ne s’est pas limitée à cette question très importante des trente-cinq heures qui, par sa force symbolique, par son efficacité économique, …

M. Arnaud Lepercq. Utopie !

M. le Premier ministre. … si nous prenons les précautions nécessaires, et par son impact social provoque l’intérêt légitime de cette assemblée.

Dans cette conférence, quatre autres points méritent d’être soulignés.

Le premier concerne l’emploi des jeunes. Un travail très important a été accompli, dans le prolongement de l’action menée en direction des emplois publics, pour convaincre les partenaires sociaux et particulièrement les chefs d’entreprise qu’ils devaient relayer l’impulsion que l’État et les pouvoirs publics donnaient eux-mêmes dans ce domaine.

M. Yves Nicolin. Et ça a marché ?

M. le Premier ministre. Oui, ça a marché…

M. Arnaud Lepercq. Tueur d’emplois !

M. le Premier ministre. … car c’est un point sur lequel le patronat a exprimé clairement son engagement. Il a été convenu que chaque branche professionnelle réalisera un diagnostic sur la situation de l’emploi des jeunes dans sa branche, que ce diagnostic servira de base à des négociations permettant d’aboutir ensuite à des objectifs quantifiés d’emplois des jeunes que les partenaires sociaux et les entreprises pourraient se fixer. Un bilan de ces rencontres aura lieu au premier trimestre de 1998. Dans les branches où ces rencontres n’auraient eu lieu, l’État prendra la responsabilité de réunir des commissions mixtes paritaires. Cette décision a été approuvée.

Un deuxième point important a été également débattu : il concerne le cas des salariés qui, ayant cotisé quarante ans et ayant travaillé dès l’âge de quatorze ans, souhaitent partir à la retraite dès cinquante-six ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.) Le Gouvernement a pris l’engagement, à condition naturellement que, dans le prolongement de l’allocation de mise à la retraite contre l’embauche des jeunes, le fameux accord ARPE, symbole d’une vraie politique contractuelle, les partenaires sociaux s’entendent, d’abonder ce système de 40 000 francs par salarié et par an.

Une troisième dimension d’action, elle aussi discutée au sein de la conférence, concerne les simplifications administratives qu’attendent depuis longtemps les petites et moyennes entreprises.

M. Jean-Paul Charié. C’est faux !

M. le Premier ministre. Si nous arrivons, prolongeant des tentatives antérieures, faites par nous ou par vous, mais qui n’ont pas encore débouché sur des décisions très importantes, à avancer dans ce domaine, je pense que les petites et moyennes entreprises pourront créer des emplois.

M. Jean-Paul Charié. Alléger leurs charges !

M. le Premier ministre. Sur la base du rapport que remettra à Mme Marylise Lebranchu votre collègue, M. Dominique Baert, nous allons dresser un bilan. Puis le ministre de l’économie et des finances et le ministre de l’emploi et de la solidarité travailleront de conserve pour simplifier massivement les formalités administratives qui paralysent souvent l’activité des entreprises.

Enfin, une discussion sur les salaires conventionnels et les minima de branches sera possible dans le cadre de la négociation contractuelle. Il n’y a pas forcément accord sur les termes, mais cela correspond à une préoccupation commune. Mme le ministre de l’emploi et de la solidarité poussera à cet exercice et fera le bilan devant la Commission nationale de la négociation collective en 1998.

Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, des compléments féconds à la journée du 10 octobre qui, j’en suis convaincu, restera une date importante et symbolique dans l’histoire économique, sociale et politique de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

M. Thierry Mariani. L’avenir tranchera !