Texte intégral
France 2
Milosevic annonce qu'il est prêt à retirer une partie des forces yougoslaves du Kosovo. Pensez-vous qu'il y a là matière à discuter du commencement d’une trêve, ou êtes-vous plutôt sur la ligne de l'Otan, extrêmement sceptique ?
Cohn-Bendit
- « Moi, je suis sceptique avec Milosevic. Le problème est facile à régler : s'il y a un véritable retrait, je crois qu'on peut arrêter vingt-quatre heures pour voir s'il y a effectivement retrait. C'est visible puisqu'il y a les avions de l'Otan. Si après vingt-quatre heures il n'y a pas retrait, on recommence l'intervention militaire. L'important c'est la définition de l'intervention militaire. Ce n'est pas : est-ce qu'on fait une trêve aujourd'hui ou pas ? C'est : est-ce qu'on veut vraiment imposer le retour des réfugiés ? Il y a près de 900 000 déportés kosovars en Albanie, en Macédoine et en Europe. Il faut qu'ils puissent revenir. Et c'est là tout le problème aujourd'hui. La stratégie de l'Otan est une stratégie faible dès le début, car on a exclu l'intervention terrestre et donc on n'a pas de force de pression. Car si on avait 100 000 soldats en Albanie et en Macédoine, on pourrait interrompre les frappes pendant trois semaines, laisser le jeu diplomatique se faire et dire : "sinon on intervient militairement au sol." La faiblesse de la position de l’Otan c'est sa faiblesse de stratégie. »
France 2
Vous dites que si on suspend les frappes aériennes, on pourrait alors accompagner le retour des déportés avec des troupes pour les protéger. C'est ça l'idée ?
Cohn-Bendit
- « Mais bien sûr ! Toute la négociation maintenant c'est quoi ? C'est de dire à Milosevic : "l'Onu décide maintenant de raccompagner les déportés ; on organise la reconstruction du Kosovo ; on fait la grande conférence des Balkans ; on pose les jalons de la paix - ça doit être un statut pour les minorités." Et là où l'Otan est faible, c'est que dans ce statut pour les minorités, il faut aussi introduire la Grèce et la Turquie et poser le problème des minorités kurdes qui sont dans la région. On est inconséquent sur les-droits de l'homme, et c'est pour cela qu'on a des "talons" très faibles, on n'arrive pas à avancer. Il faut donc être très clair sur notre stratégie : les droits de l'homme, le retour des déportés et un statut de stabilité dans la région qui intègre toutes les minorités. »
France 2
Est-ce que ce genre de négociation peut se faire sans les Russes ou sans l'accord tacite des Chinois qui sont mécontents d'avoir eu leur ambassade bombardée à Belgrade ?
Cohn-Bendit
- « J'ai toujours été méfiant face aux services spéciaux et face aux services de police. C'est complètement aberrant que les explications de l'Otan : on a bombardé l'ambassade de Chine parce qu'on avait une vieille carte ! »
France 2
Ca ne tient pas debout ?
Cohn-Bendit
C'est dément, c'est dément ! C'est peut-être la vérité, mais elle est encore plus démente ! On ne peut pas faire une, guerre Nintendo, de technologie...
France 2
Vous pensez qu'ils l'ont fait exprès ? Qu'il y avait une cible cachée ?
Cohn-Bendit
- « Ou alors ils sont bêtes politiquement, ou alors c'est du sabotage politique car on ne veut pas de processus négocié... »
France 2
Certains ont dit qu'il pouvait y avoir une antenne de télévision, par exemple, cachée dans l'ambassade de Chine et…
Cohn-Bendit
- « Et alors, et alors, et alors ?! Il y a des choses qu'on ne fait pas quand on fait de la politique ! C'est complètement idiot. Et s'il y avait une antenne ! C'est alors du sabotage... Je crois qu'on ne pourra pas arriver à une solution si on n'y intègre pas les Russes et les Chinois. Il faut une résolution du Conseil de sécurité. Et donc peut-être que c'est du sabotage politique, et là ça serait très dangereux parce que ça serait donner à l'Otan une fonction qu'elle ne doit pas avoir. C'est une exception. Il faut renforcer l'Onu. »
France 2
Sabotage politique : ça pourrait venir de qui, des Etats-Unis ?
Cohn-Bendit
- « Alors là, je, n'en sais rien ! D'un courant qui a voulu exploiter… Mais je n'en sais rien moi ! Mais ça me parait tellement… C'est aussi possible, cette histoire de carte, parce qu'il leur manquait deux dollars. J'ai envie de leur envoyer deux dollars pour s'acheter une nouvelle carte de Belgrade, et surtout l'agenda téléphonique. »
France 2
Un plan.
Cohn-Bendit
- « Un plan et puis l'agenda téléphonique. Il faudrait peut-être appeler les auditeurs de France 2 pour envoyer un peu d'argent à la CIA pour qu'ils puissent renouveler leur plan. »
France 2
Je ne suis pas sûre que cet appel soit tout à fait conforme à notre statut. Parlons de la Corse : hier sur cette antenne, R. Barre qui s'exprimait pour la première fois disait : ils doivent choisir : soit rester dans la République et respecter la loi républicaine, soit partir et renoncer à la corne d’abondance.»
Cohn-Bendit
- « Il l'a déjà dit. Moi je crois à autre chose : il faut que les Corses, l'Assemblée corse - droite, gauche, indépendantistes, autonomistes - définisse, essaye, se casse la tête pour poser un projet pour la Corse. Et ce projet politique et social, il faut qu'il soit discuté en Corse, en France, et qu'on arrête de considérer la Corse comme un protectorat où il y a un proconsul, qui est le préfet, et qui décide - maintenant de toutes les choses en Corse. »
France 2
Vous parlez d'une autonomie substantielle pour la Corse ? Ca veut dire quoi ?
Cohn-Bendit
- « De toute façon, avec l'Europe - puisqu'on est en campagne européenne - et le fédéralisme européen, cela va obliger la France à repenser son centralisme, à donner un vrai pouvoir aux régions. »
France 2
Il n’y pas de raison que ça s'arrête à la Corse : ça peut être l'Alsace, la Bretagne, etc.
Cohn-Bendit
- « Mais nous avons des régions, nous avons une décentralisation, je suis pour un pouvoir des régions. Ecoutez, la Catalogne a un vrai pouvoir… »
France 2
En Espagne.
Cohn-Bendit
- « …oui, en Espagne, d'accord, c'est vrai ! Vous avez déjà peur que… Je veux dire qu'il y a un vrai pouvoir régional. Je crois qu'il faut repenser le centralisme français. On peut garder la France en fonctionnant autrement. »
France 2
Est-ce qu’il y a une responsabilité politique du Gouvernement ? Quand vous entendez C. Pasqua dire : "il faudrait que L. Jospin démissionne", vous avez envie de lui répondre quoi ?
Cohn-Bendit
- « Il essaie, car lui tous les coups qu'il a faits c'est lui qui les dirigeait : c’est Monsieur coups, Monsieur SAC, Monsieur réseaux parallèles, Monsieur Afrique, Monsieur Tout. Pour l'instant, ce que je sais, c'est que Pasqua était responsable de fous les coups, de toutes les bavures de sa police. Aujourd'hui, ce que nous savons, c'est que nous avions un préfet démentiel, qui a été nominé par ce Gouvernement - c'est une erreur politique d'avoir nommé Bonnet, on aurait peut-être pu savoir. Mais deuxièmement, je crois que je n'ai aucune raison pour l'instant d'accuser qui que ce soit à Matignon ou au ministère de l'Intérieur. Mais, avec l'erreur de la Corse, il faut qu'on repense tout le fonctionnement des polices, droite, gauche. On fonctionne par coups : le Rainbow Warrior, Elf et les politiques africaines. Il y a combien de réseaux parallèles de ministres, de présidents de la République, en Afrique ! C'est ça qu'il faut arrêter : de penser qu'on peut résoudre des problèmes politiques avec des coups, par des coups ! »